Chérie des Anglo-Saxons, peu inspirante pour les Français, la fête d’Halloween a des racines à la ramification complexe, entre mythe celtique et réalité folklorique. Retour sur l’histoire d’une tradition à la croisée de nombreuses époques.

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Avant les migrations massives d'Irlandais et d'Écossais vers les États-Unis, les lanternes « d'Hallowe'en » étaient essentiellement taillées dans des navets ou des betteraves.

© Yann Avril/Biosgarden/Biosphoto

« Trick or treat ! », crient les petits enfants grimés en fantôme ou en sorcière lorsque la porte des maisons s’ouvre. Dans la plupart des pays anglo-saxons, la soirée du 31 octobre est l’occasion pour les plus jeunes de récolter auprès du voisinage un maximum de friandises dans leur panier en forme de citrouille, quand leurs aînés rivalisent de créativité pour briller en soirée déguisée. En France, où les courges d’Halloween n’ont jamais vraiment pris racine, et ce malgré les tentatives répétées de nombreuses marques et enseignes, Halloween apparaît pour beaucoup comme une fête mercantile et dénuée de sens. Elle n’en reste pas moins une célébration ancestrale, même si l’on ne sait aujourd’hui que très peu de choses sur ses fondements et la manière dont elle se déroulait. Malgré tout, on ne s’avance pas trop en affirmant qu’elle devait être bien plus effrayante que son évolution contemporaine.  

 

Une porte ouverte avec l’Autre monde

Un grand nombre de sources relient Halloween à une fête celtique tantôt d’origine anglo-irlandaise, tantôt d’origine « gauloise », célébrée il y a près de trois millénaires. Appelée Samain, ou Samhain, mot gaélique à l’étymologie controversée (on pense à la contraction des mots sam, pour été, et fuin, pour fin), on dit d’elle qu’elle marquait à la fois le début de l’année et celui de la saison sombre, en opposition à la claire, les Celtes n’ayant alors que deux saisons. Elle correspondrait surtout à cette étrange nuit durant laquelle les frontières entre le monde des vivants et l’Au-delà étaient exceptionnellement ouvertes, permettant ainsi des aller-venues à loisir. Les vivants pouvaient ainsi « visiter » quelques heures durant le monde des défunts, quand les morts et autres êtres fantastiques étaient en mesure de déambuler ici-bas.

En France, de nombreux auteurs à succès controversés n'ont pas hésiter à assurer que la « principale fête des Celtes » était Samain, qui se tenait dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre. Une nuit qui n’appartenait ni à l’année qui se termine, ni à celle qui commence.

 

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Une illustration du poème « Halloween » de Robert Burns par J.M. Wright et Edward Scriven, 1785 (Wikimedia Commons).

 

On raconte aussi que les festivités duraient sept jours au total : le jour de Samain lui-même – le 31 octobre –, trois jours avant et trois jours après. Que la célébration, obligatoire dans toute société à rites druidiques, se déroulait dans une ambiance très festive, rythmée par de gargantuesques banquets et une série de sacrifices. Qu’elle était une véritable parenthèse temporelle, elle qui marquait aussi une trêve dans les combats ou encore la fin des travaux agraires. On situe enfin sa disparition au 7e siècle environ, balayée par le christianisme. Mais c’est le pape Grégoire IV qui aurait définitivement enterré Samain en ordonnant que soit célébrée, en date du 1er novembre, la « fête de tous les saints » dans la chrétienté. La première Toussaint aurait ainsi eu lieu en l’an 835. La Commémoration des défunts, elle, sera fixée au lendemain, soit au 2 novembre.

 

Des origines celtes contestables

Aussi séduisante soit cette version de l’histoire, elle relève malheureusement plus du fantasme que de la réalité historique, du moins en partie. « Samain est bien une fête irlandaise, mais nous ne disposons d’aucune source qui indique que c’était une tradition présente chez les Celtes historiques, et donc chez les Gaulois », tempère Jean-Louis Brunaux, archéologue spécialiste de la civilisation gauloise. Car les proto-Celtes sont bien les Gaulois, un peuple réparti sur une vaste portion de l’Europe allant du sud de la France jusqu’au Rhin, en passant par le nord de l’Italie, la Suisse, l’Autriche, une partie de l’Allemagne, de la Hollande et de la Belgique. 

« Les premières mentions de Samain, que l’on trouve dans la littérature irlandaise précoce, datent tout au plus du Haut Moyen Âge », poursuit le chercheur. Soit bien loin du temps où le paganisme et ses rites magiques dominaient sur le Vieux Continent. Ainsi, si Samain « repose sans doute sur des fêtes populaires qui ont bel et bien existé et remontent à la nuit des temps, dire d’elle qu’elle est celtique n’a pas de sens ».

