Episode 2 : Biramor | Exposition Fêtes himalayennes, les derniers Kalash
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Comment l’Albanie est devenue le premier narco-État européen
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Les jeunes Albanais sont aux prises avec la politique du crime organisé, le chômage endémique et l'argent facile issu du trafic de drogue.
Nous sommes en janvier et je me trouve dans une banlieue délabrée de Tirana, la capitale de l’Albanie, où je viens de rencontrer deux trafiquants de cocaïne locaux qui rentrent tout juste d’un voyage en Allemagne. Comme beaucoup de jeunes dealers, Artan et Luli ont troqué l’herbe contre la cocaïne car elle rapporte plus d’argent et est plus facile à trouver. Ils m’expliquent qu’ils peuvent gagner environ 30 000$ en introduisant clandestinement un kilo de poudre dans des pays européens plus riches, où le marché de la cocaïne est en expansion.
Parmi les histoires typiquement masculines impliquant des poings américains et des battes de baseball, ils parlent de montres Rolex, de voitures de sport et de jolies filles. « Comme tu peux le voir, si tu veux sortir et t’acheter des trucs ici, tu dois faire le voyage en Allemagne, en Italie ou en Angleterre. La cocaïne, c'est un boulot comme un autre », me dit Artan en montrant de la tête la rue en piteux état.
Depuis la crise financière des années 1990 qui a conduit à la misère généralisée et au chaos civil, les jeunes Albanais sont pris au piège de la pauvreté et de la corruption. Pour certains, le trafic de drogue offre une échappatoire aux bidonvilles qui s’étendent autour de Tirana. Mais ici, la cocaïne n’a rien de nouveau. C’est même un commerce profondément établi. Bien qu'elle soit membre de l'OTAN et sur le point d'adhérer à l'Union européenne, l'Albanie est devenue le premier narco-État européen.
Selon la définition du Fonds monétaire international, un narco-État est un État dont « toutes les institutions légitimes ont été pénétrées par le pouvoir et la richesse issus du trafic illicite de drogue », comme le Venezuela, la Guinée-Bissau et l'Afghanistan. En 2018, un rapport du Département d'État américain décrivait l'Albanie comme « le foyer d’une corruption endémique, d’institutions juridiques et gouvernementales faibles et d’absence de contrôles frontaliers », le trafic de drogue, l'évasion fiscale, la contrebande et la traite des êtres humains étant les crimes les plus lucratifs du pays.
« Aujourd'hui, on a l'impression générale que personne ne peut gagner des élections sans le soutien de ces groupes mafieux » – Afrim Krasniqi, directeur de l'Institut albanais d'études politiques
Ce petit pays montagneux de la côte Adriatique, autrefois communiste, est le plus grand producteur de cannabis illégal en Europe. En 2017, la police albanaise a saisi 68 tonnes d'herbe, d'une valeur marchande d'environ 600 millions d'euros. Mais c'est la cocaïne qui élève l'Albanie au rang de narco-État. Au cours de la dernière décennie, des gangs albanais comme Hellbanianz sont devenus de grands acteurs dans le commerce lucratif de la cocaïne au Royaume-Uni et dans le reste de l'Europe. Ils se sont déjà fait un nom en vendant de la cocaïne très pure à des prix compétitifs et ont contribué à la demande croissante d'accessibilité et de pureté de la cocaïne en Europe depuis 2012. Les trafiquants albanais ont établi des réseaux d'approvisionnement depuis l'Amérique du Sud vers les grands ports européens, notamment en Belgique et aux Pays-Bas.
En février de l'année dernière, dans le port albanais de Durres, la police a saisi 613 kg de cocaïne dissimulés dans une cargaison de bananes en provenance de la Colombie. Parallèlement, le nombre de criminels présumés d'origine albanaise tués en Amérique du Sud a augmenté. En 2017, Remzi Azemi, un Albanais kosovar et présumé trafiquant de cocaïne, a été assassiné par un cartel alors qu'il voyageait avec sa famille dans un véhicule blindé à Guayaqil, Équateur. Un an plus tôt, Ilir Hidri, un autre Albanais soupçonné d'être impliqué dans le trafic de drogue, avait été tué dans la même ville.
L'Albanie est un cas unique en Europe parce que ses barons de la drogue ne sont pas des hors-la-loi ou des renégats. Ils sont au contraire très proches des membres du gouvernement et sont souvent de mèche avec les mêmes autorités qui devraient les inquiéter.
L'argent de la drogue est un élément essentiel du système démocratique albanais, car le meilleur moyen d'obtenir les voix des citoyens est de les payer en liquide, et le meilleur moyen de générer de l'argent est le trafic. Une étude financée par l'UE entre 2016 et 2019 a montré que 20,7 % des Albanais s’étaient déjà vus proposer de l’argent ou des faveurs en échange de leur vote. En janvier, il a été révélé que des gangs liés à la vente de cocaïne ont pu s’ingérer dans les élections en achetant des votes. Afrim Krasniqi, directeur de l'Institut albanais d'études politiques, affirme même que le rôle des groupes criminels dans la campagne électorale de 2017 était plus important que celui des partis politiques. « Aujourd'hui, on a l'impression générale que personne ne peut gagner des élections sans le soutien de ces groupes mafieux », dit-il.
Le commerce de la drogue étant étroitement lié au pouvoir, des unités de renseignement britanniques ont été déployées à Tirana pour surveiller les trafiquants. Un membre de l'équipe a révélé qu'il dispose de preuves selon lesquelles la police albanaise fournit des renseignements directement aux trafiquants. Les Britanniques ont été rejoints par les États-Unis, les Pays-Bas et l'Italie, qui ont décidé d’intervenir après avoir découvert que les informations communiquées aux autorités albanaises étaient tombées entre de mauvaises mains.
Les deux derniers ministres de l'Intérieur du Premier ministre albanais, Edi Rama, ont tous deux été victimes de scandales liés à la drogue. Le premier, Saimir Tahiri, doit être jugé plus tard cette année pour trafic de drogue et corruption. Le nom de Tahiri a été mentionné lors d’une écoute téléphonique par la police italienne qui portait sur les pots-de-vin, le trafic de cannabis et la contrebande de Kalachnikovs. Tahiri nie toutes les accusations. Il a été remplacé par Fatmir Xhafaj, dont le mandat de ministre de l'Intérieur a pris fin l'année dernière après que son demi-frère, Agron, a été condamné à sept ans de prison pour trafic de drogue en Italie. Bien qu'il n'y ait aucune preuve que Xhafaj ait été directement impliqué dans les crimes de son frère, la pression politique nationale et internationale a probablement poussé Rama à licencier son ministre.
En 2017, Ermal Hoxha a été emprisonné pendant 10 ans pour avoir participé à une opération de trafic de 120 kg de cocaïne en provenance d'Amérique latine en Europe occidentale. Pourtant, Ermal n'a pas gravi les échelons du crime à partir d'un bidonville albanais. Il est le petit-fils du célèbre ancien dictateur communiste albanais Enver Hoxha, qui a dirigé le pays pendant 41 ans, jusqu'à sa mort en 1985.
