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Un Ukrainien contre les Bolcheviks : Nestor MAKHNO
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« Ne serait-il pas plus simple alors pour le gouvernement, de dissoudre le peuple et d'en élire un autre ? »
B. BRECHT — La solution
On sait que la révolution bolchevique d'Octobre 1917 fut aussi sanglante que difficile à accomplir ; on sait également que la farce (toujours durable) des soviets, ces conseils qui devaient être élus librement par les ouvriers, les paysans et les soldats, permit à Lénine et à ses compagnons de conférer à leur coup d'Etat une apparence démocratique. Mais la révolution ne se cantonna pas uniquement à St Pétersbourg et à Moscou. L'Ukraine, que l'on peut considérer comme la matrice de l'empire des tsars, fut le théâtre de luttes acharnées durant quatre années, luttes conduites par les blancs, les rouges, et aussi par certains Ukrainiens qui voulaient profiter de l'événement pour faire de leur patrie un Etat autonome.
Nestor Makhno, un paysan ukrainien, est probablement l'un des hommes que les communistes haïssent le plus depuis 1917. Il représente, en effet, à leurs yeux l'image du traître le plus accompli qui soit ; il figure aussi l'échec bolchevik de l'enrégimentement de la paysannerie. C'est certainement la raison pour laquelle nous avons assisté, en 1968, à un phénomène de brusque popularité pour Makhno chez les étudiants dont les aspirations libertaires allaient, sans cesse, s'opposer au conformisme communiste. A côté de Makhno, même le Che (Guevara) apparaît comme un héros pour albums d'enfants. Qui était-il ?
Né en 1889 dans le village ukrainien de Gulyai-Polyé (ou Goulaï-Polé), fils de paysans pauvres, Nestor Makhno devient berger à l'âge de six ans, puis garçon de ferme à douze. En 1905, il a alors 16 ans, la révolution lui fait prendre conscience des nombreuses inégalités et de la condition pour le moins sommaire dont sont victimes les siens et lui-même ; ces Ukrainiens qui travaillent la terre du « grenier » de l'Europe si riche, ne le font, en effet, que pour des maîtres et ce malgré l'abolition du servage intervenue en 1861. Ils demeurent des âmes. On décomptait les moujiks dépendant d'un domaine en âmes.
Attentif aux idées nouvelles, à défaut d'idées venues d'ailleurs, et désireux, malgré son jeune âge, de conserver l'essentiel des libertés dont on parle alors abondamment ainsi que son identité ukrainienne, Makhno opte pour le mouvement anarchiste. Cette adhésion lui vaut, en 1908, d'être arrêté et condamné à mort, peine qui sera commuée en détention à vie un peu plus tard. En prison à Moscou, Makhno, avec le bel optimisme de son âge (19 ans), se met à étudier ; il apprend à lire, à écrire et à compter, mettant ainsi à profit, et de manière intelligente, les « loisirs » dont il bénéficie. Il lit beaucoup et surtout des ouvrages interdits qui pénètrent clandestinement dans la prison. Ce jeune paysan ne donne pas l'impression à ses geôliers d'être l'un de ces intellectuels que l'on semble tant craindre au¬tour du tsar ; fruste d'allure, Makhno engrange des connaissances dans une impunité totale.
En 1917, il est libéré dès février, et regagne l'Ukraine. Il y organise aussitôt des milices paysannes et après avoir rencontré Lénine à Moscou en 1918, il se range pour un temps dans le camp des forces rouges avec lesquelles il combat contre les koulaks, contre les troupes de l'hetman Petlioura et les Austro-allemands encore présents. Parallèlement, il organise les villages en communes paysannes, autogérées et auto-défendues. A vingt-neuf ans, il possède une maturité d'esprit que beaucoup d'adultes pourraient lui envier car, tout en combattant, il veut préserver l'avenir de ses hommes et leur faire prendre conscience de leur force lorsqu'ils consentent à demeurer unis. En 1919 dans le bassin du Don, les makhnovistes forment le flanc droit du groupe d'armées rouges de Kojevnikov quand celui-ci atta¬que Denikine. Au printemps, les Austro-allemands quittent l'Ukraine et Makhno se rapproche du gouvernement démocratique local qui doit, selon les termes de l'armistice de Brest-Litovsk, détenir le pouvoir en Ukraine. Première rupture avec les bolcheviks.
