Mardi 2 mai, Gérald Darmanin, interviewé sur BFMTV, faisait état de 406 policiers et gendarmes blessés durant les manifestations du 1er mai, dont un jeune policier de 28 ans, brûlé par un cocktail Molotov envoyé sur les forces de l’ordre.
Les fonctionnaires et leurs représentants parlent désormais de tentative de meurtre et le parquet de Paris a d’ailleurs ouvert une enquête pour tentative d’homicide sur personne dépositaire de l’autorité publique.
Les « black blocs », ces individus qui infiltrent les manifestations pour casser et s’en prendre aux forces de l’ordre, sont dans le collimateur, et une question domine le débat public : beaucoup d’entre eux étant connus des services de renseignement, pourquoi ne les empêche-t-on pas de venir sur les manifestations ?
L'État très frileux
Nous avons posé la question à des policiers et à un ancien membre du renseignement territorial, et les explications divergent. Ces fonctionnaires ont cependant un point en commun : une assez piètre opinion quant à la façon dont le gouvernement lutte contre les violences durant les manifestations.
Pour le professionnel du renseignement, appelons-le Sébastien (le prénom est changé, ndlr) empêcher les black blocs de nuire n’est pas simple. Déjà, d’après lui, en ce qui concerne « l’ultra gauche », l’État est très frileux. Il explique que cette mouvance a des soutiens politiques et surtout, qu’ils ont dans leurs rangs des gens très instruits et organisés.
« Il est aujourd'hui impossible de les empêcher d'arriver dans une manifestation parce même quand ils sont connus du renseignement, ce n'est pas un motif juridique pour les interpeller et les empêcher de venir à une manifestation », déclarait Laurent Nuñez, préfet de police de Paris à Cnews.
Or, d’après Sébastien, les black blocs seraient très au fait du droit. « Les mecs sont très câblés, explique Sébastien, certains peuvent avoir BAC +4 ou5, et même quand on les arrête, ils savent utiliser leur droit à garder le silence, et sinon, ils savent aussi exactement ce qu’ils doivent dire et ne pas dire. Ils sont très cultivés, ils expliquent leur idéologie politique, et résistent très bien à un interrogatoire. De plus, ils ont de très bons avocats, ils sont très bien défendus. »
Le policier affirme même que le contrôle des terroristes est plus simple. « J’ai beaucoup travaillé dans la lutte contre le terrorisme. Finalement, quand on a identifié des terro, c’est plus facile. Ils ne comprennent rien à ce qui se passe. Beaucoup ne sont pas intelligents. Un droit à garder le silence, ils ne savent même pas ce que c’est. Ils mentent mais ils peuvent parler beaucoup. »
Pour les « ultra gauches », ce serait une autre paire de manche. D’après le policier, il y a en fait moyen d’interdire à certaines personnes fichées de manifester ou de les assigner à résidence. Mais dans ce dernier cas, le gouvernement hésite car « il s’est souvent fait défoncer par les tribunaux ».
« Il est vrai qu’il faut être prudent », reconnaît Sébastien, « tu peux être fiché S simplement parce que tu connais quelqu’un qui est déjà fiché. Ça ne veut pas dire que tu es soupçonné de commettre des délits. Ça peut tenir au fait que tu bavardes tous les matins avec un voisin fiché S avant d’aller au boulot. Si tu te fais contrôler pour X raison, on sera plus vigilant avec toi. On regardera avec qui tu es, où tu es… Tu ne t’en rendras même pas compte ».
Volonté molle
Reste que certains individus violents, qui n’en sont pas à leur coup d’essai, sont très clairement identifiés et qu’il y aurait une volonté molle de tenter de tout faire pour les neutraliser. « Je crois que l’ennemi vient beaucoup de l’intérieur », commente Sébastien.
