Les Peron, l’Argentine, le Justicialisme - Jean-Claude Rolinat
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- Catégorie : HISTOIRE
Les Peron, l’Argentine, le Justicialisme - Jean-Claude Rolinat - Cahier d’Histoire du nationalisme n°21, 200 pages, 24,00€ TTC
Sortie 25 mars 2021
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Description :
Cette 21e édition des Cahiers d’histoire du nationalisme nous emmène dans les années d’après-guerre en Amérique latine, plus précisément en Argentine, pays qui fut le théâtre d’une expérience politique originale : le Justicialisme. Surtout, le pays des gauchos et de la pampa fut le décor exotique d’une saga qui n’en finit pas de faire parler d’elle, celle des Perón.
Dans cette nouvelle édition revue et augmentée, qui reprend une partie des deux ouvrages publiés précédemment, Perón, dans la collection « Qui suis-je ? » aux éditions Pardès, et Evita, la reine sans couronne des descamisados aux éditions Dualpha, nous revisitons l’extraordinaire ascension d’une petite « causette de la pampa », qui s’est hissée au rang des plus grandes stars mondiales. En sa compagnie, nous assistons à l’émergence d’une doctrine politique originale, tentant de concilier le « national » et le « social », le justicialisme, incarné par son mari le général-président Perón.
Dans ce Cahier, l’auteur nous montre comment dans sa conquête des cœurs des « sans chemises » et dans la mise en œuvre de cette politique, l’inoubliable Eva Duarte illumina d’une lueur fulgurante les huit années passées aux côtés de son président de mari, avant qu’une cruelle maladie ne l’arrache à l’affection de ses millions d’afficionados, tragique événement qui allait plonger l’Argentine dans le malheur pour plusieurs années.
Idole des descamisados, ce couple mythique a traversé l’histoire et, un peu comme le Gaullisme en France, reste une sorte de référence à ses lointains héritiers, lesquels, libéraux ou démocrates-socialistes, n’en finissent pas de trahir l’esprit d’origine du justicialisme. Affublé du qualificatif de « fasciste » par ses adversaires, cette doctrine politique s’en écartait par le côté plutôt débonnaire de son inspirateur, même si les grandes messes populaires convoquées devant la Casa rosada , pouvaient ressembler à celles du Duce place de Venise…
Toujours imité, rarement égalé, le Péronisme inspira d’autres caudillos. Getulio Vargas au Brésil, comme Hugo Chavez au Venezuela dont parle également cet ouvrage, incarnèrent à leur manière une sorte de « péronisme de gauche », avec les échecs qu’on leur connait.
Que la lecture commence …
Les cinquante premiers donateurs d’En Marche (pour ne pas oublier)
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Nous rendons publique la liste des 50 premiers donateurs d’En Marche, mouvement politique créé par l’alors ministre de l’économie Emmanuel Macron avec l’aide de quelques banquiers et personnels de Bercy, recrutés et rémunérés par l’argent du contribuable afin d’aider à la promotion du candidat.
Ces cinquante personnes ont toutes contribué à la création du mouvement plusieurs mois avant l’annonce de sa création. Parmi eux apparaissent certains des personnages clefs du quinquennat, récompensés pour leur générosité.
Ainsi de Dominique Boutonnat, donateur de 7500 euros, propulsé à la tête du CNC (Centre national de la cinématographie) trois ans plus tard malgré l’indignation générale, et par la suite maintenu en poste malgré sa mise en examen pour viols et pédophilie. M.Boutonnat, outre son don, avait organisé une collecte de fonds au sein du siège de Rothschild, ancien employeur de M. Macron, lors d’une soirée avec champagne à volonté financée par ce dernier.
Du père d’Ismaël Emelien, ex-employeur de Stanislas Guérini et dont le recrutement du fils au ministère de l’économie par Emmanuel Macron permettrait à ce dernier, en contravention avec toutes les règles déontologiques et légales applicables, d’utiliser les moyens du ministère pour se mettre au service du candidat – tandis que sa conjointe travaillait chez Havas, entreprise qui serait chargée de l’organisation d’un déplacement pré-éléctoral à Las Vegas intégralement financé par Business France, alors dirigé par Muriel Pénicaud – aux de Rothschild en passant par Nicole Notat, pilier du Siècle chargée notamment par Emmanuel Macron du Ségur de la Santé – cette liste offre un accès inestimable aux coulisses du premier entresoi qui a permis à M. Macron, avec l’aide des oligarques Bernard Arnault, Xavier Niel et Arnaud Lagardère dont l’appui précieux aura été négocié avec Nicolas Sarkozy, de se voir, du jour au lendemain, propulsé au cœur du pouvoir afin de défendre les intérêts d’un « Petit Paris » dont les candidats s’étaient soudain effondrés.
On y découvre des personnages peu connus du grand public, comme Nicolas Dmitrieff, président du directoire du conglomérat CNIM, entreprise clef du complexe industrialo-militaire, sauvée par l’Etat de la faillite suite à l’intervention de l’Élysée en novembre 2020. En échange de services rendus ? La question peut dorénavant être posée, d’autant plus que cet apport personnel du président du directoire du groupe à un stade particulièrement précoce de la campagne n’a selon toute vraisemblance pas été la seule contribution du conglomérat au financement de celle-ci.
Les liens entre les filiales chinoises et les voyages d’un certain Alexandre Benalla ont-ils été volontairement passés sous silence depuis plusieurs années ? Il apparaît en toutes circonstances que quelques mois avant son sauvetage par l’Etat, le groupe recrutait au poste de directeur général un autre « grand donateur » du mouvement En Marche, apparaissant sur nos listes, Louis-Roch Burgard, contributeur au maximum du plafond légal à la campagne de M. Macron.
Seules les personnes ayant donné plus de 1000 euros sont ici répertoriées. Deux mois avant le meeting de la mutualité qui lancerait officiellement le mouvement, 2450 autres, la quasi-totalité vivant dans les beaux quartiers parisiens, avaient déjà donné au candidat. Nous avons décidé à ce stade de ne pas rendre publique leur identité. Parmi eux, outre le père de M. Emelien, quatre Trogneux, un certain Gérard Dargnat – père de Christian Dargnat, ponte de la BNP et véritable organisateur du financement de la campagne d’Emmanuel Macron – mais aussi une multiplicité d’autres parents de très proches du candidat, servant de paravents à des dons qui autrement auraient pu se révéler gênants ou illégaux.
La liste infinie de réseaux enchevêtrés donne une idée de l’importance que cet appui initial a pu représenter. Certains donateurs semblent ainsi avoir été récompensés de façon modeste bien que décisive. Ainsi de Gaël Duval, nommé au Conseil national du numérique après avoir donné 7500 euros. Des noms inconnus comme Olivier Pecoux montrent quant à eux l’emprise de la banque, et en particulier d’une banque, sur l’alors naissant candidat: directeur général de Rothschild, il accompagne au sommet de cette liste son associé gérant Brice Lemmomier ainsi que deux des enfants de David de Rothschild, Alexandre et Louise, aux côtés de certain des avocats d’affaires les plus sulfureux du pays, comme Jean Reinhart, ainsi qu’une pelletée de banquiers d’affaires et de spécialistes de fusions acquisitions.
97 000 autres personnes ont rejoint ces 50 premiers donateurs dans les mois qui suivraient. Parmi elles, 800 seulement apportèrent le quart des fonds de la campagne et permirent, avec des aides plus indirectes, dont celle d’Unibail – qui offrirait des rabais sur les meetings, Porte de Versailles notamment, grâce à l’entregent d’un certain Benjamin Griveaux, qui y avait opportunément pantouflé après avoir, avec Gabriel Attal, Jérôme Salomon et Olivier Véran, utilisé les moyens du ministère de la santé, au sein du cabinet de Marisol Touraine, pour aider le futur candidat tandis que partout les coupes en ce ministère affleuraient – l’élection d’Emmanuel Macron. Alors que Paris intramuros ne représente que 4% de la population Française, la moitié des fonds de cette campagne auront été apportés par des personnes y ayant leur domicile – dont la moitié dans ses plus beaux arrondissements – l’autre grande majorité provenant de levées de fond menées auprès d’expatriés et de membres de l’élite financière à l’étranger.
Bien que quelques journalistes aient eu accès à ces informations – notamment La Lettre A qui a fait l’objet d’une procédure judiciaire enclenchée par le parti En Marche pour en avoir rendu publiques quelques bribes – et que la liste complète de donateurs a fait l’objet d’un traitement par le CNCCFP, ces noms n’ont jamais été rendus publics.
Ils offrent pourtant à l’ensemble des journalistes, citoyens et chercheurs de ce pays une ressource essentielle pour comprendre, analyser et décortiquer le premier cercle financier et politique ayant enfanté dans le secret la candidature du futur Président de la République, des mois avant que les français n’en soient informés.
ALAZARD |
Philippe |
ALLART |
Jean-François |
AYTON |
Véronique |
BARIL |
Laurent |
BOUNOURE |
Denis |
BOUTONNAT |
Dominique |
BRET |
Arnaud |
BURGARD |
Louis-Roch |
CHARDOILLET |
Hélène |
CHARLIN |
Guillaume |
CONSTANZA |
Jean-Louis et Anne-Laure |
CRAQUELIN |
Marc |
D’ANGELIN |
Cécile et Benoit |
D’HALLEWIN |
Bernard |
D’HALLEWIN |
Bernard |
DARGNAT |
Gérard |
DAUTRESME |
David |
DAVID |
Gilles |
DE BUFFEVENT |
Stéphanie |
DE MONT-MARIN |
Cyril |
DE ROTHSCHILD |
Louise |
DE ROTHSCHILD |
Alexandre |
DMITRIEFF |
Nicolas |
DUVAL |
Gaël |
EMELIEN |
Jean-Pascal |
FALLER |
Denis |
FARGEON |
Sylvain |
FLEUROT |
Olivier |
GALLIENNE |
Ian |
GENDRY |
Luce |
GERBI |
Arthur |
GIOVANSILI |
Florence et Frédéric |
GIQUELLO |
Alexandre |
GROYER |
Sébastien |
JAIS |
Patrick |
KOBAR |
Ibrahima |
LARUE |
Fabrice |
LE MENESTREL |
Didier |
LEMONNIER |
Brice |
LOY |
Marc |
MAROIS |
Jean-Pierre |
MASSET |
Astrid |
MASSIERA |
Alain |
MIQUEL |
François |
NOTAT |
Nicole |
PECOUX |
Olivier |
REINHART |
Jean |
RIAL |
Jean-François |
WAHNICH |
Gilbert |
Sources : https://aurores.org/macron
Les chevaleries par H. De Montherlant
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L’an 1919, cinq jeunes gens français sentirent le besoin de former entre eux une société un peu codifiée et un peu âpre. Les deux aînés, de vingt-cinq et vingt-trois ans (j'étais celui-ci), venaient de combattre. Les autres avaient vingt et un, seize et quatorze ans.
