Nous vous présentons une autre traduction exclusive, que nous a suggérée l'équipe Nomos (Argentine), cette fois il s'agit d'un article de Diego Fusaro qui met en évidence la censure tacite impliquée dans la persécution des « discours de haine ». Il s'agit d'une doctrine anglo-saxonne qui trouve un écho croissant dans les médias locaux dans la cône sud de l'Amérique ibérique, notamment dans ceux qui se veulent « progressistes ». Cela va à l'encontre de l'exercice critique dont devraient faire preuve ceux qui prétendent combattre le (faux) « sens commun » construit par les médias hégémoniques.
Si nous voulions nous exprimer en suivant Spinoza, nous devrions dire que la haine est une « passion triste » parce qu'elle s'oppose aux passions euphoriques de la joie et du plaisir ; de la galanterie et de l'enthousiasme entreprenant. Toutefois, et à l'instar de Spinoza, la haine doit être comprise dans son déploiement plutôt que ridiculisée ou diabolisée.
Une chose est certaine et évidente: la pensée unique est bien là; c'est la pensée politiquement correcte et éthiquement corrompue qui sert de fond idéologique permanent à la domination de la classe hégémonique cosmopolite, elle utilise toujours le prétexte de la pathologie pour délégitimer tout corps sain. Ce n'est pas pour rien que pour les aedos (1) cosmopolites de la « catéchèse à un mot » et du « sentiment global de même acabit », la famille (corps sain) est, en tant que telle, féminicide, patriarcale et rétrograde (donc pathologique). Même la patrie, en tant que telle, est un nationalisme belliqueux. Le non sequitur (2) est flagrant: ce serait comme si l'on disait que le poumon est, en tant que tel, une pneumonie. Et que donc, pour combattre la pneumonie, il convient de combattre le poumon. Prodiges du « nouvel ordre mental » !
En termes analogues, nous pourrions dire que la haine est la variante pathologique de la critique et de la dissidence. La critique et la dissidence, en elles-mêmes, sont un corps sain qui doit être protégé et défendu pour qu'il se développe bien et ne dégénère pas en d'éventuelles pathologies. Parmi lesquelles il y a précisément la haine, qui est la dissidence portée à sa figure hyperbolique. L'endroit où la colère l'emporte sur la raison et la vis (3) destructrice sur la confrontation critique.
La morale est que nous devons combattre la haine et, en même temps, valoriser et protéger la critique et la dissidence, qui sont, par ailleurs, le sel de la démocratie. Un régime qui, en théorie, devrait être le seul à protéger la critique et la dissidence sur la base de la libre confrontation entre ceux qui sont différents.
L'opération des monopolistes du discours dominant et leur « catéchèse sous-culturelle » consistant à imposer le schéma des relations de pouvoir asymétriques est facile à identifier: il suffit de regarder le modus operandi de Fabio Fazio [animateur et producteur de télévision italien, N.d.E.], nuncius sidereus (4) poli, bon enfant et cynique mais aussi impitoyable, qui a récemment lancé sa énième « campagne contre la haine ». Une campagne dans laquelle - c'est le point - la « haine » est simplement tout ce qui s'oppose au monopole de cette haine de classe autorisée par les maîtres du chaos sans frontières; c'est-à-dire la haine que Fazio lui-même, avec son sourire aussi authentique que « l'amour de l'humanité » proclamé par les patrons cosmopolites, ne manque jamais une occasion de célébrer en prime time.
Mais quelle est la haine que les apôtres de la société arc-en-ciel opposent à la marchandise? Est-ce la haine en tant que violence quotidienne, verbale et physique envers les autres? Seulement en apparence. Ce genre de haine quotidienne, il va sans dire, est une chose à laquelle nous nous opposons tous. Il est même tautologique de le répéter. Mais cette haine est précisément celle que les aedos du classisme sans frontières (5) utilisent comme outil pour frapper une autre haine, celle qu'ils tiennent vraiment à éradiquer. Le fait est que les maîtres du discours à sens unique ont, en réalité, un autre objectif: utiliser le noble label de la « lutte contre la haine » pour frapper toute figure de la critique et de la dissidence contre la société réifiée, contre la dictature permanente des marchés et contre le cosmo-mercadisme des détenteurs de liquidités financières.
C'est le non sequitur habituel: utiliser la pathologie de la haine pour frapper le corps sain de la critique et de la dissidence. Avec le paradoxe qu'ils doivent, dans le même temps, identifier comme « haineux » ceux qui ne font que critiquer les contradictions de la société marchande. De cette façon, la lutte contre la haine devient une lutte contre la liberté de critique et de dissidence. Cette liberté sera de plus en plus - soyez-en sûrs - calomniée et ostracisée au nom de la « lutte contre la haine ». Par la baguette magique du clergé journalistique habituel, les gilets jaunes et les penseurs non-alignés deviennent des « haters ». Et, en tant que tels, « ils doivent être combattus ».
C'est ainsi qu'est générée la figure paradoxale de la haine contre les haineux. C'est-à-dire que la haine du Capital contre ce qui peut le renverser ou simplement le désigner comme la source du conflit principal s'auto-légitimise en se présentant comme une réponse polie, démocratique et soignée aux « vrais haineux », c'est-à-dire à ceux qui ne sont pas alignés sur le « nouvel ordre mondial » au niveau socio-économique, ou sur le « nouvel ordre mental » au niveau des superstructures.
Et tout cela, d'autre part, à une époque - celle de la « nuit du monde » comme dirait Hölderlin - au cours de laquelle la haine des classes cosmopolites envers les couches nationales-populaires, les classes moyennes et les classes populaires a déjà atteint des niveaux sans précédent.
Donc, s'il y a une haine légitime - la seule - c'est, à mon avis, celle par laquelle la classe dominée des mondialisés-malgré-eux répond à la haine que les classes dominantes lui déversent quotidiennement, par le haut, de manière unidirectionnelle. De même que la seule guerre légitime est la guerre de résistance, la seule haine légitime est la haine de la résistance. Eduardo Sanguinetti l'a bien exprimé en 2007 : « Parce qu'ils nous détestent, nous devons répondre. Ils sont les capitalistes, nous sommes les prolétaires du monde d'aujourd'hui ».
Diego Fusaro
Notes:
1. Les aedos (du grec ἀοιδός, aoidós, « chanteur », « aède », qui vient lui-même du verbe ἀείδω, aeidoo, « chanter ») étaient, dans la Grèce antique, des artistes qui chantaient des épopées accompagnés d'un instrument de musique.
2. Du latin, signifie littéralement « ne suit pas » et fait généralement référence à un type de sophisme logique dans lequel la conclusion ne découle pas des prémisses.
3. Du latin, force, vigueur.
4. Du latin, « nonce sidéral » ou, plus simplement, « messager des étoiles ». Il s'agit d'un jeu de mots qui tient compte du fait que la personne à laquelle il est fait allusion, Fabio Fazio, est une « star » de la télévision et un présentateur/représentant d'autres stars.
5. De l'anglais, « sans frontières ».
Ex: https://nomos.com.ar/2020/05/01/la-lucha-contra-el-odio-como-forma-de-censura/