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Correspondance, Gautier DEMOUVEAUX

Bien que solidement implantée dans le calendrier, dans la foulée des fêtes de fin d’année, la tradition de la galette des rois comporte son lot d’anecdotes historiques méconnues.

Avec sa recette traditionnelle à base de crème à la frangipane, cuite entre deux cercles de pâte feuilletée – ou ses déclinaisons à la pomme ou au chocolat – la galette des rois est un incontournable au mois de janvier, quelques jours seulement après les fêtes de Noël et du Nouvel an. Chaque année, plus de 30 millions de galettes des rois sont vendues en France pendant cette période. Si cette pâtisserie est aujourd’hui inscrite au panthéon de la gastronomie française, son origine est un peu oubliée de nos jours. Retour sur l’histoire de la galette, au fil des siècles…

 

1. Ronde pour symboliser le soleil

Si elle est mangée tout au long du mois de janvier, la galette se déguste généralement autour du 6 janvier, date du « jour des Rois » ou Épiphanie, une fête chrétienne. Elle fait référence à la visite des rois mages venus à Bethléem auprès de l’enfant Jésus, douze jours après Noël et la naissance de ce dernier. Selon l’Évangile de Matthieu, Gaspard, Melchior et Balthazar auraient suivi une étoile pour être guidés jusqu’à l’enfant Jésus, afin de lui rendre hommage et lui apporter des présents en guise de respect : l’or pour évoquer la royauté ; l’encens la divinité et la myrrhe pour la souffrance rédemptrice de l’Homme. En souvenir de cet événement, les chrétiens partagent une pâtisserie, dans laquelle est dissimulée une fève.

 

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La galette des rois est dégustée généralement autour du 6 janvier, date de L’Épiphanie, la fête chrétienne de l’adoration des rois mages devant l’enfant Jésus. (Peinture : Mathias Storm / Wikicommons)

 

La tradition veut que le plus jeune de l’assemblée se cache sous la table, et assure à l’aveugle la distribution des parts. Celui qui trouve la fève en mangeant est déclaré « roi ». « La galette des Rois est ronde pour évoquer le soleil (le Christ est la lumière du monde) et l’univers (le Christ Dieu de l’univers) ; la couronne rappelle quant à elle les Rois mages et la royauté divine du Christ, la fève désigne sa venue cachée, rappelle Marie-Odile Mergnac dans son ouvrage Petite histoire de nos fêtes en France. Ce fameux gâteau, résumé d’un cours de théologie à lui seul, existe au moins depuis le XIIIe siècle (on l’évoque comme coutume déjà ancienne dans un texte rédigé à Amiens en 1311). »

 

2. Tirer les rois, une tradition antique

 

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Attestée dès le XIVe siècle, la coutume du « roi boit » est une coutume qui tire son nom de l’acclamation, criée par toute la tablée, à chaque fois que le roi désigné par la fève boit. Généralement, la tradition voulait que le roi d’un jour paie sa tournée. (Peinture : Jacob Jordaens / Wikicommons)

 

Ce n’est qu’en 336 après JC que l’Église déclare officiellement le jour de Noël le 25 décembre, le faisant ainsi coïncider avec les fêtes païennes liées au solstice d’hiver, très populaires à l’époque et qu’elle tente d’interdire. L’origine de la galette est bien plus ancienne : elle remonte à l’époque romaine. Dans l’Antiquité, les Romains célèbrent en décembre la fête des Saturnales. Tacite, historien du Ier siècle, évoque la tradition du « Roi du jour » : un banquet au cours duquel maîtres et esclaves partagent un même repas. À cette occasion, une fève (haricot) est dissimulée dans un gâteau dont l’aspect rond et doré symbolise déjà le soleil. Celui qui tombe sur la fève devient le « Prince des Saturnales » ; il a le droit d’exaucer tous ses désirs pendant une journée, devenant le roi d’un jour. Cette fête est l’occasion d’abolir toutes barrières sociales, notamment entre maîtres et esclaves.

