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En 2019, dix ex-terroristes italiens d’extrême gauche installés en France étaient interpellés dans le cadre d’une opération de police conjointe aux deux pays. Condamnés à des peines allant de onze ans de réclusion à la prison à vie pour plusieurs crimes (dont au moins trois assassinats) commis durant les « années de plomb »  entre 1969 et 1981, ils ont vécu sans être inquiétés pendant quarante ans. Mardi 28 mars, la cours de Cassation française a confirmé le refus de la justice française de procéder à leur extradition.

Giorgio Pietrostefani, Enzo Calvitti, Narciso Manenti, Giovanni Alimonti, Roberta Cappelli, Marina Petrella, Sergio Tornaghi, Maurizio Di Marzio, Raffaele Venturo et Luigi Bergamin resteront en liberté. Une décision qui a eu un vif retentissement dans la péninsule.

Nous avons interrogé Gabriele Adinolfi, fondeur du mouvement Terza Posizione, auteur et animateur de centres d’études, à l’origine du projet Lansquenets d’Europe. Fugitif pendant vingt ans, il a raconté son histoire dans Années de plomb et semelles de vent, aux éditions Les Bouquins de Synthèse Nationale.

 

Breizh-info.com : Cette décision, qui va à l’encontre des propos d’Emmanuel Macron qui déclarait au lendemain de l’arrestation que « ces personnes, impliquées dans des crimes de sang, méritent d’être jugées en Italie », serait motivée par le respect de leur vie privée et familiale et par leur droit à un procès équitable. Un revirement ?

Gabriele Adinolfi : Rien d’étrange, on parle ici de Justice. Dans les années dites de plomb, les autorités italiennes ont été, à bien des égards, responsables de la naissance et de la croissance de ce phénomène. Or, quand elles ont décidé d’y mettre un terme, elles ont introduit des mesures violant les droits des accusés. J’en résume quelques-unes : l’augmentation automatique d’un tiers de la peine pour tout crime qualifié de terrorisme (que l’on m’a appliquée pour ma pièce d’identité !) a créé une discrimination qui n’était pas acceptée par le droit international sans l’introduction simultanée du statut spécial de prisonnier politique, ce que l’Italie a toujours refusé de faire. De plus, la loi des repentis permettait à quiconque d’obtenir de fortes réductions de peine s’il accusait quelqu’un d’autre, sans qu’il y ait besoin que ces accusations soient prouvées. Cela a conduit à la condamnation de nombreux innocents.

Le cas du présentateur de télévision Enzo Tortora, faussement accusé de crimes mafieux, avait fait sensation. Les droits n’étaient pas non plus garantis aux personnes jugées par contumace. Enfin, des délits associatifs (comme la simple appartenance à un mouvement) étaient prévus, délits absents de nombreuses législations. Plusieurs pays ont refusé d’extrader des accusés italiens de ces années, non seulement la France, mais aussi l’Espagne, la Suisse, la Suède, l’Angleterre, l’Autriche. Et cela concerne aussi les inculpés nationalistes. La Cour de cassation n’a fait que poursuivre de manière cohérente ce qui avait été précédemment établi. Le scandale aurait été si elle avait fait le contraire. Le scandale, c’est le cas de Cesare Battisti, une personne absolument ignominieuse. La violation de la Doctrine Mitterrand par Sarkozy, puis l’annulation de la grâce présidentielle de Lula au Brésil pour l’extrader 41 ans après les crimes – sans plus de prescription ! – ça c’est l’anomalie juridique, pas celle dont nous parlons.

 

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Breizh-info.com : La doctrine Mitterrand a protégé de nombreux activistes italiens responsables de violences politiques. La France leur offrait hospitalité et sécurité, à condition qu’ils aient renoncé à la lutte armée et qu’ils n’aient pas commis de crimes de sang. Mais pour un certain nombre d’entre eux, ces crimes de sang sont avérés. Comment comprendre la politique du Président socialiste ? Quel était le dessous des cartes selon vous ?

Gabriele Adinolfi : La Doctrine Mitterrand a pratiquement mis fin au phénomène terroriste. Le sanctuaire rouge des Italiens en France était né au temps de Chaban-Delmas, c’est-à-dire sous Pompidou et s’est poursuivi sous Giscard d’Estaing. Le Réseau Curiel avait aussi bénéficié de la protection de De Gaulle. Il me semble que la décision de Mitterrand était très sage. On ne pouvait pas non plus s’attendre à ce que l’Élysée aide politiquement l’Italie étant donné que durant ces années-là, nos deux pays étaient pratiquement en guerre en Libye et en Tunisie. Je ne sais pas si l’un des dix accusés dont nous parlons a commis des crimes après la mise en œuvre de la doctrine Mitterrand, mais celle-ci a certainement contribué à le faire renoncer à poursuivre les activités criminelles.

 

Breizh-info.com : Alberto Di Cataldo, fils du maréchal assassiné à Milan par les Brigades Rouges en 1978 a déclaré : « plus de 47 ans se sont écoulés, la peine en elle-même ne m’intéresse plus vraiment. La vraie partie n’est pas l’extradition mais savoir si ces dix personnes collaboreront pour comprendre ce qu’il s’est passé durant cette période. » Pensez-vous que la lumière sera faite sur des affaires qui ont composé les années de plomb ? Ou que la vérité est à jamais enterrée ? 

Gabriele Adinolfi : Je le comprends mais il n’y a pas grand-chose à découvrir. Je dirais que tout est connu sur la période, même sur ce que les autorités font semblant d’ignorer pour ne pas admettre d’importantes responsabilités. Je parle des massacres dans les places, dans les trains et dans les gares. Quiconque peut se documenter en croisant les sources avec les déclarations des protagonistes.

Le problème est que pour aller au fond des choses, il faudrait faire deux actions égales et opposées. La première est de reconstruire les scénarios nationaux et internationaux de manière critique, c’est-à-dire sans suivre un schéma banal (du type Gladio ou guerre froide) et se faire sa propre idée. La seconde est de constamment la remettre en question. Parce que si d’un côté, bien des choses n’étaient pas dues au hasard ou spontanées, tout n’était pas, non plus, manipulé et contrôlé à distance. Et il n’est pas certain non plus que les choses se soient toujours déroulées comme les manipulateurs ou même les réalisateurs le souhaitaient.

De plus, la vérité est toujours comme dans le film Rashomon : chaque protagoniste en a une vision différente.

Ce que Di Cataldo doit savoir, c’est que les responsabilités furent collectives et découlent de la carence morale et idéale de toute une classe dirigeante qui pense s’acquitter historiquement en séparant ses responsabilités de celles de ceux qui ont pratiqué la lutte armée. Mais elle est tout aussi responsable.

Propos recueillis pas Audrey D’Aguanno

Source : BREIZH-INFO.com - 31 mars 2023

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