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Les Estoniens brandissent l’année 1441 comme un trophée. C’est à cette date et dans leur capitale, Tallinn, que le premier sapin de Noël connu aurait été dressé. Ils coiffent ainsi de 69 ans les précédents tenants du titre, leurs voisins de Lettonie, qui mettaient en avant l’érection en 1510 d’un sapin à Riga. Quant aux Alsaciens de Sélestat, ils sont dorénavant relégués à la 3ème place du classement, avec leur référence un peu obscure datant de 1521.

 

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Une innovation alsacienne devenue un hit mondial

Ces classements plus ou moins sponsorisés par les offices de tourisme sont-ils crédibles ?

A Tallinn comme à Riga, les preuves historiques font référence à la Confrérie des Têtes Noires, une guilde de marchands célibataires et expatriés. Ce sont ces jeunes hommes qui sont allés dans la taïga couper un conifère, l’ont décoré de fleurs et de rubans, puis l’ont placé quelque temps dans la salle commune de leur Maison des Marchands. Au cours d’une parodie de procession, l’arbre fut enfin emmené sur la place du marché par les joyeux lurons qui,

« accompagnés d’un troupeau de jeunes filles et de femmes, y chantaient et y dansaient d’abord, puis mettaient le feu au sapin. »

(Balthasar Russow, « Chronique de la province de Livonie », 1578)

Il ne s’agit donc pas encore du sapin de Noël tel que nous le connaissons. Tout au plus, une étape dans l’élaboration de cette coutume.

Pour trouver l’idée finalisée, il faut se rendre à une autre escale des routes commerciales de l’Europe de la Renaissance : à Strasbourg, en 1605. C’est à cette date qu’un étudiant anonyme décrit une tradition populaire en vigueur dans la capitale alsacienne :

« La Veille de Noël, on dresse à Strasbourg des sapins dans la pièce de séjour et on y suspend des roses découpées dans du papier multicolore, des pommes, des gaufrettes, des fils d’or (Zischgolt), du sucre, etc ; on entoure le tout d’un cadre carré

(cité par George Klein, Gérard Leser et Freddy Sarg, « L’Alsace et ses fêtes », 1995).

Mais un siècle plus tôt, il n’est pas certain que l’arbre de Noël existât déjà. Voici ce qu’écrit un poète satiriste vivant à Strasbourg à la fin du 15ème siècle :

« Celui qui n’offre rien de nouveau
Celui qui ne chante pas la nouvelle année
Et ne met pas de rameaux de sapin vert dans sa maison
Croit qu’il ne survivra pas à la nouvelle année
« 

(Sebastian Brant, « Narrenschift », « la Nef des fous », 1494)

On a donc d’abord décoré les maisons avec des rameaux, puis dans un deuxième temps avec l’arbre entier. C’est entre 1494 et 1605 que cette évolution a eu lieu, soit à Strasbourg, soit dans un autre coin de l’Alsace : on en trouve des traces documentaires à Sélestat (1521, 1546, 1555, 1557, 1600), Ammerschwihr (1561), Turckheim (1597).

Cette documentation fournie et convergente semble indiquer que le sapin de Noël est aussi alsacien que l’imprimerie, le gewurztraminer et les bretzel, et que cette tradition régionale s’est exportée au fil des siècles :

« En Alsace, il n’y a pas de famille, si pauvre qu’elle soit, qui n’ait son arbre de Noël. Quand un Alsacien émigre, il emporte la coutume héréditaire avec ses pénates. On l’a retrouvée dans les placers boueux de Californie, dans les sables du Sahara, dans les tranchées de Sébastopol, si bien qu’on a pu dire : « Là où est une famille alsacienne, là est un arbre de Noël

(Etienne Seinguerlet, « Histoire de Strasbourg », 1876)

Au 18ème siècle, le sapin est adopté en Allemagne, d’abord en Rhénanie puis plus à l’est – visitant Leipzig, Goethe lui-même découvre étonné cette pratique qui n’existait pas dans son enfance. Dans la première moitié du XIXème siècle, c’est au tour de l’Angleterre et de l’Amérique. C’est un peu plus tardif dans la « France de l’intérieur » : c’est seulement après la défaite de 1870 que que les soldats prussiens et les réfugiés alsaciens lui font vraiment traverser les Vosges.

A noter toutefois qu’un document vient compliquer cette reconstitution : un petit sapin décoré et garni de surprises est signalé dans une maison corporative dès 1570 à Brême, le grand port de nord de l’Allemagne.

Les documents alsaciens réservent enfin une dernière surprise : l’explication de cette coutume de Noël, qui s’y trouve renfermée, dans le détail d’une ligne budgétaire de la municipalité de Sélestat.

 

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« La Nef des Fous », vers 1500, Jérôme Bosch : sur le bateau, représentant le monde, un « mai » sert de mât ; une galette y est suspendue.

 

L’Arbre de Noël, une adaptation de l’Arbre de Mai ?

« Item IIII Schillings den Förstern die Meyen an Sanct Thomas Tag zu hieten »

« De même 4 schillings aux gardes forestiers pour surveiller les Meyen au jour de la Saint-Thomas ( = 21 décembre)»

(Comptes de la ville de Sélestat, année 1521)

L’alsacien « Meyen » ne se traduit pas par « sapins » et ne désigne pas forcément un arbre entier. La traduction exacte est « Mais », au pluriel. « Mai » est un terme aujourd’hui obscur, mais qui était alors parfaitement clair dans les oreilles des habitants de cette époque, tant il appartenait à la culture populaire.