A Moscou, bien évidemment, on veille et Trotsky interdit la tenue du congrès makhnoviste dont la coloration anarcho-autonomiste l'inquiète. Makhno démissionne en guise de réponse au diktat moscoutaire. Cette rupture aurait pu être définitive et lourde de conséquence en considérant l'avenir, si Denikine, qui se croit un César à Pharsale, n'avait, en août 1919, contraint les forces rouges à reculer. Makhno n'aime pas les bolcheviks (qui le lui rendent bien), mais Denikine représente à ses yeux tout ce dont il veut s'affranchir. Son appoint sera déterminant car les makhnovistes organisent la guérilla sur les arrières blancs et, dès l'automne 19, Denikine est à nouveau battu.
Moscou, en janvier 1920, ordonne à Nestor Makhno de se porter sur la frontière polonaise afin d'y combattre les forces de Jozef Pilsudski qui tiennent la dragée haute aux troupes rouges qu'elles vaincront finalement. Makhno refuse logiquement car pour lui, la « patrie » est l'Ukraine et non l'U. R. S. S. Il est, à nouveau, déclaré hors-la-loi et les partisans soviétiques le traquent. Durant l'été, c'est au tour de Wrangel d'attaquer pour le compte des blancs afin, semble-t-il, d'aider les troupes polonaises en fixant des contingents bolcheviks en Ukraine. De traqué et hors-la-loi, Makhno redevient, une nouvelle fois, l'allié « objectif » de Moscou ; mais s'il combat Wrangel, le batkho (père) a compris. Sitôt ce danger écarté en novembre 1920, Frounze qui commande les rouges, donne comme consigne à ses hommes d'attaquer les makhnovistes et de détruire leur chef, mais Makhno et les siens ont déjà repris le maquis.
On pourrait fort logiquement se récrier face aux prises de position successives et contradictoires de Nestor Mak¬hno ; ce serait oublier qu'il a combattu sur le terrain et que, jamais, il ne fut un théoricien de salon pouvant biaiser, feindre ; les makhnovistes connurent durant une brève existence deux dangers : celui consistant à une reprise en main de l'Ukraine par les blancs, et celui d'une conquête par les rouges. Makhno était pris entre le marteau et l'enclume, position assurément inconfortable et intenable.
Malgré des trésors d'intelligence tactique, de courage moral et physique, d'abnégation, la Makhnochtchina sera finalement vaincue et ses partisans anéantis.
En 1921, blessé, Makhno et quelques-uns de ses compagnons réussissent à traverser les lignes ennemies et à se réfugier en Roumanie. Il est temps, pour Moscou, de « normaliser » la situation en Ukraine. Elle le sera, et de façon radicale. C'est le 25 juillet 1934 que Nestor Makhno s'éteindra à Paris, pauvre et oublié. Seuls quelques « anars » l'entourent encore. Les amitiés fidèles sont rares et résis¬tent mal dans le malheur ; elles n’en sont que plus belles.
Géographie de la Makhnochtchina
Sur une carte de l'Ukraine, on peut tracer une ligne qui, partant de Marioupol, Jdanov sur la mer d'Azov, passe par Bakhnout au nord, puis, vers l'ouest, à Iékatérinoslav (Dniepropetrvsk), descend vers Nikopol, puis vers Melitopol. Ce territoire makhnoviste forme un carré approximatif de 250 km sur 280, carré au centre duquel se trouve situé le village natal de Nestor Makhno, Gulyai-Polyé.
Les limites extrêmes de l'action des makhnovistes s'étendent, à l'ouest, jusqu'à Peregonovka et, au nord, à Kharkov. A noter, en passant, qu'une partie notable de la vaste bataille d'encerclements entreprise par la Wehrmacht en 1941, se déroulera dans cette région d'Ukraine.
On peut donc, grâce à la géographie, affirmer que Makhno fut un combattant ou guérillero régional, voire local, et qu'il répugna à quitter ce qui constituait, à l'époque, le gouvernement de Iékatérinoslav. N'oublions pas, en outre, que Makhno était surtout un paysan attaché par atavisme à sa terre, et que ses milices furent formées par ses voisins, des paysans eux aussi. Cela explique en partie son apparente versatilité faite d'alliances puis de luttes avec Petlioura et les bolcheviks. Nestor Makhno avait pris au sérieux les idéaux de Zemlja i Volja (Terre et Liberté) association fondée en 1861 par les frères Serno-Solovievitch avec l'accord d'Alexandre Herzen ; les zemlevolietsi seront les premiers opposants actifs et armés au, pouvoir tsariste.
