Réponses à Patrick Burandelo, « artiste engagé » par Frédéric Andreu
Il m'a fallu bien des lectures avant de comprendre, au sens plein du terme, ce que cache l'art conceptuel. Pour moi, l'histoire de l'art n'apporte qu'un faible éclairage sur l'art conceptuel. L'anthropologie permet d'entrevoir autrement la question de l'AC. L'art conceptuel s'inscrit en fait dans un sillon bien antérieur à Marcel Duchamp et son célèbre bidet. Il recycle en réalité le dispositif inscrit dans les religions monothéistes. La suprématie très française de « AC » par rapport aux autres courants d'art - seul art officiel - m'a donné la puce à l'oreille.
Il est en effet révélateur que le Conceptual Art refuse les autres courants de l'art. Yahve rejette, par essence, les dieux multiples. C'est toute l'histoire de la Bible. Ce dispositif, et son appareil argumentatif, n'est donc pas nouveau. Nous n'en avons pas fini avec ce processus sous sa forme sécularisée. En fait, tout est contenu dans la formule de Marcel Gauchet : « A mesure que le christianisme recule comme religion instituée, il triomphe comme idéologie ». L'AC marquerait donc l'aire d'un triomphe idéologique, la Société du Spectacle et ses idoles cultuelles et médiatiques.
L'AC reflète un pouvoir oligarchique, financier et étatiste
Oui, tout cela a été montré avec précision notamment par Aude de Kerros. Notons que ce n'est peut-être un hasard si l'Art Conceptuel apparaît dans un contexte impérial : celui du néolibéralisme mondialisé. Ses liens avec les États-Unis ne sont plus à démontrer. Le sans-frontiérisme cherche à inventer de nouvelles normes comportementales et des valeurs dites « sociétales ». Le Wokisme. En fait, tout ce qui peut subvertir et remplacer les anciennes valeurs sous l'horizon du « monothéisme » du Marché.
La religion chrétienne est apparue, elle aussi, dans un contexte impérial. L'Empire est une échelle politique hors norme, au delà des nations, des tribus, des clans. Il a besoin d'une religion politique pour s'imposer. Le but de l'empereur Constantin était politique, créer une unité religieuse dans l'Empire en proie à l'éclatement. En imposant notamment le Culte Impérial.
C'est pourquoi critiquer l'Art Conceptuel avec les catégories esthétiques traditionnelles n'est pas seulement vain, c'est aussi tomber dans un piège sémantique. Redoutable piège dans lequel le critique est toujours perdant.
En fin de compte, l'art conceptuel serait-il d'essence monothéiste ?
Il s'agit plus exactement d'une « monolatrie », empreinte de messianisme. Un calque du judaïsme. La question simple que je pose est : le monothéisme est-il le meilleur moyen de lutter contre un autre monothéisme ? A mon sens, une réponse complexe, ne peut être positive. Le « polythéisme » contient davantage de profondeurs et de richesses. La plupart des opposants à l'AC le rejette au nom d'un autre monothéisme, d'un passéisme, d'autre clergé, alors qu'il existe une autre réponse dont les ressorts se trouve dans notre tradition. Précisons qu'il ne s'agit aucunement de dresser des temples à Zeus ou Vénus, mais de recourir à la conception antique du monde. La nature comme socle, la beauté comme horizon ! Est vrai et bon, ce qui est beau.
En outre, le polythéisme célèbre la diversité, sceau du réel. Les dieux sont des puissances symboliques du dévoilement, du vrai par degrés, ce qui reflète au mieux le processus créateur de l'artiste. L’œuvre d'art, dit Heidegger, contient un reliquat de tradition archaïque.
L'idée que l'homme est créé en créant. Démarche que l'on retrouve au cœur de toutes créations véritables. Au rebours de cette antique sagesse, c'est la planification qui fabrique l'AC, pas la création. Cette planification est étrangère à l'alétheia grecque. L'AC est un produit hors-sol, un produit surgelé sans vie. Il appartient au même logiciel subliminal que les valeurs sociétales, le climat, la transition de genre, qui cherchent à s'imposer comme autant de vérités révélées.
L'essence remplaciste de l'AC
Autre point commun avec le monothéisme, l'AC occupe bien souvent les lieux dévolus à l'art. La grande salle du château de Versailles occupée par un homard géant de Koons. Cela indique l'essence hautement remplaciste de l'AC. Exactement comme la technique n'est technique qu'en remplaçant la nature, l'AC n'est AC que par remplacement.
L'AC est un double subliminal de l'art, le double de tous les doubles. Il est hors lieu mais aussi hors temps, tel que le monolithe insolite dans 2001 l'Odyssée de l'Espace.
Une parabole du futur de l'Humanité : des primates découvrent un monolithe. Dans ce temps, l'IA aura remplacé l'Humanité. Mais elle aura crée son artefact conceptuel.