Amis des Etudes Celtiques : Entretiens avec GÉRARD MOITRIEUX, Chercheur
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- Catégorie : ARCHEOLOGIE
Entretien avec le professeur émérite Gérard Moitrieux qui parlera de ses recherches, notamment les fouilles qu’il a conduites à Deneuvre (Meurthe et Moselle) et qui ont conduit à la mise à jour du sanctuaire de sources gallo-romain dédié à Hercule à Deneuvre.
Mais également de ses travaux concernant le « Nouvel Espérandieu », l’actualisation du Recueil général des bas-reliefs, statues et bustes de la Gaule romaine d’Émile Espérandieu, dont l’objectif fut de fournir un catalogue complet de toutes les sculptures gallo-romaines, statues et bas-reliefs, religieux et civils, politiques et funéraires, conservés dans tous les musées de France. Catalogue qui constitue un des outils majeurs des archéologues et bien sûr des « celtologues », professionnels ou amateurs éclairés.
LUCIEN REBATET (1903-1972) par Robert Poulet
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- Catégorie : Littérature
Vers 1850, le public croyait que les grands écrivains de cette époque se nommaient François Ponsard, Casimir Delavigne, Pierre de Béranger, Guillaume Viennet—plus Chateaubriand, Lamartine, Hugo parce que ça crevait les yeux. En 1972, la majorité des gens, même cultivés, éclairés, parieraient sur l'immortalité de Troyat, Cesbron, Peyrefitte, Sagan, parce qu'ils tirent à cent mille. C'est aussi bête.
Depuis vingt-cinq ans, les Deux Étendards (réédités récemment, toutefois) n'ont pas trouvé beaucoup de lecteurs. Quatre à cinq mille malins ont flairé tout de suite l'importance extrême de l’Éducation sentimentale. Or, vus de haut, les deux romans se valent. Parfaitement! Ce Rebatet-là doit être placé au même niveau que Flaubert. Avec ce correctif qu'en nous touchant moins, car il se distingue plus par l'intelligence que par la sensibilité, il nous intéresse davantage, s'appliquant à ce qui se passe aujourd'hui d'essentiel dans le monde et dans la cervelle humaine.
Oui ou non, sommes-nous de simples paquets de matière, animés par un hasard cosmique, ou des créatures sur lesquelles pèse le regard d'un mystérieux Invisible? Rebatet, après avoir organisé la controverse, qui prend chez lui la forme d'un drame juvénile, d'une allégresse bondissante, penche pour la première hypothèse. Mais ses personnages le harcèlent, le bousculent. C'est eux qui, tout fumants de pensée, de tendresse et de sensualité, sortent armés de cet énorme ouvrage. Et le débat reste ouvert.
Le roman le plus fort et le plus beau, selon moi, qu'on ait écrit depuis un tiers de siècle...
Il fut conçu en prison, l'auteur en effet appartint au cercle très fermé des ex-condamnés à mort, qui se reconnaissent entre eux et fraternisent d'instinct, quelle que soit la cause pour laquelle ils ont risqué le poteau, la potence, la guillotine, la chambre à gaz ou la chaise électrique.
L'un des crimes qu'on reprochait au collaborateur de Je suis partout, c'est d'avoir publié les Décombres, pamphlet du genre abominable. Mais le genre abominable, quand il est traité avec ce talent, issu d'une sincérité passionnée, devient aisément, à retardement, le genre admirable. Puis le genre classique. Voir Aubigné, Bayle, Rousseau, Chénier, Courier, Bloy. Quoi qu'il en soit, je conseille aux veinards qui détiennent quelque exemplaire de l'édition Denoël (1941) de la garder avec soin : il atteint déjà, en bibliographie, des cotes très élevées.
Les Épis mûrs (Gallimard 1954) montrent à quel point l'histoire de Michel et de Régis, porteurs respectifs des « deux étendards », avait vidé l'imagination du romancier. Il en est qui, comme Constant, Fromentin, Proust, sont et doivent rester les « hommes d'un seul livre ». Du moins, d'un seul livre de fiction. Car Une Histoire de la musique, qui a paru il y a trois ans chez Laffont, met en lumière un autre Rebatet. Qui aurait pu, tout aussi bien que Palestrina, Bach, Strauss ou Messiaen, commenter la peinture hellénistique, le quattrocento, l'impressionnisme et l'« action-painting », cent fois mieux que les spécialistes. D'une part il sentait étonnamment les choses; et d'autre part il les exprimait en langage excellent. Ce pourquoi son Histoire dame le pion, sur tous les points, à toute la musicologie internationale.