Prendre des black blocs en flagrant délit n’est pas facile non plus parce qu’ils sont organisés. « Quand ils viennent sur les manifs, ils n’ont rien de répréhensible sur eux. Ils ont préparé leur coup. Ils ont laissé leurs cagoules, leurs projectiles, la veille, cachés dans des cours, des porches… Ils les récupèrent au dernier moment puis rentrent dans la manif. Et jettent parfois des trucs de fous sur les fdo : oui, des cocktails Molotov, mais aussi de l’acide, ou de la merde dans laquelle on a fait se développer des cultures de bactéries, des sortes de 'bombes bactériologiques' ! ».
La mission des policiers du renseignement est « d’identifier, de photographier et de loger » les black blocs. Ils peuvent les mettre sur écoute pour prévoir leurs actions. Ils les infiltrent durant les manifestations, eux aussi cagoulés et habillés de sombre avec des capuches, pour les observer et éventuellement enrichir leurs listes. Par contre, il leur est strictement interdit d’intervenir. Même s’ils reconnaissent une personne dangereuse, déjà connue de leur service, ils ne doivent pas l’interpeller mais se contenter de la signaler. Il en va de même pour un individu interdit de manifester ou qui vient de commettre un délit ; ils ne peuvent pas l’arrêter.
« On serait tous grillés en moins de deux », explique Sébastien. « À moins qu’ils ne s’apprêtent à tuer quelqu’un, on ne doit rien faire. Un mec qui a commis un délit, il sera recherché et éventuellement arrêté plus tard, mais pas par nous. »
Et de nous raconter une fois où lui et son équipe était filature. Ils devaient identifier un individu soupçonné d’être un « ultra » dangereux. De fait, le suspect a tenté de mettre le feu à un véhicule de police sous leurs yeux. Un membre de l’équipe n’a pas pu se retenir et il a interpellé l’individu. Il s’est fait vertement réprimandé par sa hiérarchie.
« S’ils voulaient vraiment arrêter les violents, ils le feraient »
Quand nous évoquons les manifestants massivement arrêtés et tout aussi massivement relâchés, Sébastien est sévère ! « Tout ça, c’est de la merde ! On n’arrête pas les bons ! C’est pour de faire peur aux gens ou c’est de la comm’. »
Il n’a d’ailleurs pas une très bonne opinion des gouvernements en matière de maintien de l’ordre. « Ils font de grandes campagnes de pub avant de penser à l’efficacité. Regarde ce qui s’est passé à Mayotte. Ils ont envoyé une équipe du Raid faire du maintien de l’ordre en situation dégradée. Ça fait bien à la télé, sauf que le Raid n’est ni formé, ni équipé pour ce genre d’intervention ! Il y a les élites du maintien de l’ordre pour ça, comme la CRS 8 (ndlr : la CRS 8 est une unité de deux cents CRS recevant un entrainement spécial, extrêmement mobile et pouvant être mobilisée 24 heures sur 24). Ils ont d’ailleurs fini par l’envoyer ».
Les autres policiers que nous avons questionnés ne montrent pas plus d’indulgence envers le gouvernement en ce qui concerne la tenue des manifestations.
« S’ils voulaient vraiment arrêter les violents, ils le feraient », nous affirme un fonctionnaire de la DOPC (Direction de l’ordre public et de la circulation, ndlr). « Ils ont bien su contrôler des cartons rouges ou interdire des casseroles ! »
Un policier d’un service d’intervention va encore plus loin : « Dans mon service, on pense tous que les violences arrangent bien le gouvernement parce que ça décrédibilise les mouvements sociaux. Quand il y a un blessé chez nous, ils s’offusquent, mais au fond ils s’en foutent. On est de la chair à canon. Regarde les drones qui permettent de repérer les groupes de black blocs rapidement et éventuellement de les neutraliser plus vite. Pourquoi on n’a pas décidé de les utiliser avant ? La loi était votée il y a plus d’un an ! »
Cette dernière analyse est évidemment à prendre avec la plus grande réserve et n’engage pas France-Soir.
Laurence Beneux, France-Soir - 05 mai 2023