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II est curieux de constater, du début de l'âge du bronze à la troisième époque celtique dite de La Tène, c'est-à-dire pendant mille six cents ou mille huit cents ans, une disparition quasi complète, du moins en Europe occidentale, de la figuration réaliste de la divi­nité féminine. Celle-ci, on l'a vu, semble pourtant avoir été honorée grandement depuis l'aube de l'humanité sapiens. Comment expliquer cette brusque absence dans les vestiges archéologiques qui, pourtant, sont riches et nombreux à cette époque de transition et de profonde mutation ?

Il y a une réponse, immédiate et qui va de soi : cette disparition de l'image féminine doit en principe corres­pondre au moment où la société masculine patriarcale submergea l'antique société gynécocratique et quelque peu matriarcale dont il subsiste un souvenir, s'il faut en croire Hérodote, dans la tradition des Amazones (1). Il y a dû y avoir, à ce moment-là, un grand renversement de tendances. Le culte masculin d'Apollon a remplacé celui, bien féminin, du serpent Python, et, dans la plu­part des langues, le mot désignant le soleil, autrefois du genre féminin, est devenu masculin (2). La femme étant socialement ravalée à un rang inférieur, il n'y avait plus de place pour elle dans la galerie des divinités. Ainsi pourrait-on expliquer l'occultation de la Vierge. Cette réponse a toutes les chances d'être exacte, mais elle ne tient pas compte du phénomène général qui se produit à l'âge du bronze, vers -2 000 ou -1 800, dans l'expression artistique et religieuse (l'une n'allant pas sans l'autre), à savoir le triomphe de la symbolisation poussée à l'extrême, jusqu'à une géométrisation que ne renieraient pas les peintres cubistes du début de ce siè­cle ou des non-figuratifs comme Mondrian. Car on observe à cette période une absence à peu près totale de représentations anthropomorphiques et même zoomorphiques.

Il est évident que ce phénomène n'est pas dû au hasard. Deux explications complémentaires s'imposent : l'une ressortit à l'évolution intellectuelle de l'humanité, l'autre à un élargissement de ses conceptions métaphysi­ques ou religieuses. Mais « poser le problème », comme le dit excellemment André Varagnac, « c'est remettre en question toute l'explication des schématisations par une "dégénérescence" des figurations naturalistes. Cette der­nière interprétation est vraiment singulière de la part d'esprits modernes accoutumés à affirmer la supériorité du civilisé sur le sauvage. Car les lentes maturations psy­chologiques qui nous séparent des populations dites pri­mitives ont consisté précisément à substituer des concepts théoriques à des visions concrètes regorgeant de détails, de naturalisme [...]. D'ailleurs, c'est en gra­vant ou sculptant des signes abstraits que le chasseur solutréen ou magdalénien s'affirmait l'ancêtre lointain mais valable de nos civilisations dont toute la puissance repose sur notre aptitude à concevoir en termes abs­traits, à calculer, pour prévoir et préciser nos actions. Que l'on cesse donc de nous parler d'un réalisme paléo­lithique qui aurait "dégénéré" en dessins géométriques. Non seulement réalisme stylisé et géométrisme sont simultanés, mais il n'y a aucune différence essentielle entre le géométrisme et la stylisation (3). » Le tout est de s'y retrouver, ce qui n'est pas facile lorsqu'on ignore à peu près tout des codes d'accès à ces symbolisations, à ces analogies non seulement de forme, mais d'essence. On pourra cependant comprendre que la stylisation du cheval au galop conduit nécessairement à la formation d'un « signe en S » désignant le soleil dans sa course, le fameux Sol Invictus qui, à l'époque du néoréalisme de la fin de l'âge celtique, reprend la forme de la déesse jument Épona, sous laquelle il n'est pas difficile de reconnaître l'image de la déesse mère primitive.

La seconde explication découle naturellement de la première : plus la faculté d'abstraction s'est développée au sein des sociétés de l'âge du bronze et de la période celtique, plus le champ d'exploration métaphysique s'est élargi et plus les penseurs de ce temps-là ont compris qu'il était difficile d'exprimer l'absolu à travers le relatif.

Nous possédons sur ce point un témoignage irrécusable, sous la plume du Grec Diodore de Sicile (fragment XXII), auteur qui savait puiser ses renseignements à bonne source, et qui concerne l'attitude du chef gau­lois Brennus en 279 avant notre ère. Au cours de l'expé­dition des Gaulois en Grèce, « étant entré dans un temple, Brennus ne regarda même pas les offrandes d'or et d'argent qui s'y trouvaient. Il prit seulement les ima­ges de pierre et de bois et se mit à rire parce qu'on avait supposé aux dieux des formes humaines et qu'on les avait fabriqués en bois et en pierre ». Ce jugement en dit long sur la mentalité des Celtes qui se refusèrent pen­dant longtemps à représenter l’infini sous une forme finie. Ils ne s'y résolurent guère qu'au Ier siècle de notre ère, par suite de leurs contacts avec les Grecs et les Scy­thes de Russie méridionale, puis, plus tard encore, sous l'influence directe de leurs conquérants, les Romains, et des premiers missionnaires chrétiens. Mais cela ne les avait pas empêchés, comme le disent César et le poète latin Lucain, de représenter leurs divinités par des simulacra (et non pas des signa ou des statuae), sortes de piliers en pierre ou en bois informes, et par des motifs géométriques simples ou complexes sur leurs objets d'ornement ou même sur leurs monnaies. Et peut-être faut-il penser que de simples rochers naturels ont été les « simulacres » des dieux ou des déesses ?

Pendant tout l'âge du bronze, le culte solaire était intense dans le monde celte : des documents archéologiques comme le fameux temple de Stonehenge, en Angleterre, ou les nombreux chariots solaires cultuels (chars en bronze ou en or portant le disque solaire) et barques solaires (portant également le disque, souvent en or), en sont une preuve incontestable. Mais cette divi­nité solaire, vu l'époque archaïque, ne pouvait être que féminine, comme chez les Scythes. Et il ne faut jamais oublier que le nom d'Allah recouvre celui d'une antique déesse de l'Arabie préislamique, déesse solaire dont le « simulacre » était la célèbre Pierre noire de la Kaaba, à La Mecque, une météorite, donc un don du ciel tombé sur la terre, et qui symbolisait à merveille, de façon entière­ment abstraite, la grandeur et la puissance de la divinité. Les musulmans l'ont si bien compris que, à l'exception de certains Iraniens, ils se refusent toujours à représen­ter la divinité sous une forme « naturaliste », ce qui n'est certes pas le cas chez les chrétiens depuis que sont défi­nitivement closes les querelles des iconoclastes.

Il est donc impossible de retrouver, sur tout le terri­toire de l'Europe occidentale, le moindre vestige de figu­ration divine féminine, si l'on excepte bien entendu les plus récentes des statues-menhirs, tant à l'âge du bronze qu'à l'aube de l'âge du fer. C'est sur certaines monnaies gauloises, au début du Ier siècle avant notre ère, que l'image figurative de la Déesse des Commencements va lentement surgir de l'ombre dans laquelle on l'avait confinée. Encore faut-il être très prudent quant aux interprétations, même hypothétiques, qu'on peut don­ner des cavalières représentées sur le revers de ces mon­naies d'or ou d'argent qui, chez les Gaulois, ne sont pas seulement des objets de transaction mais de véritables livres d'images véhiculant des notions mythologiques ou religieuses incontestables, mais qu'il est parfois difficile d'identifier avec précision (4).