Je n'ai jamais évoqué sur le papier ce petit mouvement, parce qu'assez tôt je le détournai, et en fis autre chose : en le mêlant, dans mes écrits, à cette « autre chose » — qui fut l'esprit du stade, — j'aurais embrouillé tout. Et parce qu'en vérité nous ne l'approfondîmes pas plus, que nous ne le menâmes à sa fin. Mais comme nous voici de nouveau au terme d'une guerre, je reprends intérêt à ce mince remous que fit l'autre en s'enfonçant.
Choix du clan. Ce que nous y apportions. Juvénilité.
A tort ou à raison, le monde où nous, combattants, nous ressuscitâmes en 1919, nous le vîmes abject. C'est le temps où je publiais dans la revue les Lettres un article intitulé : France, pitié du monde ; l'année de la victoire, il me semblait que la France ne pouvait que faire pitié à tous; et la suite a prouvé qu'en effet la France de 1919, qui était grosse de la France de 1940, méritait bien déjà de faire pitié. Il apparut à ceux d'entre nous qui furent les promoteurs de cette société, que deux voies seulement s'ouvraient à nous pour échapper à une telle abjection : celle de la conduite solitaire, et celle du petit clan. Il ne pouvait être question un instant que l'individu fût sacrifié ; je pensais et je pense que l'individualisme est le produit des civilisations supérieures. Mais aucun de nous ne voulait être un solitaire. Nous choisîmes donc le petit clan. Au vrai, lorsqu'une société de cette sorte est aussi réduite, chacun de ses membres ne la sent pas très différente de lui-même : l'individu y prend des rameaux, mais les remplit.
Je venais d'être démobilisé, et étais loin d'en avoir mon saoul : l'ennui naquit un jour de l'uniforme ôté. P., l'autre promoteur, qui avait vingt et un ans, n'avait pas été soldat. J'apportais une insatisfaction guerrière, du mépris pour les civils, de la sollicitude tendre pour les sentiments héroïques : dans le latin du moyen âge, mon patronyme signifie « chevalier », P. apportait la même insatisfaction, quoique plus virulente, et la passion de verser et de pétrir, dans un moule civil, une morale militaire analogue à celle dont il n'avait pu goûter. J'apportais, avec le sens de la Castille, quelque christianisme d'imagination, sans foi et sans pratique (mon bagage gréco-latin, qui était mon seul bagage culturel, ne fut pas employé du tout dans cette affaire). P. apportait une certaine connaissance du moyen âge européen, une teinture de la philosophie et de la morale japonaises, et un penchant vif pour ces fortes individualités de l'ancien Japon, aventuriers et condottieres, les Nobunaga, les leyasu, les Yamamoto Kansuka, que nous utilisâmes dans l'élaboration de notre romanesque. Ce fut l'apport de P. qui donna sa couleur au groupe.
Il faut prévenir sans tarder que tout cela était très juvénile, et plus peut-être qu'on n'attendrait de garçons dont trois étaient « majeurs » et deux guerriers, cités, blessés, etc. Mais on a répété maintes fois qu'il y a quelque chose d'enfantin dans le militaire; armée, école, tout cela est « collège »; et la chevalerie était un collège elle aussi (1). Enfin, il n'y avait pas plus de six ans qu'un des aînés fondait, à l'école, une petite société semblable à celle qui nous occupe ici : à Sainte-Croix de Neuilly nous avions eu « la Famille », composée de huit membres (comme les huit fondateurs de l'Ordre du Temple), que les autorités du lieu persécutèrent et finalement dissolvèrent : toute chevalerie se paie. Ensuite, à la guerre, nous avions connu l'esprit de corps, à tous ses degrés : le régiment, le bataillon, la compagnie, la section. Et c'est parce que nous étions très juvéniles qu'en souvenir des ordres de chevalerie nous nommâmes « l'Ordre », sans plus, notre institution. Toutefois nous évitâmes, même comme un jeu, appellations et insignes : nos insignes étaient intérieurs. Bien que deux d'entre nous fussent encore presque des enfants, on n'avait pas besoin pour les séduire d'une pacotille d'insignes, de grades ou de rites : ad populum phaleras. Nous étions juvéniles, mais je crois que jamais nous ne fûmes niais. Et je regrette que tous les mouvements éducatifs n'observent pas pour eux-mêmes cette nuance.
Un acte de séparation (orgueil de L'Ordre).
Donc, au principe de l'Ordre, un besoin de séparation d'avec le milieu, pour pouvoir vivre une vie respirable; un repliement, non sur soi-même, mais sur une poignée d'êtres choisis. Oui, l'Ordre naquit, d'abord, d'une réaction. Nous nous pensions et nous disions le meilleur, et tel que tous eussent dû être. Pour un peu, nous eussions à longueur de jour donné des leçons à tout le monde; le pli m'en est resté. Du mépris, j'avais de quoi en fournir à notre groupe au complet, sans en rien perdre. (J'ai vu depuis que le mépris est une pente qu'il est difficile de remonter.) Et, de tel de nos camarades, un autre disait : « Quand une feuille d'automne, se détachant, lui tombe sur le crâne, il trouve que l'arbre lui a manqué. »
Je crois que ces traits sont communs à toutes les chevaleries : le chevalier, chrétien ou japonais, s'oppose par essence au bourgeois. Il ne saurait en être autrement pour quelqu'un qui porte une civilisation intérieure plus rare et plus avancée que celle qui a cours autour de lui. L'orgueil est un devoir pour les bushi (chevaliers japonais) (2). Pas un des jésuites de là-bas, au XVIIe siècle, qui ne se plaigne de leurs dédains; selon moi, c'étaient des dédains attrayants. L'orgueil gonfle nos chevaliers féodaux, prenant souvent la forme délirante, un orgueil de panthère, chez ceux de Castille (3) : l'Eglise n'a pas trop de toutes ses foudres et de toutes ses pratiques d'humilité, pour les garder en main (et de cela devraient se souvenir les gouvernements : le catholicisme est un élément d'ordre dans une société pléthorique, et un élément de mort dans une société dégénérée et débile (4). D'ailleurs la chevalerie européenne n'était pas aimée. Sans parler de la haine générale, et de l'envie, contre le Temple et contre l'Ordre de Calatrava (ni même des outrages qu'on inflige à Don Quichotte), la chevalerie était détestée par l'Eglise, qui a toujours cherché à ruiner tout ce qui avait ou pouvait avoir une influence; par la royauté, qui prenait ombrage de son indépendance, de sa puissance et de sa fierté; je pense que le petit peuple lui portait plus de respect que d'amour, et qu'il y avait surtout de la crainte dans ce respect.
Et un pacte de solidarité.
Il me semble que l'Ordre fut premièrement un acte de séparation et un pacte de solidarité, et que les vertus que nous y enfournâmes ne viennent qu'après. Solidarité, c'est le caractère qui en fut le plus résistant, et observé avec le plus de scrupule. « Entre nous c'est à la vie à la mort » nous disait le cadet, ou: « Je ne te ferai jamais de vacheries », qui sont les deux expressions extrêmes, la noble et la triviale, du besoin d'absolu qu'a l'adolescence. Je fis rentrer cela dans l'humain; notre pacte fut réduit à quatre années; c'est déjà beaucoup. Il était non seulement de ne faire jamais quoi que ce fût l'un contre l'autre, mais de tenter d'empêcher, par toutes ses forces, le mal qu'un tiers pouvait vouloir à un de nous; et de s'aider, en n'importe quel rencontre.
Cet engagement, dans l'ensemble, nous le tînmes. Il n'est pas tout à fait vrai que nous nous entraimions également, comme les douze Pairs ; mais nous faisions, pour l'Ordre, ce que peut-être n'eût pas dicté l'élan spontané. Si tel d'entre nous s'oubliait à agir contre un autre membre, celui-ci le lui pardonnait incontinent : « Le pardon se formule en moi à l'instant même que vous m'offensez », est une parole que j'ai entendue. Et je me vois encore, quelques heures après avoir posté une lettre malgracieuse à l'adresse d'un de nous, pensant avoir à me plaindre de lui, lui expédier un pneumatique où je lui marquais avec fermeté que je ne l'abandonnerais jamais. Et ces seconds mouvements ne venaient pas du cœur; ils n'étaient qu'observance de notre règle.
L'assistance pécuniaire elle-même, bien que secondaire, n'était pas omise de l'Ordre, car deux de nos camarades, quoique bourgeois, crevaient de faim quasiment. Cette assistance, elle non plus, n'était donnée ni par pitié, ni par charité, ni par largesse, ni par amitié; elle n'était qu'obéissance à la loi de l'Ordre. De même déjà, dans notre chevalerie de Sainte-Croix, un des membres, Marc de Montjou, en soutenait un autre, et cela sans la moindre contre-partie d'aucune sorte de la part de celui-ci.
Il est à peine besoin de dire que le monde ne vit jamais, de notre société, que le fait que nous étions amis. Sur tout ce qui se passait entre nous, et plus particulièrement, peut-être, sur les déconvenues qu'il nous arrivait de nous donner les uns aux autres, le secret était des plus profonds.
