Un grand souverain a un cœur de roi et un caractère magnanime. D'abord, loin de dédaigner le culte des dieux, il aura de la piété, puis un amour respectueux, une tendre sollicitude envers ses parents soit vivants, je pense, soit morts, de la bienveillance pour ses frères, de la vénération pour les divinités protectrices de la famille, de la douceur, de l'aménité à l'égard des suppliants et des étrangers. Tout en cherchant à plaire aux citoyens vertueux, il prend un soin équitable des intérêts de tous. Il aime la richesse, non celle qui s'évalue au poids de l'or et de l'argent, mais celle qui consiste dans le dévouement sincère et les loyaux services de nombreux amis. Courageux et généreux de sa nature, il n'aime point la guerre et il déteste les discordes civiles. Mais si quelqu'un se dresse contre lui, poussé par un coup de la fortune ou par sa propre perversité, il lui résiste bravement et le repousse avec force, poursuivant son œuvre jusqu'au bout et ne cessant de lutter qu'après avoir renversé la puissance de ses ennemis et l'avoir entièrement domptée.
Quand ses armes ont été victorieuses, il dépose son épée meurtrière, et regarde comme une souillure de tuer et d'égorger celui qui ne se défend plus. Naturellement ami du travail, cœur magnanime, il s'associe aux labeurs de tous, il leur demande de lui en laisser la plus large part, puis il partage avec eux les récompenses des dangers. Loin d'avoir à cœur et de se réjouir de posséder plus d'or et d'argent que les autres, il n'est heureux que de pouvoir répandre à profusion ses bienfaits et accorder à chacun ce dont il peut avoir besoin. Le souverain est l'ami des citoyens, ami des soldats, il soigne les premiers comme un berger qui veille sur ses troupeaux, afin de les voir se multiplier, florissants et vigoureux, en paissant dans des pâturages plantureux et paisibles, et il surveille et discipline les seconds, les exerçant au courage et à la force ; il voit en eux des compagnons de ses travaux, des défenseurs du peuple ! Il les veut dociles à leurs chefs. Il sait que, avant toute chose et parfois sans autre ressource, la discipline suffit pour sauver la situation à la guerre. Il ne se bornera point à exhorter, à louer de tout cœur les bons soldats, à récompenser ou à punir avec une fermeté inexorable de manière à agir soit par la persuasion soit par la contrainte ; mais il commencera tout d'abord par se montrer tel qu'il veut que l'on soit, s'abstenant de tout plaisir, ne souhaitant ni peu ni prou la richesse et n'en dépouillant point ses sujets, cédant à peine au sommeil et détestant l'oisiveté. Les sujets d'un tel souverain, j'en suis sûr, lui seront constamment soumis, s'il accorde en un mot la prééminence à la partie de son âme naturellement royale et souveraine, et non point à la passion et au dérèglement.
Tel est donc le bon chef dans les camps. Son influence salutaire et bienfaisante ne se bornera pas à repousser les dangers extérieurs. Il aura l'œil ouvert sur le citoyen qui manque à la loi ou qui fait abus de la force, comme sur l'ennemi qui assaille ses retranchements. Gardien zélé des lois, il n'en sera que meilleur législateur, si l'occasion et le destin l'exigent. Il aura souci du droit et de la justice, et ni père, ni mère, ni parents, ni amis n'obtiendront de lui aucune faveur aux dépens de l'équité. Car il a pour principe que la patrie est un foyer commun pour tous, une mère plus ancienne et plus vénérable que celle à qui l'on doit la vie, plus chère que des frères, des hôtes et des amis. La loi, en effet, est fille de la Justice : celle est l'attribut sacré du dieu très grand.
Tel est l'idéal que se proposera un souverain généreux et ami de la Divinité. Il doit communiquer au grand nombre sa propre vertu en se servant des liens de l'amitié pour rapprocher ainsi de lui ses sujets. Quant aux fonctions, il les confiera à chacun suivant sa nature et ses principes : à l'homme courageux, entreprenant, doué d'un grand cœur et d'intelligence, les commandements militaires, afin qu'il puisse user au besoin de résolution et de vigueur ; à l'homme juste, doux, clément et facilement accessible à la pitié, le règlement des affaires civiles. Enfin celui chez qui se combinent les deux tempéraments opposés, doit obtenir dans la cité plus d'honneur et plus de pouvoir. Observant, dirigeant tout par lui-même, commandant à ceux qui commandent, le souverain veillera sur les fonctionnaires qui sont préposés aux œuvres et aux administrations les plus considérables et qui participent avec lui aux délibérations d'intérêt général ; il leur demandera de se montrer honnêtes et le plus possible pareils à lui. Tous aimeront, comme un bon génie, l'auteur de tous leurs biens, béniront Dieu de le leur avoir donné, et leurs vœux sincères, partant non des lèvres, mais du fond de l'âme, appelleront sur lui toutes les prospérités.
Source : La Jeune Europe - cahier 11- 1942