 

L’invention d’une tradition

Mais alors d’où viennent ces prétendues origines celtiques ? À la fin des années 1970, l’historien britannique Eric Hobsbawm éclaire d’un nouveau jour l’histoire des traditions et des lieux de mémoire du monde entier. Ses travaux le conduisent à affirmer que des pans entiers de l’histoire auraient été façonnés au 17e et 18e siècle, surtout au Royaume-Uni, pour répondre à des problématiques politiques et sociétales. Nombre de traditions irlando-écossaises, dont Samain, auraient ainsi été remodelées par les historiens de la couronne d’Angleterre dans le but de satisfaire un besoin d’identité culturelle. « Les Irlandais étaient un peuple délaissé, soumis à des famines successives. Attribuer à l’une de leurs fêtes populaires des racines celtes et antiques était une manière de servir un sentiment national », explique Jean-Louis Brunaux. Cette fête irlandaise était celle, chrétienne, de la veillée de la Toussaint – « The evening of all Saints’ day », qui devint, par contractions successives, « All Hallow’s Eve’ » et enfin « Hallowe’en ».

 

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« Snap-Apple Night » de Daniel Maclise, 1833. On voit sur cette toile des Irlandais festoyant et s'adonnant à des jeux de divination lors de la fête d'Halloween (Wikimedia Commons).

 

Au siècle suivant, les envolées littéraires d’auteurs romantiques achèveront de fusionner l’irlandaise « All Hallow’s Eve’ » à Samain. On doit la mystification la plus efficace à Lady Jane Francesca Wilde, poétesse et mère d’Oscar (Wilde) qui, dans son ouvrage de 1887 Ancient Legends, Mystic Charms, and Superstitions of Ireland, dépeint une nuit du 31 octobre au 1er novembre empreinte de rites ancestraux.

N’en déplaise à Lady Jane Wilde, les meilleures sources dont nous disposons sur les origines et la célébration de la fête de Samain sont à attribuer aux moines irlandais du Moyen Âge, qui consignent – et surtout christianisent – la mythologie gaélique. On y apprend donc que Samain était l’une des quatre fêtes de l’année, qu’elle marquait bien le début de la saison sombre (et la fin de la saison claire selon l’ancien calendrier celtique), et qu’elle se voulait en cela une fête de transition. Ses motifs, en revanche, restent flous : peut-être y votait-on de nouvelles lois, y prenait-on des décisions politiques et juridiques ou y célébrait-on des mariages.

 

Navets, betteraves et citrouilles

Et les citrouilles dans tout ça ? Là encore, il est question de traditions difficile à dater. Mais l’on trouve des traces d’une fameuse légende dont provient sans doute la tradition de la citrouille dès 1750 en Irlande et en Écosse : celle de Jack-o’-lantern, ou Jack à la lanterne. Ivrogne et mesquin, ce maréchal-ferrant prénommé Jack ne parvint jamais à entrer au paradis à cause de sa vie de débauche. Mais l’Enfer lui fut aussi refusé après plusieurs mésaventures avec le Diable de son vivant. Ainsi, depuis le jour de sa mort – un 31 octobre – il fut condamné à errer dans le noir avec pour seul repère… un navet creusé en guise de lanterne.

 

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Une jack-o’-lantern traditionnelle faite à partir d'un navet. Datée du début du 20e siècle, elle est exposée au Museum of Country Life, dans un village d'Irlande (Wikimedia Commons).

 

Dès lors, la coutume voulait que l’on creuse ce légume et que l’on y place une bougie le soir d’Halloween. Lorsque les Irlandais et les Écossais émigrèrent de l’autre côté de l’Atlantique, sur un continent où la famine allait peut-être enfin cesser de les poursuivre, ils troqueront les navets contre des citrouilles, plus simples à creuser et plus courantes. Ce n’est en revanche que dans les années 1930, aux États-Unis, que les enfants ont pris l’habitude d’aller le soir de maison en maison frapper aux portes et réclamer des friandises.

 

La fête de la Toussaint en Bretagne, un Halloween à la française

En Bretagne, où l’on parle encore une langue celtique et où l’ancien calendrier était directement inspiré du calendrier bipartite celte, la fête de la Toussaint semble intimement liée à Samain. « En Bretagne, bien des croyances sont proches de celles que l’on trouve en Irlande, notamment celle en l’existence de l’Autre monde, nommé l'Anaon. Mais c’est surtout dans la nuit du 1er au 2 novembre – influence probable du christianisme – que s’entrouvrent ses portes », détaille Fañch Postic, ethnologue spécialiste des mondes bretons et celtiques et membre associé du Centre de recherche bretonne et celtique (CRBC).

Des traces de pratiques similaires à l'Halloween irlandais, on en trouve en Bretagne dès le 17e siècle : « Toute une série de croyances étaient en rapport avec la présence des défunts dehors cette nuit-là : il ne fallait pas balayer la maison de peur de les pousser dehors, ne pas sortir les animaux qui pourraient les écraser… D’une manière générale, il convenait de ne pas s’attarder dehors au cours de la nuit du 1er au 2 novembre, afin d’éviter les mauvaises rencontres, car dans l’Anaon, comme dans l'Au-delà de Samain, se trouve également toute une série d’êtres fantastiques plus ou moins recommandables », continue le chercheur. « On quêtait en chanson, et l'on plaçait aussi des betteraves éclairées par des bougies devant les maisons, pour effrayer les morts. »

Voilà donc une preuve de plus qu’Halloween est, finalement, bien plus qu’un déferlement de déco et d’objets oranges et noirs venus d'outre-Atlantique.

Marine Benoit - 30.10.2020 - Sciences et AvenirArchéo & paléoEthnologie

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