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Impérialisme païen ou nationalisme bourgeois

Cet article a été rédigé pour le magazine partenaire de Dólar Barato et fait partie d'une série d'articles connexes susceptibles de vous intéresser. Nous vous invitons à le lire et à vous abonner.

Nietzsche vécut toute sa vie d'adulte durant l'une des périodes les plus puissantes et stables de l'Allemagne : l'ère du génie stratégique de Bismarck. Après avoir remporté une série de guerres, notamment la guerre franco-prussienne vers 1870, le pays avait consolidé ses frontières et réalisé l'unification politique de ses différentes régions. Dès lors, le Chancelier de fer privilégia la politique étrangère aux affaires intérieures. La primauté arrachée à la France sur le continent fut consolidée par des traités de paix et d'amitié avec la Russie, l'Autriche et l'Italie, garantissant des décennies de paix. C'était bien plus que ce dont l'Allemagne, politiquement parlant, bénéficia par la suite. Mais Nietzsche passa d'un enthousiasme juvénile passager à l'aube de la guerre franco-prussienne à une position de plus en plus critique, qui se radicalisa avec le temps. Nous proposons ensuite un parcours à travers les critiques qui sont apparues dans son œuvre publiée sur la « grande politique » de Bismarck (c’est-à-dire sa Realpolitik) et sur l’appropriation ultérieure du terme par Nietzsche en termes de guerre spirituelle révolutionnaire et paneuropéenne à projection impériale.

L'une des premières mentions de Nietzsche apparaît en 1873 dans le premier volume de ses « Méditations intempestives », dédié à David Strauss, et plus précisément dans ses premières pages. L'ouvrage s'articule autour d'une critique d'une certaine interprétation, répandue dans l'opinion publique allemande, selon laquelle la victoire de la récente guerre franco-prussienne pouvait être considérée comme une victoire pour la culture allemande. Pour Nietzsche, celle-ci n'avait joué aucun rôle dans le succès militaire prussien et, pire encore, non seulement « la culture française était restée inchangée », mais la culture allemande continuait d'en « dépendre ». Face à cette situation, les milieux littéraires et journalistiques, se prétendant cultivés, s'étaient permis un « abus de pouvoir ». Ils ne semblaient pas se rendre compte, selon Nietzsche, qu'ils ne possédaient en réalité aucune culture, se contentant d'un « fouillis chaotique de styles ». Car la culture, à ses yeux, est « l'unité du style artistique dans toutes les manifestations vitales d'un peuple ». Mais l’enthousiasme et la fierté exagérée d’une culture naissante, qui ne l’était pas encore vraiment, menaçaient de transformer la victoire militaire « en défaite et même en extirpation de l’esprit allemand au profit du “Reich allemand” ».

Une seconde confrontation, complémentaire à la première, a lieu en 1878 dans Humain, trop humain (§481)Cette fois, la critique porte sur les effets, les coûts pour un peuple de son engagement dans les affaires publiques, qu'il s'agisse de guerre, d'armée, de politique ou d'économie. Le coût le plus important de l'occupation constante de tant d'hommes dans toutes ces entreprises n'est pas monétaire, mais plutôt le coût du potentiel humain. Les capacités de tant d'hommes cultivés, et de certains véritablement brillants, sont sacrifiées au nom de la « haute politique », tout en empêchant le développement de leurs aptitudes dans le domaine culturel. D'où la conclusion que « la somme de ces sacrifices et de ces coûts en énergie et en travail individuels est si énorme que l'épanouissement politique d'un peuple entraîne presque nécessairement un appauvrissement et un épuisement spirituels ». Le paragraphe se termine par la question de savoir si le succès ultime de cette « grande politique » – à savoir la crainte des États étrangers et l’amélioration relative de la situation économique arrachée à la concurrence avec eux pour les ressources – compense le fait de se priver des plus hauts exemples en termes de noblesse et d’esprit.