Mais personne n'illustre mieux la proximité entre l'élite albanaise et ses grands narcotrafiquants, ni l'histoire de l'émergence de cette nation en tant que premier narco-État d'Europe, que Klement Balili, propriétaire d’un hôtel de luxe, ancien fonctionnaire et baron de la drogue, qui est décrit sur son mandat d'arrêt grec comme le « Pablo Escobar des Balkans ». Un dossier de 10 000 pages compilé par le gouvernement grec décrit son empire transnational de stupéfiants comme un réseau méticuleusement organisé de plus d'un milliard de dollars, qui repose sur le cannabis et la cocaïne et est acheminé vers des pays comme l'Italie, la Grèce, l'Allemagne et le Royaume-Uni.
Balili a développé son empire après le krach financier de l'Albanie dans les années 1990, causé par l'effondrement de vastes systèmes pyramidaux soutenus par le gouvernement. Entre un et deux milliards d’euros ont disparu du jour au lendemain et les familles ordinaires ont perdu toutes leurs économies. Selon un rapport publié en 2016 par l'Open Society Foundation, un mélange de chômage élevé et de bas salaires a permis aux gangs albanais de prendre de l’ampleur depuis.
Officiellement, les affaires de Balili concernaient les transports, les loisirs, la pêche et la sécurité. En 2014, il a été nommé directeur régional des transports de la ville balnéaire de Saranda, une plaque tournante bien connue du trafic de drogue. Au cours de la dernière décennie, Balili a construit plusieurs hôtels de luxe sur la magnifique côte Adriatique de l'Albanie.
En 2015, Ilir Meta, l'actuel président de l'Albanie, a coupé le ruban lors de la soirée d'ouverture de l'hôtel cinq étoiles de Balili, le Santa Quaranta. Le ministre des Finances de l'époque, Arben Ahmetaj, et le député du Parti socialiste, Koco Kokëdhima, étaient également présents.
Balili s'est montré ouvert sur ses liens étroits avec l'un des principaux partis politiques albanais, le Mouvement socialiste pour l'intégration, ou LSI. Dans une interview accordée aux médias plus tôt cette année, Balili a expliqué que sa nomination au poste de directeur des transports de la ville de Saranda, dans le sud du pays, s’était faite en échange de dons financiers que sa famille et lui avaient versés au LSI. Le neveu de Balili est maire du parti LSI dans la ville de Delvina. Balili s’est montré très actif dans la campagne de son neveu.
« Les hommes politiques de droite et de gauche écoutent les puissants intérêts des hommes d'affaires corrompus, des criminels et même des trafiquants de drogue » – Donald Lu, ambassadeur des Etats-Unis en Albanie entre 2015 et 2018
La police grecque est sur les traces de Balili depuis une dizaine d'années. Mais chaque fois qu'elle semble faire des progrès, elle se heurte à un obstacle au sein des autorités albanaises. En mai 2016, la police grecque a arrêté douze membres du gang de Balili et saisi près de 700 kg de marijuana, le résultat d'une opération de surveillance de deux ans menée conjointement avec la DEA américaine. La police grecque a émis un mandat d'arrêt à l'encontre de Balili, mais la police albanaise a refusé d'en accuser réception. Au moment où les autorités albanaises ont finalement reconnu le mandat, Balili s’était « évaporé ».
Trois mois après l'émission de son mandat d'arrêt, Balili aurait été photographié en train de faire la fête sur son yacht avec un haut responsable de la police, au large de la côte albanaise. Ce n'était pas un cas isolé : à l'époque, le visage souriant de Balili apparaissait régulièrement en arrière-plan des photos prises lors d'événements sociaux organisés par l'élite politique albanaise.
Selon des responsables américains et grecs, la proximité de Balili avec la politique albanaise est la clé de son succès en tant que trafiquant de drogue. Dans un discours prononcé en 2016, l'ambassadeur des États-Unis en Albanie, Donald Lu, a déclaré : « Les hommes politiques de droite et de gauche écoutent les puissants intérêts des hommes d'affaires corrompus, des criminels et même des trafiquants de drogue. Comment expliquer, sinon, le fait que l'intouchable Klement Balili soit toujours en liberté ? ». Dans un autre discours prononcé en 2018, Lu a déclaré que le plus grand échec du gouvernement albanais au cours de son mandat de quatre ans a été son incapacité à arrêter Balili, qu'il a décrit comme « un puissant dirigeant du crime organisé ayant des liens politiques forts ».
En janvier, la police albanaise a finalement arrêté Balili. Certains considèrent son arrestation et son procès comme un exercice de relations publiques plutôt que comme une punition. Le gouvernement albanais s’est vanté de sa capture comme d’un exploit pour impressionner les observateurs internationaux. Mais en réalité, Balili a dicté ses propres conditions. Le Ministère de l'intérieur et le Bureau du Procureur chargés des crimes graves ont été informés à l’avance de son arrivée par son équipe juridique. Il s'est rendu au directeur général de la police albanaise. En raison d'un changement constitutionnel l'année dernière, il n'a pas été extradé vers la Grèce et a été jugé en Albanie.
En février, le tribunal des crimes graves a accepté la demande de Balili d'un « procès abrégé », qui non seulement lui garantissait une réduction de peine d'un tiers, mais permettait aussi une procédure rapide sans qu’il ait à cracher le morceau sur ce qu'il savait de l'élite politique albanaise. Le 7 mai, Balili a été condamné à 10 ans de prison pour trafic de drogue, appartenance à un groupe criminel et blanchiment d'argent. Son avocat a déjà annoncé qu'il ferait appel. Plusieurs Albanais influents ont déjà vu leurs accusations ou condamnations pour des crimes de corruption disparaître mystérieusement en appel. Balili peut encore être acquitté ou se voir infliger une peine moins lourde.
Plusieurs personnes ayant travaillé avec Balili sur des projets de construction, y compris le Santa Quaranta, ont exprimé de la sympathie à son égard. « Je ne sais pas ce que Klement a fait, ou si ce qu'ils disent est vrai… mais il a apporté de l'argent à notre communauté », souligne une personne qui a demandé à rester anonyme. Et d’ajouter : « Il avait de nombreux projets de construction et nous avons travaillé avec lui pendant de nombreuses années. Les salaires étaient payés et la communauté le respectait. C'était un homme d'affaires, pas un parrain. »
Un autre constructeur, plus jeune, n’est pas du même avis. « Il payait quand il en avait envie, et quand il ne voulait pas, on ne pouvait rien faire pour l'en obliger, dit-il. Il a dans sa poche la police, les tribunaux, les autorités fiscales… Il connaît et contrôle tout le monde. Si je lui avais parlé d’une facture impayée, il m'aurait écrasé comme un mégot de cigarette. »
« Les jeunes Albanais se sentent trompés par le gouvernement » – Rudina Hajdari, leader de l'opposition au Parlement albanais
À première vue, Tirana est une ville en plein essor avec une vie nocturne animée. Beaucoup d'argent a été utilisé pour embellir les environs immédiats de deux hôtels internationaux où diplomates, hommes d'affaires étrangers et politiciens se rencontrent pour manger des clubs sandwichs, swiper sur Tinder et parler affaires. Bien qu'ils constituent la grande majorité de la population albanaise, les pauvres vivent dans les banlieues polluées de la capitale, où les maisons n'ont ni électricité, ni eau courante, ni fenêtres vitrées.