Quand on a produit trois ouvrages de cette valeur, on peut mourir. Et n'est-ce pas le sort de tout condamné à mort?... Du moment qu'il peut dire à ses juges : « Après vous! »...
Un petit homme vif, le masque taillé pour l'invective, le vocabulaire poissard, qui, tout à coup, s'affinait d'une manière exquise, l'esprit toujours en éveil, sur lequel descendait depuis peu une inattendue modération, le cœur dur et la peau ultra-sensible, avec un air où se mêlaient inextricablement le génial et le vulgaire, une amertume affreuse, à cause de la «conspiration du silence», mais l'assurance d'avoir raison un jour de tous les muets-par-ordre et des sourds-volontaires : voilà Lucien Rebatet.
Il a eu des torts, il n'était pas sympathique (sauf à ses amis très proches et à la jeunesse); il grognait ou «gueulait» tout le temps? C'est égal : vous avez ses trois livres.
Si, avant de les ouvrir, vous faites la petite bouche, pour des motifs extra-littéraires, tant pis pour vous.
(6 septembre 1972)
Sources : Robert Poulet – « Billets de sortie » - 1975.
L’Europe: un terrain de jeux de guerre pour la stratégie américano-otanienne
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- Catégorie : GEOPOLITIQUE
En 2020, la mobilité terrestre des personnes dans l’Union européenne a été paralysée par les verrouillages, principalement à la suite du blocus du tourisme. La même chose s’est produite dans la mobilité aérienne: selon une étude du Parlement européen (mars 2021), elle a subi une perte nette de 56 milliards d’euros et 191 000 emplois directs, plus d’un million dans les industries connexes. En 2021, la reprise s’annonce très problématique. Un seul secteur a fortement accru sa mobilité en allant à l’encontre de la tendance: le secteur militaire.
En ce moment, environ 28 000 soldats passent d’un pays à l’autre en Europe avec des chars et des avions: ils sont engagés dans Defender-Europe 21, le grand exercice de l’armée américaine (et non de l’OTAN) en Europe impliquant 25 alliés et partenaires européens. L’Italie y participe non seulement avec ses forces armées, mais en tant que pays hôte. Dans le même temps, l’exercice Steadfast Defender de l’OTAN est sur le point de commencer, mobilisant plus de 9 000 soldats américains et européens, dont des soldats italiens. Il constitue le premier test à grande échelle des deux nouveaux commandements de l’OTAN: le Joint Force Command, avec son quartier général à Norfolk (USA), et le Joint Support Command avec son quartier général à Ulm (Allemagne). La «mission» du Norfolk Command est de «protéger les routes atlantiques entre l’Amérique du Nord et l’Europe» qui, selon l’OTAN serait menacée par les sous-marins russes; la «mission» du commandement d’Ulm est «d’assurer la mobilité des troupes à travers les frontières européennes pour permettre un renforcement rapide de l’Alliance sur le front de l’Est», menacée par les forces russes d’après l’OTAN.
Pour cette seconde «mission» l’Union européenne joue un rôle important, car l’armée américaine a demandé la création d’un «espace Schengen militaire». Le plan d’action sur la mobilité militaire, présenté par la Commission européenne en 2018, envisage de modifier «les infrastructures (ponts, voies ferrées et routes) qui ne sont pas adaptées au poids ou à la taille des véhicules militaires lourds». Par exemple, si un pont ne peut pas supporter le poids d’une colonne de réservoir de 70 tonnes, il doit être renforcé ou reconstruit. Après avoir alloué une dotation initiale d’environ 2 milliards d’euros à cet effet, en deniers publics soustraits des dépenses sociales, les ministres de la Défense de l’UE (Lorenzo Guerini pour l’Italie) ont décidé le 8 mai d’impliquer les Etats-Unis, le Canada et la Norvège sur le Plan de mobilité militaire de l’UE. Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, présent à la réunion, a souligné le fait que «les Alliés non membres de l’UE jouent un rôle essentiel dans la protection et la défense de l’Europe». Ainsi, l’OTAN (21 pays de l’UE sur 27 sont membres de l’OTAN), après avoir chargé l’UE de mener et de financer la restructuration des infrastructures européennes à des fins militaires, prend en fait la gestion de la «Espace Schengen militaire».
