Brexit regrets 3 ans 1024x684

 

La « Chronique de La Longue Vue » n° 7 mise en ligne le 28 janvier 2023 sur votre Web-radio préférée aborde le Brexit, ses conséquences et son interprétation par l’hyper-classe cosmopolite. Maurice Gendre et Beluga s’intéressent au coup de tonnerre référendaire du 23 juin 2016 quand les Britanniques ont décidé à 51,89 % de sortir de l’Union soi-disant européenne. Quelle surprise pour le médiacosme ! On se souvient qu’au soir du scrutin, Nigel Farage, l’une des figures du « Leave », se couchait en perdant. À son réveil, le lendemain, il découvrait sa victoire.

Plus de six ans après ce vote crucial et deux ans depuis le départ effectif du Royaume-Uni de l’entité dite européenne le 1er janvier 2021, l’opinion publique britannique serait en train de se raviser. La synthèse des différents sondages donnerait une majorité en moyenne de 57 % d’électeurs interrogés favorables à un retour dans le giron bruxello-strasbourgeois. Or ni les conservateurs actuellement au pouvoir, ni les travaillistes largement en tête toujours selon les sondages n’envisagent de déposer une nouvelle candidature à l’UE sans bénéficier des exemptions. Cela n’empêche pas l’éditorial du Monde du 7 février 2023 d’en baver de plaisir. Le texte évoque l’apparition sémantique des « Rejoiners » (partisans de la ré-adhésion) et du « Bregret » (le regret d’avoir approuvé le Brexit).

La Grande-Bretagne traverse une série cumulée de crises profondes. Une très forte inflation alimente l’actuelle crise économique. Malgré des restrictions législatives socialement liberticides, de nombreuses grèves touchent des secteurs entiers et plongent le pays dans une terrible crise sociale. La crise politique se voit à travers cinq Premiers ministres (David Cameron, Theresa May, Boris Johnson, Liz Truss et Rishi Sunak) et deux dissolutions (2017 et 2019) en six ans. Les questions de l’avenir de l’Écosse et de l’Irlande du Nord fragilisent enfin un ensemble institutionnel décati.

Les études statistiques montrent une paupérisation accélérée des catégories moyennes et populaires. On recense par ailleurs des pénuries de produits divers. Le nouveau contrôle douanier avec le Marché unique européen amputerait 15 % du commerce total britannique sans omettre la hausse des taxes sur l’importation de denrées alimentaires. La main-d’œuvre manque aussi. Le Figaro (du 10 février 2023) explique qu’en juin 2022, le solde migratoire des Européens était dorénavant négatif. Faire venir à Londres, à Douvres ou à Édimbourg un Parisien, un Berlinois ou un Milanais pour occuper un emploi précis nécessite une paperasserie bureaucratique inouïe. En revanche, le solde migratoire d’entrée en Grande-Bretagne des non-Européens restait largement positif (plus d’un demi-million d’autorisations en une seule année). Albion se tourne vers le Commonwealth à ses risques et périls...

Le système médiatique d’occupation mentale accuse le Brexit, les deux années de cirque covidien et la guerre en Ukraine d’être à l’origine de ce contexte éprouvant. Ces trois facteurs ne sont en fait que de magnifiques prétextes qui évitent de s’attarder sur la responsabilité majeure du parlementarisme britannique et de quatre décennies d’application comptable néo-libérale. En effet, plus qu’un Brexit mal négocié, les Britanniques paient les années de libéralisme effréné de Margaret Thatcher à Rishi Sunak en passant par les travaillistes Tony Blair et Gordon Brown. Les sommes astronomiques réclamées aux ménages pour régler leur consommation d’énergie ne sont-elles pas un effet immédiat d’un marché ouvert, privatisé, supposé libre et concurrentiel ? Sous ses airs de bouffon mondialiste, Boris Johnson avait compris ce dysfonctionnement. Sa tentative de rectification se heurta néanmoins au scandale médiatique du « Partygate ». « BoJo » avait osé contester la doxa thatchérienne. Il devait le payer chèrement. De multiples et intenses clivages internes traversent les tories entre carriéristes opportunistes, néo-thatchériens incurables, libéraux sociétalistes wokistes, réactionnaires patentés et europhobes carabinés. Les haines sont si grandes qu’elles empêchent tout chef du gouvernement sensé de diriger convenablement son pays parce qu’il dépend des humeurs de sa majorité turbulente à la Chambre des Communes.

Les négociations avec Bruxelles ont réaffirmé le rôle déterminant et souverain du Parlement britannique. L’intervention de la Cour suprême, création réalisée en 2009, accentue l’insécurité juridique et affaibli les prérogatives de l’exécutif, liant les différents locataires du 10, Downing Street aux procédures parlementaires conventionnelles. Aucun Premier ministre n’est maintenant le maître à bord ! Tous ces éléments ont contribué au sabotage du Brexit. L’incompétence britannique rejoint ici la volonté des instances pseudo-européennes soucieuses d’éviter que d’autres États se libèrent de leur emprise eurocratique démente.

Écrivant au moment de la crise financière des « subprimes », l’économiste eurosceptique Jacques Sapir soutient dans La démondialisation (Le Seuil, 2011) l’évolution de la Zone euro, le passage à une monnaie commune et une rupture radicale capable « de remettre la construction européenne sur ses rails et de lui faire emprunter la voie dont elle n’aurait jamais dû s’éloigner, celle du plein emploi et du progrès social ». Avant même le Brexit et les déboires nombreux qui en résultent, il prône l’unité du commandement politique. Il rappelle qu’« on oublie trop souvent la présence dans la Constitution française d’un instrument adapté aux situations d’urgence [...]. C’est l’article 16 ». Utilisé une seule fois en 1961 au moment du putsch des généraux d’Alger, cet article par essence schmittien accorde au président de la République des pouvoirs exceptionnels pour une durée indéterminée. Dans ce contexte particulier, Jacques Sapir propose que « dans le cadre de l’article 16, le gouvernement peut requérir de la Banque de France qu’elle opère des avances de trésorerie libellées en euros pour couvrir une partie de la dette publique qui serait ainsi rachetée par échange de bons du Trésor ». Il faudrait cependant que le chef de l’État qui l’appliquerait, possède un solide caractère. Or le caractère est une denrée rare dans les classes politiciennes britannique et française.

Incapable de s’affranchir des schémas institutionnels inadaptés aux circonstances dues au Brexit, le Royaume-Uni s’érige en parfait contre-exemple en matière de départ de l’engrenage eurocratique. Pour paraphraser un célèbre bolchevik, s’extraire de cette fausse Union n’est pas un dîner de gala, mais plutôt une opération chirurgicale de guerre, d’où le recours salutaire à l’article 16.

Salutations flibustières !

GF-T

« Vigie d’un monde en ébullition », n° 62, mise en ligne le 22 février 2023 sur Radio Méridien Zéro.

Le lien audio est :  https://radiomz.org/vigie-dun-monde-en-ebullition-62-sabotage-du-brexit/ 

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