IL FAUT PENSER À NOTRE ÂME
Ce titre va peut-être choquer certains, qui considèrent que seuls ont le droit de prétendre avoir une âme ceux qui s'inscrivent dans la tradition biblique. Mais l'âme dont je parle est l'âme collective car le sort de l'âme individuelle est affaire des choix de chacun et ne relève que d'options personnelles.
Quand nous parlons d'âme collective, il s'agit de cette dimension spirituelle spécifique que nous portons en nous et qui contribue, en bonne part, à nous faire ce que nous sommes. Cette dimension fonde notre identité, expression d'une conception du monde qui est le fruit d'un héritage bioculturel, résultat d'une complexe alchimie où s'unissent nature et culture. C'est dire que notre âme est signe d'appartenance à un groupe déterminé d'êtres humains que l'on appelle une ethnie.
Parce qu'il y a une ethnie européenne, il y a une âme européenne, forgée par les millénaires. Elle vit en nous comme elle vivait en Cro-Magnon. A ceci près que le Progrès, cette utopie mortifère, nous a fait oublier, abandonner, trahir des réflexes vitaux qui ont permis à Cro-Magnon de survivre. Si bien que notre âme n'est aujourd'hui vivante qu'au plus intime d'un nombre limité de personnes. Et ce sont ces personnes, et elles seules, qui nous importent. Ce qui élimine de notre horizon beaucoup de gens, qui sont nos contemporains, vivent sur le même sol que nous et ont même, éventuellement, en poche la même carte d'identité "nationale" que nous mais qui sont pour nous des étrangers puisque nous n'avons rien d'essentiel, rien de fondamental en commun avec eux. Leur sort nous indiffère.
Les signes envoyés de divers côtés par le Système en place nous confortent dans ce choix. Ainsi lorsque Chirac, à l'occasion d'un recensement en Nouvelle-Calédonie, s'insurge contre la mention "Kanak" destinée à identifier... les Kanaks. Chirac ne veut connaître, en effet, que des "citoyens français", c'est-à-dire des êtres virtuels, standardisés, interchangeables et donc purs produits des Droits de l'Homme. Sans chair et sans âme. Le plus triste, pour les intéressés, est que les Kanaks eux-mêmes tombent dans le panneau en refusant que soit affirmée la spécificité de l'âme kanak, qui est pourtant leur bien le plus précieux, comme pour tout peuple digne de ce nom. L'affaire devient farce quand José Bové plastronne devant les caméras de télévision, sur le Larzac, avec un tee-shirt où "kanak" s'étale en grosses lettres. Bové, kanak d'honneur... Il est dans la cohérence de son rôle de tricheur et de manipulateur, lui qui prétend lutter contre le mondialisme au nom d'un "altermondialisme" - c'est à dire un mondialisme à sa sauce à lui, mitonnée dans les cuisines de ses copains trotskistes, où il a appris les recettes de son métier d'agitateur.
Autre élément tout aussi révélateur : un sondage réalisé par l'IFOP pour le Journal du Dimanche sur les personnages préférés des Français âgés de 18 à 24 ans donne, dans l'ordre, Zinédine Zidane, Jamel Debbouze, Jean-Jacques Goldman. Que voilà un beau triplé, fidèle illustration d'une douce France multiculturelle voulue, imposée par tous les pouvoirs en place. Les "sondés" sont certes des zombies façonnés par le martèlement médiatique. Mais on a les héros que l'on mérite. Et cela enlève toute envie de se battre pour ces gens-là. Ils baignent - et ils en sont ravis - dans un univers où règnent l'individualisme, l'arrivisme, le culte du profit.
Un univers qui est aussi celui de l'uniformisation, de la massification, de l'anonymat. On feint de s'étonner, de se scandaliser parce que des milliers de vieillards sont morts cet été dans l'indifférence de leurs proches, au point que des centaines d'entre eux ont été laissés en dépôt dans des entrepôts frigorifiques, morgues improvisées en catastrophe, comme de vieilles valises oubliées à la consigne. Mais il serait hypocrite de s'étonner. C'est cela la logique du monde dans lequel nous sommes. Chacun pour soi. Et après moi le déluge. Merci le libéralisme.
Un motif d'espérance, cependant : ce Système est éminemment fragile. Son expression la plus accomplie, le pays le plus puissant du monde, qui commence à découvrir en Irak les joies d'une armée d'occupation, a vu une partie de son territoire plongé dans une panne d'électricité qui a totalement paralysé pendant 29 heures la vie de 50 millions de personnes, dans la zone la plus vitale, le nord-est des Etats-Unis. Le colosse a bel et bien des pieds d'argile. Ce colosse irresponsable et fou, qui contribue tant à détruire sans vergogne les ressources naturelles de la planète. Massacre des forêts, pollution intensive, raréfaction de l'eau potable (le grand enjeu du XXIe siècle), réchauffement du climat (on n'en est qu'au début...). Décidément nous avons bien besoin de préserver notre âme. Car l'enfer est devant nous.
P. VIAL