Dans la région européenne transformée en terrain de parade, l’adaptation des infrastructures à la mobilité des forces US / OTAN est testée dans des essais de guerre incluant «le déploiement de forces terrestres et navales d’Amérique du Nord vers la région de la mer Noire». Ils servent – selon les propos de M. Stoltenberg – à «démontrer la capacité et la volonté de l’Otan à protéger tous ses alliés de toute menace». Le type de «menace» a également été déclaré par les ministres des Affaires étrangères du G7 (Etats-Unis, Canada, Grande-Bretagne, Allemagne, France, Italie et Japon), qui se sont réunis le 5 mai à Londres. Les sept ministres (Luigi Di Maio pour l’Italie), renversant les faits, ont accusé la Russie de «comportement irresponsable et déstabilisateur, annexion illégale de la Crimée, regroupement des forces militaires à la frontière ukrainienne, utilisation d’armes chimiques pour empoisonner les opposants, activités malveillantes visant à saper le système démocratique d’autres pays, menacent l’ordre international fondé sur des règles». Le fait que le G7 ait formulé ces accusations avec les mêmes mots utilisés par le Pentagone et répétés par l’OTAN, confirme l’existence de la même matrice dans la stratégie de tension poussant l’Europe dans une situation de plus en plus dangereuse.
Manlio Dinucci (Italie)
Les services secrets allemands perscutent la maison d’édition Antaios et la Nouvelle droite.
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- Catégorie : ACTUALITE
Fahrenheit 451 est le titre d’un roman de l’écrivain américain Ray Bradbury publié en 1953. Au sein de cet ouvrage, qui est à l’origine du film de science-fiction britannique éponyme sorti en 1966 et réalisé par le cinéaste français François Truffaut, les pompiers ne sont plus chargés d’éteindre les incendies, mais de détruire les livres, car ces derniers sont considérés comme un danger pour le système politique en place qui prétend, afin de les interdire, que les livres nuisent au bonheur et engendrent des inégalités sociales et des conflits entre citoyens.
451 degrés Fahrenheit, soit 232,78 degrés Celsius, est la température à partir de laquelle le papier s’enflamme spontanément, sans devoir rencontrer une flamme externe.
Le scénario du livre et du film relève désormais de moins en moins de la science-fiction. En effet, la répression judiciaire et sociale frappant à travers l’Europe occidentale les écrivains dissidents s’étend sans cesse. Désormais, les éditions Antaios, de l’éditeur allemand de la « Nouvelle droite » Götz Kubitschek, sont déclarées « cas suspect » par les services secrets allemands.
Ce mardi 15 juin 2021, le ministre fédéral allemand de l’Intérieur, des Travaux publics et de la Patrie, le social-chrétien bavarois Horst Seehofer (CSU), et le président de l’Office fédéral de protection de la Constitution Thomas Haldenwang ont présenté le rapport annuel 2020 de cette officine.
La tendance intellectuelle dénommée « Nouvelle droite » fait, cette année, son entrée dans le rapport de l’Office de protection de la Constitution, en tant que catégorie. Horst Seehofer déclare que la « Nouvelle droite » vise à « introduire ses idées dans le discours politique avec un revêtement pseudo-intellectuel et à repousser les limites de ce qui peut être dit ». Sont repris au sein de cette catégorie : le mouvement identitaire, le magazine Compact dirigé par Jürgen Elsässer, l’Institut pour la politique d’État (Institut für Staatpolitik – IfS) qui se trouve dans l’orbite de Götz Kubitschek, l’agence de propagande nationaliste EinProzent et le blog anti-islamisation PI-News.
Thomas Haldenwang a confirmé la surveillance des éditions Antaios. Une des raisons de celle-ci est constituée par les liens existants entre la maison d’édition et l’aile nationaliste de parti patriotique allemand Alternative pour l’Allemagne (AfD), désormais autodissoute. Le numéro un de cette aile, Björn Höcke, lecteur d’ouvrages des éditions Antaios, a déclaré que ceux-ci constituent pour lui une « manne spirituelle ».