C'est dans la partie de la Gaule qu'on nomme Armorique (5) que l'on trouve le plus d'exemples de cette sorte. Sur une des monnaies des Cenomani (Maine), une femme nue, l'épée à la main et les cheveux flottants, est en train de courir vers la droite dans une attitude on ne peut plus agressive (6). Il s'agit vraisemblablement de la Vierge guerrière, celle que César nomme Minerve, et que les Irlandais nommeront soit Morrigane (la « grande reine »), soit Brigit (la « haute » ou la « puissan­te »), mais qui est une déesse mère, représentée ici dans sa fonction guerrière de protection du groupe social. Une autre monnaie du peuple des Redones (Rennes) présente cette même Vierge guerrière à cheval, également nue, portant l'épée et le bouclier (7). Une troisième, due au peuple des Unelli (Cotentin), la représente habillée cette fois, sur son cheval, la tête surmontée de trois cornes, brandissant une roue à quatre rayons (soleil ou bouclier ?) dans la main gauche et un objet (une épée ?) d'où émanent des rayons de lumière (8). Il semble bien qu'on ait accentué ici l'aspect solaire de la divinité féminine, en liaison avec les cornes, qui sont un symbole de puissance. D'ailleurs, ce caractère solaire se reconnaît sur une autre monnaie, non anthropomorphique celle-là, du peuple des Ménapes (Flandre) : il s'agit d'une barque sur laquelle se trouve une forme rappelant à merveille l'idole néolithique représentée dans les cairns, avec un creux intérieur contenant deux globules, et à l'extérieur de laquelle se déploient d'incontestables rayons solaires (9). L'antique Déesse est toujours présente, même si ses formes ont évolué.

Les Celtes ont commencé à travailler figurativement le bois, la pierre et le métal lorsqu'ils furent en contact avec les Orientaux, d'abord les Scythes et les Grecs, ensuite les Romains et cela bien avant la conquête de la Gaule. Evidemment, les images en bois ont à peu près toutes disparu, sauf quand elles se trouvaient enfouies dans un endroit marécageux, comme aux sources de la Seine ou près de Chamalières, en Auvergne. Celles en pierre se trouvent essentiellement rassemblées à proxi­mité de Marseille et du pourtour méditerranéen. Celles en bronze, beaucoup plus nombreuses, sont dispersées un peu partout, mais elles sont avant tout des figurations animales non dépourvues de rapport avec l'art des step­pes. Quant aux céramiques diverses, il faudra attendre la conquête pour qu'elles présentent des formes humaines, le plus souvent à la mode romaine, telles les innom­brables statuettes de Vénus enfouies dans les ateliers de potiers et dans les vestiges de villas gallo-romaines. Cependant, il est difficile de dater ces objets avec préci­sion : tout dépend du lieu où on les a retrouvés, au début du Ier siècle avant notre ère pour les pays du sud, vers le milieu du Ier siècle de l'ère chrétienne pour les pays de l'ouest et du nord.

La plus émouvante, et probablement la plus ancienne, des statues en pierre figurant une divinité féminine est cette femme nue, au sexe bien apparent, au bras gauche à l'équerre, mais à demi revêtue d'un long manteau. Sa chevelure est très nette et retombe sur ses épaules. Ses yeux semblent clos et son visage exprime une infinie tris­tesse : on ne peut que penser à une Mater dolorosa. Mais nous ignorons quel nom, ou plutôt quel surnom, portait cette divinité chez les Bituriges (Berry) où elle a été retrouvée (10). Toute différente est la statuette en bronze de Neuvy-en-Sullias (Loiret), découverte avec bien d'au­tres objets rituels dans un sanctuaire druidique en plein milieu de cette forêt des Carnutes qui était tenue, par César, comme le centre religieux de toute la Gaule (11) : c'est une femme au corps très fin, long, élancé et souple, aux seins et au sexe bien apparents, à la chevelure abon­dante, et dans une attitude évidente de danseuse. Elle évo­que nécessairement la joie de vivre : n'est-ce pas la préfiguration, toutes proportions gardées, de la Vierge triomphante du Moyen Âge, comme la statue de Bourges préfigurait la mère douloureuse au pied de la Croix ?

Car la fonction maternelle n'est jamais vraiment absente, quand bien même la représentation paraît tout entière consacrée à la féminité. Il semble d'ailleurs qu'avant d'en arriver à une conception anthropomorphique réaliste, on ait utilisé les vieilles images allégori­ques des époques les plus lointaines. Ainsi en est-il d'une petite stèle sculptée, trouvée à Chorey-Haut (Côte-d'Or) et conservée au musée de Beaune. On y voit un jeune poulain tétant une jument et, à première vue, on pour­rait citer cette stèle comme exemple d'art animalier. Il n'en est rien, pourtant, et comme l'avait déjà fait remar­quer il y a longtemps Henri Hubert, il s'agit d'un pré­cieux témoignage du culte gaulois de la déesse Épona sous sa forme la plus archaïque. Cette Épona, qui, après la conquête romaine, s'est répandue dans tout l'empire comme protectrice des chevaux - et des cavaliers -, est une divinité purement celtique. Son nom le prouve, puisqu'il contient le terme epo qui est l'équivalent brittonique du latin equus (12), et l'on peut retrouver toute son histoire mythologique dans la première branche du Mabinogi gallois, récit fort archaïque où la déesse Rhiannon (la « grande reine »), à qui l'on reproche la dispari­tion de son jeune fils Pryderi, dérobé mystérieusement, et en fait échangé contre un poulain, est obligée de por­ter sur son dos les voyageurs qui se rendent à la forte­resse de son époux, le roi Pwyll (13). En Irlande, cette même divinité apparaît sous les traits de la fée Mâcha, fondatrice légendaire d'Emain Mâcha (Emania), capi­tale et site sacré des anciens Ulates (14).

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Les représentations d'Épona sont innombrables, sur­tout à la période gallo-romaine, soit en bronze, soit en céramique, soit en pierre, celles en bois ayant pour la plupart disparu. L'une des plus belles et qui conserve une facture nettement celtique est, un bronze de Franche-Comté conservé au cabinet des Médailles de la Bibliothèque nationale de Paris. La Déesse, portant un torques, collier rigide et torsadé typiquement celtique, et drapée dans un grand manteau, est assise sur le dos d'un cheval, non pas à califourchon, mais de biais, vers la droite, les deux mains sur les genoux. C'est une attitude caractéristique qu'on retrouvera sur presque toutes les figurations d'Épona et qui inspirera plus tard les repré­sentations de la Vierge Marie au moment de la fuite en Egypte. Un autre bronze, également conservé au cabinet des Médailles, provient de Vienne : la facture est bien davantage romaine, et la Déesse porte des fruits et des fleurs sur ses genoux, tandis que sa monture ressemble à un bélier. La présence de fleurs et de fruits indique qu'Épona n'est pas seulement une déesse cavalière (voire une déesse jument, comme on l'a répété trop abu­sivement), mais qu'elle est avant tout la Pourvoyeuse, une sorte de Mère universelle, maîtresse des produits de la terre.

Une stèle découverte à Charrecey (Saône-et-Loire), et conservée au musée lapidaire d'Autun, présente une Épona très fruste, dans sa posture classique, mais dont les pieds reposent sur le dos d'un poulain qui se trouve sous le ventre de la jument. Un bas-relief de Meursault (Côte-d'Or), actuellement au musée de Beaune, est de même inspiration : un manteau flottant entoure la tête de la Déesse, mais le poulain est couché sur le sol, entre les pattes de la jument. Quant à la statuette de Loisia (Jura), conservée au cabinet des Médailles, elle présente une Epona nue jusqu'à la ceinture, portant un diadème, et le poulain, nettement séparé de la jument, va dans le même sens que celle-ci, c'est-à-dire vers la droite. Il sem­ble bien que toutes ces représentations sont des illustra­tions du mythe de la déesse mère conductrice des âmes dans l'autre monde, ce qui est renforcé par la valeur symbolique du cheval, considéré comme un psychopompe. Et cela rejoint le rôle funéraire attribué à la Déesse néolithique, qui veille, dans l'obscurité, à la renaissance des défunts.