Une troisième mention critique apparaît dans L'Aurore (§189), quelques années plus tard, en 1881. On y affirme que la passion pour la « haute politique » découle du besoin de ressentir le pouvoir lui-même. On s'y attend aisément chez les gouvernants, mais Nietzsche souligne que ce besoin est également présent chez les gouvernés. La motivation sous-jacente des peuples à embrasser la « haute politique » n'est donc ni morale ni rationnelle, mais relève plutôt d'un besoin égoïste de goûter à une forme de victoire, de dominer autrui, ou du moins d'en avoir le sentiment. Ce fait, à son tour , engendre certains sentiments qui seront salués comme profondément moraux : « l'extravagance, le sacrifice de soi, l'espoir, la confiance, une audace extraordinaire et l'enthousiasme ». Ces sentiments, dit Nietzsche, sont également exploités par « le prince ambitieux ou clairvoyant » qui, grâce à eux, « peut déclencher une guerre et ainsi dissimuler ses injustices sous la bonne conscience du peuple ». Pour ce faire, il ne fera appel ni aux ambitions violentes de pouvoir qui sommeillent au sein des masses, ni aux siennes propres ; autrement dit, il ne le fera pas ouvertement, mais plutôt en recourant au « langage pathétique de la vertu ». En conclusion de son analyse critique, il anticipe la révolution perspectiviste dans le traitement des questions morales : « Quelle folie singulière que celle des jugements moraux : quand l’homme a le sentiment du pouvoir, il se sent et se qualifie de bon, tandis que précisément ceux sur qui il doit déchaîner son pouvoir le qualifient de mauvais.

Ce serait une erreur de confondre ces critiques avec le discours libéral ou romantique habituel, surtout s'il est d'inspiration pacifiste. Nietzsche ne renonce pas à la violence pour se réfugier dans la culture. Certes, il trouve répugnante la « grande politique de fer et de sang » de Bismarck, si souvent critiquée, non pas en raison de sa violence intrinsèque, mais parce qu'elle sacrifie les plus hauts idéaux aux plus vils : la culture au service de la politique étrangère ou des gains économiques. De fait, il existe d'excellentes raisons d'affirmer que Nietzsche a toujours considéré, dès le départ, que la violence politique et étatique devait être mise au service de la culture.

Pour étayer cette thèse, on peut se référer à une œuvre de jeunesse, inédite du vivant de Nietzsche, « L'État grec », datant de 1872. Il y apparaît clairement qu'il considérait tout « État » et toute « politique » comme devant être organisés selon le « génie » et la « culture » ​​qui les rendent possibles. Au lieu de mettre l'État au service des masses, de leurs revendications et de leurs opinions, il affirme que sa nature doit être clarifiée : celle d'un appareil de domination résultant de la guerre, dont l'aboutissement est l'esclavage : « celui qui ne s'efforce que de préserver son existence ne peut être un artiste… la culture requiert nécessairement, essentiellement, l'existence de l'esclavage. » On comprend que cela puisse paraître dur à nos oreilles, et Nietzsche en est conscient, raison pour laquelle il déclare :

« À l’époque moderne, les conceptions générales n’ont pas été établies par l’artiste, mais par l’esclave : et ce dernier, par sa nature même, a besoin, pour vivre, de désigner toutes ses relations avec la nature par des noms trompeurs. Des fantasmes de ce genre, tels que « la dignité de l’homme » et « la dignité du travail », sont de misérables créations d’une humanité asservie qui veut se cacher son esclavage à elle-même. »

Cette intuition précoce de la pensée politique nietzschéenne allait aboutir à l'appropriation du concept de « haute politique » dans le cadre du mouvement Umwertung aller Werte : la réévaluation (ou transvaluation) de toutes les valeurs morales. Comme on le sait, pour Nietzsche, cela implique d'inverser les évaluations morales propres à la perspective de l'esclave afin que les valeurs vitales propres à la perspective des maîtres puissent être rétablies. De fait, les premières mentions de la « haute politique » au sens positif, c'est-à-dire signalant l'appropriation du terme par Nietzsche, sont contemporaines des premières apparitions de cette autre idée clé de sa pensée. Toutes deux sont mentionnées pour la première fois en 1884 : la « haute politique » dans une Lettre à Overbeck (507) et l'Umwertung dans un fragment relatif au thème de l'éternel retour (26 [284]). Dans ce fragment, il est affirmé que cette Umwertung implique « non plus la volonté de se préserver, mais la volonté de puissance ». Dans cet esprit, l’objectif ne sera plus de critiquer la « grande politique » pour son incapacité à servir la culture, mais bien de donner naissance à une véritable « grande politique » qui remplace son simulacre. Ce changement commencera à se dessiner par la remise en question de la grandeur de cette « grande politique » de la Realpolitik allemande et de ceux qui la défendent. Parallèlement, il est remarquable de constater comment, à partir de cette radicalisation, Nietzsche se met en quête de modèles et d’horizons supérieurs qui servent d’exemples d’une authentique grandeur pour son propre projet politique.