Ironie de l’histoire, les éditions Antaios ont publié en 2020 un ouvrage collectif intitulé Das Buch im Haus nebenan (Le livre dans la maison d’à côté). Les auteurs présentent chacun divers ouvrages célèbres dont la lecture les a marqués. Dans l’introduction, Götz Kubitschek et sa femme Ellen Kositza se réfèrent à l’ouvrage Fahrenheit 451 au sein duquel Ray Bradbury fait dire lors d’une conversation-clé au capitaine des pompiers Beatty : « Le livre dans la maison d’à côté est comme une arme lourdement chargée. »
Parmi les auteurs publiés par les éditions Antaios figurent le « Pape » de la Nouvelle droite française Alain de Benoist, ainsi que Jean Raspail, l’auteur du Camp des Saints.
Lionel Baland
Ouvrage :
Götz Kubitschek et Ellen Kositza (sous la direction de), Das Buch im Haus nebenan, Antaios, Schnellroda, 2020.
Autres articles sur le sujet :
https://www.breizh-info.com/2020/09/28/151142/gotz-kubitschek-nouvelle-droite-allemagne/
https://www.breizh-info.com/2020/10/03/151519/les-services-de-renseignement-allemands-persecutent-les-nationalistes-et-leurs-structures-tant-politiques-quintellectuelles/
https://www.breizh-info.com/2021/03/17/160771/allemagne-recul-de-lafd-lors-de-deux-elections-regionales-jurgen-elsasser-estime-que-le-seul-espoir-reside-dans-la-resistance-extraparlementaire/
https://www.breizh-info.com/2021/05/11/164060/les-services-secrets-allemands-accentuent-leur-pression-sur-les-patriotes/
Sources : Breizh-info.com
Rites et légendes de la chasse médiévale
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- Catégorie : HISTOIRE
Jadis unique moyen de survie, la chasse est devenue, au fil du temps, un substitut de la guerre, avant d'être ravalée au rang de passe-temps. Au Moyen Age, elle est tout cela à la fois : elle est omniprésente, elle hante les esprits et la vie quotidienne, elle s'impose en images violentes, ineffaçables et profondément symboliques.
En un temps où les terres d’Europe étaient couvertes de forêts immenses où pullulaient loups, cerfs et sangliers, alors que les champs étaient avares et les troupeaux fragiles, la chasse était partout une nécessité vitale. Elle assurait souvent la survie du paysan de cette époque et constituait toujours un appoint de nourriture important. Elle était indispensable pour détruire les écureuils, les lapins ou les oiseaux qui menaçaient les cultures. Pièges, trappes, filets et lacets fournissaient aux pauvres les moyens de leur chasse, celle du gros gibier leur étant rapidement interdite, avec une exception pour les loups, véritable fléau pour la sécurité des troupeaux.
Nous connaissons les premiers éléments de la réglementation cynégétique par l'ordonnance établie en 648 par Dagobert à propos de la forêt royale des Ardennes ; celle-ci devint alors un territoire réservé aux chasses de la Cour, et ce privilège s'étendit ensuite à d'autres forêts, toujours plus vastes et plus nombreuses, les seigneurs s'arrogeant au fil des siècles les mêmes prérogatives sur leurs terres. Le menu peuple se vit progressivement privé du droit de chasse mais se vit cependant reconnaître la liberté de détruire le petit gibier, nuisible aux cultures. Tout au long du Moyen Age, la noblesse chercha à se réserver le privilège de la chasse, comme elle l'avait fait de l'art de la guerre, au détriment des vilains. Elle n'y parvint pas tout à fait dans la mesure où la chasse demeura toujours nécessaire aux manants. Seule la noblesse de Bigorre parvint à priver les « rustres » du droit de chasse dès le XIIe siècle.