Mais Épona n'est qu'un des noms de la Déesse, une de ses multiples métamorphoses. Tandis qu'Épona est associée au cheval, la déesse Artio est associée à l’ours comme en témoigne le bronze de Muri (Suisse) conservé au musée de Berne : la Déesse est assise, près d'une colonne qui supporte un vase rempli de fruits, l'ours semble se diriger vers elle et, derrière l’ours on peut voir un arbre dont les branches s'élancent d’un seul côté, vers la gauche. Artio, dont le nom provient d'un des noms celtiques de l'ours (comme le nom du fameux roi Arthur), est une sorte de mère des animaux sauvages, une « mère nature », non seulement protectrice contre la violence représentée par l'ours, mais, par la valeur symbolique de cet animal, celle qui réveille les êtres engourdis dans le sommeil hivernal. On pourrait facilement interpréter cette étrange figuration d’Artio comme une parfaite illustration du thème du roi Arthur blessé mortellement à la bataille de Camlan et emmené par sa sœur Morgane dans l'île d'Avalon (où les fruits sont mûrs toute l'année), afin d'y être maintenu en dormition avant une future réapparition.

Une autre statuette en bronze, conservée au cabinet des Médailles, est également révélatrice des thèmes mythologiques qui sous-tendent la représentation plastique de la Déesse. Cette statuette, découverte à Margut (Ardennes), nous montre une femme vêtue d'une tunique courte, tenant une flèche dans la main droite et assise sur le dos d'un sanglier bondissant. Il ne peut s'agir que de la déesse Arduinna, signalée par plusieurs inscriptions votives, ce nom étant à l'origine de celui des Ardennes. Et si l'on en croit la légende locale de Wulfiliac, un Lombard converti au christianisme et connu à présent comme saint Walfroy, il existait à Margut un véritable sanctuaire dédié à cette déesse. Car, en arrivant dans ce lieu, Wulfiliac, ne pouvant extirper le culte païen, érigea une colonne à proximité du sanctuaire, sur le sommet de laquelle il s'installa, vivant de pain, d'eau et de prières, jurant qu'il n'en descendrait pas tant qu'Arduinna n'aurait pas perdu sa primauté. C'est dire l'importance que revêtait la Déesse aux yeux de la popu­lation de la forêt des Ardennes. Il faut d'ailleurs se sou­venir que le sanglier, abondant dans toute la Gaule, constituait une nourriture quasi inépuisable, ce qui justi­fie amplement qu'il soit devenu l'emblème de la Mère divine, pourvoyeuse et nourricière. Ce culte se référait à des traditions fort archaïques qu'on retrouve dans le récit gallois de Kulhwch et Olwen, le plus ancien « ro­man » arthurien, où la mère du héros est une image de la déesse-truie, ou de la déesse-laie. Ce thème est reconnaissable, toujours dans le même récit, dans l'épisode de la chasse de Twrch Trwyth, la laie monstrueuse, et dans un récit irlandais concernant les Fiana, l'histoire du héros Diarmaid dont le destin est lié à celui d'un san­glier magique (15). Si les Gaulois n'ont laissé aucun texte écrit, leurs traditions, communes avec celles des autres Celtes, se sont maintenues fort longtemps et ont pu être recueillies par les moines chrétiens du Moyen Age, ce qui nous aide grandement à comprendre la façon dont ils honoraient cette mystérieuse Déesse des Commence­ments, maîtresse des animaux sauvages.

Car il semble bien qu'on ait voulu mettre en lumière sa toute-puissance sur la nature. Une étrange statue de pierre au Coutarel en Poulan-Pouzols (Tarn) est très explicite. La forme générale de la statue évoque celle des statues-menhirs si nombreuses dans la région. Elle est incontestablement féminine et, sur le dos, se trouvent gravés des animaux bondissants, cerf et sanglier notam­ment. Quant à la statuette en bronze de Kerguilly en Dinéault (Finistère), sur le site sacré de la montagne dite Ménez-Hom, elle ressemble certes à une Minerve, à cause de son casque aux traits de chouette, mais son cimier est en forme de cygne, ce qui nous renvoie non plus à la mythologie gréco-romaine, mais à la plus pure tradition celtique des « femmes-cygnes », êtres féeriques ou divins doués d'une double nature, terrienne et céles­te (16). Les légendes irlandaises fourmillent d'anecdotes sur ces femmes du sidh, de l'autre monde, qui apparais­sent dans le ciel sous l'aspect de cygnes blancs et qui, en touchant le sol, se révèlent les plus belles créatures humaines qui soient. Le récit gaélique sur la naissance du héros Cûchulainn témoigne de ce thème : la mère du héros, Dechtire, est en effet un de ces personnages ambigus qui rôdent sans cesse entre les deux mondes. Et si la statuette du Ménez-Hom, qui est de facture gallo-romaine, peut être classée comme une Minerve (la Minerve gauloise, bien entendu, dont parle César dans ses Commentaires), elle n'en évoque pas moins la Brigit irlandaise, fille du dieu Dagda, divinité de la connais­sance, des arts et des techniques, maîtresse du feu divin, et dont les chrétiens se sont emparés pour en faire la célèbre « sainte » Brigitte de Kildare. Il faut également savoir que Brigit, par ailleurs fort honorée en Bretagne armoricaine, porte un nom caractéristique qui signifie « haute », ou « puissante », que, de plus, elle se présente souvent triplée, sous forme de triade, avec trois vocables différents, donc trois aspects complémentaires : elle est en fait le même personnage divin que la Morrigane (la «grande reine»), Bodbh (la «corneille»), Mâcha (la « cavalière », donc l'équivalent d'Épona), Eithné (mère du grand dieu multifonctionnel Lug), Étaine (fondatrice d'une lignée royale) et enfin que Boann ou Boyne (littéralement la «vache blanche»), nom du fleuve Boyne divinisé.

Car si la Grande Déesse est maîtresse des animaux sau­vages et règne ainsi dans les forêts, elle est aussi la maî­tresse des eaux douces qui donnent la vie, gardienne des fontaines sacrées ou résidant au fond de quelque lac dans un palais merveilleux de cristal. C'est alors qu'on retrouve le thème de Viviane, la Dame du Lac des romans arthuriens, dont le nom est le résultat d'une lente dérivation de Boann, autrement dit d'un ancien celtique Bo-Vinda, la « vache blanche », qui procure non seulement la nourriture matérielle mais également le lait divin de l'inspiration et de la connaissance. C'est alors que, dans la Gaule celtique, puis romaine, on peut par­ler de « pèlerinage aux sources », car les fontaines et les sources des rivières ont, depuis les temps les plus reculés, constitué des sanctuaires très fréquentés dont demeu­rent d'abondantes traces archéologiques, en particulier des ex-voto qui témoignent d'un culte fervent à cette femme divine, pourvoyeuse et guérisseuse. Car le culte des eaux mères et les cures dites thermales sont insépa­rables.