Morale de l'Ordre. Ce qu'on y trouvait.
Quelle était notre morale, qui était, comme le bushido (5), une morale pratique (6)? (Et nous aimions fort que dans l'éducation des samouraïs il n'y eût place ni pour la métaphysique ni pour les maths, etc., mais seulement pour la morale, et pour la seule morale qui soit défendable, celle des sentiments chevaleresques.) Je renverrais volontiers mon lecteur, sans autre commentaire, à la « Lettre d'un père à son fils », de Service Inutile, si je n'avais retrouvé une mienne note manuscrite de 1919, où je lis ces mots : « Droiture, fierté, courage, sagesse. » Là-dessous un tiret, qui indique que nous avons épuisé les vertus cardinales, et que celles qui suivent sont d'un ordre un peu moins éminent; et elles sont : « Fidélité, respect de sa parole, maîtrise de soi, désintéressement, sobriété. » Cette énumération est un peu différente de celle de la « Lettre », tracée treize ans plus tard.
Il semble d'abord qu'il n'y ait rien là qui ne soit dans toutes les morales, et dans la morale « naturelle ». Mais nous poussions chacun de ces sentiments au chevaleresque, je veux dire que nous l'aiguisions fort; et un sentiment bien aiguisé pénètre toujours un peu plus profond qu'il n'est dans les convenances. En ce sens, notre morale était, comme toutes les morales de clan, un peu hors la loi, un peu « dangereuse ». C'est ainsi que nous eussions fait, sans le moindre remords, un faux témoignage devant les tribunaux, pour sauver un des nôtres.
Elle était peut-être « immorale », aussi, de ne valoir guère qu'entre nous. De même on a reproché au bushido d'être immoral par manque de respect pour les droits de ceux qui ne faisaient pas partie de la caste militaire.
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J'ai dit que nous ne portâmes jamais d'insignes. Mais nos couleurs étaient, idéalement, le noir et le blanc, — soit que P. les eût choisies telles pour avoir été les couleurs de l'étendard des Templiers, et celles du vêtement des chevaliers teutoniques, soit que je fusse entêté du noir de ma Castille, sinon du noir et blanc de la Prusse. Mais lorsque, l'Ordre dissous, j'appris, dans les stades, que les « individuels » — sportifs, qui ne veulent appartenir à aucun club — portaient le maillot noir, parce que le noir (ce que j'ignorais) est la couleur de l'anarchie, et lorsque ce maillot fut celui que j'endossai le premier, je rêvai un peu. L'Ordre n'était pas une anarchie, puisqu'il avait sa loi. Mais sa loi n'était pas celle des autres, ou ne l'était que de ça de là, et par fortune. Une loi de cette sorte perdit le Temple.
Morale de l'Ordre. Ce qu'on n'y trouvait pas : la religion, la galanterie, le prosélytisme.
P., d'abord catholique croyant, avait eu une crise, puis s'était séparé avec violence, et se vengeait d'avoir cru. Il vidait la chevalerie chrétienne du christianisme : œuvre téméraire, et qui semblerait absurde, si nous n'avions malgré tout bonne mesure de chevaliers athées et « blasphémateurs »; je songe à Gaumadras dans Garin de Montglane, à Raoul de Cambrai qui se fait servir force viandes le vendredi saint, à Guillaume d'Orange qui donne des coups de pieds aux moines, dans le Moniage Guillaume, à Hachembaut et à son explosion de nihilisme dans Doou de Maience; Et il y en a d'autres. Par-là, P. retrouvait le bushido. La religion du bushi est très vague; le shintoïsme ne s'occupe presque pas de l’immortalité de l'âme; la chevalerie japonaise est une chevalerie d'athées, qui deviendra même, au XVIIIe siècle, une chevalerie de « blasphémateurs »; le marquis Ito, « le plus grand Oriental depuis Confucius », prétend que les Japonais sont le peuple le plus athée de l'univers. Là encore l'Ordre continuait la « Famille » de Sainte-Croix, où nous réalisâmes ce paradoxe que, gouvernés et excités par des prêtres, toute notre chevalerie, et nous en eûmes! ne fit jamais la moindre part au surnaturel, et que Jésus-Christ n'y compta aucunement.
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Une autre façon de rejoindre le bushido, c'était d'exclure de notre morale, non pas, loin de là, tout rapport avec le sexe, mais toute galanterie. Nous nous essayions à une civilisation où il n'y avait de place ni pour les prêtres, ni pour les femmes, ni pour les bourgeois. La femme ne joue aucun rôle dans la majoration romanesque du bushi : elle est faiseuse et éleveuse d'enfants, rien de plus; hommes et femmes, d'ailleurs, ne sont jamais en commun; dans aucune classe de la société japonaise la femme n'est plus dédaignée ni moins libre. Et là encore, malgré l'apparence, nous ne sommes pas si éloignés de la chevalerie européenne. Pour quiconque « sent » la chevalerie, la grande époque de la chevalerie, où elle fut une chose qui force le respect et l'amour même d'un anti-chrétien déclaré, ce sont les XIe et XIIe siècles. Or, en ce temps-là, les chevaliers n'ont que mépris pour les femmes; presque tous pourraient dire, avec Raoul de Cambrai : « Maudit soit le chevalier qui va demander conseil à une dame »; souvent, dans notre littérature épique, on les voit les frapper jusqu'au sang, seulement parce qu'elles jaspinent trop, pour les faire taire; et ils en ont d'ailleurs le droit, O lectrices des petits journaux de modes, flétrissez comme il se doit ces soi-disant preux, qui n'étaient en somme que des « mufles »! Loin que les femmes aient joué le noble rôle que l'on croit dans la chevalerie, elles ont été un des ferments de sa décomposition, lorsque, au milieu du XIIIe siècle, leur goût, devenant maître, a imposé le passage de la saine et sublime littérature germanique des chansons de geste aux niaiseries fades et fausses des romans bretons de la Table ronde. Les romans de la Table ronde, sous le couvert de la galanterie, c'est la chiennerie qui commence; et c'est — plus grave encore, — la morale de midinette, qui, depuis lors jusqu'à nos jours, en l'émasculant et en l'éloignant du réel, a fait tant de mal à notre France.
Enfin l'esprit de prosélytisme n'était pas dans l'Ordre. Nous « donnions des leçons », mais peu nous importait si elles fructifiaient. De même, bien que nous n'eussions aucune opposition de principe à l'admission de nouveaux membres dans l'Ordre, et que nous y eussions accueilli volontiers qui nous eût plu, notre société, dans les quelque dix mois qu'elle resta vivante, ne s'accrut pas.
Caractères de l'Ordre. Une pointe de Jansénisme.
Toujours, au milieu de mon goût pour les délices, circula un courant austère : Sparte, Plutarque, Sénèque, la Castille, le Jansénisme, la guerre. Toujours je trouvai en moi deux catholicismes, le catholicisme non pris au sérieux, c'est-à-dire le catholicisme à l'italienne, le catholicisme « homme de la Renaissance », et le catholicisme pris au sérieux, c'est-à-dire le Jansénisme; et je les alternais, d'imagination (n'ayant, bien entendu, ni foi ni pratique). J'inventai de fourrer du Jansénisme dans l'Ordre. Port-Royal et l'Ordre sont de petites sociétés que roidit un esprit d'opposition et de réforme, où l'on se tire du pair, ou croit s'en tirer, par ses vertus (remarquons, d'autre part, que tous les bushi, même le shogun, prennent à cinquante ans l'habit d'un ordre religieux ou d'un tiers ordre). Saint-Cyran est Basque, le « côté espagnol » de la sœur Angélique a été souvent signalé; par eux je rejoignais la chevalerie espagnole et Don Quichotte. Je m'animais de ce que l'année 1616, où commence le règne des Tokugawa, qui selon certains auteurs voit l'apogée du bushido, fût l'année où Saint-Cyran et Jansénius, à Bayonne, étudient saint Augustin et fondent le Jansénisme. Et de quoi encore ne m'animais-je pas, la bonne volonté à coup sûr y étant!
Par-là, et par-là seulement, je mettais dans notre Ordre une goutte de christianisme. Elle ne fut pas longue à s'évaporer.
Caractères de l'Ordre. Humanisme et délices.
Le bushido, dès qu'il se forme, est déjà, à la fois, une sagesse et un héroïsme, une sagesse de cape et d'épée : la voie du sage et la voie du héros courent parallèles. Il sera aussi, plus tard, un humanisme et un jardin de délices. Des héros qui ne sont pas des imbéciles! O rare spectacle!
Nous attendions l'épreuve, mais l’épreuve-test, non l’épreuve-douleur. J'en veux et en ai toujours voulu à cette croyance, si enracinée dans l'Occident, que le héros doit n'être pas heureux. C'est une croyance petit-luxe. Il faut qu'il soit heureux, aussi; bien que héros, et parce que héros. Risquant sans cesse sa vie, par goût, et l'immolant avec folie, le bushi, nous dit un auteur, est cependant « épris d'une vie que le shinto déclare divine »; et on sait que les Japonais n'avaient pas moins de sept dieux pour le bonheur. Voluptueux et stoïque : alliance que symbolise ce condottiere japonais qui partait en campagne avec un éventail de fer, selon l'usage des généraux de ce temps, et s'en servait à l'occasion comme de masse d'armes pour assommer les ennemis.
Les bushi, du moins à partir de l'époque de la Renaissance, sont aussi lettrés et artistes. Avant, même : souvenons-nous du vers favori d'Ieyasu, homme d'action et homme d'Etat : « II avait décidé, non de vivre, mais de savoir. »
J'aime le sang et le lait, comme les Mânes. Ce sang pur et sévère, qui était celui de l'Ordre, coulait comme à travers un lac de lait parfumé. Un guerrier qui n'était pas un artiste était pour nous une bourrique, et un artiste qui n’était pas un guerrier était pour nous une femme. Deux de notre Ordre, Dieu me pardonne, faisaient figure d'intellectuels. Et tous garçons de l'enseignement secondaire : « rosa la rosé » était consciencieusement arrosée dans notre horlus deliciarum, qui était aussi un champ clos de combat : alors comme aujourd'hui j'aurais préféré voir mon fils mort, à le voir ignorer le latin. Bien qu'il y eût des chevaliers chrétiens et des samouraïs qui n'eussent pas de naissance, nous n'imaginions pas (je dis les choses telles qu'elles furent, sans juger) que l'Ordre pût fleurir en dehors d'une certaine condition sociale: condition sur laquelle, certes, nous n'étions pas exigeants; mais il y fallait un minimum.