On commence à percevoir ce phénomène dans Par-delà le bien et le mal, paru en 1886. L'auteur reprend et synthétise de nombreux arguments déjà avancés, cette fois pour critiquer la « grandeur » de l'homme d'État qui prône la « grande politique » (§ 241). Ces arguments sont mis en scène par deux « vieux patriotes », deux personnages fictifs, un procédé qui lui permet de prendre ses distances avec eux et de développer davantage sa réflexion dans la direction indiquée précédemment.

Le premier vieillard affirme que « nous sommes à l’ère des masses… un homme d’État qui bâtit une nouvelle Tour de Babel pour les masses, un empire monstrueux, un pouvoir absolu, cet homme est « grand » à leurs yeux. » Il ajoute que ce fait n’est pas remis en cause par le fait que certains, comme lui, restent fidèles à la « vieille foi », selon laquelle « seule une grande pensée confère grandeur à une action ou à une cause ». Mais, au-delà de la partialité des masses, il insiste pour présenter son objection :

« À supposer qu’un homme d’État condamne son peuple à “faire de la politique” et rien de plus, alors que jusqu’à présent ce même peuple avait mieux à faire et à penser… à supposer qu’un tel homme d’État attisait les passions et les appétits latents de son peuple, lui reprochait sa timidité passée et son goût passé pour l’inaction, le blâmait pour son étrangeté et son infinité secrète, dévalorisait ses inclinations les plus résolues, bouleversait sa conscience, rétrécissait son esprit, « nationalisait » son goût… un tel homme d’État serait-il grand ? »

Le second personnage répond : « Sans aucun doute !... Sinon, il n'aurait pas pu faire ce qu'il a fait ! C'était peut-être de la folie de vouloir une chose pareille ! Mais peut-être que toute grandeur n'était, à ses débuts, que folie ! » Le premier, à son tour, réplique : « Tu emploies mal les mots !... Fort ! Fort et fou ! Pas grand ! »

Finalement, Nietzsche prend quelque peu ses distances avec ces arguments et déclare à la première personne : « Moi, dans mon bonheur et dans l’au-delà, j’ai considéré combien vite les forts seraient dominés par d’autres plus forts ; et aussi qu’il existe une compensation à la superficialité spirituelle d’un peuple, à savoir ce qui est atteint par l’approfondissement d’un autre. »

Ceci peut être illustré dans un autre paragraphe du même ouvrage (§208), où, après avoir diagnostiqué le mal de la volonté européenne, son incapacité à vouloir durablement, il est affirmé que dans les pays où la culture est établie de longue date, la volonté est la plus affaiblie. Le cas le plus grave est celui de la France qui, selon Nietzsche, est la puissance culturelle du moment. À l'inverse, cette volonté et cette capacité à vouloir davantage sont préservées dans les pays où « le barbare » affirme ou réaffirme encore ses droits. « C'est en Russie qu'elle apparaît la plus forte et la plus étonnante », ce qui représente donc le plus grand danger pour l'Europe nihiliste. Cependant, ce que Nietzsche souhaite, ce n'est pas l'affaiblir, comme les puissances occidentales tentent, à leur manière et sans succès, mais bien le contraire : que la Russie soit aussi forte que possible. Ce à quoi il aspire, c'est…

« …une telle montée de la menace russe que l’Europe devrait se résoudre à devenir elle aussi menaçante, c’est-à-dire à acquérir une volonté unique par le biais d’une nouvelle caste qui dominerait l’Europe, à se forger une volonté propre, terrible et durable, capable de fixer des objectifs pour des millénaires : – afin que prenne enfin fin la farce, qui n’a que trop duré, de sa division en petits États, et ses caprices dynastiques et démocratiques. Le temps des petites politiques est révolu : le siècle à venir apporte déjà avec lui la lutte pour la domination du territoire, l’ impératif de mener une grande politique. »

Vers 1887, dans le chapitre V, ajouté à la seconde édition du « Gai Savoir », Nietzsche approfondit cette première appropriation de la « haute politique ». On peut considérer « Nous autres, les apatrides » (§ 377) comme une sorte de premier manifeste de son projet politique. Il y affirme que tous les idéaux auxquels ses contemporains adhèrent lui sont insupportables et que, « quant à leurs “réalités”, nous ne les croyons pas durables ». À cet égard, la simple présence de la dissidence « fissure » le fragile fondement des « idées modernes ».