Il en est ainsi du plus célèbre de ces sanctuaires, les Sources de la Seine, sur le plateau de Langres, près de Saint-Seine-1'Abbaye (Côte-d'Or), dont le nom prouve sans qu'il soit besoin d'argumenter que le culte de la déesse Sequana s'est maintenu à travers la christianisation. On a découvert à l'emplacement de ces sources un nombre incroyable d'ex-voto de toute sorte qui indi­quent qu'on venait là de partout afin d'implorer la divi­nité pour la guérison de multiples maladies. Mais on y a découvert également des objets de culte proprement dits, en particulier un magnifique ensemble en bronze représentant une barque dont la proue est une tête de canard et sur laquelle se tient debout une femme diadémée, vêtue d'un ample manteau, les mains écartées en un geste qu'on peut considérer comme magique ou pro­pitiatoire (17). De toute évidence, il s'agit d'une représenta­tion de la déesse Sequana, autrement dit de la fonction fécondatrice attribuée à la Mère universelle, symbolisée ici par les eaux du fleuve. Il ne faut pas oublier que le nom des divinités n'est jamais qu'une épithète révéla­trice d'une fonction, et il en sera de même aux temps du christianisme pour les nombreux vocables sous les­quels sera honorée la Vierge Marie. Une remarque s'impose : les sanctuaires dédiés à la Déesse sont tous plus ou moins liés à un cours d'eau ou à une source : c'est une tradition qui ne s'est jamais per­due, puisque la plupart des églises et chapelles consa­crées à la Vierge Marie comportent soit une fontaine ou un puits intérieur, comme à Chartres, soit une source sous le chevet, soit une fontaine ou un puits à proximité immédiate. Il suffit de parcourir les campagnes françai­ses pour s'en persuader, mais, ce faisant, on ne pourra que convenir qu'il est bien difficile d'établir une fron­tière entre le christianisme et les religions dites païennes qui l'ont précédé. La grotte de Lourdes n'est guère que la manifestation chrétienne d'une tradition ancrée dans le plus lointain passé, quand apparaissaient des « dames blanches » au seuil des grottes surplombant un torrent des Pyrénées.

Le nom de la Boyne, fleuve qui irrigue les plus célè­bres sanctuaires de l'Irlande préchrétienne, a été conservé en certains lieux de France, ce qui n'a rien d'extraordinaire puisqu'il provient d'un ancien nom cel­tique commun. Ainsi, sur les limites de l'Auvergne et du Velay, dans la commune de Saint-Jean-d'Aubrigoux (Haute-Loire), se trouve un site fort peu connu, la Fontboine. Il s'agit d'un établissement druidique qui a per­duré, à cause de son isolement, pendant la période romaine, auprès d'une source abondante. Or Fontboine ne peut en aucun cas être une altération de Fontem bonam. D'où viendrait le « i » ? Il est plus que probable qu'il s'agit ici de la « fontaine de Boann », la « vache blanche », divinité qui répand la vie et la fécondité. Et que dire de Divonne-les-Bains, célèbre station thermale de l'Ain ? N'y retrouve-t-on pas le nom de la « divine Boann » ? Quant au temple gallo-romain de Sanxay (Vienne), dans le Poitou, temple qui remplace certaine­ment un établissement gaulois antérieur, il est situé sur les bords d'une rivière nommée la Vonne, ce qui nous renvoie une fois de plus à ce mystérieux personnage de femme divine qui se dissout dans l'eau de la rivière en voulant retrouver sa virginité perdue, d'après de curieux poèmes irlandais dont la compréhension est difficile à cause de l'archaïsme de la langue (18).

Chez les Grecs, le dieu guérisseur est bel et bien Apol­lon dont l'aspect solaire n'apparaît que tardivement. Or, en Gaule romanisée, cet antique Apollon préside de nombreux sanctuaires situés à proximité des sources, prenant à chaque fois des épithètes diverses. Ainsi en est-il à Grand (Vosges), où ce surnom de Granus renvoie au nom gaélique - et celtique ancien - du soleil, grian, ou encore à Aix-la-Chapelle (Aachen), en Allemagne, qui est un ancien Aquae Grani. Mais ailleurs, cet Apollon gaulois portait le plus souvent le surnom de Belenos, « brillant », comme à Beaune (Côte-d'Or) ou à Saint-Bonnet-près-Riom (Puy-de-Dôme) qui sont des anciens Belenate. Et, dans l'étrange forêt de Brocéliande (forêt de Paimpont), la célèbre fontaine de Barenton, autour de laquelle convergent tant de légendes, se nommait autrefois Bélenton, c'est-à-dire Bel-Nemeton, « sanctuaire de Bel ». Mais ce « Bel » est-il une abréviation de Belenos ou de la parèdre de celui-ci, la déesse Belisama, la « très bril­lante » ? Il est bien difficile de le dire, car le personnage d'Apollon paraît avoir bien souvent usurpé la place d'une divinité féminine. D'ailleurs, dans la tradition irlandaise, si le dieu Diancecht, qu'on considère généra­lement comme l'équivalent d'Apollon, met en place la fameuse « fontaine des Herbes », qui permet de guérir les blessés et de ressusciter les morts, c'est sa fille Airmed (ce qui signifie « mesure ») qui en assure l'efficacité en chantant des incantations. Si l'on se réfère à la tradition arthurienne, cette fontaine de Barenton - qui n'a jamais été christianisée, mais qui passe pour guérir la folie - appartient à une Dame de la Fontaine qui en confie la garde à son époux. C'est assez significatif. Barenton est sans aucun doute le nemeton, la « clairière sacrée » de la Déesse « très brillante ».

Au reste, le nom de Belisama est assez répandu à tra­vers le territoire gaulois. À Saint-Lizier (Ariège), ancienne capitale des Couserans, une inscription votive en latin, actuellement encastrée dans un des piliers du pont, le donne comme surnom à Minerve. Ce qui est intéressant, à Saint-Lizier, c'est la légende selon laquelle, lors de fouilles effectuées à la chapelle Saint-Marsan, située à l'emplacement d'un temple de Mars, on aurait découvert une statue de la Vierge qui, amenée à l'église principale, retournait chaque nuit en son lieu d'origine. Il est fort possible que cette soi-disant Vierge Marie ait été simplement une Belisama « très brillante ». À Vaison-la-Romaine (Vaucluse), une autre inscription votive lui est consacrée, en caractères grecs cette fois, ce qui prouve son ancienneté. Et de nombreuses localités por­tent le nom de cette divinité lumineuse, à commencer par Bellême (Orne). Or, dans la forêt de Bellême, près de l'étang de la Herse, se trouve une source d'eau ferru­gineuse dont les vertus curatives ont été exploitées depuis l'Antiquité, et qui est dédiée aux « dieux infer­naux, Mars, Mercure et Vénus (19)». Encore une fois, la diversité des épithètes ne fait que recouvrir une multipli­cité de fonctions attribuées à une unique Déesse. Ainsi, un étrange bas-relief conservé au musée de Toulouse présente Épona à cheval, dans sa posture traditionnelle, mais galopant au-dessus de poissons stylisés parmi les­quels nage un taureau à queue de poisson. L'élément aquatique est bel et bien présent quand il s'agit de repré­senter la divinité féminine des Commencements. Et cela n'est nullement contradictoire avec l'idée de lumière, et même de soleil, puisque le soleil, dans les langues celti­ques et germaniques, est toujours féminin. À Bath, en Angleterre, sanctuaire des eaux guérisseuses, la divinité qu'on honorait était une déesse Sul, dont le nom n'a nul besoin d'être traduit.