Deux images de l'Ordre.
Avant de finir, je voudrais donner deux images de l'Ordre, choisies à ses extrémités : l'une sublime, l'autre brutale, ces deux caractères étant inhérents à toute chevalerie.
Première image. — L'Ordre était mort, et il jeta encore un long rayon de soleil couché. Notre institution, en fait, était dissoute. Mais un de nous se souvenait du pacte de quatre ans, et pensait qu'il le devait observer malgré tout, du moins avec ceux qui témoignaient d'en avoir besoin. Un tel le témoigna, et il était celui qui méritait le moins. Il avait fait sa fleur et son feu, quand l'esprit de l'Ordre l'alimentait; seul, il était peu, et allait toujours s'amincissant. Toutefois, celui de nous qui voulait soutenir le pacte n'abandonna pas ce garçon, pour autant. Durant les trois années qui restaient à courir, il l'appuya de ses conseils, de son aide, de ses deniers. Cependant il ne l'aimait pas, et ne l'avait jamais aimé. Il était comme ces catholiques de baptême qui reçoivent l'extrême-onction : le christianisme est mort dans leur cœur; ils disent les paroles sans y croire, puis cessent d'être silencieusement. «Pourquoi faire tant pour lui? » lui demandais-je un jour. Il me répondit : « Parce qu'il en est indigne. » Cela était l'Evangile, je pense.
Quel poids lourd, quel poids horrible, que donner les marques de l'affection, sans l'affection! Les quatre ans révolus, du jour au lendemain il le laissa tomber. Ouf! Quelle délivrance! L'autre eut l'esprit de le bien prendre, ou peut-être de ne s'y pas frotter. On dit que les actes restent, que les paroles restent; les êtres non. Dieu merci.
Maintenant il faut aller à l'autre bout; on croirait que nous ne vivions que sur les hauteurs. Cela n'est pas mon genre, ni celui de qui j'aime; la nature était forte en nous.
Donc, nous voici partant pour quelque forêt suburbaine, Rambouillet ou Fontainebleau. Nos épées sont des brownings, avec lesquels nous chasserons les lapins des halliers (chasse tout idéale : oncques n'en tuâmes un). Là-bas, nous louons des vélos, qui seront nos Bavieça et nos Veillantif, car il ne s'agit de rien moins que de combats singuliers; et fort singuliers, on va le voir. Sur une route un peu solitaire, deux d'entre nous, enfourchant leurs vélos, prennent du champ, en sens opposé. Puis ils virent, foncent à toute vitesse, et se jettent littéralement l'un sur l'autre, vélo sur vélo. Si on a pris son élan de quelques mètres, le vainqueur est celui qui ne sera pas démonté. Si on l’a pris, comme il nous arrivait, de soixante à cent mètres, la violence du choc démonte les deux champions, et le vainqueur est celui qui est le moins blessé.
D'ordinaire, une seule de ces rencontres suffisait à mettre hors de cause chevalier et destrier. Nous n'avions plus qu'à regagner la ville, à pied, passant d'abord chez le pharmacien, pour nous faire réparer, puis chez le loueur de vélos pour régler la douloureuse, souvent seigneuriale à souhait, car jamais vélo ne sortit tout à fait indemne de ces jugements de Dieu. Nous étions presque contents lorsqu'un de nous était un peu sérieusement blessé, et nous affections de ne nous occuper guère de lui, comme ces parents qui pour rien au monde ne sortiraient de l'immobilité, s'ils voient leur petit enfant s'étaler, à quelques pas d'eux.
Cet exercice, dont je m'honore d'avoir été l'inventeur, je l'avais baptisé le tang-tang : on admi¬rera au passage l'euphonie japonaise de ce mot. Quand je me remémore les jeux qui fouettèrent le sang de nia jeunesse, je songe à la tauroma-chie, au sport, à la guerre... Mais le tang-tang n'est pas oublié.
Déclin et mort de l'Ordre....
La petite société des héros et de ceux qu'ils aiment portait en elle un principe de mort : ma présence. C'était moi qui l'avais fondée, mais, n'est-ce pas? aedificabo et destruam. J'y mettais quelque chose de trop tendu pour ne devenir pas, un jour, un peu convulsif ; et quelque chose de douloureux; enfin, paraît-il, une atmosphère irrespirable, comme si dans tout cela je n'avais cherché, sans le vouloir, qu'à aviver une conscience toujours plus pathétique de moi-même. Où donc ai-je lu cette phrase : « De toutes les choses d'ici-bas, la chevalerie est celle qui est la plus réfractaire à la nuance »? L'Ordre mourut de trop de nuances, ou plutôt de ce que nous les ressentions avec trop de pointe. Il mourut, mourut avec lenteur, oh! On peut dire qu'il se sentit mourir dans tous ses moments; nous n'en perdîmes pas une goutte.
Il fallut donc sortir. Sortir, c'est-à-dire se salir. Mais il est hors de doute que, si nous nous salîmes quelque peu, ce fut cette fois à l'air libre. L'Ordre des derniers temps n'était plus qu'une boîte fermée, une machine à se faire souffrir les uns les autres.
P. alla vers le scoutisme (non confessionnel). Moi et N. vers le sport athlétique. Les deux autres s'écoulèrent et se diluèrent au sein d'une vie inconsistante : ils n'ont pas eu plus de part à ce monde que les poissons n'en ont à l'océan.
On peut, si on veut, trouver des analogies entre l'Ordre et le sport : le petit clan devient l'équipe, l'esprit chevaleresque le fair play; et les vertus du sport, ascèse, exclusion des femmes, etc., nous venons de les voir ailleurs. Tout ne serait pas faux dans ce rapprochement, mais je ne le nourris jamais. Ordre et sport restèrent pour moi des choses distinctes.
Vie éternelle de l’Ordre.
Quand notre « Famille » de Sainte-Croix fut arrivée à un point où, elle aussi, elle ne pouvait plus que mourir, un jésuite, qui avait vu pourtant quelque chose de son intérieur, nous dit : « Vous sourirez de tout cela quand vous aurez vingt ans. »
Phrase ineffaçable, merveille de l'aveuglement, monument de la matière. Trente années ou presque ont passé, et cette « Famille » dont je devais sourire, je ne l'évoque qu'avec un serrement du cœur; je l'évoque comme le temps le plus pur de tout le temps que j'ai jamais vécu.
De l'Ordre non plus je ne souris pas aujourd’hui. Il dura moins de dix mois, la « Famille » en avait duré six à peine; mais c'est l'intensité qui est tout. Et la magnanimité. Nous eûmes de l'une et de l'autre. Que le reste soit effacé.
En juin 1940, de la Somme à Compiègne, on voyait de petits groupes d'hommes durs et désespérés, qui s'obstinaient autour d'une mitrailleuse à chargeur rigide, ou d'un canon minuscule, tandis qu'alentour, à droite, à gauche, roulaient vers l'arrière les mille torrents de ceux qui décidément préféraient vivre. Eux aussi, comme ceux de tous les Ordres, ils étaient opposés ici et opposés là : opposés à l'ennemi, qui les massacrait, opposés à leurs frères qui les abandonnaient et qui, les abandonnant, leur en voulaient encore (car nous le savons maintenant plus que jamais, l'homme n'aime pas les braves). Eux aussi, comme ceux de tous les Ordres, croyant faire ce qu'ils faisaient pour une cause extérieure —- ou peut-être ne le faisant même pas pour cela, car dès alors la partie était perdue, — ils ne le faisaient en réalité que pour eux-mêmes; elle est fausse, la devise des Templiers, et fausse pour n'importe quel Ordre : Domine, non nobis. Et je me dis que, s'il y avait eu en France plus de ces petits groupes…
Conclusion
La « Famille » de Sainte-Croix vit le jour la veille même de la guerre de 1914. Et l'Ordre vit le jour à son lendemain même, comme si c'était la « Famille » qui ressortait après avoir coulé en souterrain pendant les quatre années de la guerre. Pareillement, lorsque, en mai 1940, j'abandonnai ma table de travail pour aller au champ de bataille, j'y laissais les feuillets d'une étude sur Port-Royal, qui m'occupait depuis plusieurs mois. Et lorsque j'en revins, je me sentis pressé d'écrire sur l'Ordre, comme si c'était, Port-Royal que je reprenais. J'en conclus que l'esprit de chevalerie fleurit au bord des guerres, comme l'edelweiss au bord des abîmes (pour moi du moins).
J'ai dit en commençant que l’Ordre naquit par réaction contre une société qui nous apparaissait abjecte. Nombreux sont donc ceux qui penseront qu'une évocation de l'Ordre n'est pas à sa place dans la France nouvelle. D'autres penseront qu'elle a peut-être sa place, dans une nation humiliée. D'autres penseront qu'il y a là un accent et un langage d'un autre monde, dont il n'y a aucune chance —- à espérer ou à craindre — qu'ils puissent être entendus aujourd'hui.
H. DE MONTHERLANT
Sources : Le Solstice de juin - Juillet 1940.
Notes :
(1) Une des formules de l'adoubement du chevalier : Te in nostro collegio accipio (quand il reçoit la chevalerie).
(2) A Nikko, au tombeau de Ieyasu, situé sur une éminence boisée, où l'on monte par deux cents marches, d'où descendent les cascades, sont inscrits ces vers enivrants, qu'il aimait à s'appliquer à soi-même :
Ici est la cime. La multitude qui est au-dessous
vit comme elle peut.