Paysan, régionaliste, libertaire, Nestor Makhno ne fut, en fait, qu'un héritier non abâtardi de générations d'hommes pour lesquels la terre était aussi une sorte de religion.
II n'est pas exagéré de dire que les Anarchistes furent, de tout temps, les adversaires les plus craints du communisme. Oui, Lénine et Trotsky craignaient les « anars » plus qu'ils ne craignirent jamais les blancs, car les disciples de Bakounine et de Kropotkine possédaient — possèdent — une doctrine, alors que la plupart des blancs ne possédaient, eux, que des biens matériels (à défendre) ou une foi religieuse souvent tiède. Dès 1918, Moscou projeta l'image des pillards, des bandits anarcho-syndicalistes, et s'il est certain que Makhno et ses hommes ne se conduisirent pas toujours en êtres courtois, rappelons qu'une guerre civile ne ressemble jamais à la bataille de Fontenoy. La Vendée, chez nous, en est un exemple entre autres.
De plus, les anarchistes étaient classés comme irrécupérables par Lénine, alors que les ci-devant tsaristes allaient fournir bon nombre de spetz, c'est-à-dire des officiers et des fonctionnaires ralliés au régime communiste.
En quoi consistait la doctrine makhnoviste ?
Le « Manifeste » du 1er janvier 1920 dit, en substance, que toutes les terres des koulaks et des monastères devaient être réparties entre les paysans, que la liberté et le droit de parole devaient être l'apanage de tous, que paysans et ouvriers devaient former des conseils (soviets) indépendants, etc... Rien donc de très nouveau dans ce manifeste depuis Zemlja i Volja, mais derrière les mots, une détermination telle que les maîtres communistes ne pouvaient que prendre peur, d'autant que leur pouvoir était encore branlant et contesté.
Le batkho (père) de la Makhnochtchina devait donc tomber, et il tomba. Extrêmement dangereux sur le plan des idées, il était également un combattant de valeur qui devait défaire Denikine, Wrangel et la cavalerie rouge de Boudiény. Des mois durant, il mena contre blancs et rouges une guérilla meurtrière et ne succomba finalement que sous le nombre, ce qui est le sort de tous les isolés.
Cet autodidacte assimila en quelques années seulement la doctrine libertaire et fédéraliste de Proudhon alors connue dans les grandes villes de l'empire. Cette assimilation devint conviction lorsque Makhno comprit que les thèses proudhoniennes convenaient parfaitement aux paysans en général. Aux communes qu'il fonde en 1918, les communistes opposent leurs soviets théoriquement composés d'ouvriers, de paysans et de soldats, soviets que Lénine et ses adjoints réduiront à rien dès leur prise de pouvoir. Tandis que les makhnovistes tiennent un front de 100 km devant les forces de Denikine, les rouges attaquent Makhno sur les plans idéologique et militaire, sentant en lui une force capable de détacher l'Ukraine du système bureaucratique dit de « centralisation démocratique » qu'ils élaborent, système qui se forge, parallèlement, un bras séculier (policier et militaire) tel que nous le connaissons encore aujourd'hui.
L'écrasement des makhnovistes coïncidera avec celui des marins de Cronstadt en 1921, à une époque où les forces blanches sont vaincues. A cette époque-là, le souvenir d'une Ukraine autonome, celle que Simon Petlioura a tenté de recréer, est déjà loin. On peut d'ailleurs comparer la situation des anarchistes russes (ukrainiens...) avec celle des anarchistes espagnols (catalans...). Ces derniers étaient appelés à être écrasés, de toutes façons, même si le franquisme n'avait pas pris le pouvoir ; ils étaient, comme Makhno et les siens, coincés entre deux feux ; l'anarchisme hispano-catalan a prouvé, une fois de plus, que la notion d'Etat fort et centralisateur recueille bien des suffrages chez les hommes politiques et chez les militaires dont la « bible » se résume à peu près à ceci : le pouvoir, c'est nous, les autres doivent se taire ! Cet éventail politique ressemble à un kaléidoscope, nous le savons, et c'est bien pour cette raison que les fédéralistes européens sont, aujourd'hui, traités « d'anarchistes » !
