Dans un précédent article « Olivier Duhamel accusé de pédophilie : l’affaire du siècle ? », nous avions analysé son cursus républicain exemplaire jusqu’à ce poste envié de président de l’association « Le Siècle », au cœur du pouvoir selon la judicieuse expression d’Emmanuel Ratier le premier à l’avoir étudiée. Nous avions constaté cette omerta dont il a bénéficié jusqu’à la sortie du livre de Camille Kouchner La familia grande.
Dans Le Parisien du 24/01, Julien, l’aîné des trois enfants de Bernard Kouchner et d’Évelyne Pisier, a déclaré : « Dans notre cercle, beaucoup savaient les agissements d’Olivier Duhamel ».
Ce silence complice des actes délictueux d’un membre important de ces réseaux, qui sont au cœur du pouvoir, ne traduit-il pas un passage de la démocratie à l’oligarchie ?
Quelles sont les personnes de ce « cercle » qui auraient pu savoir et qui ont gardé le silence ? À quels réseaux, point de rencontre de divers lieux de pouvoir : politique, médias, enseignement… dont Olivier Duhamel avait réussi à être un acteur central, appartenaient-elles ?
Parmi les plus proches et les plus connues, on rencontre Jean Veil, Alain Minc, Daniel Cohn Bendit, Robert Badinter, Élisabeth Guigou, Bernard Kouchner, Aurélie Filipetti, Nicole Belloubet, Marc Guillaume, Thierry Solére, Frédéric Mion, feu Richard Descoings, feu Guy Carcassonne, Christine Ockrent, Ali Baddou, Nicolas Demorand, Claude et Antoine Gallimard…
Certains sont adhérents du Siècle, incontournable dans cette affaire, d’autres anciens ministres ou proches des présidents de la République et des gouvernements, dirigeants de Sciences politiques, journalistes de médias de référence, intellectuels ou membres du cercles culturels qui donnent le la. La grande majorité gravite autour de l’État ou de l’administration.
Si tous n’étaient pas au courant, ils appartenaient à ces lieux de pouvoir, ces réseaux où Olivier Duhamel avait réussi à être un véritable chef d’orchestre. Par contre, ceux qui fréquentaient la villa de Sanary ne pouvaient ignorer le style de vie de « la familia grande », décrite précisément par Camille Kouchner.
Le 5 janvier dernier, Ariane Chemin tenait déjà ce discours : « Beaucoup de gens savaient », particulièrement « l’élite bourgeoise de gauche qui côtoyait les Pisier, Kouchner et Duhamel. » La journaliste du Monde avait même précisé que l’omerta aurait pesé sur « une centaine de personnes. »
Quelques figures de ces réseaux de l’État profond en relation avec Olivier Duhamel :
Jean Veil, pilier du Siècle, « l’ami absolu », savait et s’est tu
Fils de Simone Veil, ami d’enfance, « ami absolu » comme feu Guy Carcassonne selon ses propres dires, savait depuis au moins dix ans et s’est-tu selon l’enquête d’Ariane Chemin dans le journal Le Monde du 27 janvier. La première fois, entre 2008 et 2011 c’est l’actrice Marie France Pisier, compagne de Daniel Cohn-Bendit, belle sœur d’Olivier Duhamel et tante des enfants Kouchner, qui était venue lui en parler. En 2013, Olivier Duhamel lui-même avouera tout à Jean Veil. Il gardera le silence au prétexte du secret professionnel, tout en refusant d’être son avocat si l’affaire devenait publique.
Ils s’étaient connus jeunes chez leurs parents respectifs, proches politiquement, qui se fréquentaient. Jean Veil, qui fera de nombreux séjours estivaux à la villa des Duhamel à Sanary, a accompagné Olivier Duhamel dans tous ses parcours professionnels au point qu’il l’a pris comme associé de 2011 à 2016 dans son très réputé cabinet d’avocats. En 2014, ils cosigneront un livre « La parole est à l’avocat ».
En effet, Jean Veil a défendu des grands noms de la politique : Jacques Chirac dans l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris, Dominique Strauss-Kahn dans celle de la MNEF entre autres, François Léotard, Jérôme Cahuzac dans celle de la fraude fiscale.
Jean Veil, accusé de n’avoir pris aucune mesure à l’encontre de son ami Olivier alors qu’il était au courant de ses agissements, finit par démissionner du Siècle le 15 janvier.
Marc Guillaume, homme clé du Siècle, de Sciences Po et de la revue Pouvoirs, savait-il ?
Diplômé de Sciences Po. (promotion 1989), puis de l’ENA (promotion Victor Hugo 1991), il intègre le Conseil d’État en 1991, à sa sortie de l’ENA. De 1996 à 2007, il occupera des postes clefs dans divers ministères (Défense, Justice).
En 2007, il devient secrétaire général du Conseil constitutionnel, présidé par Jean-Louis Debré et y restera jusqu’en 2015. Selon divers témoignages, il y jouera un rôle essentiel dans l’évolution de cette institution pour intervenir et censurer les décisions du Parlement, en particulier avec l’instauration de la QPC, question prioritaire de constitutionnalité.