La tentative d'accaparement fut cependant générale, rois, princes et barons se réservant des territoires de plus en plus grands pour l'exercice de leur activité favorite. Le droit de chasse devint ainsi le privilège de quelques-uns, dans les « forêts » et les « garennes » de l'Occident médiéval. Cette situation était le résultat de la loi du plus fort ; la conquête normande fut ainsi suivie, en Angleterre, d'une extension considérable des domaines de chasse, parfois même aux dépens des cultures et des terres arables. Le braconnage y fut puni de mort alors que de lourdes amendes le sanctionnaient partout ailleurs. L'obligation imposée aux tenanciers d'héberger et de nourrir la meute royale procédait du même esprit.
Pour la noblesse, la chasse était beaucoup plus qu'un moyen de se procurer de la nourriture ; elle participait au mode d'existence définie par l'idéal chevaleresque et constituait la « rude école » qui préparait les corps et les volontés aux épreuves de la guerre, domaine réservé de la noblesse médiévale. Plus que les festins de gibier qui les rassemblaient, le soir venu, dans les salles des châteaux, seigneurs et chevaliers aimaient les courses en forêt, l'effort, le risque et l'affrontement victorieux avec les animaux nobles du monde sylvestre.
La place considérable réservée aux scènes de chasse dans la littérature et l'iconographie médiévales atteste l'importance de cette activité dans la mentalité de la noblesse féodale. On connaît l'admirable Livre de la chasse du comte de Foix, Gaston III Phébus, qui, en 1387, à l'âge de cinquante-six ans, avoue n'avoir eu que trois passions dans sa vie : la guerre, l'amour et la chasse, à laquelle il entend consacrer les dernières années de sa tumultueuse existence. Ennemi juré du pape, croisé excommunié et l'un des plus troublants personnages de la première moitié du XIIIe siècle, l'empereur germano-sicilien Frédéric II de Hohenstaufen fut aussi l'auteur d'un admirable traité de fauconnerie. De plus d'un chevalier on eût pu dire ce qu'écrivit un chroniqueur à propos du comte de Guines : « D'un autour frappant l'air de son aile, il faisait plus de cas que de prêtre prêchant », ou répéter-ce joli vers d'un trouvère : « Gentilhomme fut : moult l'aimaient ses chiens. » Cet engouement s'explique sans doute par la parfaite conformité qu'il est aisé d'établir entre la pratique de la chasse et les valeurs auxquelles était attachée la chevalerie du temps.
Plusieurs siècles avant l'éclosion de la civilisation médiévale, Tacite notait déjà que, « quand les Germains ne font pas la guerre, ils chassent » et nous retrouvons chez nos chevaliers du XIIIe ou XIVe siècle cette puissante nostalgie des forêts originelles où se forgèrent les peuples de l'ancienne Europe. Plus que le tournoi, la poursuite exaltante de la « bête singulière » (le sanglier) ou du cerf orgueilleux — la plus noble des proies — permettait aux preux de s'initier et de s'entraîner à la guerre. La force, l'endurance et l'audace déployées dans la forêt n'étaient qu'une préparation aux épreuves du champ de bataille.
Privilège de la noblesse, la chasse retenait aussi l'intérêt des ecclésiastiques qui en venaient à négliger, pour pouvoir s'y consacrer, les obligations inhérentes à leurs charges. On se donnait bonne conscience en expliquant doctement qu'« en chassant on évite le péché d'oysiveté, or, qui fuyt les sept péchés mortels selon notre foi devait être sauvé, donc bon veneur sera sauvé » ; quant aux autres, moins heureux en matière de prouesses cynégétiques, « tout au moins seront logés es faubourg ou basse-cour du paradis ». Devant les excès auxquels on était parvenu, des ordonnances royales et épiscopales défendaient « aux évêques et même aux abbesses de courir les forêts, d'entretenir clients et faucons et de les introduire au pied de l'autel ». Ces interdictions étaient en fait aisément tournées.
Les moines de Saint-Denis et de Saint-Bertin avaient extorqué à Charlemagne l'autorisation de chasser cerfs et chevreuils dans les bois avoisinant leurs abbayes ; on justifiait ces libertés en faisant valoir que « la chair de ces animaux servirait de nourriture aux frères infirmes pour rétablir leur santé et que les peaux seraient employées à couvrir les livres et à faire des ceintures et des gants pour les religieux ». Confirmant le privilège accordé par Charlemagne, une charte de Philippe-Auguste octroya en 1207 aux chanoines de l'église Saint-Germain-des-Prés « le droit de chasse à courre, à tir et à la haie... ».