L'épithète, mal comprise, mal interprétée, sert toujours lorsqu'il est question d'apeurer les foules et de les faire se réfugier dans le giron d'un pouvoir « fort et stable ». Regardez la carte du monde et faites le bilan de ce siècle dédié au « progrès humain » ; que de bruits de bottes !
Michel PELTIER
Source : Défense de l’Occident, Septembre -Octobre 1977
La génération des hussards ou l’insolence littéraire
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Chacun de nos amis sait ce que furent les lendemains littéraires de 1944. A part quelques écrivains courageux, toute la République des Lettres soi-disant libérée s'employa de son mieux à enterrer ses nombreuses victimes. Mais, outre le caractère honteux de cette épuration, disons-nous bien que cette boucherie libératoire introduisit dans la littérature la plus incroyable — et l'adjectif est faible — introduisit donc la plus incroyable imposture. Le succès fut tributaire des opinions politiques et le talent ne se jugea plus qu'au soutien apporté à la résistance par les uns ou les autres.
Les années entre 1944 et 1950 voient le triomphe des pisse-vinaigre, de toute une horde de littérateurs ennuyés cherchant vainement à remplacer les maîtres condamnés. Alors que Brasillach a déjà été passé par les armes et que tant d'autres croupissent dans les prisons de César, les nouveaux venus et les revenants font tapage II n'est pas un seul trafiquant des choses de l'esprit qui ose proclamer n'avoir jamais lu un livre de Sartre, Camus, Malraux ou Simone de Beauvoir. C'est l'apothéose de « l'humanisme socialiste » avec tous les poncifs, les arguments les plus éculés que le communisme vainqueur impose. Il faut bien avouer que cette antilittérature doit une grande partie de son succès, non seulement à l'élimination de ceux qui auraient pu la combattre, mais aussi à la complicité flagorneuse de presque toute la critique, tant universitaire que mondaine, qui trouva par ce biais le moyen de se faire pardonner quatre années de travail jugé antidémocratique par le Comité National des Ecrivains. La nullité naît toujours de l'ingérence des politiciens en toge : Aragon est un bon romancier lorsqu'il oublie sa carte du Parti.
Il était donc inévitable que, cette dictature hargneuse ayant atteint un certain seuil, une réaction apparaisse. L'année1950 devait marquer un tournant tant politique que littéraire, La guerre froide s'installe, les communistes sont chassés du gouvernement et Antoine Pinay avec son allure d'un nouveau M. Guizot donne à la France la fausse sécurité du Directoire respirant d'aise après la Terreur : Roger Nimier publie « Le Hussard bleu ».
I. — Roger Nimier ou la Liberté permanente.
II est difficile de parler de Nimier tant à cause des légendes qui l’entourent que du fait qu'il ne nous a légué qu'une œuvre inachevée : sa mort prématurée (et absurde) nous a laissé sur notre faim.
Certains critiques l'ont présenté comme étant l'héritier de Louis-Ferdinand Céline. « Le Hussard Bleu » le laissait croire en effet et l'estime que Céline lui portait faisait penser que l'auteur du « Voyage » semblait avoir trouvé enfin celui qui, à sa suite, pourrait dire à tout le monde ce que Cambronne dit aux Anglais. Mais Nimier est un « classique » et, malgré une certaine verdeur de langage, ses longs monologues intérieurs relèvent beaucoup plus de la grande tradition romanesque du XVIIIe siècle que de « Mort à Crédit ».
Laissons donc les étiquettes de référence car Nimier (et ses amis) fut avant tout l'opposition salutaire et géniale à la domination du pessimisme mis à toutes les sauces et qui régnait alors à la manière d'un quelconque Néron. Il introduisit à nouveau dans le roman un anticonformisme élégant et racé que l'on croyait à jamais disparu. Son œuvre est une cure de jouvence même s'il n'a jamais pu atteindre les grands sommets de composition et de style. Il donne l'impression de s'être amusé en écrivant, se disant sans doute que l’essentiel viendrait plus tard, sa jeunesse lui donnant le droit illusoire de parler ainsi.
Dans la fameuse lettre que Jacques Chardonne lui écrivit après la publication du « Hussard », il lui conseillait entre autre chose de dormir beaucoup et d'écrire peu. Il semble bien que Roger Nimier ait malheureusement suivi cette recommandation. Il prend sa retraite d'écrivain très tôt, se contentant de quelques articles par-ci, par-là, et vivait sur sa réputation d'auteur du « Hussard bleu ». A sa mort, l’œuvre est bien mince. Et pourtant son talent deviné, sa culture, tout l'autorisait à prendre un jour la suite des grandes romanciers ou nouvellistes français. Nimier a sans doute été I’auteur à succès de sa génération mais il ne fut qu'impertinent : il pouvait être plus.