La Déesse est donc également Vénus, c'est-à-dire la beauté, la blancheur, celle qui est née de l'écume de la mer (et du sperme d'Ouranos-Varuna châtré par son fils Kronos). C'est la Vierge des flots, la Mère universelle parce qu'elle inspire le désir qui conduit à la copulation, donc à la procréation. Sa naissance est surnaturelle, et constitue une sorte d'immaculée conception. C'est peut-être Cessair, la femme primordiale de la tradition celtique dont nous parle le Livre des Conquêtes irlandais, compila­tion des traditions millénaires des Gaëls. Or il existe une surprenante représentation de cette déesse, ô combien païenne, dans un sanctuaire chrétien, la chapelle de Sainte-Agathe à Langon (Ille-et-Vilaine). À vrai dire, c'est en procédant à des travaux de réfection de cette chapelle, en 1839, qu'on découvrit une fresque, fort bien conservée, sur l'un des murs, preuve qu'il s'agissait d'un temple gallo-romain réutilisé par les chrétiens. On y voit une Vénus nue, sortant des flots, entourée de pois­sons et d'un Éros chevauchant un dauphin. Le nom de la chapelle a été donné au XVIIe siècle, ce qui en a fait un lieu de pèlerinage pour les femmes allaitant un enfant : sainte Agathe, martyre aux seins coupés, est en effet la patronne des nourrices. Mais autrefois, l'édifice était dédié à un mystérieux « saint » Vénier ou Vénérand, en lequel il n'est pas difficile de reconnaître le nom de Vénus. Il faut signaler que le territoire de Lan­gon contient d'importants vestiges mégalithiques, en particulier un alignement de menhirs connu sous l'ap­pellation de « Demoiselles de Langon ». La légende locale prétend que ce sont des jeunes filles qui furent ainsi pétrifiées pour avoir préféré le bal aux vêpres, ce qui renforce l'idée que Langon se situe à l'emplacement d'un antique sanctuaire de la Déesse, desservi par de nombreuses prêtresses.

Pendant toute la période gallo-romaine, le culte de Vénus a été très important dans toute la Gaule, comme en témoignent de multiples statues et d'innombrables statuettes en céramique, produites en série dans les grands centres de poterie. Mais il faut à ce propos poser le problème de cette étrange statue connue sous le nom de « Vénus de Quinipily », qui se trouve actuellement en plein air, sur un socle élevé, au-dessus d'un bassin de pierre dans les jardins de l'ancien château de Quinipily, près de Baud (Morbihan). Ce n'est pas sa place d'ori­gine. Au XVIIe siècle encore, elle se dressait sur le promontoire de Castennec en Bieuzy-les-Eaux (Morbihan), au-dessus du Blavet, et elle était l'objet d'un culte dont le moins qu'on puisse dire est qu'il était érotique, de nombreux couples allant accomplir sous son ombre des actes que la morale chrétienne réprouvait hautement. C'était l'époque de la Contre-Réforme en Bretagne, où d'ardents missionnaires fulminaient contre d'évidentes résurgences du paganisme. Sur l'ordre de l'évêque de Vannes, la statue fut jetée dans le Blavet. Mais les habi­tants la remirent en place. On la jeta de nouveau dans le fleuve : peine perdue, car à chaque fois il se trouvait des volontaires pour la remonter. Finalement, le comte de Lannion, aristocrate libertin, s'empara de la statue et la fit installer dans son château de Quinipily après l'avoir fait, paraît-il, retailler afin d'en éliminer certaines carac­téristiques trop choquantes. Mais le « culte » rendu à cette Vénus ne cessa pas pour autant, se prolongeant même jusqu'à nos jours.

Il s'agit d'une grande statue de granit de 2,15 mètres de hauteur, qui ne ressemble en rien aux Vénus classi­ques. Elle est présentée nue, avec des seins qui ont été visiblement rabotés : sur sa tête est figurée une bande­lette portant une mystérieuse inscription, les trois majus­cules « ITT », vraisemblablement ajoutée au moment de son « arrangement ». On voit également une sorte d'étole qui lui entoure le cou et dont les deux branches se réunissent sur son ventre. On a beaucoup discuté sur l'origine de cette statue. Elle n'est certes pas de facture gallo-romaine. Peut-être vient-elle d'Orient (20). Quoi qu'il en soit, elle a dû être l'objet essentiel d'un sanctuaire consacré à une divinité féminine. Quand elle se trouvait à Castennec, on l'appelait la « couarde », francisation maladroite du breton gwrac'h houarn, mot à mot « vierge de fer», on se demande bien pourquoi. Mais gwrac'h signifie aussi « sorcière », ce qui implique une connota­tion plutôt sulfureuse. Quant au lieu même, Castennec, c'est l'emplacement d'une antique forteresse gauloise, puis gallo-romaine, sur un endroit stratégique de la val­lée du Blavet, à l'intersection de voies romaines dont la plus importante venait de Lyon et d'Angers pour se diri­ger vers l'Aber-Wrac'h en passant par Rieux, sur la Vilaine, et par Carhaix. Or, ce qui est très révélateur, c'est le nom ancien de Castennec, d'après la célèbre table de Peutinger : Sulim, où il n'est guère difficile de reconnaître Sul, l'une des dénominations de la Déesse solaire des anciens Celtes. Après tout, cette « Vénus » est peut-être l'image réaliste et érotique de la Grande Déesse sous son aspect solaire.

Des sites sacrés tirent souvent leur nom de la divinité qui y était honorée. On l'a vu pour Bellême et pour Sulim, comme on le verra par la suite avec les nombreu­ses appellations dues à « Notre-Dame » et à tous les saints - homologués ou non - du christianisme. Et même si toute représentation de la divinité a disparu, l'appellation en maintient le souvenir. Ainsi en est-il de la tour de Vésone, à Périgueux (Dordogne), temple cir­culaire en ruine, à l'emplacement de la ville primitive fondée par le peuple gaulois des Pétrocores, et dans lequel on retrouve le souvenir de la Grande Déesse, ici surnommée Vesuna. Il en est de même à Glanum, la ville antique (gauloise, grecque et romaine) de Saint-Rémy-de-Provence (Bouches-du-Rhône) : ici, la source qui ali­mentait l'agglomération, et qui se trouve dans ce qu'on appelle le « sanctuaire indigène », porte le nom des Glanicae, une triade de déesses protectrices et fécondatrices, le triplement étant chose courante chez les Celtes.

À cet égard, la représentation la plus étrange est sans aucun doute un bloc de pierre trouvé en Bourgogne et conservé actuellement au musée des Antiquités nationa­les. À vrai dire, ce n'est pas une sculpture, mais une stèle gravée en creux où se distinguent nettement trois for­mes féminines parallèles, non séparées les unes des autres, avec des torses recouverts d'un grand X qui évo­que à coup sûr des bras croisés. Les têtes sont bien mar­quées, avec nez et bouche, mais si deux d'entre elles ont deux yeux creusés verticalement, la troisième, à gauche, n'a qu'un œil. Ces personnages sont classés comme les « trois maires », mais rien dans leur attitude n'indique une fonction maternelle. Elles font davantage penser à ces « triples déesses » de la tradition gaélique d'Irlande, ces fameuses triades dites parfois « triple Brigit » ou « tri­ple Mâcha » : les récits mythologiques font grand cas de ces « triades », comme celle de Bodbh-Morrigane-Macha, ou celle de Boann-Eithné-Étaine. Cette pierre des « trois maires » est incontestablement l'illustration la plus parfaite de ce thème du triplement. Et, pendant la période proprement gallo-romaine, le nombre de ces déesses mères groupées par trois sera considérable, ce qui prouve bien que même sous domination romaine, les anciennes divinités celtiques sont toujours présentes dans les esprits.