La zone centrale de Blokku (« le bloc ») de Tirana, qui était réservée exclusivement aux responsables du Parti communiste jusqu'à la chute du régime en 1992, est maintenant le terrain de jeu de l'élite albanaise. Dans le Blokku, vos voisins sont soit des politiciens, soit des juges, soit des trafiquants. Les Mercedes rôdent tels des requins-tigres autour des bars dans lesquels des députés du Parlement boivent du champagne en regardant PornHub sur leur iPhone et en écoutant Dua Lipa et Notorious B.I.G. Ils sont loquaces, éméchés et souvent à un pas de la faillite. Bien que les taux de meurtres ne soient pas du tout comparables à ceux de l'Amérique du Sud ou de l'Amérique centrale, il arrive que quelqu'un sorte une arme et tire dans les airs, simplement parce qu'il le peut.
Mais le succès des trafiquants de drogue se fait au détriment des citoyens du pays, qui ont été complètement délaissés. Dans un sondage Gallup de 2018, les adultes albanais ont exprimé le quatrième plus fort désir d'émigrer, après Haïti, le Liberia et la Sierra Leone. C'est au lycée que les jeunes rencontrent pour la première fois la corruption sous la forme de pots-de-vin versés aux enseignants en échange de bonnes notes. Vient ensuite l'université, où l'entrée dépend essentiellement du piston.
Rudina Hajdari, leader de l'opposition au Parlement albanais et présidente du Comité d'intégration européenne, déclare : « Les jeunes Albanais se sentent trompés par le gouvernement. Nous avons des problèmes sismiques liés à la corruption. Lorsque les drogues sont entrées dans le paysage, il y avait tellement d'argent qui affluait que ça a ébranlé la devise nationale. L'argent dicte les décisions de notre pays, et comme cet argent est fourni par les cartels de la drogue – aux politiciens et à tous les partis politiques – quiconque lutte contre la corruption se heurte à de grands obstacles. »
Les Albanais attendent de voir si l'UE entame les pourparlers de l'adhésion de leur pays ce mois-ci. Mais la France et les Pays-Bas considèrent maintenant les gangs albanais comme une menace si grave qu'ils tentent de contrer l'exemption de visa pour les Albanais. Les motifs invoqués par les Pays-Bas sont une « une augmentation substantielle des activités criminelles de la mafia albanaise aux Pays-Bas et des abus quant à la possibilité de voyager en Europe sans visa afin d’étendre encore davantage leur réseau de trafic. »
Le Premier ministre Rama, ancien joueur de basket-ball qui a pris ses fonctions en 2013 grâce à une campagne anticorruption acharnée, a été salué par la communauté internationale pour avoir détruit le village de Lazarat, bien connu pour sa culture de cannabis. Il a pourtant eu du mal à se défaire des allégations de fraude et de corruption, ce qui a donné lieu à de violentes manifestations antigouvernementales à Tirana. Des cocktails Molotov ont été lancés dans son bureau le mois dernier. Ses détracteurs estiment qu'il devrait démissionner afin que l'Albanie puisse rejoindre l'Union européenne. Lulzim Basha, chef du Parti démocratique de l'opposition, a déclaré : « Nous sommes ici en mission : il faut libérer l'Albanie de la criminalité et de la corruption pour en faire un pays similaire au reste de l'Europe. »
Pour l'Europe, c'est là que réside toute la tension : le concept de narco-État a toujours semblé trop éloigné pour les Européens, qui ont tendance à penser que les États corrompus qui produisent leur drogue sont le problème de quelqu’un d’autre. Mais la position centrale de l'Albanie dans l'industrie de la drogue rapproche le problème, au moment même où les Albanais espèrent être davantage connectés au moteur économique de l'UE. C'est ce qu'il y a de plus tragique dans un Narco-État : le fait de soutenir l'élite d'un pays qui tire sa richesse des activités criminelles a un plus grand impact non pas sur des terres lointaines, mais sur les opportunités qui s'offrent à son propre peuple.
vice.com du 19 juin 2019
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Le philosophe Jean-Claude Michéa, auteur de Les mystères de la gauche : de l'idéal des Lumières au triomphe du capitalisme absolu (Climats, 2013), répond à un billet de Philippe Corcuff publié le 25 juillet 2013. Cette critique n'a pas vieilli, bien au contraire.
En réponse à Corcuff
Cher Philippe,
J’ai décidément dû taper dans une sacrée fourmilière pour susciter ainsi une telle levée de boucliers ! On ne compte plus, en effet, les courageux croisés de la sociologie d’Etat qui ont jugé soudainement indispensable de mettre en garde le bon peuple – il est vrai déjà suffisamment échaudé par l’actuelle politique de la gauche – contre le caractère profondément hérétique et « réactionnaire » de mes analyses philosophiques. Au cœur de cette curieuse Sainte-Alliance (dont les interventions ont été largement relayées, cela va de soi, par le Net et ses trolls de service) citons – par ordre d’entrée en scène – Luc Boltanski (dont le texte, initialement publié dans le Monde, vient d’être opportunément remis en ligne par un mystérieux site « anti-Ragemag »), Serge Halimi (dans le Monde diplomatique de juin 2013), Frédéric Lordon (dans la très pierre-bergéiste Revue des livres de cet été) et maintenant toi, sur le site de Mediapart.
Bien entendu, la critique permanente des idées des uns et des autres, y compris sous une forme polémique (nous sommes, après tout, au pays de Voltaire) demeure, sans contestation possible, la condition première de toute vie intellectuelle démocratique (et donc, a fortiori, socialiste). Encore faut-il qu’il s’agisse réellement d’une critique et non d’une simple entreprise de désinformation ou de falsification. Lorsque –pour ne prendre qu’un seul exemple– Anselm Jappe avait entrepris, en 2008, de soumettre l’ensemble de mes positions philosophiques à une critique radicale et sans concession (l’essai a été repris dans Crédit à mort), son analyse n’en demeurait pas moins fondée sur un examen scrupuleux des textes, et témoignait ainsi d’une parfaite honnêteté intellectuelle (c’est d’ailleurs, en partie, grâce à cette critique que j’ai pu prendre une conscience beaucoup plus nette de l’importance théorique majeure des travaux de Robert Kurz et de Moishe Postone sur la loi de la valeur). Il faut dire que Jappe a été formé à l’école de Debord et non à celle de Bourdieu ou de Foucault.
Toute autre, évidemment, est la manière de procéder de nos nouveaux croisés. Trois exemples –j’aurais pu en choisir quantité d’autres– suffiront ici à expliquer un tel jugement. Lorsque, dans le Complexe d’Orphée, je moquais les recommandations de la Halde – cette noble invention de Jacques Chirac – visant à « interdire l’enseignement de la poésie de Ronsart (« discriminante envers les seniors ») ou obliger les professeurs de mathématiques à privilégier les exercices valorisant l’homosexualité » (j’ajoutais : « on imagine une démonstration du théorème de Pythagore conduite sur ces bases épistémologiques ») ce passage – en lui-même parfaitement clair – devient aussitôt, sous la plume savante de Luc Boltanski : pour Michéa, « la Halde serait coupable de prôner la “valorisation de l’homosexualité” » (Boltanski s’étant évidemment bien gardé de signaler aux lecteurs du Monde tout ce que j’avais pu écrire, par ailleurs, sur Pasolini et sur la lutte des homosexuels pour leurs droits).