II. — Antoine Blondin, Michel Déon, François Nourrissier ou « la race des indifférents harmonieux ».
Il y a quelque deux mois, j'écrivais à propos d'Antoine Blondin : « (il) se tait depuis plusieurs années et l'on peut se demander s'il a perdu cette allure brillante, cet humour malicieux expliquant les espérances que certains eurent de pouvoir le considérer comme l'un des nouveaux grands romanciers de l'après-guerre ». (1). Il a depuis refait surface avec « Monsieur Jadis » sans pour autant annoncer un nouveau départ. Il fait partie d'une génération paresseuse préférant les joies de l'école buissonnière à la rigueur des programmes de travail, le jeu à la méthode. Ne lui en voulons pas, même si nous devons attendre encore dix ans le prochain roman. La seule chose que nous pouvons regretter est que, alors que tant de plumitifs féconds inondent tous les six mois les librairies de leurs mauvais romans suintant les égouts et la literie crasseuse, le talent soit si long à se manifester, que le talent s'use dans la désinvolture délibérée d'une adolescence perdue.
Michel Déon se présente lui-même comme étant un jeune intellectuel de droite. Il en retire d'ailleurs une certaine fierté dans la mesure où, aujourd'hui, qui dit intellectuel pense aussitôt de gauche. Dans « Tout l'Amour du Monde », il interrogeait déjà : « Aimez-vous l'immobilité? ». Dès la fin de la guerre, il a dit non. Plus rien ne le retenant en France où le bonheur avait été coupé en morceaux, il a fait ses valises et s'en va aux confins de l'Occident pour jouer les hussards. De ces frontières belliqueuses, il nous adresse des messages purificateurs débarbouillant la littérature des cascades de bidets, Des balcons de Pathmos, il salue la mythologie et si Maurras chantait l'Acropole, Michel Déon l'aime et en est fasciné. Il voit l'Occident se réveiller, mais ce n'est que pour mieux pouvoir mourir. Monsieur Michel Déon est un enfant triste, pour reprendre le titre de Roger Nimier, c'est-à-dire pessimiste. Il devine les sept anges aux sept plaies qui recevront les coupes de la colère, ce septième signe dont nous parle l'Apocalypse. La chute de Babylone est proche mais Michel Déon nous persuade qu'il fait toujours beau... même s'il ne le croit pas.
« Enterrés les héros. L'aventure s'est étrécie aux dimensions de ces fins de jours de novembre. Plus de Graal ni de dragons. Plus même de belles nuances de gris pour dire l'absurdité de tout. Le gris nous est entré dans la peau, notre sang est couleur de cendre. Voici la vie de l'homme : quelconque, hâtive, semblable » (2).
Monsieur François Nourrissier est un nouveau Rastignac dans un Paris où il n'y a plus rien à conquérir. Coincé entre l'insolence agressive de Roger Nimier et la liberté illusoire de Michel Déon, il promène son ennui du Parc Monceau à la place des Ternes. Ce dandy, malheureux d'être bourgeois dans un siècle où il « vit en suisse », est sans doute le plus tragique de nos romanciers actuels. Il montre la peur, l'angoisse, l'ennui derrière la forfanterie de façade, l'illusion de bonheur et l'étroitesse des plaisirs. Plus que Messieurs Déon ou Blondin, il est sans doute le seul (avec Roger Nimier, mais dans une moindre mesure) à avoir senti le vide né de l'abandon des clichés d'Epinal, à dépeindre le malaise de la solitude et à dénoncer la médiocrité intouchable. François Nourrissier peut nous réserver une grande œuvre.
III. — En guise de conclusion.
La conclusion que l'on peut faire concerne avant tout leur influence sur des auteurs plus jeunes qui, tout en respectant l'atmosphère, l'élégance ou l'humour des situations même si elles sont d'une manière vigoureuse, dépasseront ces romanciers en adaptant leurs récits aux situations d'aujourd'hui, mais tout en maintenant une certaine folie familière, ennemie de l'ennui. Je ne vois pas grand monde qui puisse succéder à nos hussards. Le seul nom que je puisse avancer (et en me compromettant encore!) est celui de Gabriel Matzneff.