Cette constatation en amène une autre : l'absence, à l'époque gallo-romaine, de grands sanctuaires en l'hon­neur de Vénus, pourtant fort célébrée chez les Romains. « On a souvent souligné que Vénus, en dehors de cer­tains ports du Midi comme Marseille ou Port-Vendres, n'était guère représentée que par les figurines de terre cuite, pacotille des foires et des marchés ; aucun docu­ment un tant soit peu honorifique - mises à part de bel­les statues comme celles d'Arles, de Fourrières ou de Vienne - n'atteste la présence de son culte (21). » Sans doute les Gaulois avaient-ils une autre vision de l'amour que les Romains, eux qui s'attachaient davantage à la beauté physique de la Déesse et en délaissait l'aspect métaphysique. Il en sera d'ailleurs de même pour Junon, protectrice des mères dans toute l'Italie, mais qui a trouvé de trop grandes rivales dans ces fameuses maires si caractéristiques de la dévotion celtique.

D'ailleurs, les populations celtes, même intégrées au système romain, semblent perpétuer une tendance observée au néolithique : l'excès savamment dosé de cer­tains attributs ou emblèmes divins, et cela afin d'insister sur un aspect fonctionnel bien précis attribué à la divi­nité. On l'a vu avec la déesse Artio, avec la déesse Arduinna, toutes deux liées à l'ours, avec la déesse au cygne, avec la déesse Épona, cavalière ou jument. On retrouve cette familiarité avec l'animal dans une sta­tuette de facture très romaine découverte à Broye-lès-Pesmes (Haute-Saône), actuellement au British Muséum de Londres : il s'agit ici d'un bronze représentant une déesse portant des bois de cerf sur la tête, tenant entre les mains une corne d'abondance et une patère. Le cervidé est emblème de l'abondance, la patère également. Le thème du Graal n'est guère éloigné de cette repré­sentation.

La Déesse n'est donc pas seulement la mère des hom­mes (et des dieux), mais la Mère universelle, celle qui a porté dans son sein les animaux et même les végétaux. Le plus bel exemple de ce type de représentation fonc­tionnelle est certainement l'une des plaques du célèbre Chaudron de Gundestrup, dont l'original se trouve au musée d'Aarhus (Danemark) et dont une copie parfaite est visible au musée des Antiquités nationales. C'est un ouvrage en argent, difficilement datable (Ier ou IIe siècle de notre ère ?), qui semble influencé par l'art des step­pes importé par les Scythes, et qui illustre de la façon la plus remarquable qui existe, la mythologie celtique.

La plaque qui concerne la Déesse représente une tête de femme assez bien dessinée, avec des cheveux longs que semble tresser un petit personnage féminin à gau­che. Le torse est seulement esquissé, mais les seins sont nets. Le bras gauche, très petit, est replié sur la poitrine. Le bras droit est relevé parallèlement à la tête et sur un des doigts de la main, un oiseau est perché. Cette divi­nité porte un torque autour du cou et un autre petit personnage féminin est assis sur son épaule droite, sur­monté d'un animal quadrupède. Sur sa poitrine, au-dessous des seins, se distinguent un autre quadrupède et un être humain, tous deux vraisemblablement morts. Mais de chaque côté de la tête de la divinité, il y a deux oiseaux aux ailes déployées, sortes d'aigles triomphants qui donnent la signification de la scène. Il s'agit en effet du même personnage, décrit dans les récits mythologi­ques gallois sous le nom de Rhiannon, l'équivalent de la Mâcha gaélique et de l'Épona gauloise, qui est non seulement la « cavalière », mais également la maîtresse d'oiseaux étranges qui « réveillent les morts et endor­ment les vivants (22) ». C'est un des aspects fondamentaux de la Déesse, maîtresse des animaux sauvages et surtout détentrice de la puissance céleste représentée par les oiseaux.

Cette vision peut paraître tourmentée. Elle l'est dans la mesure où elle traduit le mouvement créateur ou organisateur qui est la justification même d'une divinité des origines. Mais au fur et à mesure que s'instaure la «paix romaine» dans l'empire, cette vision va devenir plus rassurante, indice d'une certaine stabilité politique et économique qui fait reculer d'autant les angoisses métaphysiques. La Sequana des sources de la Seine vogue paisiblement sur le fleuve, au milieu d'une barque (qui n'est pas sans évoquer une certaine représentation mégalithique), à l'avant de laquelle on remarque la tête d'un canard, ce qui renforce l'aspect serein et équilibré de cette navigation en eau douce. Et cette déesse qu'on nomme Nantosuelta, sur une stèle votive de Sarrebourg (Moselle), paraît être une épouse modèle et tranquille aux côtés du dieu Sucellos, le dieu au marteau, l'équiva­lent gaulois de l'irlandais Dagda à la massue ambivalente : quand le dieu frappe par l'un de ses bouts, il tue, mais quand il frappe de l'autre, il ressuscite. Nantosuelta serait-elle la médiatrice, celle qui équilibre, celle qui peut arrêter - ou mettre en mouvement — l'arme redou­table de son époux supposé ? L'image de la Vierge Marie médiatrice auprès de Jésus se profile déjà dans un contexte préchrétien imprégné de mysticisme. Car la Déesse peut être aussi celle qui supporte la douleur de ses enfants, comme le sera la Vierge de compassion du Moyen Âge. La statue féminine conservée au musée de Bourges (Cher) exprime cette souffrance partagée et peut être considérée comme une Notre-Dame-des-Douleurs bien antérieure aux spéculations sur la mère du Christ. Car si Jésus, sur la Croix, a fait de Marie la mère de tous les hommes, il ne faisait que suivre la croyance de tout le Moyen-Orient en la déesse mère universelle qui prenait alors le nom de Cybèle avant de venir s'ins­taller à Rome et de se répandre sur tout l'empire. À Vienne, et dans bien d'autres sanctuaires gallo-romains, le culte métroaque, résultat d'une fusion entre la reli­gion de Mithra et celle de Cybèle, laissera de nombreu­ses traces, particulièrement des statues de la « mère des dieux ». La statuette en pierre, conservée au musée Borély de Marseille, et qui représente Cybèle assise tenant un lionceau sur ses genoux, témoigne de cet atta­chement à une divinité dont la fonction est l'amour maternel et la paix entre les êtres vivants. Quant à la petite stèle votive en pierre découverte à Grand (Vos­ges), et conservée au musée d'Épinal, même si elle est anonyme, elle traduit bien cette volonté de soulagement des souffrances : elle présente en effet une déesse assise dans ce qui paraît être une officine de pharmacie ou un laboratoire, et l'on voit, dans une sorte de baquet, un instrument dont le manche a la forme d'un caducée. Il ne faut pas oublier que Grand a été un important sanc­tuaire gaulois dédié au soleil guérisseur, et que le soleil est féminin.

Il y a dans l'art gaulois de l'époque romaine une évidente recherche de l'harmonie, tant intérieure qu'apparente. À Neuvy-en-Sullias (Loiret), non loin du sanctuaire gaulois de Fleury, on a retrouvé de magnifi­ques statuettes en bronze qui sont actuellement conser­vées au musée de l'Orléanais, à Orléans. L'une d'elles est tout à fait remarquable par la beauté, la finesse et l'élégance de la facture. Il s'agit d'une femme nue, à la longue chevelure, en train de danser. La représentation n'est plus statique, mais il ne s'agit pas non plus d'éclate­ment : il s'agit au contraire d'une mise en harmonie d'un monde déjà créé, comme si la divinité dansait à travers les étoiles pour dispenser à ses innombrables enfants la lumière vitale qui rend le monde « beau » au sens étymologique de ce terme. La plénitude du monde se confond avec la beauté de la divinité, puisque rien n'existerait sans elle.