Comme il est dit dans le fameux Livre de chasse du roy Modus, « tous les hommes n'ont pas les mêmes désirs ni les mêmes goûts, c'est pourquoi notre Seigneur Dieu a ordonné plusieurs chasses différentes pour que chacun puisse choisir celle qui convient le mieux à son goût et à son état ».
Les chasseurs étaient ainsi spécialisés : les bersarii poursuivaient le gros gibier, les veltrarii utilisaient des lévriers, les beverarici capturaient loutres et castors, et chaque gibier faisait l'objet d'une chasse spécifique avec ses techniques et ses rituels précis.
La vénerie, qui correspond à une ritualisation systématique de la chasse, apparaît avec Saint-Louis, à partir du XIIIe siècle ; elle va s'enrichir et se compliquer tout au long du Moyen Age et bon nombre des éléments qui la caractérisaient alors ont perduré jusqu'à aujourd'hui.
La courre du cerf s'effectuait essentiellement du 3 mai au 14 septembre. Et pour le servir, la règle voulait qu'on accoue l'animal de l'épée à l'époque de ses velours, mais qu'on le serve à coups de flèche lorsqu'il avait frayé. Dans certaines circonstances, les biches étaient sujettes à un laisser-courre. La vénerie du renard se pratiquait de janvier à mars, celle de la loutre de mars à septembre, celle du sanglier du 9 mai au 11 novembre et celle du lièvre, de mars à avril. Cette dernière permettait d'entraîner et de dresser les chiens pour le gros gibier. Tout au long de la chasse, la pratique du relais permettait la poursuite de l'animal, dût-elle se forlonger plusieurs jours.
L'épée était l'inséparable compagne du chasseur, mais d'autres armes adaptées à l'animal poursuivi pouvaient être utilisées : l'arc ; l'épieu, qui, muni d'une pointe de fer, était surtout employé contre le sanglier ; la fourche à longue hampe, avec laquelle on tuait les loutres au sortir de leur terrier. On pratiquait en certains cas la chasse au filet qui consistait à rabattre les animaux avec la meute, les chasseurs et leurs lévriers attendant l'animal, sanglier ou loup, aux deux extrémités du filet.
La chasse à l'arc pouvait prendre diverses formes. Une battue ramenait le gibier vers une haie de chasseurs. L'archer pouvait tirer à pied ou à cheval ou bien encore prendre le guet. De la mi-octobre à la fin novembre, il était possible de tirer les sangliers à la souille, où ils se regroupaient, dans les endroits les plus humides de la forêt, près d'un ruisseau, ou d'un marécage, ou encore dans une grosse mare. On dressait aux environs un observatoire sur quatre fourches de bois et assez élevé pour que le sanglier ne puisse éventer l'odeur du chasseur qui s'y juche, bien avant le lever du jour. Vautré et le groin dégoulinant de boue, l'animal se sent à l'aise et s'offre sans défense à la flèche de l'archer.
On pouvait également pratiquer le tir à l'affût, ainsi que le tir du lièvre dans les blés au moment du printemps.
Contrairement aux autres gros gibiers, le loup n'était chassé ni pour sa chair ni pour sa fourrure ; il constituait une menace permanente contre les troupeaux et il arrivait même qu'il menaçât les hommes quand il se trouvait poussé par la faim, à l'issue des hivers difficiles.
Dès 813, Charlemagne ordonna que soient désignés dans chaque comté deux officiers chargés de la destruction de cette espèce. Ces chasseurs bénéficiaient de privilèges et recevaient une mesure de grains sur chaque levée faite au nom de l'empereur. Par la suite, des primes leur seront versées par les communautés rurales grâce à une imposition spéciale levée sur les habitants. La louveterie, on le voit, se trouvait constituée dès avant l'an mil. En 1114, le synode de Saint-Jacques-de-Compostelle émet une réglementation promulguée dans tous les pays de la Chrétienté occidentale et selon laquelle « tous les samedis, sauf à la veille de Pâques et de la Pentecôte, prêtres, chevaliers et paysans qui ne travaillent pas sont requis, sous peine d'amende, pour la destruction des loups et la pose des pièges ».