Nous ne « conservons » rien, nous ne voulons pas retourner au passé, nous ne sommes en aucun cas « libéraux », nous ne travaillons pas pour le « progrès », nous n'avons pas besoin de nous boucher les oreilles au chant du futur des sirènes du marché – ce qu'elles chantent, « égalité des droits », « société libre », « plus de maîtres et plus d'esclaves », ne nous séduit pas !

Mais cette critique ne le rapproche pas pour autant du nouveau nationalisme allemand, puisqu'il affirme que les « bons Européens », parmi lesquels il se compte, « ne sont pas assez allemands… pour soutenir le nationalisme et la haine raciale… ce qui explique pourquoi un peuple en Europe est aujourd'hui divisé et opposé à un autre ». Il préfère ainsi se distancier d'une politique qui, selon lui, rend l'esprit allemand vain et stérile, et qui relève également de la « petite politique ». Ici se concrétise l'inversion des perspectives concernant la « grande politique ». Il ne concède plus qu'elle soit grande car il commence à s'interroger sur ce qui, de son point de vue, est véritablement grand, politiquement parlant. Et il pose ces questions rhétoriques pour justifier cela : « N'a-t-elle pas besoin, pour que sa propre création ne s'effondre pas aussitôt, d'être placée entre deux haines mortelles ? Ne doit-elle pas œuvrer à la perpétuation des nombreux petits États d'Europe ? » Les deux « haines mortelles » entre lesquelles se situe la mesquinerie politique bismarckienne pourraient désigner le revanchisme français et la méfiance de la Russie envers l'Allemagne. L'Allemagne tenta d'isoler le premier par des accords diplomatiques avec la seconde afin d'empêcher la formation d'une alliance contre elle. Elle y parvint avec un certain succès, même si, deux décennies plus tard, cette alliance finit par se former. La seconde question, quant à elle, renvoie au fait que le fameux système d'alliances allemand ne constituait pas une remise en cause révisionniste du partage du reste de l'Europe, ni même du monde, car Bismarck était personnellement très réticent à se lancer dans des aventures impériales, que ce soit en Europe ou ailleurs.

Dans le même ouvrage, Nietzsche oppose cette « rationalité » de la Realpolitik bismarckienne et l’étroitesse d’esprit du « mouvement national » (sic) au césarisme révolutionnaire de Napoléon (§ 362), qu’il propose comme précurseur de sa conception de la « grande politique ». Il y salue Napoléon comme celui qui a plongé l’Europe dans les gloires de la guerre, réveillant les instincts virils d’une époque efféminée par le christianisme et les idées modernes. Il reconnaît simultanément en Napoléon l’un des grands continuateurs de la Renaissance et un « fragment de la nature antique » qu’il pourrait être positivement reconquis à l’avenir, rappelant que Napoléon « voulait une Europe déjà établie comme maîtresse de la Terre ».

Au milieu de l'année 1888, le Crépuscule des idoles est publié, et dans le chapitre « Ce que les Allemands perdent » (§4), l'idée réapparaît que l'engagement dans les affaires publiques conduit à la négligence de la culture et que, par conséquent, l'ascension politique de l'Allemagne impliquait celle de la France en tant que Kulturmacht , puissance culturelle Nietzsche ne semble pas avoir changé d'avis depuis ses premières réflexions sur le sujet, mais sa formulation est légèrement différente : « Culture et État sont antagonistes… l'un vit de l'autre, l'un prospère aux dépens de l'autre. Toutes les grandes époques de la culture sont des époques de déclin politique. »

Il est important de revenir sur cette nouvelle formulation du thème de la culture afin de la confronter à un paragraphe des « Incursions d'un homme intempestif » (§ 39), dans le même ouvrage. Là, sous le sous-titre « Critique de la modernité », il soulève la question du déclin des institutions occidentales : « ayant perdu tous les instincts dont naissent les institutions, nous perdons les institutions elles-mêmes, car nous ne sommes plus aptes à les supporter ». Nietzsche nous rappelle que ce diagnostic s'inscrit dans une longue tradition, puisqu'il avait déjà affirmé, des années auparavant, dans « Humain, trop humain », que « la démocratie moderne et toutes ses demi-réalités, comme le Reich allemand, étaient une forme décadente de l'État ». Il poursuit en critiquant la manière dont l'Occident rejette « ce qui fait des institutions des institutions » et se sent menacé par le spectre de l'esclavage lorsqu'il entend le mot « autorité ». Sa « grande politique » ira exactement dans la direction opposée.