En mars 2015, sous la présidence de François Hollande, Marc Guillaume est nommé secrétaire général du gouvernement. Marianne le décrira comme « le technocrate le plus puissant de France » affirmant qu’il « a davantage d’influence que bien des ministres ».
Il le restera après l’élection d’Emmanuel Macron. Il y retrouvera Benoît Ribadeau-Dumas, qui est directeur du cabinet du Premier ministre Edouard Philippe, tous trois passé par le Conseil d’État.
D’après la revue Contexte, il « n’hésite pas à sortir de son rôle de conseiller juridique du Premier ministre pour présider — à la place du directeur de cabinet — les réunions interministérielles (RIM) et émettre un avis sur l’opportunité politique des textes… Marc Guillaume auditionne tous les candidats que le gouvernement envisage de nommer en Conseil des ministres – c’est-à-dire rien de moins que les préfets, les directeurs d’administrations centrales, les ambassadeurs… ». Il rédigera aussi le projet de réforme constitutionnelle.
Laurent Mauduit et Martine Orange de Mediapart affirment qu’il est « même capable de mentir publiquement, afin de ne pas bousculer ou importuner des puissants », « comme Mediapart en a établi la preuve lors d’une enquête sur la rémunération illégale perçue par des parlementaires siégeant à la commission de surveillance de la Caisse des Dépôts ».
Jean Castex s’en séparera le 15 juillet 2020 et le nommera préfet de la région Île-de-France et préfet de Paris.
En parallèle, il était membre du conseil d’administration de Sciences Po, membre puis vice-président du Siècle, codirecteur de la revue « Pouvoirs », créée et dirigée par Olivier Duhamel, dont on voit combien il en était proche.
Victime collatérale du scandale, le 13 janvier 2021, il a démissionné de toutes ces positions, tout en déclarant ignorer « totalement » les actes d’Olivier Duhamel et qu’il « condamne absolument ces actes ». Sollicité par Le Monde, il refuse d’indiquer s’il avait été alerté des faits début 2018.
Frédéric Mion, à la tête de Sciences Po, savait également et s’est tu
Major de la promotion Victor-Schoelcher de l’ENA en 1996, Frédéric Mion entre au Conseil d’État, tout en enseignant comme maître de conférences à Sciences Po. Il dirigera la section « service public » et la prép’ENA. Il sera conseiller au cabinet de Jack Lang, ministre de l’Éducation nationale, puis adjoint au directeur général de la fonction publique avant de rejoindre le secteur privé (avocat, secrétaire général de Canal +).
Il est réputé proche d’Edouard Philippe, l’ancien premier ministre d’Emmanuel Macron, comme Marc Guillaume.
Le 1er mars 2013, Frédéric Mion est élu à la tête de Sciences Po. Il succède ainsi à Richard Descoings. L’élection a été validée par Mme Geneviève Fioraso, ministre de l’Enseignement supérieur, et par François Hollande, Président de la République, le 29 mars 2013. Il entre en fonction le 2 avril 2013. En 2018, il sera reconduit pour un nouveau mandat.
Frédéric Mion est très engagé pour l’égalité femmes-hommes. En 2011, il soutiendra aussi l’action de l’association Isota qui milite pour le mariage et l’adoption d’enfants par des couples homosexuels.
Dès 2018, Frédéric Mion est averti par Aurélie Filipetti des faits reprochés à Olivier Duhamel, enseignant lui aussi à Sciences Po et par ailleurs directeur de son organisme de tutelle, la Fondation Nationale des Sciences Politiques. Il n’en tiendra pas compte. Pire, il se dira stupéfait par la nouvelle le 4 janvier, avant de reconnaître en avoir été averti en 2019 et de mettre en cause Jean Veil pour se justifier de son silence. Il affirme : « Je vais trouver à son cabinet Jean Veil, avocat dont Olivier Duhamel est l’associé. […] Il m’assure qu’il ne s’agit que de rumeurs. Je me suis laissé berner ». Selon l’article du Monde, Jean Veil confirmera « C’est vrai, Frédéric Mion est venu à mon bureau. Je lui ai caché la vérité. » Il y a quelques jours, il se serait excusé, par SMS, auprès de l’intéressé « de ne pas avoir pu lui dire ».
Il serait proche d’Edouard Philippe, l’ancien premier ministre d’Emmanuel Macron, comme Marc Guillaume.
Bernard Kouchner, Aurélie Filipetti, deux anciens ministres, savaient et se sont tus
Camille Kouchner révèle qu’en 2009 son frère a averti leur père des actes sexuels commis par son beau-père. L’ancien ministre et son épouse, la journaliste Christine Ockrent, se sont rangés à son refus de porter plainte.
On a vu que dès 2018, Aurélie Filipetti en avait informé Frédèric Mion.