En 1413, Charles VI promulguera des ordonnances afin de permettre que toute personne puisse « prendre, tuer et chasser sans fraude tous loups et loutres... pourvu que ce ne soient pas gens de labour ou de métier, qui s'y pourraient occuper en délaissant labourages et métiers... » Tous les moyens étaient utilisés pour venir à bout de ces malheureux animaux : les battues collectives, l'affût, l'empoisonnement, la destruction des jeunes louveteaux... Le Livre de la chasse de Gaston Phébus nous montre que l'on n'hésitait pas à utiliser la ruse. Pour prendre le loup « aux aiguilles », on farcit des morceaux de viande d'aiguilles recourbées ou d'hameçons liés deux à deux en plusieurs rangées. Une fois le loup démasqué, on traîne longuement les quartiers sur le sol de la forêt pour en répandre l'odeur et on les abandonne à l'endroit choisi. Les loups affamés et alléchés vont les engloutir sans même les mâcher et, le temps de digestion passé, les chasseurs n'auront plus qu'à recueillir les cadavres aux estomacs et intestins perforés. Pour prendre le loup vivant, on construit deux enceintes circulaires disposées l'une dans l'autre, hautes de près de deux mètres et épaisses. Sur l'enceinte extérieure, on ouvre une porte munie d'un cliquet. Après avoir traîné, depuis la forêt jusqu'aux enclos, des morceaux de viande avariée pour attirer la bête, on place au centre de l'enceinte intérieure un mouton ou une chèvre en guise d'appât. Le loup, alléché par l'odeur, pénétrera dans l'enceinte extérieure, en fera le tour dans l'espoir d'y trouver une entrée pour se saisir de l'animal. La porte s'étant refermée sur lui, il se trouvera privé à tout jamais de sa liberté.
Venue d'Orient, la chasse au vol — au faucon, à l'épervier ou à l'autour — connut au Moyen Age une vogue exceptionnelle. De juillet à septembre, on chassait ainsi l'alouette, la caille et parfois la perdrix. En hiver, la pie, le geai, la chouette, la sarcelle, le vanneau, la bécasse, le merle et le pigeon étaient les proies recherchées.
Plus que toute autre forme de chasse, la fauconnerie était un plaisir raffiné d'aristocrate, à tel point que l'empereur Frédéric II blâmait fort ceux qui pratiquaient la chasse à l'oiseau pour garnir leur table, d'abord parce que cela risquait de dépeupler les domaines giboyeux, et surtout parce que cette occupation était considérée comme trop noble pour souffrir une finalité utilitaire. Les Grands rivalisaient de prestige en exhibant leurs équipages de faucons et l'importance de ceux-ci ne cessa d'augmenter au fil des siècles : Charles VII avait trente oiseaux, Louis XI plus de cent. L'engouement pour les faucons était tel qu'il était de bon ton de se montrer en compagnie avec l'oiseau sur le poing. Seigneurs et dames prétendirent même avoir le droit de se présenter ainsi jusque dans les églises. Certains évêques allèrent jusqu'à placer leurs oiseaux, insignes de leur rang, à côté de l'Evangile.
Omniprésente dans la vie quotidienne de la société féodale, la chasse constitue un élément essentiel de la tradition littéraire médiévale.
Marie de France, Bertrand de Born, Chrétien de Troyes ou Béroul ont puisé dans l'univers de la chasse le cadre et la symbolique d'une bonne partie de leurs œuvres.
Nul mieux que Tristan n'incarne l'idéal du chasseur médiéval. Le roman de Tristan et Iseult, de l'enfance du héros à l'épilogue dramatique, évoque constamment le monde de la chasse et de la forêt. Tristan de Léonnois, orphelin ravi par les pirates, est débarqué sur la terre de Cornouailles où règne son oncle Marc. Il voit débusquer un cerf poursuivi par une meute ; l'animal se jette à l'eau, puis remonte sur la berge ; harcelé, il bat encore les eaux et reprend de nouveau terre. Les chiens le forcent et il rend les abois. Accourent les veneurs, et Tristan entre en scène : alors que les Cornouaillais s'apprêtent à trancher le cerf en quartiers comme un porc, il s'exclame : « Arrêtez ! Que faites-vous ? Vit-on jamais découper un cerf en telle guise », et il leur enseigne la manière noble de dépouiller l'animal : il découpe les daintiers, les cuissots, retire les entrailles, lève les filets, tranche la tête avec le cimier, puis prépare la fourchiée : il prend une fourche et y fixe le foie, les nombles et la fraise ; lorsque la fourchiée est confiée à un valet, il organise la curée : les entrailles de la bête sont disposées sur le cuir avec un morceau de chacune des meilleures pièces, et les chiens se mettent à l'œuvre. Cela fait, Tristan prépare le présent : sur une branche, il accroche la fourchiée, puis la tête du cerf, qui sera ainsi courtoisement offerte au roi, tandis que les veneurs iront sonnant leur trompe.