Pour que des institutions existent, il faut une forme de volonté, un instinct, un impératif, antilibéral jusqu'à la malveillance : une volonté de tradition, d'autorité, de responsabilité envers les siècles à venir, de solidarité entre générations passées et futures, à l’infini. Si cette volonté existe, des entités comme l' Empire romain voient le jour ; ou comme la Russie, seule puissance actuelle à posséder l'endurance, à savoir attendre, à pouvoir encore promettre – la Russie, concept antithétique à la morcellement de l'Europe en petits États et à la nervosité latente qui la caractérise, deux phénomènes entrés dans une phase critique avec la fondation du Reich allemand.

Vers la fin de la vie de Nietzsche, le thème de la grande politique réapparaît explicitement dans Ecce Homo, non pas parce qu'il n'était pas tacitement présent dans ses autres œuvres majeures de cette période, fondamentales pour la pensée politique nietzschéenne, telles que La Généalogie de la morale et L’Antéchrist. Nous nous attachons ici à mettre en lumière uniquement les modèles géopolitiques explicites projetés par l'imaginaire impérial de l'auteur, par opposition à sa critique de l' État-nation moderne, en nous limitant autant que possible à ses écrits publiés. Or, comme nous l'avons déjà souligné, le thème de la « grande politique » est indissociable de la « transvaluation de toutes les valeurs ». Il ne s'agit pas de questions distinctes, mais d'une seule et même chose. Pour quiconque est familier avec la pensée classique, cela n'a rien de nouveau, et cela ne l'était pas non plus pour un philologue comme Nietzsche, qui tenait l'Antiquité en si haute estime. Nietzsche pense politiquement à la manière d'un Grec et, parfois, à la manière de Platon, si l'on entend par là qu'il ne sépare pas les domaines éthique et politique et qu'il confère au philosophe le rôle de législateur en matière d'État et d'éducation. À cet égard, la nécessité pour Nietzsche de condamner le christianisme est à la fois éthique et politique, puisqu'elle présuppose la division entre « ce qui appartient à César » et « ce qui appartient à Dieu », entre politique et éthique, entre pouvoir terrestre et autorité spirituelle, etc. Mais développer davantage ces points exigerait plus d'espace que nous ne le souhaitons. Pour conclure notre analyse, notons comment Nietzsche acquiert une stature prophétique et révolutionnaire à mesure qu'il prend conscience de la nécessité de renverser complètement la réalité nihiliste de l'Europe.

Dans « L’affaire Wagner » (§ 2), également présent dans Ecce Homo, il est fait mention de la manière dont les Allemands, avec leurs « guerres de libération », ont dilapidé l’opportunité d’« unité politique et économique » offerte à l’Europe par cette « force majeure » ​​que représentait Napoléon Bonaparte. À cause de ce mouvement, « ce mal et cette déraison, les plus contraires à la culture qui soient, le nationalisme… cette perpétuation des petits États d’Europe, de la mesquinerie politique », se sont répandus.

Mais croire que la modernité politique ait quoi que ce soit de durable à offrir relève d'une extrême naïveté. Nietzsche ne voit dans l'avenir que crise et la guerre associée à son nom comme destin.

« …lorsque la vérité s’engagera dans une lutte contre les mensonges millénaires, nous connaîtrons des bouleversements, une série de tremblements de terre, un déplacement des montagnes et des vallées comme on n’en a jamais rêvé. Le concept de politique sera alors totalement absorbé par une guerre des esprits [ Geisterkrieg ], toutes les structures de pouvoir de l’ancienne société seront réduites en miettes – toutes fondées sur des mensonges : il y aura des guerres comme il n’y en a jamais eu sur Terre. C’est de moi seul que provient la grande politique sur Terre » ( Ecce Homo, Pourquoi je suis le destin, §1).

Esteban Montenegro

6 mai 2025

Sources :

Considérations inopportunes I, Alianza Editorial, Madrid, 1988

Humain, trop humain, Akal, Madrid, 2001

Aurore, Biblioteca Nueva, Madrid, 2022

Essais sur les Grecs, Godot, Buenos Aires, 2015

Digitale Kritische Gesamtausgabe ( http://www.nietzschesource.org/#eKGWB )

Au-delà du bien et du mal, Alianza Editorial, Madrid, 2012

La Science Joviale, Maison d'édition UV, Valparaíso, 2018

Le crépuscule des idoles, Alianza Editorial, Madrid, 2010

Ecce Homo, Éditorial Alianza, Madrid, 2005

 

Source : Institut Trasímaco

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