Cet homme avait décidé, non de vivre, mais de savoir.
Enterrez-le ici.
Sa place esî ici} où des météores éclatent, où des nuages se forment
d'où partent les éclairs,
où les étoiles vont et viennent.
Que la joie accueille la tempête!
Que la rosée envoie la paix!
Des desseins sublimes doivent avoir des effets sublimes.
Laissez-le être couché sur la hauteur.
Plus sublimes encore que le monde ne le soupçonne ont été sa vie et sa mort.
(3) Un seul trait : alors que partout, au moyen âge, l'homme a besoin de son semblable pour être armé chevalier, le Castillan s'arme soi-même.
(4) Tolstoï, étudiant la victoire, japonaise sur les Russes en 1905, l’attribue au fait que les Japonais ne sont pas chrétiens. (Teruaki Kobayashi, la Société japonaise, p. 40).
Les bushi combattaient aussi le bouddhisme, autre mode d’énervement. Tout ce qui est enlevé à la religion peut et doit être donne à la patrie.
Renan compte, parmi les causes d'affaiblissement de l'armée romaine à la fin de l'Empire, l'introduction du christianisme dans les cadres et la troupe. Toutefois, gardons-nous ici des généralisations trop abruptes. Mais il semble logique que le goût de la faiblesse, l'excitation nerveuse, la peur de l'enfer, propres au christianisme, anémient un peuple. L'indifférence à la mort des hommes de l'antiquité, aujourd'hui des Musulmans, des Japonais, en fournirait la contre-épreuve.
(5) Je rappelle que ce mot désigne, au Japon, le code des bushi (nobles) et des samouraïs. Peut-être, toutefois, nous étions-nous crée un bushido d'imagination. Mais y eut-il jamais un autre bushido que d’imagination? Voir, à l'article bushido ajouté par Chamberlain a la traduction française de son livre, ce qu'il y aurait a rabattre de l'idée qu'on se fait de cette institution.
(6) Comme l'avait été déjà celle de la « Famille ». « Nous y avons appris la morale par la pratique », ai-je écrit de Sainte-Croix (Relève du Malin).
I-Média n°333 – Gérald Darmanin. Scandales, dissolution et diversion
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Dix questions à Jean Haudry pour ne pas perdre le Nord
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Propos recueillis par Frédéric Andreu-Véricel
Cher Monsieur, vous venez de commettre un texte fort savant sur le thème de l'habitat des Indo-Européens. Tiré d'un ensemble de travaux en cours, ce dernier s'inscrit dans une conception nordique de la tradition et des hommes.Sans prétendre faire le tour du sujet, les questions suivantes visent à lever un coin du voile sur ce thème aussi déterminant que controversé (FAV).
Q1 - À l'instar des Inuits de la zone arctique dont le lexique connait de très nombreux termes pour désigner la neige, la glace et, pour se repérer dans l'espace, d'un nombre encore plus grand de termes pour désigner le blanc, le PIE reflète-il le cadre de vie nordique ?
R -Il est probable que les Indo-Européens ont eu plusieurs noms de la neige et du gel quand ils habitaient les régions circumpolaires. Toutefois, avec l’optimum climatique qu’on situe entre 12.700 et 10.700 avant notre ère, ces régions étaient moins enneigées qu’elles ne le sont aujourd’hui. En s’installant dans les régions tempérées, les Indo-Européens ont pu perdre les noms de certaines variantes devenus sans objet. Mais le lexique a conservé un doublet significatif. Au début, le nom de la neige s’identifie à celui de l’hiver. Par la suite, il s’est créé un nouveau nom dérivé de la racine signifiant «coller» typique de la neige des régions tempérées de plaine. Pour la couleur blanche, l’indo-européen distingue entre le blanc brillant et le blanc mat.
Q2 - Votre texte nous apprend par ailleurs qu'une langue agglutinante aurait vraisemblablement précédé la flexion de l'Indo-Européen. Sait-on pourquoi cette mutation s'est opérée en Indo-Européen alors que d'autre langue comme le turc ne l'ont pas connu?
R -Toute langue agglutinante ne devient pas flexionnelle. Les langues flexionnelles sont rares parmi les langues du monde.
Q3 - L'espace circumpolaire (où vous situez la formation de l'ethnie) va du pôle nord au cercle arctique. C'est donc un immense territoire composé d'une calotte glacière, d'îles et de terres. En l'absence de découverte archéologique probante, les spéculations vont bon train quant au lieu de l'habitat. Un espace plutôt qu'un autre a-t-il cependant votre faveur?
R -L’espace circumpolaire n’est pas nécessairement celui de la formation de l’ethnie qui pouvait exister antérieurement, que ce soit indépendamment ou comme partie d’un groupe plus étendu. Mais il est impossible de préciser le lieu correspondant, qui a pu être englouti à la suite du réchauffement.
Q4 - Votre approche chronologique de la reconstruction vous a permis de distinguer plusieurs « périodes ». La première vaut pour la seule formation de l'ethnie. Pouvez-vous nous dire combien d'autres périodes avez-vous circonscrit et par quoi ces dernières se caractérisent?
R -La première période de la tradition indo-européenne se caractérise par un panthéon cosmique (Ciel diurne identifié au Soleil, Ciel nocturne, Aurores, Lune, et à prédominance féminine ; c’est le cas pour le Ciel diurne et les Aurores.
On peut supposer une société archaïque, la bande primitive, dans laquelle les femmes jouissaient d’un statut privilégié et d’une liberté qui s’est conservée partiellement dans le mariage dit «par libre choix» de l’aristocratie.
La deuxième période est celle de la société lignagère, patrilinéaire et patriarcale. Elle s’accompagne de la néolithisation. C’est celle où apparaissent les trois fonctions de Dumézil et où la société s’organise en quatre cercles, la famille, le clan, le lignage, la tribu.
La troisième période est la société héroïque, bien connue des historiens. Elle n’est commune qu’en partie.
Q5 - La thèse récente d'un Ulysse balte défendue par Felice Vinci a étonné le monde scientifique. La localisation dans l'espace baltique de la société de type aristocratique décrite par Homère est-elle selon vous crédible ?
R -L’«Ulysse balte» de Felice Vinci n’est admissible qu’à l’intérieur d’une chronologie où il constitue la strate la plus ancienne. Mais les poèmes homériques doivent beaucoup aussi à la société mycénienne, qui est méridionale : elle se partage entre la Grèce et la Crète.
Q6 - Georges Dumézil est notamment connu pour sa théorie des « trois fonctions ». Il semble que certains peuples indo-européens ont généré une caste sacerdotale tandis que pour d'autres, c'est la caste guerrière qui domine. Qu'en est-il des Indo-Européens les plus archaïques ?
R -Ayant mis en lumière la triade des fonctions, Dumézil s’est tout naturellement confiné dans ce que je nomme la deuxième période de la tradition. Ce qui l’a conduit notamment à rejeter l’essentiel du panthéon grec, qui est issu de la période précédente, et à ignorer la période héroïque, celle où apparait la guerre qui est un phénomène récent, comme l’ont montré les archéologues. L’entrée des Indo-Européens dans la «Vieille Europe» agricole et pacifique n’a pas été guerrière, faute de résistance des populations.
Q7 - Vous avez fait remarquer que l'expression « idéologie des trois fonctions » chère à Georges Dumézil est peu idoine aux réalités qu'elle désigne puisque l'indo-européen ne connait pas de mot pour dire « fonction ». On peut en dire autant du terme « indo-européen » puisque cet adjectif appartient au métalangage de la linguistique. Sait-on comment les indo-européens se nommaient-ils eux-mêmes ou comment leurs voisins les nommaient-ils?
R -Le terme d’idéologie me semble impropre pour les trois fonctions. C’est une structure naturelle, spontanée et non une création intentionnelle à base idéologique.
Q8 - Bien que le terme « chamanisme » ne semble pas d'origine indo-européenne, a-t-on trouvé trace d'un chamanisme ancien dans la tradition ? Le fameux « vol d'Icare » du mythe grec a été interprété comme un son ancien au « voyage astral » du chamane. Est-ce selon vous crédible ?
R -Il existe des traces indéniables de chamanisme chez plusieurs peuples indo-européens, notamment les Grecs et les Iraniens. Reste à savoir s’il s’agit de conservation ou d’emprunts.
Q9 - Dans votre texte vous estimez que « la tradition est toujours plus ancienne que le peuple qui la porte ». N'est-ce pas une manière de dire que la tradition n'est pas d'origine humaine et que ne l'étant pas, elle ne peut être que « surnaturelle » ?
R -La tradition est toujours antérieure au peuple qui la porte, mais ce n’est pas une raison pour lui attribuer une origine surnaturelle: c’est un héritage ancestral.
Q10 - Pouvez-vous enfin nous dire un mot sur vos recherches actuelles ? Le texte « l'habitat circumpolaire des IE » fait partie d'un corpus plus étendu, n'est-ce pas ?
R -Il m’arrive encore de pratiquer la recherche, à l’occasion, et de proposer des idées nouvelles comme l’identification de Minos à un dieu Lune époux d’une déesse Soleil nommée «Celle qui brille pour tous» (article des Mélanges de Lamberterie) ou de Balder à un jeune Soleil du prochain cycle cosmique (article des Mélanges Dillmann à paraître). Mais pour l’essentiel, je me consacre à la rédaction de Tradition indo-européenne déjà bien avancée, mais qui progresse régulièrement.