 

3. La fève, symbole de fécondité

Dès l’Antiquité, la fève (de haricot blanc ou autre légumineuse) est choisie comme élément caché dans la galette, car c’est l’un des premiers légumes à pousser après l’hiver. Cette graine est un symbole de fécondité, car elle porte en elle le germe de la future plante. On ne pouvait trouver mieux pour célébrer Saturne, Dieu romain dédié à l’agriculture ! Au Moyen-Âge, la tradition perdure, la fève étant l’un des aliments les plus consommés en Europe.

 

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La tradition de la fève remonte aux Saturnales organisées dans l’antiquité romaine. (Peinture : Antoine-François Callet / Wikicommons)

 

4. La frangipane, une invention italienne

Aujourd’hui, la recette traditionnelle de la galette est à base de crème frangipane (un tiers de crème d’amande, deux tiers de crème pâtissière). Elle devrait son nom au comte Cesare Frangipani, qui aurait offert la recette à Catherine de Médicis au XVIe siècle, en cadeau de mariage lors de ses noces avec le futur Henri II. Dans la tradition franciscaine, on fait toutefois remonter son origine au XIIIsiècle, en l’attribuant à Jacqueline de Septisoles, jeune veuve du noble romain Graziano de Frangipani, et proche de François d’Assise, à qui elle avait pour habitude d’offrir des gâteaux aux amandes.

 

5. Des formes et des recettes différentes selon les régions

 

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Si dans les trois quarts de l’Hexagone on mange de la galette, on préfère le gâteau des rois dans le sud de la France. (Photos : Stef Gray – David Monniaux / Wikipedia)

 

La galette à la frangipane est aujourd’hui la plus consommée dans l’Hexagone. Composée de crème aux amandes entourée de pâte feuilletée, elle s’est imposée peu à partir du XVIe siècle, suite à une querelle entre pâtissiers et boulangers. À l’époque, les deux corporations se disputent le monopole de la vente du fameux gâteau des rois, fabriqué à partir d’une pâte au levain. Ils en appellent au roi de France, François Ier, qui tranche en faveur des premiers. Qu’à cela ne tienne, les boulangers contournent cette interdiction en remplaçant le gâteau par une galette à base de pâte feuilletée ! Mais d’autres recettes ont perduré dans certaines régions, en fonction des traditions. Ainsi, dans le sud de la France, on mange toujours le gâteau des rois, sorte de brioche en forme de couronne agrémentée de fruits confits. En Franche-Comté, la galette bisontine est un gâteau à base de pâte à choux, aromatisée à la fleur d’oranger. Autre exemple, dans les Flandres, cette pâtisserie est composée de pâte briochée fourrée d’une crème au beurre aromatisée au rhum ou au kirsch. On trouve un gâteau similaire, appelé Nourolle, en Normandie…

 

6. Une tentative d’interdiction à la Révolution

Au moment de la Révolution française, certains parlementaires ne voient pas la galette des rois d’un bon œil. En 1792, un député de la Convention, Pierre-Louis Manuel, propose à l’Assemblée l’interdiction de la fête des Rois, sans succès. L’année suivante, L’Épiphanie change de nom : « C’est aujourd’hui la fête de la liberté ; ce jour, autrefois, était consacré à la superstition et au royalisme ; les prêtres seuls fêtaient le jour des Rois ; aujourd’hui, tous les vrais patriotes vont fêter un jour qui est devenu la fête des sans-culottes », explique à la tribune un député jacobin. Le gâteau est ainsi rebaptisé galette de l’Égalité et ne contient pas de fève. Le 6 janvier 1794, le comité révolutionnaire de Paris dénonce les pâtissiers qui vendent encore des galettes le jour de L’Épiphanie. «   ne peuvent avoir de bonnes intentions. Même plusieurs particuliers en ont commandé sans doute dans l’intention de conserver l’usage superstitieux de la fête des rois… ». Les forces de police sont sommées de saisir toutes les galettes dans la capitale. Pourtant, la tradition séculaire est tenace, et la Révolution a d’autres choses plus importantes à gérer que d’interdire une pâtisserie ! C’est ce qui sauva la galette à la fin du XVIIIe siècle.

