Le trafic sexuel des enfants est l'un des commerces les plus lucratifs, les tout jeunes garçons et filles pouvant être vendus un grand nombre de fois. Et il y a de la demande, à l'image de cet ancien professeur de français à Singapour condamné le 7 novembre à Paris à vingt ans de réclusion criminelle. De 2014 à 2017, l'homme de 56 ans avait violé 25 enfants malaisiens. Il documentait ses actes. « On visionne des contenus pédocriminels tous les jours, mais ceux-là étaient particulièrement écœurants », confia la PJ au tribunal.
Sound of Freedom (Le son de la liberté) montre cette réalité et la caméra d'Alejandro Monteverde le fait pudiquement, ce qui permet à tous les publics d'aller voir ce film sorti mercredi en France. De petits innocents sont volés à des familles pauvres du Sud pour être convoyés jusqu'à leur lieu de torture, en l'espèce une île paradisiaque des Antilles. Ignorant la ruse des réseaux prédateurs, des parents se laissent piéger. Le film commence au Guatemala : un papa conduit Timoteo et Rocio à un concours de mode. Mais la porte se referme et on lui prend son fils et sa fille.
Un homme va ouvrir cette trappe du destin. C'est un agent fédéral américain, Tim Ballard, père de six enfants. De son propre chef, ce mormon va se lancer dans une incroyable opération de sauvetage jusqu'au fin fond de la Colombie. Mission impossible ? Oui mais on est loin des acrobaties de Tom Cruise. Le ton est profond, angoissant, le rythme parfois lent. Surtout : le film raconte une histoire vraie et le scénario demeure « proche de la réalité », souligne Hubert de Torcy, patron de Saje distribution, qui en a les droits pour la France.
Sound of Freedom est projeté dans 215 salles dont 3 à Paris. Dans la capitale, 2 se sont désistées au dernier moment. Pourtant, juste avant la journée mondiale pour la prévention des abus envers les enfants et la journée internationale des droits de l'enfant (19 et 20 novembre), un tel film aurait dû recevoir un accueil favorable unanime. Or, c'est l'inverse qui s'est produit. La plupart des critiques l'ont assassiné, parfois sans même l'avoir vu.
La raison en est que Sound of Freedom est porté aux États-Unis par les adeptes de la mouvance QAnon qui, note Marianne, voit dans ce film « une de leur croyance, selon laquelle (…) une élite mondiale abuserait d'enfants et organiserait des rites sataniques en vue de les sacrifier », le but étant de se procurer l'adrénochrome, élixir de jouvence fabriqué grâce au sang des victimes capturées.
Le problème, c'est que le film ne parle pas du tout de ça. C'est ce qui l'entoure qui en déforme ou en exploite le message. Cela est dû à l'acteur principal Jim Caviezel. Favorable aux thèses de QAnon, le Jésus de Mel Gibson a profité du film pour se répandre dans les media, d'autant plus qu'il en a eu le temps. Cinq ans ont séparé la production de la diffusion, de quoi nourrir la machine à fantasmes. « L'île sexuelle de Jeffrey Epstein n'est pas la seule qui existe. » Des phrases comme ça, Caviezel en a sorti à la pelle. Faut-il en tenir compte ? Ne pas le faire est illusoire. Mais le faire reviendrait à soupçonner Mission impossible de servir la cause scientologue de Tom Cruise.
Cela dit, en choisissant Caviezel, Monteverde ne pouvait pas ignorer qu'une polémique ferait enfler le film, en extrapolerait le thème, et peut-être était-ce son intention. En tout cas, son calcul fut payant. Sound of Freedom a rapporté plus de dix fois ce qu'il a coûté (184 millions de recettes pour un budget de 15 millions de dollars), « surpassant, selon Allociné, des blockbusters comme Fast X, Indiana Jones 5 ou Mission Impossible 7 ».
Le succès de ce film est aussi lié à une mobilisation plus vaste à travers l'achat groupé de billets (système du « pay it forward ») et l'écho que lui ont donné Donald Trump et Elon Musk dont le réseau X (ex-Twitter) diffusera Sound of Freedom dans le monde entier.
La leçon, c'est que le complotisme est encouragé par ceux qui le dénoncent. Ce qui motivait la critique en France, c'était de répéter le discours de la gauche US hostile à la droite trumpiste, alors qu'un public français aurait attendu plus d'indépendance de la part de journalistes qui ne sont pas américains.
Cette polémique importée des États-Unis est un cas d'école, une sorte d'effet Streisand où, par maladresse ou obsession, on relaie ce que l'on refuse, alors qu'une attitude raisonnable aurait mis ce film à sa juste place, d'autant que Sound of Freedom n'est pas pollué par des faith touches et autres balourdises évangéliques qui navrent et amusent à la fois notre esprit voltairien. « Les enfants du bon dieu ne sont pas à vendre » en est l'une des phrases fortes. Tout le monde peut l'entendre. À cette traite inhumaine il ne fallait pas ajouter un mauvais traitement médiatique.
Louis Daufresne - le 17/11/2023 - Photo : Angel – Saje
Source : LA SÉLECTION DU JOUR (LSDJ)