L’habitat circumpolaire des Indo-Européens
Comme les Indo-Européens sont les locuteurs de l’indo-européen reconstruit, qui, avant de devenir une langue flexionnelle, comme le latin et les langues romanes, a été une langue agglutinante et peut-être une langue isolante, il ne faut pas craindre d’étendre cette profondeur temporelle à l’étude de leur tradition, et par exemple reconstruire un modèle dans lequel le printemps, succédant à une nuit hivernale, était effectivement le matin de l’année. Le souvenir s’en est conservé en Inde comme l’indique le passage de la Taittirīya saṃhitā 1,5,7,5 « Jadis, les brahmanes craignaient que l’aurore ne revînt pas. »
Si l’on estime que la formule islandaise til árs oc friðar a pour but de pourvoir à la venue d’une année elle exprime une préoccupation similaire : si la nouvelle année risque de ne pas venir, c’est qu’un hiver éternel peut l’en empêcher. Le souvenir s’en est conservé aussi dans l’Avesta, Yašt 6,3 « quand le soleil ne se lève pas, les démons détruisent tout ce qui existe sur les sept continents ». Il s’est aussi conservé dans le « Grand hiver » de la mythologie scandinave. Les passages d’Hérodote sur les populations qui dorment la moitié de l’année, de Stace sur les hommes primitifs qui, à la tombée de la nuit, « désespéraient de revoir le jour » cités montrent que l’Antiquité classique en conserve également des traces sans qu’on sache par quelle voie ce lointain souvenir lui est parvenu.
L’hypothèse présentée ici diffère profondément de celle de Warren (1885), fréquente au XIXe siècle : un refroidissement de la terre qui aurait commencé par les pôles, et les aurait rendus inhabitables pour l’homme. On sait aujourd’hui que la dernière période habitable des pôles se situe au tertiaire, où l’homme n’existait pas encore. Au contraire, survenu après leur refroidissement qui les a rendus inhabitables, un réchauffement limité qui se situe entre le dixième et le huitième millénaire avant notre ère est un phénomène similaire à celui qui, au moyen âge, a valu au Groenland son nom de « pays vert ».
Ce que j’entends par « tradition indo-européenne » n’est donc pas une tradition qui se serait formée pendant la période commune des Indo-Européens qui se situe entre 4500 et 2500, mais une tradition antérieure dont ils ont eux-mêmes hérité et qu’ils ont transmise à leurs descendants. La tradition est toujours plus ancienne que le peuple qui la porte et la transmet.
La notion de tradition indo-européenne et la perspective chronologique qui en est indissociable permettent de résoudre nombre de problèmes que soulèvent les données observées et souvent, comme pour celui de l’habitat originel, de montrer qu’il s’agit de problèmes mal posés. Elle permet par exemple, pour la signification des feux annuels, de sortir du dilemme, déjà évoqué par Frazer dans le Rameau d’or, et toujours actuel, du « feu solaire » et du « feu purificateur » : la théorie solaire vaut pour la période la plus ancienne, où la disparition du soleil dans la nuit hivernale était une réalité vécue, ou une réalité ancienne dont on conservait le souvenir ; celle du feu purificateur vaut pour les périodes ultérieures à partir de l’introduction de l’élevage au Néolithique.
La fête ionienne-attique des Apatouries fournit aussi un exemple de la pertinence d’une approche chronologique. A en juger par son nom, qui signifie « fête de ceux qui ont le même père », ce devrait être une fête du lignage, se rattachant à la société lignagère de la part centrale de la période commune. Or elle est à la fois plus récente sous la forme dans laquelle elle est attestée, et plus ancienne par ses origines. Plus récente, car c’est en réalité une fête des phratries, placée sous le patronage de Zeus Phratrios et d’Athéna Phratria. Bien qu’elle soit censée regrouper des lignages (génē), la phratrie est une institution d’époque historique qui reflète la solidarité entre voisins, apparentés ou non, comme le mir russe ; un lien avec des compagnonnages guerriers typiques de la société héroïque a également été envisagé. Mais le rituel qui lui correspond, celui du combat de Xánthos « le Blond » contre Mélanthos « le Noir », combat truqué en faveur de Mélanthos par Dionysos à l’égide noire, à l’origine de la réinterprétation du nom de la fête à partir du verbe « tromper », apateîn, n’a aucun lien avec les solidarités sociales, qu’elles soient lignagères, locales ou compagnonniques : il s’agit de la nuit hivernale qui sous-tend nombre de conceptions de la période la plus ancienne de la tradition, et qui a un parallèle dans le combat entre l’Ārya et le Śūdra pour s’emparer d’une image solaire lors du Mahāvrata indien, qui est initialement un « grand tournant », mahāvarta, et non un « grand vœu ». Le nom des Anthestéries qui signifie originellement « traversée des ténèbres » a fait l’objet d’une réinterprétation analogue : il a été réinterprété en « floralies », bien que les fleurs soient totalement absentes des documents correspondants. La situation est similaire à celle de l’expression homérique en nuktòs amolgôi « dans le lait de la nuit » = « dans la lueur tremblante de la nuit » image inconnue en grec alors qu’en védique la nuit et le crépuscule sont souvent figurés par le lait.
La reconnaissance de l’existence de la tradition conduit aussi à distinguer l’âge d’un texte de l’âge de son contenu. C’est ce qu’a montré Filliozat (1962 : 340) à propos des Pléiades dont le Śatapatha brāhmaṇa 2,1,2,2-3 affirme qu’elles ne se départent pas de la direction de l’est. « La position vraie de l’équinoxe vernal dans les Pléiades a eu lieu à haute date, au milieu du IVe millénaire, et il faut, pour qu’elle ait assuré aux Pléiades dans les traditions les plus répandues la première place d’entre les constellations, qu’elle ait été notée comme une découverte capitale en un temps où on ne connaissait pas encore la précession des équinoxes. » Filliozat note que ce fait confirme la datation de Dikshit et de Tilak [1979 (1903) : 17], contestée à tort par Thibaut, Whitney et Kaye. Il serait naturellement absurde de faire remonter au IVe millénaire la rédaction du Śatapatha brāhmaṇa, qui est considéré comme le texte le plus récent de sa catégorie. Il est vrai toutefois que Tilak a eu des formulations malencontreuses comme (1979 (1903) : 122) : « La Taittirīya saṃhitā doit être attribuée à la période des Pléiades (…) vers - 2.500. » Il s’agit naturellement de l’origine d’une petite part du contenu et non de la rédaction de l’ensemble du texte. Tilak n’est pas isolé dans ses conclusions : il a été précédé par Krause (1891 ; 1893 a-b), qui opérait sur de tout autres bases. Quand Kuiper (1960 : 222) suppose que les hymnes à Agni et à Uṣas du R̥gveda célèbrent « la réapparition de la lumière solaire après une période de ténèbres hivernales », il se rallie manifestement à leur hypothèse sans les citer, mais en la formulant explicitement. Bongard-Levin et Grantovskij (1981), qui citent abondamment Tilak, mais ignorent Krause, concluent (115-116) : « Il y a toute raison de soutenir que chez les ancêtres des peuples indo-européens, le cercle complet des représentations « nordiques » que nous avons examiné a pu se former seulement par des contacts directs avec des tribus du Nord, qui habitaient tout près des régions arctiques. » Leurs conclusions ne contredisent pas la théorie des Kourganes qu’ils adoptent explicitement pour des temps ultérieurs. Mais comme ils n’opèrent pas avec la notion de tradition, ils s’en tiennent à des contacts. Or que de tels contacts aient abouti à des anecdotes, comme on en trouve chez Hérodote, chez Lucrèce, chez Pline et bien d’autres, surtout après le voyage de Pytheas (fin du IVe siècle avant notre ère), est naturel. Mais comment imaginer qu’ils aient pu pénétrer aussi profondément dans la pensée des Indo-Européens et plus particulièrement des Indo-Iraniens, des Germains et des Celtes ? Leurs informateurs, qui auraient dû parcourir plus de deux mille kilomètres, ne parlaient pas l’indo-européen, ce qui rendait improbables des contacts culturels et surtout une influence de ces populations que les Indo-Européens, dont les auteurs rappellent à juste titre le développement, devaient considérer comme arriérées. Un peuple ne fonde pas sa vision du monde sur des récits de voyageurs étrangers, surtout s’il s’agit de sauvages. L’accord entre l’origine circumpolaire des Indo-Européens et la théorie des kourganes est en effet possible. Mais il faut opérer avec les notions de tradition et de chronologie de la tradition.
J. Haudry
BIBLIOGRAPHIE
BONGARD-LEVIN G.M., GRANTOVSIJ E.A. 1981 : De la Scythie à l’Inde. Enigmes de l’histoire des anciens Aryens, traduit du russe par Philippe GIGNOUX, Paris : Institut d’études iraniennes de l’Université de la Sorbonne Nouvelle.
FILLIOZAT Jean, 1962: Notes d’astronomie ancienne de l’Iran et de l’Inde, J. as., 250 : 325-350.
KRAUSE Ernst, 1891 : Tuisko-Land der arischen Stämme und Götter Urheimat, Glogau : Carl Fleming.
TILAK Lokamanya B.G., 1903 : The Arctic Home in the Vedas, Poona : The Managar. Traduction française par Jean et Claire RÉMY, Origine polaire de la tradition védique, 1979, Milano : Archè.
WARREN William F., 1885: Paradise Found. The Cradle of the Human Race at the North Pole6 Boston: Houghton, Miffling and Co; Cambridge University Press.
Sources: Euro-Synergies
L'Ethnie Thioise et le Mouvement National Flamand - Roland RAES
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- Catégorie : Régions d'Europe
L'on désigne généralement sous le nom de Flandre les territoires de culture et de langue néerlandaises du royaume de Belgique. En fait, l'ancien Comté de Flandre était beaucoup plus restreint et ne comprenait que deux des Provinces actuelles, ainsi qu’une partie du département français du Nord.
C'est un écrivain romantique, Hendrik Conscience qui, célébrant dans son livre « Le lion de Flandre » (1839) la victoire remportée en 1302 par les milices flamandes sur Philippe le Bel, étendit la notion de « Flandre » à toute la partie néerlandaise de la Belgique et fut à l'origine de la renaissance des lettres flamandes. Le blason du comté de Flandre, « au lion de sable sur champ d'or », allait devenir l'emblème de tout le territoire « néerlandophone » et le mouvement de libération et de renaissance du peuple néerlandais en Belgique se fera connaître sous le nom de « Mouvement Flamand ».