La chasse demeure une réserve inépuisable d'allégories tout au long du roman. Poursuivi après qu'eut été découvert l'adultère, Tristan ne survit au cœur de la forêt que grâce à ses talents de chasseur.
Les descriptions interminables, les récits longs et minutieux de courses, d'affûts et de dépeçages, pour nous rapidement fastidieuses, laissent deviner quel plaisir devaient prendre à les écouter seigneurs et dames assemblés autour du trouvère. Ils y retrouvaient les joies et les fatigues de leur journée, des impressions physiques familières, ils pouvaient apprécier les mille et une nuances du vocabulaire et l'habileté des métaphores. Comme le poète, ils pouvaient voir dans la chasse la plus belle et la plus évidente image des relations entre hommes et entre sexes, entre les individus et la nature sauvage perçue comme amie et non comme ennemie. Ils y trouvaient également des évocations de l'amour, ainsi que nous le révèle cet admirable passage de Chrétien de Troyes selon lequel « Cerf chassé qui de soif halète ne désire tant la fontaine, ni l'épervier qui a grand faim ne revient au réclain plus volontiers que les amants ne souhaitent de se trouver nu à nue... ».
Composante essentiel de l'idéal de vie chevaleresque, la chasse médiévale plonge ses racines au plus profond de la tradition européenne. Il apparaît aujourd'hui que c'est chez les Gaulois qu'il convient de rechercher l'origine de la chasse à courre et la place prise par le cerf dans la mythique de la chasse nous rappelle le rôle joué dans l'Antiquité gauloise par le dieu Cernunnos, reconnaissable aux bois qui ornent son front. Chasse à courre et poursuite de la lumière, de la « connaissance » au sens le plus profond du terme sont étroitement liées par la médiation d'un rituel complexe, inspiré de la guerre chevaleresque. L'animal sera pris par ruse et bravoure mais non par traîtrise, et les hommes de qualité abandonneront aux « gens viels et gras » la chasse aux filets, aux pièges et aux panneaux. Adversaire respecté, le cerf conserve sa chance et trouve dans la chasse l'occasion de pousser au maximum ses possibilités de puissance et de ruse pour échapper à ses poursuivants. Art profondément aristocratique, résumé de la guerre courtoise, la chasse médiévale telle que la pratiquait un Gaston Phébus, nous apparait aujourd'hui comme l'une des plus hautes manifestations de la civilisation de ce Moyen Age dont nous ne cessons de redécouvrir la richesse.
Guy d'Entrevaux
Sources : Histoire Magazine N°35 – 1982.
Pierre Gillieth, dédicace.
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- Catégorie : POLITIQUE
Notre camarade Pierre Gillieth dédicacera
son nouveau roman,
Western électrique,
ainsi que ses anciens livres
à la Librairie Vincent
115 avenue de la Bourdonnais 75009 Paris
(métro Ecole Militaire)
samedi 19 juin de 14h30 à 18h
- Aux racines de l'idéologie migratoire avec Vincent Coussedière, essayiste.
- Notes sur le symbolisme du feu dans la tradition Celtique
- Religion cosmique et folklore: l'Europe de Mircea Eliade
- Le prince Celte de Lavau
- La fille d'Egtved
- Lire Carl Schmitt pour affronter le 21ème siècle
- Un raider sudiste: John Hunt Morgan par A. Sanders
- Vieux futhark, futhorc, futhark récents ...Mais pourquoi tant de runes ! par Halfdan Rekkirsson
- Les relations entre Joris Van Severen et Pierre Nothomb
- L'islamisation forcée de la Bosnie-Herzégovine pendant la guerre des Balkans
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