Un « mai » désignait des végétaux coupés pour décorer ou pour offrir : autrement dit un bouquet de fleurs, mais aussi un rameau ou une branche artistement présentés, voire un arbre entier, plutôt sous forme de tronc soigneusement ébranché et terminé par un toupet de rameaux. Le « mai » était le plus souvent agrémenté de rubans, de fleurs ou de friandises, voire de saucissons et de bouteilles de vin, comme un mât de cocagne avec qui il se confond quand il est de grande taille.

Comme leur nom l’indique, c’est surtout au mois de mai, à partir de la nuit du 30 avril au 1er mai, que les « mais » étaient offerts par les garçons : soit en individuel à une jeune fille, qui pouvait ou non agréer le cadeau ; soit en collectif et alors c’était le prétexte à des danses, à des chants et à des gueuletons, ce qui rappelle l’épisode de 1441 à Tallin. Il y avait des arbres de mai de village et de corporation urbaine et Henri IV en avait fait dresser un pour tout le royaume, au palais du Louvre.

(Arnold Van Gennep, « Le folklore français », 1949).

L’arbre de mai célébrait le printemps, la ripaille et l’amour sous sa forme la plus naturelle – l’érection de ces mâts aurait excité l’intérêt du docteur Freud et dérangeait le clergé de l’époque. En Italie du Nord, un synode réuni à Milan dénonce en 1579 la coutume

 » le premier jour de mai, fête des apôtres saint Jacques et saint Philippe, de couper les arbres avec leurs branches, de les promener dans les rues et dans les carrefours, et de les planter ensuite avec des cérémonies folles et ridicules. »

L’arbre de mai charriait un imaginaire subversif, donnait accès en rêve à un monde parallèle de liberté et d’abondance, plus désirable que le vrai. Il est inséparable de l’esprit de la Renaissance, de son appétit de vivre après les ravages de la Peste Noire.

Selon Van Gennep, la plantation des arbres de mai était « apotropaïque » : elle protégeait contre le malheur un village, un troupeau, un champ et même le fumier familial. Les gens de cette époque y croyaient plus ou moins :

« Et le premier jour de May, revenant des Tuileries par la grande galerie (…), le roi Henri nous dit lors : « Ne vous en allez point, je m’en vais hâter ma femme de s’habiller (…) Nous nous appuyâmes en attendant sur les balustrades de fer qui regardent sur la cour du Louvre : lors le May que l’on y avait planté au milieu tomba sans être agité du vent ni autre cause apparente, et chut du côté du petit escalier qui va à la chambre du Roi.

Je dis lors à M. De Guise : « Je voudrois qu’il m’eût coûté quelque chose de bon et que cela ne fût point arrivé. Voilà un très mauvais présage. Dieu veuille garder le Roi, qui est le Mai du Louvre. »

(François de Bassompière, « Mémoires », 1665, cité par Patrice Lajoye, « l’Arbre du monde, la cosmologie celte », 2016).

Le 14 mai 1610 suivant, Henri IV était assassiné par Ravaillac.

 

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La deuxième représentation connue de l’arbre de Noël est nord’américaine (Boston, 1836), avec au pied le petit cadre carré tel que décrit à Strasbourg en 1605.

 

L’arbre de mai vient-il des Celtes ?

Ainsi il est plausible que les Mais de Noël de Sélestat ait été inspiré par le folklore printanier de l’Arbre de Mai, particulièrement populaire à la Renaissance. Il a été adapté à la période d’hiver, d’abord parce que c’était une forme de décoration ludique et peu coûteuse. Dans un contexte chrétien, marqué par la naissance du Christ, les petites offrandes suspendues aux branches ont été spécialement destinés aux enfants, comme on peut le voir dans le document de Sélestat de 1600 (Chronique de Beck). L’Arbre est devenu plus familial, tout en restant suspect aux gens sérieux : les premiers témoins (Brant, Russow, Dannehauer) sont hostiles aux mais de Noël et les mettent dans le même sac que l’arbre de Mai.

Mais ce dernier d’où vient-il ? Les plus anciens documents le concernant remontent au 13ème siècle. Peut-on remonter encore plus loin, jusqu’aux Celtes ?

Pas pour le folkloriste Arnold Van Gennep : la documentation « n’autorise pas à le regarder comme celtique ou comme gaulois. Ces attributions ethniques doivent être éliminées, quoi qu’en aient dit les celtomanes ».

Une vision aujourd’hui dépassée, tant les connaissances croissantes sur le monde celte mettent en évidence ses influences variées sur notre civilisation moderne. Trois faits autorisent à faire remonter l’arbre de mai aux Celtes :

– Le 1er Mai, connu sous le nom de Beltaine en Irlande et en Grande-Bretagne, était le début de la saison claire chez les Celtes. Il était exactement symétrique au 1er novembre, début de la saison sombre, jour appelé Samhain et qui a donné Halloween et la Toussaint.

– Les arbres étaient le principal moyen du culte des Celtes : les druides suspendaient aux branches des offrandes aux dieux.

– L’Arbre du Monde était au centre de la cosmologie celte : cet être primordial et mystérieux soutenait les mondes et charpentait l’Univers.

Indirectement et en passant par l’Alsace, le culte celte des arbres pourrait être à l’origine de la coutume populaire la plus vivante actuellement. Dresser un arbre dans notre salon pendant la nuit la plus longue reviendrait alors à y faire entrer une image réduite de l’Univers tout entier, avec l’espoir de continuer à en recevoir les bienfaits.

Enora

Source : Breizh-info.com, 2021.

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