 

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Depuis le Moyen-Âge, la tradition de la galette a imprégné la culture française et inspiré de nombreux artistes. (Peinture : Jean-Baptiste Greuze / Musée Fabre / Wikicommons)

 

7. La fève en porcelaine, une invention pour éviter la triche

À partir du Moyen-Âge, la dégustation s’est accompagnée peu à peu d’une autre tradition, celle du « Roi boit ». Elle consistait pour celui qui avait trouvé la fève à offrir à boire à tous les convives autour de la table ! Certains resquilleurs, pour éviter de payer leur tournée, avalaient la fève afin d’éviter l’addition… Petit à petit, le haricot est remplacé par une pièce – beaucoup moins digeste ! – afin d’éviter la triche. Quant aux fèves en porcelaine, les premières apparaissent à partir de 1874. L’Allemagne est à cette époque un grand producteur de porcelaine et c’est tout logiquement qu’au XIXe siècle la plupart des fèves trouvent leur origine en Saxe et en Thuringe, avant d’être produites en porcelaine de Limoges au début du siècle suivant.

 

8. La fabophilie, l’art de collectionner les fèves

Si les premières fèves sont d’inspiration religieuse, avec des représentations de personnages de la crèche ou des angelots, progressivement, l’étiquette religieuse de la fève disparaît pour laisser place à une fête plus traditionnelle. Et les thématiques évoluent ; les fèves peuvent évoquer la chance (trèfle, fer à cheval), mais aussi des animaux ou des objets du quotidien, voire des symboles républicains (bonnet phrygien). Aujourd’hui, les sujets sont très variés, entre l’actualité, les personnages de BD, dessins animés et films à la mode, ou encore la publicité… Chaque année, près de 5 000 fèves différentes sont créées en France pour la fête des rois, déclinées en une multitude de séries variées, qui font le bonheur des fabophiles, les collectionneurs de fèves, ayant même leur association nationale !

Au cours du XIXe siècle, la véritable fève (graine de haricot) a peu à peu été remplacée par des personnages en porcelaine. D’abord des santons liés à la thématique religieuse, avant de se diversifier… Pour le plus grand plaisir des collectionneurs. 

 

9. Pas de fève dans les galettes américaines

Aux États-Unis, il y a sans doute moins de fabophiles qu’en France, et pour cause : les galettes commercialisées là-bas sont dépourvues de fèves ! La raison ? La peur d’un mauvais procès intenté par un client qui risquerait de s’étouffer ou de se casser une dent… Si les Américains souhaitent une fève, ils doivent ainsi la demander à part et la placer eux-mêmes dans le gâteau.

 

10. Pas de fève non plus à l’Élysée

Au palais de l’Élysée, on déguste aussi la galette de L’Épiphanie chaque année. La tradition a été instaurée en 1975 par Valéry Giscard d’Estaing, une manière de saluer les savoir-faire artisanaux de la profession. Depuis, chaque année, le président de la République reçoit des artisans et maîtres boulangers à l’Élysée pour partager une galette à la frangipane de taille gargantuesque. L’année dernière, la pâtisserie, confectionnée par le boulanger parisien Jean-Yves Boullier, mesurait 1,15 m de diamètre et comportait cinq kilos de pâte ! Mais sa vraie spécificité tient au fait qu’elle ne comporte ni fève, ni couronne. En effet, selon les règles républicaines nées après la Révolution française : à l’Élysée, il peut y avoir un Président… mais pas de roi !

Source : Ouest-France

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