Mais cette période romaine de l'art celtique où, sous l'influence des techniques lapidaires de la Méditerranée, l'abstraction et la géométrisation vont laisser place à une plus grande figuration concrète, est essentielle dans la recherche d'un modèle presque unique de la représen­tation de la Déesse. La coexistence de différents systèmes religieux, avec la multiplicité d'interprétations qui en découle, va conduire à une sorte de synthèse, non seule­ment des formes apparentes, mais du contenu idéologi­que. Il faudra alors redéfinir le rôle exact prêté à la divinité féminine (quelle que soit l'origine de celle-ci, celtique, latine, grecque ou orientale) en fonction d'une nouvelle formulation théologique que le christianisme naissant va récupérer dans la mesure où elle sera conforme aux décisions des conciles, surtout ceux qui concernent le concept de Theotokos, par lequel s'infiltre à l'intérieur d'un univers franchement masculin l'image impossible à oublier de la déesse mère primitive.

Car le christianisme s'introduit en force dans l'empire et modifie considérablement l'aspect extérieur de la divi­nité. Deux directions diamétralement opposées vont maintenant s'affronter, dans une querelle constamment réactualisée à propos des images. Peut-on en effet don­ner des traits anthropomorphiques à une divinité qui, par nature, par essence même, échappe à tout réalisme grossier? Le problème s'était déjà posé du temps des druides, ceux-ci refusant de définir l'infini. Mais, l'esprit humain ayant besoin d'éléments concrets pour sentir le divin, on en est venu à incarner les forces divines sous des aspects matériels. Les Évangiles eux-mêmes, avec l'exaltation de l'homme-dieu Jésus-Christ, se prêtaient à cette interprétation réaliste, parfaitement conforme aux affirmations de la Genèse à propos de l'homme créé à l'image de Dieu. La grande querelle des iconoclastes ne pouvait se terminer que par la victoire des partisans de l'image. Mais quelle image, surtout pour résorber le concept de déesse mère, totalement absent - par suite de censure intérieure - des premiers textes chrétiens ? Là réside le véritable problème.

Toute l'Antiquité, qu'elle soit méditerranéenne ou « barbare », a mis en lumière un personnage divin de nature féminine, sous différents noms et différents aspects. Le peuple juif n'a pas échappé à cette intrusion de la Déesse, et la Bible hébraïque est remplie de conflits opposant les partisans du Dieu père (le Yahveh du Sinaï, ancien dieu-lune des Sémites du Moyen-Orient) aux par­tisans de la déesse mère, l'Ishtar babylonienne devenue plus tard As tarte et Vénus-Aphrodite quand elle n'était pas Diane-Artémis : une divinité féminine dont la fonc­tion maternelle se doublait nécessairement d'une fonc­tion érotique. On pense bien que cette fonction érotique allait être complètement occultée dès le début d'un christianisme entièrement axé sur une masculinité triomphante et une chasteté exemplaire, résultant la plu­part du temps d'une terreur instinctive à l'égard des mystères de la femme.

En toute objectivité, on ne peut que constater l'élimi­nation presque totale d'une disciple femme de Jésus, celle qu'on a coutume d'appeler pudiquement la « Madelei­ne » et à laquelle il est préférable de restituer son nom et son origine : Marie de Magdala. Les commentateurs, prudents et méfiants, en ont fait une prostituée repentie saisie par l'amour de Jésus et convertie à ses vues. La réalité doit être tout autre. D'abord, pour les Hébreux, la prostitution n'a pas le sens qu'on lui attribue actuelle­ment : se prostituer, c'est, dans les anciens temps bibli­ques, « sacrifier à la Déesse », chose impardonnable puisque les Hébreux n'avaient de dévotion que pour un dieu mâle unique et qu'ils ont lutté pendant des siècles pour asseoir son autorité malgré toutes les déviances, repérables dans la Bible, en faveur de la déesse du Moyen-Orient, cette Ishtar babylonienne dont les tem­ples étaient des lieux de prostitution, autrement dit de culte érotique consistant en l'union d'un homme avec une prêtresse, incarnation transitoire de la Déesse. Il s'agit de prostitution sacrée, rituelle, religieuse, et non pas de commerce, il s'agit d'union avec la divinité et non pas de simple satisfaction charnelle.

Or, on sait que Magdala était un lieu consacré à la Grande Déesse. Il est probable que l'énigmatique Marie de Magdala, si soigneusement mise à l'écart, était la grande prêtresse du temple de cette Déesse. D'où le quali­ficatif de « prostituée » qu'elle porte, même si, en tant que premier témoin de la résurrection du Christ, on lui par­donne tout son passé sulfureux. Le célèbre épisode évangélique de Béthanie s'éclaire alors singulièrement. Jésus a été baptisé dans le Jourdain par Jean le Précurseur, au nom du Père. À Béthanie, chez Marthe et Lazare, qui sont sœur et frère de Marie (celle-ci, très riche, étant vraisemblablement la propriétaire des lieux), Marie verse du parfum sur les pieds de Jésus, lui conférant une onction authentiquement sacerdotale, ce qui n'est pas du goût de Judas, parti­san acharné de la religion du Dieu père, et qui, par la suite, va trahir jésus sous prétexte que celui-ci a trahi la reli­gion du Père. Si l'on comprend bien, Jésus se présente à la fois comme l'oint (c'est le sens de « Christ ») du Dieu père (Yahveh) et de la déesse mère (sous quelque nom qu'on l'invoque), réunissant ainsi les deux traditions qui partagent le monde. C'est une des preuves manifestes de l'universalité de l'enseignement de Jésus, et il est bien étonnant que les théologiens chrétiens n'en aient pas tiré parti. L'ombre de la Déesse des Commencements ferait-elle donc peur aux coupeurs de cheveux en quatre ?

C'est pourquoi ce temps de l'introduction du message chrétien dans le monde gallo-romain est une époque charnière. De cette dualité - Dieu père ou déesse mère -va naître une double vision de la Déesse des Commence­ments : Vierge sage ou Vierge folle ? La question paraît banale, mais elle engage tous les siècles qui vont suivre, non seulement sur un plan purement esthétique, mais sur celui, beaucoup plus lourd de conséquences, de la spécu­lation religieuse. En un mot, la Déesse primordiale est-elle une femme folle de son corps ou une mère qui ignore comment elle s'est retrouvée enceinte ? À la prostituée sacrée des temples de Babylone et autres lieux du terri­toire actuellement français, s'oppose désormais la chaste Vierge qui ne connaît plus que sa fonction maternelle.

Cela dénote une considérable évolution des mentali­tés : tout se passe comme si on avait voulu, consciemment ou non, éliminer l'image d'une femme divine forte au profit d'un homme divin tout-puissant dont la rela­tion à la femme se bornerait à un rapport fils-mère. L'an­tique prostituée sacrée, incarnation de la Déesse, est une vierge, au sens fort du terme, c'est-à-dire libre de tout lien de subordination à un quelconque époux, mais elle n'en a pas moins une activité sexuelle permanente : en fait, c'est l'Esther de la Bible (et non pas l'héroïne édulcorée de Racine), qui se sert de son sexe pour mettre en œuvre les desseins de la divinité. Elle est donc active, et elle vient constamment rappeler que le rôle de la femme est nécessairement charnel. L'un des meilleurs exemples de ce type qui a perduré pendant tout le Moyen Âge chrétien est la fameuse Sheela-na-Gig qu'on trouve dans les églises de Grande-Bretagne et d'Irlande, cette femme nue exhibant son sexe en ouvrant outrageusement les lèvres vulvaires comme pour inviter les êtres à rentrer dans son ventre pour y renaître. Il est probable que des figurations de ce genre ont été réalisées en France, mais elles ont dû être détruites sous l'influence de l'Église romaine. Cette image de la femme a été alors « diabolisée » entièrement et est devenue la sorcière médiévale, soupçonnée de toutes les prostitutions, y compris au diable.