Lorsque, dans les Mystères de la gauche, j’écris que nous devons définir « un nouveau langage commun susceptible d’être compris – et accepté – aussi bien par des travailleurs salariés que par des travailleurs indépendants, par des salariés de la fonction publique que par des salariés du secteur privé, et par des travailleurs indigènes que par des travailleurs immigrés », ce passage devient aussitôt, sous la plume (d’ordinaire beaucoup mieux inspirée) de Serge Halimi : pour Michéa, le pilier du nouveau bloc historique doit donc être un individu « musclé, français et chef de famille ».
Lorsque, dans le Complexe d’Orphée, j’écris que « ce n’est donc pas tant par leur prétendue “nature” que les classes populaires sont encore relativement protégées de l’égoïsme libéral. C’est bien plutôt par le maintien d’un certain type de tissu social capable de tenir quotidiennement à distance les formes les plus envahissantes de l’individualisme possessif » (« tissu social » dont j’ajoutai immédiatement que le développement de l’urbanisme libéral était en passe de l’éroder, au risque d’engendrer ainsi une « lumpenisation » d’une partie des classes populaires), ce passage devient aussitôt, sous la plume avertie de Frédéric Lordon : « Michéa s’interdit de voir que le peuple ne doit qu’à des conditions sociales extérieures (et pas du tout à son “essence” de “peuple”) de ne pas choir dans l’indecency » (et Lordon s’empressait d’ajouter que, d’un point de vue moral, les classes populaires ne valaient pas mieux que ceux qui les exploitent –le peuple étant lui aussi, selon ses mots, « capable de tout », et d’abord de « casser du gay », de « ratonner » ou de « lever le bras à Nuremberg »). Il est vrai que Frédéric Lordon a réussi le tour de force de dénoncer la « faiblesse conceptuelle » de ma théorie de la common decency tout en dissimulant constamment à ses lecteurs (et cela, pendant onze pages !) ce qui en constituait justement le pilier central, à savoir l’usage que je fais de l’œuvre de Marcel Mauss et de ses héritiers (Serge Latouche, Alain Caillé, Philippe Chanial, Paul Jorion, Jacques Godbout, etc.) afin d’en déduire une interprétation moderne et socialiste (ce que la Revue des livres –conformément à l’éthique éditoriale si particulière de Jérôme Vidal– commente joyeusement en affirmant que « Frédéric Lordon dissipe ici avec vigueur et humour les malentendus qu’une lecture superficielle des écrits de Michéa peut produire » !).
Je ne te ferai évidemment pas l’injure, mon cher Philippe, de te ranger, toi aussi, dans la même niche que ces nouveaux chiens de garde et leurs dévoués cyber-trolls. Je connais trop bien ta gentillesse naturelle et je sais aussi à quel point tu es fidèle en amitié (à défaut d’être aussi constant dans tes engagements politiques puisque, si ma mémoire est bonne, tu es déjà successivement passé par le Parti socialiste, le Mouvement des citoyens, les Verts, la Ligue communiste, le NPA et –pour l’instant du moins– la Fédération anarchiste). Si donc je retrouve dans ton texte la même propension à accumuler les bourdes théoriques les plus invraisemblables et à décrire un auteur fantasmatique dans lequel il m’est évidemment impossible de me reconnaître, au moins suis-je sûr, venant de toi, qu’il ne peut s’agir d’une quelconque opération commanditée, ni d’une volonté délibérée de dissuader le lecteur d’aller contrôler par lui-même la vérité effective de la chose (d’autant que les lecteurs de Médiapart sont quand même infiniment moins moutonniers que ceux du Monde ou de la Revue des livres). J’aurais donc plutôt tendance, dans ton cas personnel, à incriminer les effets secondaires du Publish or Perish (cette dure loi du monde néo-mandarinal à laquelle, Dieu merci, nous autres enseignants du primaire et du secondaire avons toujours pu échapper), ainsi que cette tendance assurément touchante qui a toujours été la tienne à vouloir que ton nom soit imprimé partout en lettres de feu. Double contrainte à coup sûr épuisante et qui exige une productivité d’écriture véritablement surhumaine. Car lorsqu’on se trouve ainsi professionnellement obligé d’écrire à la chaîne et de publier de façon industrielle, il arrive forcément un moment où l’on n’a plus le temps de lire sérieusement les textes qu’on est censé analyser. Reprenons donc les choses de façon plus calme et, cette fois-ci, sans sacrifier au culte moderne du fast writing (et du fast reading) de la nouvelle gauche mandarinale.
Le premier reproche que tu m’adresses c’est donc d’être à la fois « essentialiste » (je saisirais les « réalités socio-historiques comme des “essences”, c’est-à-dire comme des réalités homogènes et durables, plutôt que traversées par des contradictions sociales et historiques ») et « manichéen » (ma logique de pensée serait désespérément « binaire »). A ce niveau de généralité et d’abstraction, j’avoue ne pas trop savoir comment répondre à une telle accusation. D’autant que tu n’avances –à l’appui de ton affirmation– aucun exemple précis ni aucun argument. Disons quand même que je suis un peu étonné d’apprendre que ma présentation de l’histoire du socialisme et de la gauche (qui constitue l’axe politique principal de tous mes livres) serait « binaire » alors que tout mon travail consiste précisément à montrer qu’il est impossible de comprendre la genèse réelle du socialisme –au XIXe siècle– si on ne l’inscrit pas d’abord dans un jeu à trois (la droite cléricale et monarchiste, la gauche libérale et républicaine et le mouvement ouvrier socialiste –sachant que j’ai toujours précisé que ce jeu triangulaire autorisait toutes les passerelles et toutes les hybridations). Travail qui s’écarte, par conséquent, de l’habituel affrontement binaire et intemporel entre une « droite » et une « gauche » dont les essences respectives auraient été fixées, une fois pour toutes, en 1789 (avec comme conséquence inévitable l’idée historiquement absurde selon laquelle Marx et Bakounine auraient toujours revendiqué leur appartenance inconditionnelle à la « gauche ». J’en profite, au passage, pour te rappeler que dans les Oeuvres Choisies de Marx et d’Engels –publiées à Moscou en 1970– le terme de « gauche » n’apparaît même pas dans l’index final !). L’ennui, c’est que cette seconde interprétation est justement celle que tu défends en pratique. Si donc, sur ce point précis, quelqu’un se montre « binaire » et « essentialiste », c’est bien plutôt Philippe Corcuff que son humble serviteur.