Par ailleurs, nous parlons d’ « ethnie thioise »; il s'agit des territoires constitués par les Pays-Bas et la partie septentrionale de la Belgique ainsi que par une partie du département du Nord, en France, et qui forment une unité aussi bien géographique que linguistique et culturelle. Les « Pays-Bas » thiois proprement dits se situent autour du delta des trois grands fleuves : le Rhin, la Meuse et l'Escaut.
Au temps des invasions germaniques, les Francs, les Frisons,
et les Saxons, venus d'outre-Rhin, descendent vers l’occident; ils absorbent ou chassent la population Celte et pénètrent assez profondément sur le territoire de la France actuelle. La tribu la plus nombreuse, celle des Bas-francs, s'enfonce plus avant vers le sud et, avec son roi Chlodoweg (Clovis), elle jette les bases de l'empire franc, qui atteindra son apogée sous Charlemagne. Les Francs occupent tout le centre des Pays-Bas, les Frisons le nord et les Saxons s'établissent aussi bien à l'est, que le long de la côte. Pendant le Moyen-âge, la langue parlée dans notre région est le bas-franc occidental, et la majeure partie des habitants actuels des provinces néerlandaises et thioises sont eux-mêmes des bas-francs.
La dénomination « belge » ne s'applique qu'à une tribu gauloise que rencontra Jules César; elle n'a donc aucun rapport avec l'ensemble de la population du moderne royaume de Belgique. Par contre, il n'y a aucune différence ethnique décisive entre les « flamands » actuels et les Hollandais; les uns et les autres sont d'ascendance franque.
Après le démembrement de l'Empire carolingien, une division purement politique intervient : les provinces du nord et de l'est dépendent du Saint-Empire, la Flandre proprement dite est placée sous la tutelle des Capétiens. Et pourtant, le sentiment d'une commune origine et de l'appartenance à une même ethnie reste vivant; il se manifeste en 1302, lorsque Philippe le Bel et son immense armée sont vaincus à Groeninge, près de Kortrijk, par l'effort concentré des comtés et des villes thioises.
Au XVe siècle, les ducs de Bourgogne parviennent à réunir presque tout le territoire thiois; ils y règnent en souverains indépendants. Charles Quint considérait, à juste titre, que les « pays bourguignons » formaient une entité dans le cadre de son empire; le sentiment ethnique se retrouvait confirmé dans un cadre étatique.
Au XVIe siècle, quand toutes les provinces thioises se soulèvent contre Philippe II, roi d'Espagne et successeur de Charles Quint, la conscience nationale se manifeste à nouveau : il ne s'agissait point, à l’origine du moins, d'une guerre de religion. Le centre de la rébellion ne se trouvait pas en Hollande, mais dans le sud; plusieurs chefs des révoltés, tels les comtes d’Egmont et de Hoorn, tous deux décapités à Bruxelles, étaient catholiques, tout comme Guillaume d'Orange dans la première période de sa vie politique.
Suite aux péripéties de la guerre entre l'Espagne et les provinces révoltées, une ligne de démarcation, purement occasionnelle, se trouva tracée à un moment donné. Cette « frontière » ne séparait nullement deux peuples, ni deux groupes ethniques ou linguistiques (on parlait la même langue des deux côtés) ou religieux (le Limbourg et le Brabant du Nord restaient catholiques, bien qu'appartenant aux « Provinces réunies » libérées du joug espagnol). Le sud allait rester territoire espagnol puis serait rattaché à l'Autriche « Le pays s'appauvrissait, l'élite culturelle était anéantie ou elle émigrait vers le nord, soit par conviction religieuse, soit pour échapper à la tyrannie cléricale des occupants espagnols. Elle allait être remplacée graduellement par une prétendue « élite » émigrée du sud, ou nouvellement formée, et plus ou moins superficiellement francisée. La langue néerlandaise s'appauvrit, dégénérât, la culture littéraire disparut.
Sous la domination française (1790-1815) la francisation progresse encore et gagne les milieux bourgeois et lorsqu'après la chute de Napoléon, le Royaume Uni des Pays Bas fut créé la situation de la langue néerlandaise et de la culture nationale étaient franchement déplorables. Le roi Guillaume 1er, descendant des princes d'Orange, se heurte à l'opposition des milieux francophiles et des cléricaux. Malgré une volonté certaine, il ne réussit pas, faute de temps, faute de souplesse et de qualités diplomatiques aussi, à implanter solidement la monarchie dans le sud. La France voyait à contrecœur se constituer un état fort à sa frontière septentrionale; la rébellion qui éclate à Bruxelles en 1830 est d'inspiration française et les chefs militaires aussi bien que les finances et les armes sont fournie par Paris.
Abandonné par les grandes puissances, Guillaume 1er se retire et un nouvel Etat, le « royaume de Belgique », est alors constitué; c'est une formation purement artificielle; on en confie la gestion à une dynastie étrangère au pays : le premier « roi des Belges » est un prince allemand appauvri, Léopold de Saxe-Cobourg Gotha, qui, au préalable, avait vainement tenté sa chance en Grèce et en Angleterre, et qui se résignait enfin à ceindre cette couronne à bon compte; il ne sait pas un mot de flamand ni de français!
La constitution belge, calquée sur les « principes » de 1799, promet la liberté des langues. En pratique, il n'en est rien. Seul, le français est reconnu comme langue officielle dans l'administration, la justice, l'enseignement supérieur, le culte et l'armée. Le nouveau royaume fait figure de protectorat français, les chefs politiques vont chercher leurs ordres à Paris, des généraux français commandent l'armée, les classes possédantes, qui parlent un français souvent approximatif, exercent une véritable pression socio-culturelle sur le reste de la population. Conséquence : la francisation gagne les classes moyennes et, à Bruxelles, les classes populaires elles-mêmes. La réaction flamande se dessinera d'abord sur le terrain linguistique et ne sera portée, dans un premier temps, que par une poignée d’écrivains et d'intellectuels; elle prendra peu à peu de l’ampleur sur le plan culturel puis gagnera l'arène politique.
Ces premiers groupes, profondément influencés par les auteurs romantiques (Herder et Fiente en premier lieu), qui reprennent progressivement conscience de leur identité, seront appelés « flamingants »; par opposition, les dirigeants et les classes supérieures qui, en Flandre, oppriment le peuple, tant sur le plan culturel que social, sont qualifiés de « fransquillons », appellation qu'ils conservent encore aujourd'hui.
Dans cette période initiale les responsables du mouvement flamand s'assignent une première tâche : la reprise de contact avec le « hinterland » culturel : les Pays-Bas. Une réunification politique apparaît difficile; dans le Nord, le protestantisme domine, le sentiment anti-belge est virulent et il s'accompagne d'un anticatholicisme agressif. D'ailleurs, les grandes puissances n’accepteraient pas la reconstitution, sous quelque forme que ce soit, d'un royaume des Pays-Bas, assez fort pour rivaliser avec la France ou l’Allemagne… On devra donc se contenter d'un rapprochement culturel.
Deuxième perspective : la culture néerlandaise doit pouvoir se développer en territoire belge; elle doit être reconnue comme moyen d'expression d'une partie importante de la population et la langue flamande doit obtenir les mêmes droits que le français. En même temps, les multiples dialectes flamands doivent céder la place à une véritable langue: la langue néerlandaise. « La langue est tout le peuple » affirment les premiers flamingants. Mais cette langue est appauvrie, abâtardie, la littérature flamande est quasi-inexistante. C'est pourquoi les flamingants rééditent les grandes œuvres du passé, tandis que d'autres, comme Hendrik Conscience, ressuscitent la fierté nationale avec des récits comme « Le lion de Flandre ».
On devait revenir de loin : ainsi, en 1864, une seule heure de néerlandais par semaine était accordée pour les classes de rhétorique et, en 1873, après sept ans de luttes parlementaires, un embryon de réforme linguistique était voté : désormais, la langue flamande pouvait être employée dans les tribunaux des provinces de ce ressort; 1878 voyait appliquer la première loi réglant l'usage des langues dans les administrations. Dès lors, la Belgique jacobine était mise en échec; une pierre angulaire de l'édifice de 1830 cédait.
Le mouvement flamand n'agissait pas seulement dans l'arène politique; de la Flandre occidentale partait, dès 1870, un courant politico-culturel, réagissant contre l'activité exclusivement parlementaire de l'époque, prêchant un « retour aux sources » et aux grandes options nationales qui ne pouvaient pas s'imposer par le seul biais d'interminables discutions autour de telle ou telle loi linguistique.
Les grandes figures de cette époque sont le poète Guido Gezelle, le puissant orateur Hugo Verriest, son élève, le poète Albrecht Rodenbach, mort à 24 ans qui sut joindre au nationalisme culturel de Gezelle son dynamisme révolutionnaire et qui imposa l'idée d'une réunification des territoires néerlandais. Cette conjonction du renouveau culturel et du jeune sentiment national s'affirmera lors de la première guerre mondiale, au sein du Mouvement Frontiste.
En 1914, les armées allemandes occupent la presque totalité du territoire belge; les débris de l'armée royale se réfugient derrière le petit fleuve Yzer, à l'extrémité occidentale du pays.
Les chefs politiques flamands s'abstiennent tout d'abord de tout contact avec les occupants; bientôt, les plus clairvoyants comprennent que le combat flamand doit continuer et que l'affaissement de l'état unitaire peut permettre des réalisations autonomistes concrètes. Dans « l’activisme », le mouvement flamand parvient à une phase de maturité, à une véritable prise de conscience politique. L'enseignement, en Flandre, est maintenant donné en néerlandais et l'université de Gand, qui était jusqu'alors un bastion de culture française, bien que située au cœur de notre ethnie, est réouverte en 1916 comme première université flamande. En 1917, le « Conseil de Flandre », embryon de parlement flamand, proclame l'autonomie de la Province et déclare le gouvernement belge déchu.
Pendant ce temps, dans le réduit « belge », derrière l'Yzer, une armée composée de 80 % de soldats flamands est dirigée par un corps d'officiers dont 8.5 % ne comprennent même pas la langue de ceux qu'ils doivent mener au feu!