Sous l'empire romain, le pendant de cette tendance « féministe » était l'exaltation du dieu Priape, en accord parfait avec le caractère androcratique de la société. Mais, même si le culte phallique a survécu dans les étran­ges dévotions à des « saints » Foutin ou Phalle, son exa­gération a provoqué une réaction puritaine et une occultation de la sexualité dans un christianisme qui cherchait encore sa doctrine. Il était inutile de se poser des questions au sujet du sexe de Dieu, puisqu'il était tout-puissant et que le phénomène de la création n'avait pas besoin d'être expliqué autrement que par la volonté divine. Il ne restait donc plus de place pour la femme divine : la Mère des Commencements passait dans l'om­bre où elle rejoignait tous les démons des diverses mythologies de l'Antiquité.

Il est cependant difficile, sinon impossible, de se débar­rasser de concepts existant depuis l'aube des temps, et l'image de la femme ne pouvait que réapparaître à la sur­face, mais revêtue d'aspects conformes à la nouvelle men­talité. D'où la montée fulgurante de la Theotokos, la Mère de Dieu, cette Marie toujours vierge et mère de Jésus. Mais, tout en demeurant nécessaire, elle perdait toute sa connotation sexuelle au profit d'une unique fonction, la maternité. De plus, cette situation permettait de la réduire à un rôle uniquement passif : «Je suis la servante du Seigneur », fait-on répondre Marie à l'ange de l'Annonciation. Les multiples Vierges à l'enfant, comme les douloureuses piétas du Moyen Age, sont déjà en germe dans cette déesse mère encore païenne de Prunay-le-Gillon (Eure-et-Loir), dont un moulage est conservé au musée des Antiquités nationales. Il s'agit d'une déesse assise, les mains sur ses genoux écartés. Entre ses cuisses, se tient, également assis, un jeune enfant, les mains sur ses propres genoux. « Ce petit monument s'inscrit parmi les innombrables statuettes votives de déesses mères. Alors que la plupart d'entre elles ne représentent l'en­fant qu'au sein, celle-ci la place [...] dans la posture qui sera, mille ans plus tard, celle des Vierges en majesté tenant l'enfant Jésus assis et vu également de face. L'atti­tude sévère et la lourdeur des vêtements détachent éga­lement cet objet des séries gallo-romaines classiques (23). » II est bien évident que cette représentation est tout à fait conforme à la statue en bois polychrome de Saint-Nectaire, cette célèbre statue de la Vierge à l'enfant qui date du XIIe siècle. Désormais, la Vierge folle va laisser la place à la Vierge sage avant de se réfugier dans les som­bres forêts dans l'attente des grands sabbats qui ne vont pas manquer de provoquer l’indignation des bien-pensants paraît terminé. Celui de la Mère de tous les dieux également. Alors va commencer le règne éton­namment prospère de la Vierge mère du Dieu unique, quelles que soient les appellations, quels que soient les innombrables vocables qu'on lui attribuera au cours des siècles qui vont suivre.

Mais les apparences sont parfois trompeuses.

vierge

 

Notes :

1. Dans un ouvrage très étrange - et vraisemblablement crypté -sur une soi-disant recherche du pays des « fourmis qui trouvent de l'or » dans l'Himalaya occidental (aux confins du Pakistan et de l'Inde), intitulé L'Or des fourmis, Michel Peissel n'est pas loin de croire avoir retrouvé le mystérieux peuple des Dardicae, cité par Hérodote à propos des Amazones. Ce peuple est incontestablement blanc et indo-européen au milieu de populations asiatiques. Sont-ce les derniers survivants des Aryens primitifs ? Ce peuple des Minaros (leur nom actuel) a une langue indo-européenne, des coutumes matriarcales, notamment la polyandrie, et une religion très archaïque de type féminin : « Les deux principales divinités minaros [...] sont Gyantse-Lhamo et Shiringmen-Lhamo, respectivement la déesse-fée de la Fortune et la déesse-fée de la Fertilité. Deux femmes [...]. La divinité principale, appelée en tibétain Gyantse-Lhamo et en minaro Mun-Gyantse, ce qui signifie « fée embrassant tout », réside [...] sur le sommet d'une montagne » (M. Peissel, L'Or des fourmis, Paris, Laffont, 1984, p. 118).

2 Excepté, rappelons-le, dans les langues celtiques et germanique

3 André Varagnac, L'Art gaulois, La Pierre-qui-Vire (Yonne), éd. Zodiaque, 1956, p. 220-221.

4 Sur le sujet des monnaies gauloises et de leur portée, voir Lancelot Lengyel, L'Art gaulois dans les médailles, Paris, 1954, ouvrage fondamental bâti sur de nombreux agrandissements de monnaies gauloises qui se trouvent au cabinet des Médailles de la Bibliothè­que nationale de Paris ; ainsi que, du même auteur, Le Secret des Celtes, Forcalquier, 1969, thèse fort ambitieuse mais dont certaines interprétations ne reposent que sur l'imagination de l'auteur. L'in­térêt de ce livre réside dans la description minutieuse des détails relevées sur les monnaies gauloises et leur comparaison avec des éléments de mythologie irlandaise.

5 Il ne s'agit pas seulement de la péninsule bretonne, mais de la partie voisine de la Manche et de l'Atlantique, de la Seine à la Garonne (en gaulois, Aremorica signifie « tourné vers la mer »).

6 Cabinet des Médailles, Paris.

7 ibid.

8 ibid.

9 Voir L. Lengyel, L'Art gaulois dans les médailles, plan­che XL, fig. 436.

10 Musée archéologique de Bourges.

11 Musée historique de l'Orléanais, Orléans.

12 L'ancien son qw indo-européen, qui s'est maintenu en latin et en celtique gaélique, est devenu p en grec et dans les langues celtiques brittoniques (gaulois, breton et gallois).

13 Voir J. Markale, L'Épopée celtique en Bretagne, Paris, Payot, 1985, 3e éd.

14 Voir J. Markale, L'Épopée celtique d'Irlande, Paris, Payot, 1993, éd.

15 Voir J. Markale, La Femme celte, op. cit., 121-134 (sous-chapitre intitulé « Dans la porcherie »).

16 Statuette conservée au musée de Bretagne, à Rennes.

17 Conservée au musée archéologique de Dijon.

18 Voir J. Markale, L'Épopée celtique d'Irlande, op. cit

19 L'inscription latine, ainsi que les aménagements visibles de la source datent du XVIIe siècle.

20 Je ne crois pas à l'authenticité de cette statue. Elle ne ressem­ble à rien. Elle doit être l'œuvre d'un faussaire du début du XVIIIe siècle commanditée par le comte de Lannion. Mais elle rem­place nécessairement une statue plus ancienne qui était la vraie « Couarde », objet de ce culte érotique dénoncé par le clergé de l'époque.

21 Paul-Marie Duval, Les Dieux de la Gaule, Paris, Payot, 1976, p106.

22 Voir J. Markale, L'Épopée celtique en Bretagne, 27-42, et La Femme celte, p. 143-157. Cette « maîtresse des oiseaux » réapparaît dans les romans de la Table ronde sous les traits de la célèbre fée Morgane. Voir J. Markale, Le Cycle du Graal, op. cit., tome IV, La Fée Morgane.

23 André Varagnac, L'Art gaulois, Zodiaque, 1956, p. 321.

 

Sources : La Grande Déesse, mythes et sanctuaires – Jean Markale – Ed. Albin Michel 1997.

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