Quant à mon « essentialisme » supposé, j’avoue être plus perplexe encore. J’ai, en effet, toujours pris soin de substituer au terme d’essence du libéralisme (tu peux, par exemple, te reporter sur ce sujet à mon entretien de 2008 avec les militants du MAUSS) celui de logique libérale (voire de « logiciel » libéral). Choix qui n’était évidemment pas innocent. Si, en effet, le concept d’essence renvoie incontestablement à une approche « platonicienne » –elle-même d’ailleurs souvent caricaturée– celui de logique (ou de dynamique) n’a clairement de sens, en revanche, que dans une perspective hégélienne et marxiste. Mais c’est peut-être ici, après tout, que se situe la véritable origine de tes erreurs de lecture. Car en m’efforçant ainsi de saisir la logique du libéralisme, je n’ai évidemment jamais prétendu décrire telle ou telle société libérale à un moment donné de son histoire (ni, a fortiori, la pensée effective de tel ou tel penseur libéral singulier). Même si j’ai dû, bien sûr, accorder une attention particulière aux circonstances historiques concrètes –et d’abord aux guerres de Religion– qui ont joué un rôle décisif dans la naissance du paradigme moderne et de l’axiomatique libérale (je te renvoie ici au dernier livre d’Arlette Jouanna sur la « Naissance de l’imaginaire politique de laroyauté », qui confirme en tout point mes analyses). Je me proposais seulement de décrire les tendances de fond du mouvement historique (mouvement nécessairement contradictoire et complexe puisqu’il articule dialectiquement un moment économique, un moment juridico-politique et un moment culturel) qui caractérisent le système libéralconsidéré dans sa cohérence ultime (encore faut-il, naturellement, qu’on tienne la forme de civilisation rendue possible par un tel système pour un « fait social total » et non comme un simple assemblage de compartiments séparés). En quoi je ne faisais évidemment que suivre la leçon de Marx (ce que presqu’aucun de mes critiques universitaires n’a, d’ailleurs, été capable de relever). Le Capital, en effet, n’analyse pas telle ou telle société concrète de son temps (même s’il emprunte la plupart de ses illustrations empiriques au capitalisme anglais). Il analyse, en réalité, la dynamique pure de l’accumulation du capital (cette « force révolutionnaire permanente » –comme l’écrit David Harvey– qui définit « la caractéristique fondamentale du système capitaliste »). Analyse dont l’abstraction constitutive est redoublée par les effets de la méthode dialectique, qui procède toujours, comme tu le sais, « de l’abstrait au concret ». Chaque partie de l’ouvrage y est ainsi consacrée à l’étude d’un moment déterminé de cette dynamique du capital, abstraction faite, par conséquent, de ses relations concrètes aux autres moments. Dans le livre I, par exemple, le procès de production est analysé abstraction faite du problème de la circulation et de la réalisation de la valeur. Dans le livre II, c’est la structure inverse qui domine. Et le tout, sous l’hypothèse méthodologique –éminemment « essentialiste »– d’une société réduite à deux classes, la bourgeoisie et le prolétariat. Or c’est précisément cette structure volontairement abstraite du Capital –et que Rosa Luxembourg a magistralement développée, en 1913, dans l’Accumulation du Capital (n’oublions pas que les livres II et III ne sont, en effet, que des brouillons édités par Engels)– qui explique, selon moi, l’incroyable actualité de cet ouvrage. Car si, pour l’essentiel, Marx ne s’est pas trompé dans sa « critique de l’économie politique » (je laisse ici de côté sa vision du socialisme qui pose, en revanche, de tout autres problèmes, dans la mesure où celui-ci est supposé trouver sa « base matérielle » préalable dans la croissance illimitée du capital), il s’ensuit que le capitalisme contemporain est historiquement enclin à rejoindre, tôt ou tard, son propre concept (mondialisation de la concurrence, concentration du capital, révolution technologique permanente, généralisation du crédit et de la mobilité des hommes, des marchandises et des capitaux, baisse tendancielle du taux de profit et développement corrélatif du « capital fictif », etc.). Autrement dit, à déployer progressivement –dans des conditions politiques chaque fois déterminées par l’état des luttes de classes –toutes les figures de son « essence » contradictoire. Mais, sans doute, penses-tu que Marx était lui-même un théoricien « essentialiste » –voire « manichéen », puisqu’il ne travaille, dans le Capital, que sur un modèle abstrait à deux classes– et qu’il ignorait donc superbement les « contradictions sociales et historiques » des sociétés de son temps (ce qui expliquerait, au passage, le peu d’usage réel que tu fais du Capital dans tes différents travaux).
Après quoi –et au terme d’un long détour par Max Weber destiné à m’apprendre qu’il existe, dans l’histoire concrète, des « conséquences non intentionnelles de l’action » (ce qui n’est jamais, après tout, que le principe de base de mon interprétation de la dynamique libérale !), tu te risques enfin à hasarder quelques affirmations plus précises. A t’en croire, je défendrais ainsi « depuis une dizaine d’années une thèse principale qui tend à opposer deux types d’essences dans l’histoire occidentale moderne. Les essences du Mal, constituées par les Lumières du XVIIIe siècle, le libéralisme (…), l’individualisme et la gauche, et les essences du Bien représentées par le socialisme ouvrier originel et lacommon decency ». Common decency dont tu crois bon de préciser qu’elle prend « souvent l’allure chez Michéa d’une caractéristique intemporelle propre à la nature humaine ». Une fois ce curieux théâtre conceptuel mis en place (théâtre conceptuel qui conviendrait assurément mieux aux envolées métaphysiques d’un Bernard-Henri Levy ou d’un André Glucksmann), tu n’as alors évidemment aucun mal à en déduire l’unique conclusion souhaitable. Selon Michéa, tout le drame de l’histoire contemporaine procèderait, en somme, de ce que les « essences du Bien auraient été perverties par les essences du Mal ». De là, bien sûr, ta « réfutation » triomphale, propre à déchaîner le plus vif enthousiasme chez tout lecteur du Monde ou de Libération (ou des sites correspondants du Web). Comment Michéa –sauf à être un fieffé réactionnaire– peut-il ainsi méconnaître les merveilleuses vertus de l’idée d’émancipation individuelle portée par la modernité, puisqu’il est censé voir dans celle-ci l’origine même des quatre « essences du Mal » ? Et, plus encore, comment peut-il « se tromper sur l’analyse historique » au point d’ignorer que « nombre de penseurs des débuts du mouvement socialiste » puisaient une partie de leur inspiration dans la Philosophie des Lumières et la Révolution française ?