Élisabeth Guigou, ancienne garde des Sceaux, membre du Siècle, hiérarque socialiste, féministe, intime de la famille Duhamel, dans L’Obs, assure avoir « découvert cette histoire dans la presse cette semaine ». Ajoutant, « Le silence pendant des années de cette famille, que je connais, nous montre combien il faut être courageux pour que ce tabou puisse être levé. Nous côtoyons tous des victimes et des agresseurs sans le savoir, je ne fais pas exception à la règle », s’exonérant à bon compte de toute responsabilité.
Pourtant, elle fréquentait très régulièrement la villa de Sanary, où s’étalaient des relations équivoques entre adultes et adolescents. Comme ancienne Garde des Sceaux, n’a-t-elle jamais entendu parler d’un début de dépôt de plainte sans suite en 2011 sur ces relations pédophiles ?
Cela ne l’a pas gênée pour accepter la présidence de la commission sur l’inceste et les violences sexuelles contre les enfants. Suite au scandale, elle a fini par en démissionner le 13 janvier 2021.
De la démocratie à l’oligarchie
À travers ces quelques figures de l’entourage d’Olivier Duhamel et de son parcours personnel, que peut-on constater au-delà de l’omerta dont il a bénéficié qui probablement a pu lui faire croire qu’il était au-dessus des lois ?
Rôle de Sciences Po., l’ENA, le Siècle
La majorité de ces personnages sont des hauts fonctionnaires qui ont suivi ce cursus en passant par des grands corps, en particulier le Conseil d’État, et sont devenus des membres éminents du Siècle. Raphaêlle Bacqué du Monde les décrit ainsi : « ce qui fait le cœur des élites françaises, Sciences Po et Le Siècle Autant dire l’école du pouvoir et le club de la nomenklatura.
Ils sont proches des présidents de la République et des membres des gouvernements, mais n’ont pas reçu de mandat du peuple souverain. Pourtant, ils sont les moteurs des changements politiques et sociétaux.
Ainsi, Olivier Duhamel a réussi à agir hors des partis, à influencer les gouvernements par-delà les alternances. Raphaëlle Bacqué du Monde en fait le portrait suivant : “Olivier Duhamel y incarnait une forme de permanence des coteries françaises, transpartisanes et intemporelles” tout en y incarnant “une science du réseau qui est, plus efficacement que la connaissance du droit, le moteur du pouvoir.”
Par exemple, sous la présidence de Jacques Chirac, il a été, en 2001, l’un des initiateurs de l’inversion du calendrier des élections législatives et présidentielles, ce qui a transformé radicalement les institutions.
Par la suite, lors des obsèques de sa femme Evelyne, il n’hésitera pas à passer le bras autour des épaules de François Hollande, démontrant ainsi leur proximité.
De même, en avril 2017, Olivier Duhamel se retrouve à la table de la salle à manger de Sciences Po avec Frédèric Mion et Brigitte Macron. Depuis des mois, il distribue conseils et notes à son mari qu’il espère être bientôt élu. Ismaël Emelien, le conseiller politique du futur président, a été son élève ici même, rue Saint-Guillaume. “Mon meilleur poulain”, répète le politiste.
Le pouvoir d’une oligarchie : la révélation majeure derrière ce scandale sexuel et cette omerta
Comme l’a analysé Xavier Raufer sur Bd Voltaire : “la gauche caviar a monopolisé tous les pouvoirs, le pouvoir médiatique, politique et littéraire… Ces gens-là définissaient ce que tout le reste de la société ou presque était prié de penser.”
Les rôles étaient bien répartis dans la famille : aux Duhamel, les leçons de républicanisme, aux Kouchner celles d’humanisme, aux Pisier celles de féminisme : soit la gauche de progrès dans toute sa splendeur médiatique.
Comme l’a observé Ariane Chemin du Monde, reprenant l’expression de Camille Kouchner : ». » D’une certaine manière, on le voit régner sur ce banquet de la maison de Sanary, dans le Var, où tout le monde venait passer ses vacances tout l’été. Mais il régnait aussi à Sciences Po, c’est lui qui rythmait les rentrées avec sa conférence inaugurale. Il était le roi partout ».
N’est-ce pas la véritable leçon de cette affaire, l’existence d’une nomenklatura, d’une oligarchie qui tient le pouvoir à la place du peuple souverain et de la démocratie officielle ?
Restent plusieurs questions sans réponse à ce jour :
- Pourquoi Camille Kouchner a-t-elle choisi de publier maintenant ces révélations ?
- Comment a-t-elle pu bénéficier d’une telle complicité pour qu’Olivier Duhamel et ses réseaux ne soient pas au courant ?
- Quels sont les objectifs de Louis Dreyfus, mari de Camille, lui-même un des dirigeants du Monde et de l’Obs, les deux médias qui ont assuré le service après-vente de Camille Kouchner ?
- Avec ces démissions en cascade des vieux dirigeants de ces organismes, n’assiste-t-on pas à un changement de génération dans le contrôle de ces réseaux ?
Jean Theme
Sources : Breizh-info.com, 2021