Dans le « Mouvement Frontiste », une réaction flamingante, s'inspirant aussi bien de l'insurrection irlandaise de 1916 que de « l’activisme », se dessine dès 1916. Les chefs frontistes prennent contact avec les activistes et une insurrection armée apparait imminente...Mais, en 1918, l'offensive alliée, suivie de la débâcle allemande, met fin aux espoirs des jeunes soldats flamands et réduit à néant les premières réalisations des dirigeants activistes.
Ces derniers sont durement punis; l'université flamande est refrancisée, mais le sentiment national flamand n'a subi qu'une défaite : il renait dès 1919 avec le « Frontpartij », qui amorce une lente mais constante ascension et qui se cristallise autour de la lutte pour l'amnistie en faveur des condamnés activistes. Les résultats électoraux obtenus par le parti flamand sont assez encourageants (5 sièges sur 200, en 1919; 9 en 1925; 11 en 1929), mais les divergences entre les chefs sont apparentes. Longtemps, on tente de les dissimuler et l'on parvient même à une « trêve de Dieu » assez superficielle, mais, petit à petit, deux tendances se dessinent : l'une est fédéraliste modérée, elle ne vise qu'à la transformation de l'état unitaire en un état fédéré; l'autre, plus radicale, réclame la formation d'un état thiois, au sein duquel toutes les provinces néerlandaises seraient regroupées. Une division tout aussi fondamentale se dessine, dès que l'on essaye de donner au nationalisme un fond idéologique.
En Flandre occidentale, l'ancien officier Joris van Severen, influencé par Maurras et par les mouvements de rénovation qui naissent partout en Europe, croit en la vertu des élites nouvelles. Il rejoint la ligne du prêtre Cyriel Verschaeve, qui célèbre les vertus de cette élite et qui pense que « l'heure du peuple » a sonné pour la Flandre. Dans les autres provinces flamandes, la confusion est générale. Entre-temps, le gouvernement belge refuse de reconnaitre « l’égalité de, droit et de fait » qu'avait promis le roi Albert dès 1914. Il est vrai qu'il avait alors besoin aussi bien des miliciens flamands que des wallons...et qu'une promesse ne coûte jamais cher!
Les politiciens, membres des partis traditionnels, qui se disaient « flamingants », ne parviennent pas à imposer leur programme modéré à ces partis. Des scandales politiques éclatent un peu partout, dénoncés par un jeune leader wallon, Léon Degrelle, qui allait lancer en 1934 son mouvement « Rexiste », dont le succès fut considérable mais éphémère.
A partir de 1932 les nationalistes se regroupent, d'une part, dans le « Verbond van Dietsche Nationaal Solidaristen » ou « Verdinaso » de Joris van Severen, au programme pan-néerlandais ou thiois au début, lequel serait remplacé, en 1934, par un programme burgonde (disons: Bénélux, avant l'heure). Les tendances les plus traditionnelles se retrouvent dans le « Vlaams Nationaal Verbond » ou VNV, qui, à l’encontre du « Verdinaso », se constitue en parti politique et occupe en 1940 17 sièges à la Chambre des Députés.
A la veille du second conflit mondial, le nationalisme avait réussi à faire pénétrer les idées fédéralistes dans une partie des autres formations politiques II regroupait un public jeune et se montrait ouvert aux idées rénovatrices qui avaient conquises les élites européennes. La démocratie parlementaire était soumise à une critique implacable, l’idée « belge » continuellement passée au crible, l'idéal thiois gagnait lentement du terrain, dans la jeunesse principalement. Les grandes manifestations flamandes, la fête du Chant Flamand, le pèlerinage au monument de l'Yzer attiraient des dizaines de milliers de participants et témoignaient d'un nationalisme prononcé. Le temps des grandes décisions semblait proche.
En 1940, quand les armées allemandes vinrent à bout en quelques semaines de l'armée belge, les nationalistes observèrent tout d'abord une réserve rétissante à l'égard du vainqueur. Mais bientôt, on apprit l'assassinat de Joris van Severen et de ses compagnons (n.d.l.r. : abattus par l'armée française sous le kiosque à musique d'Abbeville, où, prisonniers politiques livrés par le gouvernement belge, en fuite, à ses alliés, ils attendaient leur transfert vers un établissement pénitentiaire du Midi de la France; ils étaient vingt et un, et ce fut le premier et authentique « crime de guerre » de cette guerre civile européenne qui commençait; toutefois, comme il n'était pas imputable aux Allemands mais à leurs adversaires démocrates, on s'est, par la suite, empressé de l'oublier…), la déportation de plusieurs chefs flamands, on eut connaissance de l'appel à la collaboration du dirigeant socialiste Hendrik de Man. De leur côté, les Allemands favorisaient la constitution de quelques groupes extrémistes, comme la « Algemene SS », qui repensaient les thèmes nationaux-socialistes. Les nationalistes crurent que l'heure du peuple flamand avait sonné; ils acceptèrent l'idée de collaboration, non dans un but pro-allemand, mais en vue d'obtenir l'approbation du gouvernement du Reich à la formation d'un pouvoir autonomiste flamand qui devrait aboutir à l'unité thioise. Très vite, ils allaient être déçus; les autorités d'occupation nourrissaient encore des idées impérialistes et les revendications thioises leurs paraissaient aller à l’encontre de leurs visées pangermanistes ; elles se montraient hostiles à un rapprochement éventuel entre la Flandre et les autres pays néerlandais; contre le VNV (le Verdinaso avait éclaté après la disparition de son chef), elles favorisaient de nouveaux mouvements, ouvertement pro-allemands mais sans contacts avec les milieux flamands.
Evidemment, les ennemis de l'idée nationale ne firent aucune distinction entre flamingants modérés, fédéralistes, nationalistes thiois ou nationaux-socialistes; tous étaient « ennemis de la patrie belge », tous étaient anti-marxistes, tous seraient persécutés sauvagement et déférés à la « justice des rois nègres », selon une expression devenue célèbre d'un ancien ministre catholique. Le mouvement flamand devait disparaître, l'idée nationale n'avait plus droit de vie.
Dès 1944 une répression cruelle s'abattait sur la Flandre; le pillage, le meurtre, le viol des femmes et des jeunes filles n'étaient qu'un passe-temps pour une soit-disant résistance qui ne parvenait pas à cacher son but : l'instauration d'un régime d’extrême-gauche. La « justice » devait s'occuper d’environ un demi-million de dossiers; 70 000 condamnations furent prononcées. Mais, à la fin, l'arrogance communiste exaspérât les représentants des autres partis et le coup de force marxiste ne put avoir lieu.
Le mouvement flamand semblait anéanti; cependant, dès 1946, quelques hommes courageux créaient de petites revues, ils lançaient, en 1949, un nouveau parti national-flamand, la « Vlaamse concentratie », remplacé en 1954 par la « Volksunie » (« Union du peuple ») qui envoyait au parlement un premier député. Des mouvements de jeunesse voyaient jour, l'idée Thiois reparaissait, une amnistie générale était réclamée, par des groupuscules, d'abord, ensuite par le mouvement national-flamand tout entier.
Dons les années qui suivirent, la « Volksunie » prit de l'ampleur: de 5 députés en 1961, elle passait à 12 en 1965, à 20 en 1968 et à 21 en 1971 et en 1974. Le nombre de voix obtenues dépassait 600.000 et le parti fédéraliste devenait en pays flamand le troisième parti, après le parti démocrate-chrétien et le parti socialiste, mais avant le parti libéral. Les militants Volksunie déploraient une activité considérable, vendant l'hebdomadaire « Wij » à la criée, collant un peu partout leurs affiches, organisant des réunions dans toute la Flandre. Ces dernières années, la Volksunie a évolué, un peu comme tous les mouvements politiques qui ont été, à leur début, révolutionnaires, mais qui ont réussi une percée parlementaire : une tendance plus modérée, intéressée en premier lieu par une participation au pouvoir, l'emporte sur les courants plus dynamiques. C'est pourquoi le parti se dit « social et fédéral »; il ne désire qu'un rapprochement « culturel » avec les Pays-Bas et il adopte sur le plan social un programme très modéré, d'inspiration et de ton « centriste »; il n'aime pas se compromettre avec les groupes plus radicaux, moins encore avec ceux qu'il juge révolutionnaires.
Ces derniers groupes, aux effectifs assez réduits, mais dynamiques et décidés, sont toujours à la pointe du combat; ils osent prendre parti dans les domaines négligés par le parti flamand, tels la question thioise ou le problème des travailleurs immigrés. La "Vlaamse Militanten Orden" ou VMO est assez bien connue, même à l'étranger; c'est un groupe de militants chevronnés, admirés par les uns, haïs par les autres.
L'association « Were di » qui a déjà été présentée aux lecteurs du « Devenir Européen » s'occupe en premier lieu de la formation d'une élite nationaliste et de la remise à l'honneur de l'idée Thioise. « Were di » s'est aussi donné pour tâche de renouer des contacts amicaux avec les groupes nationalistes, partout en Europe, et il sert de point de contact entre des militants européens, agissant dans des circonstances parfois très différentes, en but à des problèmes très divers, mais ayant les mêmes ennemis : le marxisme niveleur et inhumain, le capitalisme apatride et matérialiste et toutes les idéologies étrangères à l'homme européen.
Nous terminerons cet exposé par une simple remarque : après un siècle et demi de lutte, l'autonomie flamande n'est toujours pas réalisée, mais les habitants de la Flandre ont aujourd'hui conscience d'appartenir à un même peuple ; il leur reste à découvrir leur appartenance à l'ethnie thioise et à la grande communauté européenne. Voilà la mission de nos formations et de notre presse nationalistes; nous veillerons à l'accomplir.
Roland RAES
Rédacteur en chef de « DIETSLAND EUROPA » membre du Comité directeur de « WERE DI ».
Sources : Le Devenir Européen – Hiver 1975
- Le projet « Océan Transparent »
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