J’imagine ici que tous ceux qui ont lu, même superficiellement, n’importe lequel de mes livres sont déjà tombés de leur chaise ! Peux-tu, en effet, me citer un seul texte dans lequel il me soit arrivé, un jour, de parler de cette grandiose théomachie entre les « essences du Bien » et les « essences du Mal » ? Si tel était le cas, tu pourrais effectivement me ranger à bon droit parmi ces « essentialistes » et ces « manichéens » qui peuplent ton zoo métaphysique personnel. Le problème –et tu es forcément le mieux placé pour le savoir– c’est que c’est toi, et toi seul, qui a délibérément inventé toutes ces catégories surréalistes et qui a aussitôt jugé médiatiquement rentable d’en faire le fond réel de ma pensée, quitte à manipuler, pour ce faire, tous les lecteurs de Mediapart. Or je pouvais d’autant moins recourir à une telle « conceptualisation » qu’une partie essentielle de mes analyses de la common decency a précisément pour objectif de lui assigner une origine anthropologique concrète (je vais y revenir dans un instant) et de la distinguer ainsi de ce que j’appelle précisément les Idéologies du Bien. Autrement dit, de tous ces « catéchismes dont les commandements aliénants n’ont de sens qu’à l’intérieur d’une métaphysique donnée –qu’elle soit d’origine religieuse, politique ou autre » (c’est, au passage, ce qui m’a toujours permis de distinguer la véritable décence commune –ou populaire– de toutes ses contrefaçons idéologiques et moralisatrices). A tel point que, dans l’Empire du moindre mal, j’écrivais même que toute idéologie du Bien étant, par définition, une « construction idéologique éminemment oppressive, on pourra reconnaître, sans difficulté, une valeur réelle au principe libéral du “primat du juste sur le Bien” » (et j’ajoutais logiquement que c’était justement cette idée philosophique qui légitimait l’appel adressé par George Orwell au mouvement socialiste de son époque à négocier un compromis défensif avec les libéraux chaque fois qu’un pouvoir totalitaire –à l’image de celui des Nazis– menaçait réellement les libertés les plus élémentaires). Preuve, si besoin était, que je n’ai jamais pu voir dans le libéralisme l’incarnation même d’une quelconque « essence du Mal », même s’il est effectivement devenu aujourd’hui l’ennemi principal des peuples et le moteur premier de cette « mondialisation » qui détruit la nature et l’humanité. Jusqu’à preuve du contraire, cette « essence du Mal » n’existe, par conséquent, que dans tes fantasmes privés.
Je vais donc essayer, aussi brièvement que possible, de rétablir la vérité –ne serait-ce que par respect pour tes lecteurs– en me concentrant sur les seuls points essentiels à notre débat, lesquels se trouvent logiquement être aussi ceux que tu présentes à ces lecteurs de la manière la plus fantaisiste. Je laisserai, par conséquent, de côté toutes tes autres affirmations (bien que j’aie, par exemple, toujours autant de mal à prendre au sérieux ton idée selon laquelle le monde de Steve Jobs, de Bill Gates ou de Pierre Bergé ne pourrait trouver les conditions culturelles de son développement optimal que dans une société « conservatrice », nationaliste, homophobe, raciste, religieuse et patriarcale).
Considérons d’abord la conclusion à laquelle j’estimais être parvenu, au terme des Mystères de la gauche (puisque c’est officiellement le livre dont tu prétends rendre compte). Le projet socialiste –écrivais-je ainsi– est donc né « sous un double signe philosophique. D’un côté, il apparaît incontestablement comme l’un des héritiers les plus légitimes de la philosophie des Lumières et de la Révolution française –dans la mesure où il en reprend clairement à son compte le souci égalitaire et l’idée qu’un projet d’émancipation véritable n’a de sens que s’il s’inscrit sous des fins universelles (…). Mais, de l’autre, il représente également la critique la plus radicale et la plus cohérente qui ait jamais été proposée du ce nouveau monde libéral et industriel dont les principes constitutifs se fondent, par une curieuse ironie de l’histoire, sur le même héritage philosophique » (et je rappelais ici qu’Adam Smith était, avec David Hume, « le plus célèbre représentant de la philosophie écossaise des Lumières »). C’est pourquoi j’invitais logiquement le lecteur à « reprendre le problème sur des bases plus dialectiques, c’est-à-dire à accepter enfin d’avoir à penser avec les Lumières contre les Lumières » (formule dont tu sais pertinemment que je l’ai reprise à ce bon vieux « réactionnaire » d’Adorno). Comme tout lecteur peut ainsi le vérifier par lui-même, ma « thèse principale » se situe donc à des années lumières de celle que tu m’as si généreusement prêtée (même si, encore une fois, je ne pense pas qu’il s’agisse de ta part d’une volonté délibérée –comme chez Boltanski ou Lordon– de dresser un cordon sanitaire préventif entre le lecteur de gauche et l’ensemble de mes livres, mais bien plutôt d’un effet logique de ta méthode de lecture « en diagonale », méthode, à coup sûr, inévitable dès lors qu’on aspire, comme toi, à devenir l’auteur le plus prolixe du Web).
Quant aux critiques que les premiers socialistes –à l’image d’un Pierre Leroux ou d’un Victor Considérant– adressaient à l’universalisme abstrait de la philosophie des Lumières (ce « règne idéalisé de la bourgeoisie », selon la formule d’Engels), elles se fondaient d’abord sur l’idée que l’homme n’est pas un individu « indépendant par nature », ni guidé par son seul « intérêt bien compris » ou son seul « amour-propre »(cette « anthropologie noire » fondée par Hobbes, Adam Smith et même Rousseau, que Marx moque sous le nom de « robinsonnades »). Et qu’en conséquence, le projet d’émancipation individuelle portée par la philosophie des Lumières ne pouvait recevoir de sens concret et véritablement humain que si on le reprenait dans l’horizon d’une vie réellement collective –le libre développement des uns ne trouvant sa conditionde possibilité effective que dans celui des autres (« il n’y a pas de vrai bonheur dans l’égoïsme » aimait ainsi à dire George Sand). Aux yeux des premiers socialistes, une société organisée par la seule logique de l’individualisme calculateur (ou « rationnel ») ne pouvait conduire, en effet, qu’à dissoudre progressivement toute forme de vie commune (ce que Pierre Leroux appelait la « désassociation » du genre humain et Engels l’« atomisation du monde ») et, avec elle, toute notion traditionnelle d’entraide –voir Kropotkine– ou de solidarité effective (la « société » se trouvant alors réduite – selon le vœu de Margaret Thatcher– à un ensemble toujours renouvelé de micro-contrats privés entre des individus dont chacun ne chercherait, par hypothèse, qu’à « maximiser son utilité »). De là, bien sûr, le nom même de « socialisme » –ou de « communisme »– que les premières associations ouvrières opposaient fièrement à l’individualisme possessif et narcissique des libéraux, c’est-à-dire à cette « exagération charlatanesque de la libertébourgeoise jusqu’à l’indépendance absolue de l’individu » (Engels). Et, au passage, on comprend alors pourquoi ce moment anti-individualiste de la critique socialiste a toujours pu rencontrer un écho favorable dans la droite religieuse, conservatrice et réactionnaire, traditionnellement attachée, par définition, à l’idée de communauté (sous la seule condition, bien entendu, que cette communauté demeure hiérarchique et ne porte donc pas atteinte aux privilèges de caste ou de classe). Suffisamment, en tout cas, pour rendre aujourd’hui plausible aux yeux de beaucoup de militants de gauche l’idée que toute critique radicale de la modernité capitaliste –et en premier lieu celle portée par le mouvement de la « décroissance »– serait en réalité d’essence « conservatrice » (n’est-ce pas ainsi être « passéiste » que de vouloir défendre l’agriculture paysanne contre les « progrès » industriels rendus possibles par Monsanto ?). C’est là ce qu’on pourrait appeler, en somme, la « stratégie Barroso » (la critique du libre-échange comme fantasme « xénophobe et réactionnaire »), stratégie qui est devenue –tu peux difficilement l’ignorer– le moyen privilégié pour la gauche libérale contemporaine de discréditer a priori toute critique un peu sérieuse de l’ordre capitaliste et de sa société du spectacle.
