Les Grecs qui vouent un culte à Zeus ne peuvent pas vivre leur foi comme ils l’entendent. Explications.
Des bouquets, des statues de divinités et des colonnes antiques décorent le salon. De lourds rideaux bordeaux habillent les fenêtres et occultent les rayons du soleil. Dans cette ambiance tamisée, les flammes des bougies vacillent sur les visages des fidèles, drapés de longues tuniques blanches ou pourpres. Ils sont une soixantaine, réunis dans un appartement du centre d’Athènes. Debout, ils écoutent le chant lancinant de la prêtresseaccompagné au tambourin et à la harpe : « Entends ma prière, Adonis toujours florissant, qui est mort et qui resplendit de nouveau au retour de la belle saison ! »
Ce 24 avril 2019, en pleine semaine sainte, en Grèce, où la population est à plus de 95 % orthodoxe, les membres d’Ellinaïs (également appelée Association sacrée des fidèles de l’ancienne foi hellénique) célèbrent la résurrection de l’éphèbe dont s’étaient éprises les déesses Aphrodite et Perséphone, symbole du retour du printemps.
Fondée en octobre 2005, Ellinaïs (15 000 adeptes selon les chiffres officiels) revendique le droit de pratiquer la religion polythéiste de l’Antiquité. En 2006, le tribunal de première instance d’Athènes a admis la légalité de ce culte. Pourtant, les adorateurs de Zeus ne peuvent toujours pas vivre leur foi comme ils l’entendent. « Les temples antiques devraient être nos lieux de culte, mais l’Etat, sous la pression de la puissante Eglise grecque, s’y oppose, raconte Parmenidis Bouissiou, 48 ans, urgentiste, converti il y a une vingtaine d’années. Combien de fois sommes-nous allés au sanctuaire d’Apollon à Delphes pour être chassés par des gardes ? » A cette occasion, l’homme a troqué son prénom chrétien, Ioannis, pour celui de Parmenidis (Parménide en français), célèbre philosophe du Ve siècle avant notre ère. Il affirme avoir dès sa jeunesse ressenti une émotion particulière devant les sites antiques : « Plus d’une fois, je me suis mis à pleurer devant un temple détruit par le temps et les hommes. »
Apollon, 16 ans, est fier de perpétuer la tradition antique
Le président d’Ellinaïs, Lakedaimonas (« habitant de Sparte »), de son vrai nom Konstantinos Sabrakos, entrepreneur spartiate, lui, a eu une révélation à l’âge de 35 ans : « Nos ancêtres ont créé le théâtre, la philosophie, la démocratie, pourquoi leur religion serait-elle aussi néfaste que le prétend l’Eglise ? » Il a donné à son fils le nom du dieu des arts et de la beauté : Apollon. A 16 ans, l’adolescent se dit fier de perpétuer la tradition antique : « A l’école, personne ne se moque de moi quand je parle de mes croyances. Au contraire, mes camarades trouvent que notre religion est plus cohérente que le christianisme. »
Pour les adeptes de ce polythéisme, philosophie et religion ne font qu’un. « Les hymnes et les textes anciens sont imprégnés à la fois de sacré et de philosophie, explique la prêtresse Semeli Dimou, la cinquantaine. Dans la mythologie aussi, tout est symbolique et appelle à des interprétations. » Leur foi, dit-elle, n’impose aucun commandement, mais prône le respect de l’environnement dans lequel se réincarnent les dieux. « Nous ne sommes affiliés à aucun parti », assure le président d’Ellinaïs. Pourtant, face à ces disciples qui se revendiquent de sang pur et arborent des symboles antiques très ressemblants à des croix gammées, et dans un pays où le parti néonazi grec Aube dorée reste la quatrième force politique, le doute plane sur le positionnement du collectif. Le culte des anciens dieux serait-il sensible aux vieux démons de l’histoire ?
MARINA RAFENBERG
Source : GEO