C’est donc bien, avant tout, dans le but d’assurer enfin un fondement théorique plus solide à ce sens intuitif de l’être-ensemble (ou de l’«association ») qui soutenait toutes les critiques du socialisme originel que j’ai entrepris –il y a bientôt vingt ans– de m’appuyer sur l’œuvre sociologique de Marcel Mauss (dont on oublie trop souvent qu’il était lui-même socialiste) et sur son idée matricielle selon laquelle la triple obligation de donner, recevoir et rendre constitue effectivement la « trame ultime du lien social ». Structurellement antérieure, de ce point de vue, aux constructions plus tardives du contrat juridique, de l’échange marchand et de l’Etat (dans ton texte, tu cites correctement cette formule –« trame ultime du lien social »– mais sans même t’apercevoir qu’elle ne correspond pas du tout à ma définition de la common decency –comme tu l’annonces tranquillement à tes lecteurs– mais uniquement à celle de son fondement anthropologique, c’est-à-dire de ce que Mauss appelait la « logique du don ». Il est vrai que tu ne dis pas un seul mot de cette dernière !). Bien entendu, dans le Complexe d’Orphée, je ne manquais pas de préciser que si cette triple obligation « transcendantale » constituait effectivement le véritable « socle anthropologique de toutes les
constructions éthiques ultérieures », elle était cependant incapable de spécifier, en tant que telle, « aucun contenu empirique particulier – sous la seule réserve, bien sûr, que ce contenu soit compatible avec les formes mêmes de cette triple obligation, ce qui exclut déjà tous les types de conduite fondés sur le seul égoïsme, tels que la cupidité, l’ingratitude, la lâcheté ou la félonie » (je te renvoie ici aux récents travaux de Kwame Appiah sur l’universalité de la logique de l’honneur). C’est pourquoi j’ai également toujours pris soin de rappeler que la logique du don pouvait connaître, dans l’histoire, aussi bien des formes agonistiques (le potlatch, la vendetta, etc.) que productrices d’alliance et de coopération, égalitaires qu’inégalitaires, étouffantes (par exemple, l’emprise psychologique de la mère possessive et castratrice) que libératrices (par exemple l’amitié). Et qu’en conséquence, les manières quotidiennes de donner, recevoir et rendre propres à une société socialiste (ne serait-ce qu’à l’intérieur d’une coopérative autogérée ou dans le cadre de l’autonomie locale) devraient impérativement se dérouler sous le signe politique privilégié de l’égalité et de l’autonomie individuelle (ce qui implique très probablement –comme Proudhon l’avait pressenti– le maintien de la petite propriété privée et d’un secteur marchand aux pouvoirs bien définis et contrôlés par la collectivité). On pourra, par exemple, trouver chez John Dewey –un auteur familier à tous les anarchistes– une série d’analyses tout à fait remarquables sur la façon dont l’autonomie réelle des individus –loin de s’opposer de manière absolue au sens de la communauté et de l’appartenance (comme dans le modèle libéral et ses variantes parisiennes prétendument « libertaires »)– trouve au contraire en lui sa condition de possibilité la plus fondamentale.
Quant à la common decency (que je définissais comme la « réappropriation moderne de l’esprit du don, sous la forme de règles intériorisées par la “conscience morale”individuelle »), j’ai également toujours souligné que, dans le sens où l’entendait George Orwell, elle empruntait clairement une partie décisive de ses principes concrets, « consciemment ou non, à d’autres sources historiques et culturelles que le seul esprit du don – qu’il s’agisse ainsi de la mémoire collective des luttes populaires antérieures (comme, par exemple, celles des républicains de 1793 et des niveleurs anglais) ou de l’écho indirect d’un certain nombre de débats philosophiques et religieux » (Orwell mentionne d’ailleurs lui-même le rôle essentiel de l’égalitarisme chrétien dans la formation de la version occidentale de la common decency –tout comme Simon Leys, le meilleur commentateur d’Orwell– soulignait celui du confucianisme dans celle de sa version asiatique).
Devant des textes aussi clairs –et que j’aurais pu multiplier à l’infini– je ne parviens donc toujours pas à comprendre comment tu peux t’obstiner à faire courir le bruit partout (car tu es un professionnel du Web) que la common decency représenterait pour moi « une caractéristique intemporelle propre à la nature humaine ». Or dès lors qu’on élimine à la fois l’hypothèse de la falsification délibérée et celle de ton manque de sérieux intellectuel (tu es, quand même, après tout, maître de conférence à l’université de Lyon !) il ne reste plus qu’une seule explication plausible à cette volonté qui est constamment la tienne de délégitimer à tout prix l’idée même de common decency. C’est qu’en tant que sociologue formé à l’école de Saint Bourdieu (tout comme Boltanski et Lordon), il t’est forcément très difficile de reconnaître la place que devrait tenir la dimension morale dans toute critique radicale du capitalisme. Ce qui te conduit curieusement à retrouver –certes, sous une forme beaucoup plus « libertaire »– tous ces vieux réflexes léninistes que ton passage par la Ligue et le NPA n’a certainement pas dû améliorer. Pour Lénine en effet –on le voit bien, par exemple, dans sa polémique fondatrice avec Nikolaï Mikhaïlovski et les populistes russes (ces derniers refusant avec raison d’opposer mécaniquement les analyses du Capital et la critique morale du libéralisme)– « Werner Sombart avait raison de dire que, d’un bout à l’autre, le marxisme ne contient pas un grain d’éthique » (Cf. Le contenu économique du populisme, 1895). Or, à l’opposé de cette lecture strictement déterministe du marxisme (que l’ouvrage de Paul Blackedge –Marxism and Ethics– vient de réfuter de manière, à mon avis, définitive) et donc de toute prétention à édifier un socialisme purement « scientifique » (prétention qui fait évidemment la part trop belle à tous ces « experts » qui estiment que le peuple est structurellement incapable de penser et d’agir hors de leur tutelle éclairée)– je persiste à croire que le point de départ réel de la prise de conscience par les gens ordinaires des effets déshumanisants (et dévastateurs pour la nature) du système capitaliste est presque toujours une indignation, c’est-à-dire une révolte morale. Même si, ensuite, il est clair que seule une théorie critique radicale –dont l’élaboration ne saurait, de toute façon, être le monopole des intellectuels de métier– est à même de prendre entièrement en charge, et de conduire politiquement à son terme, cette indignation première. Et pas seulement le point de départ. C’est bien, en effet, le ferme maintien de cette capacité morale de s’indigner et de se révolter –devant le fait évident, comme l’écrivait Orwell, qu’il y a « des choses qui ne se font pas »– qui, seul, apparaît en mesure d’immuniser durablement un mouvement révolutionnaire contre la croyance faussement « réaliste » selon laquelle « la fin justifierait les moyens ». Et, par conséquent, contre ce que Bakounine dénonçait déjà comme le risque d’un « gouvernement des savants » –dont il croyait percevoir les prémisses dans le « socialisme scientifique » de Marx. Ou l’anarchiste polonais Jan Makhaïski, à la fin du XIXe siècle, comme celui d’un « socialisme des intellectuels », porté par les nouvelles classes moyennes. Telle est bien, en dernière instance, la fonction politique première du concept de common decency (qui ne saurait donc être entièrement compris sans les leçons qu’Orwell avait su tirer de son expérience du stalinisme –notamment lors de la guerre civile espagnole). Et si notre pauvre Frédéric Lordon nous avoue être personnellement incapable de comprendre ce que pourrait bien signifier concrètementl’invitation « moralisatrice » à se comporter de façon décente dans tous les domaines de la vie quotidienne (ne serait-ce que sur le plan intellectuel), cela nous en apprend certainement beaucoup plus sur lui que sur la triste réalité qui est devenue aujourd’hui la nôtre (« le voleur croit que tout le monde vole », dit ainsi un proverbe chinois).
Il me reste, pour terminer cette lettre déjà trop longue, à préciser un point qui, je crois, pourrait offrir à nos lecteurs la clé ultime de toute cette affaire. Tu as tenu, en effet, à placer ta « critique » de mes idées sous le signe privilégié de la distinction opérée par Max Weber entre l’« éthique de conviction » (ou encore l’« éthique absolue ») et l’« éthique de responsabilité ». Aux yeux du sociologue allemand, la première serait celle qui commande aux hommes (c’est toi-même qui a choisi cet exemple) « un devoirinconditionnel de vérité ». Alors que la seconde nous inviterait, au contraire, à privilégier systématiquement les conséquences réelles de nos principes moraux. « Ce qui sépare ces deux éthiques – écris-tu ainsi à juste titre – c’est donc l’attention ou pas aux effets de ce qui est dit et fait. » Je t’avouerais, mon cher Philippe, que cette distinction qui te semble si évidente m’a toujours parue extrêmement ambigüe. Soit, en effet, elle vise simplement à nous mettre en garde contre toute éthique indifférente à l’humanité réelle (« Fiat justicia, pereat mundus »). Mais cela signifie alors que cette prétendue « éthique absolue » n’est que l’autre nom de ce que j’ai appelé une idéologie du Bien –idéologie au nom de laquelle, en général, on remplit les camps et les cimetières (une véritable éthique –on le sait depuis Aristote– est en effet toujours attentive au concret et n’ignore donc pas les « cas de conscience » et les « tempêtes sous un crâne ». Je te renvoie ici, entre autres, aux travaux d’Alasdair MacIntyre). Soit, au contraire, cette distinction constitue un appel à renoncer à nos principes fondamentaux (ou, au minimum, à transiger avec eux) chaque fois que les circonstances historiques sont supposées l’exiger. Il se trouve que la seule question qui importe à tes yeux –en bon disciple de Max Weber– c’est de découvrir enfin le meilleur moyen de « combiner » les deux. Or, pour te le dire franchement, il me semble que tu t’aventures ici sur un terrain particulièrement glissant (surtout pour quelqu’un qui se veut désormais « anarchiste »). Certes, tu prends bien soin de préciser qu’il n’est pas « nécessairement » question « d’abandonner la visée de vérité » (encore heureux !). Il s’agirait plutôt d’apprendre –dans le cadre de ce que tu appelles significativement tes « Lumières tamisées » –à mettre cette visée « en rapport avec une éthique de la responsabilité se souciant des conséquences sur le monde des paris de vérité que nous pouvons formuler les uns et les autres ». Ou –comme tu l’écris de façon encore plus claire– en nous interrogeant d’abord sur le « “comment le dire”(sic), en fonction du contexte et de ses effets prévisibles ». Le problème, avec ce genre de « dialectique », c’est qu’on sait toujours très bien où elle commence mais jamais vraiment où elle s’arrête. Et qu’elle invite un peu trop facilement ses subtils partisans –au nom du « contexte » et des « conséquences »– à prendre d’inquiétantes libertés avec la notion même de vérité. Imaginons –simple exemple pris au hasard– que dans le « contexte » actuel, les idées d’un certain Michéa, si fondées soient-elles, aient des « conséquences prévisibles » particulièrement néfastes pour la bourgeoisie de gauche. Quelle devrait alors être, sur un tel sujet, le « pari de vérité » d’un critique corcuffien ? Chacun reconnaîtra, bien sûr, dans cet exemple tout à fait imaginaire, une version rajeunie du vieux schéma idéologique qui a conduit, tout au long du siècle écoulé, la plupart des intellectuels de gauche (mais ni un Orwell ni un Camus –d’où l’animosité discrète qu’ils continuent de susciter) à vouloir éviter par tous les moyens– par exemple en dissimulant « provisoirement » l’existence des crimes de Staline– de « désespérer Billancourt » (sous le règne de François Hollande et de Pascal
Lamy, sans doute vaudrait-il mieux dire « pour ne pas désespérer le Marais, la place des Vosges et le Luberon »). C’est la raison pour laquelle je me garderai bien de te suivre sur ce chemin. Car s’il y a une chose, en effet, dont je sois absolument certain –à la lumière de toute l’expérience révolutionnaire du XXe siècle– c’est que, comme l’écrivait Antonio Gramsci, seule la vérité est révolutionnaire. Et qu’il faut donc toujours être prêt à la dire telle qu’elle est, quel que soit le contexte et quelles qu’en soient les conséquences. Même si –en agissant de la sorte– on risque évidemment toujours de faire « objectivement » le jeu de l’ennemi (surtout quand la logique de l’affrontement n’est pas « binaire » et qu’il existe, par conséquent, des « ennemis de nos ennemis ») ou même d’en recevoir les chaleureuses félicitations (n’est-ce pas, après tout, la CIA elle-même qui avait financé la première adaptation cinématographique d’Animal Farm ?). Et même à supposer qu’il puisse exister, un jour, des circonstances où l’on devrait cacher la vérité au peuple « dans son propre intérêt » (ou afin, comme on dit plus sobrement, de ne pas donner « des armes à la droite »), il reste –et cela, tu ne peux pas l’ignorer– que la vérité finit toujours, tôt ou tard, par sortir de l’armoire et apparaître aux yeux de tous. C’est d’ailleurs ce qui explique qu’à la fin de l’histoire, ce soient malheureusement toujours les mêmes –autrement dit, les classes populaires– qui se retrouvent à devoir payer l’addition laissée par les doctes défenseurs d’une éthique « responsable ».
Comme je te l’ai dit en commençant, mon cher Philippe, je reste absolument convaincu qu’il n’y a en toi aucune trace de malhonnêteté intellectuelle, ni même d’un véritable désir d’augmenter à tout prix ton « capital symbolique » personnel. De toute évidence, tu n’es ni un Boltanski ni un Lordon. Et j’ai bien compris que, dans toute cette ennuyeuse histoire, tu ne cherchais d’abord qu’à purger notre pauvre monde de tous ses démons « manichéens » et « essentialistes ». Mais le résultat, hélas, est exactement le même. Car le fait est que, toi aussi, tu as bel et bien fini par imposer à tes lecteurs une image entièrement déformée de mes livres et de mes positions. Puisse donc la lecture des Essais de George Orwell (je parle, naturellement, d’une lecture sérieuse, et non « en diagonale » !) te permettre enfin d’accéder à une conception plus révolutionnaire –et, à coup sûr, plus décente– de la vérité. C’est tout le mal que je te souhaite.
Amicalement,
Jean-Claude Michéa
vu sur Médiapart 2 AOÛT 2013
Non à l'abandon des animaux !!!
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