Jean-Paul ROUDEAU,
Notes :
(1) « Du roman en France » dans Poitiers-Université de décembre 1970.
(2) « Une histoire Française » par François Nourrissier, Edit. Grasset.
Sources : Défense de l’Occident – Numéro 94, Janvier – février 1971
Débat Zemmour Onfray
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Interessants échanges entre Zemmour et Onfray sur le souverainisme, l'Euroep, le Fédéralisme...
Louis-Nathaniel Rossel, communard, héros national-révolutionnaire
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Louis-Nathaniel Rossel, est né le 9 septembre 1844 à Saint-Brieuc (Côtes-du-Nord) et mort exécuté le 28 novembre 1871 au camp de Satory à Versailles (enterré à Nîmes).
Il est le seul officier supérieur de l'armée française(Colonel) à avoir rejoint, dès le 19 mars 1871, par patriotisme la Commune de Paris en 1871 et à y avoir joué un rôle important comme délégué à la Guerre.
Edith Thomas, auteur de l’ouvrage de référence et que nous recommandons à tous nos amis : Rossel – Ed. Gallimard, 1967 a écrit : « Je sais bien que la littérature et la philosophie d'aujourd'hui se méfient des « belles âmes » et préfèrent les salauds. Je sais bien que l'histoire d'aujourd'hui ne s'intéresse guère qu'aux statistiques, aux courbes des prix, à l'action des masses et qu'elle ne retient, à la rigueur, que les noms de ceux qui ont contribué à changer le monde. Rossel n'a rien changé. Il a échoué sur tous les plans : national et révolutionnaire. Il n'a sauvé que sa conscience. »
Le délégué à la guerre de la Commune fut illégalement passé par les armes avec Ferré et le sergent Bourgeois, le 28 novembre 1871, au poteau de Satory.
L'on écrivit une complainte en hommage à ce grand homme de foi, ce révolutionnaire effronté, ce jeune homme insolent qui — chose rare — avait les moyens de son insolence. Selon E. Thomas, les auteurs de cette complainte sont Naquet (Alfred, sans nul doute), Louis Blanc, Rochefort et... Victor Hugo. La voici.
La Complainte de Rossel
Il n’avait pas trente ans, le cœur plein d’espérance
Plein de patriotisme et d’abnégation,
Quand les bourreaux français tranchèrent l’existence
De ce grand citoyen, de ce fier champion.
[Refrain] C’est pour la Commune égorgée
Qu’il est mort frappé par la loi.
Ô Rossel, mon enfant, ta mort sera vengée,
Ô martyr, dors en paix, dors en paix,
La France pense à toi.
On l’a fait fusiller comme un coupable infâme,
Comme s’il eût commis des crimes inouïs,
Ce fier vaillant soldat qui n’avait dans son âme
Que trop d’amour, hélas ! pour son pauvre pays
Il est mort glorieux pour le salut du monde,
Comme le Christ est mort par la main des bourreaux.
Mais son sang généreux vivifie et féconde
Le droit de liberté qu’il défendait si haut.
La République était son amante adorée,
Pour elle, il a donné sa jeunesse et son sang.
Les Français en émoi, la France déchirée
Pleurent avec nous ce fils, pleurent cet innocent.
Adieu, mon fils, adieu. Ton immense infortune
Laisse dans notre cœur un immortel regret.
Mais si le peuple un jour refaisait la Commune,
C’est au nom de Rossel qu’il se soulèverait.
Leur richesse s'est construite sur le sang du Peuple mécontent
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Le 28 mai 1871 se termine l'insurrection dite de la "commune de Paris".
Les communards qui réclamaient de la justice sociale s'étaient insurgés contre les nantis. Ils seront massacrés.
Réflexions sur l'histoire pour se souvenir que ceux qui ont quelque chose à perdre vont se défendre...
II faut qu'il existe chez l’homme quelque ressort puissant... G. Sorel
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Les savants de la bourgeoisie n'aiment pas à s'occuper des classes dangereuses ; c'est une des raisons pour lesquelles toutes leurs dissertations sur l'histoire des mœurs demeurent toujours superficielles ; il n'est pas très difficile de reconnaître que c'est la connaissance de ces classes qui permet seule de pénétrer dans les mystères de la pensée morale des peuples.
Les anciennes classes dangereuses pratiquaient le délit le plus simple, celui qui était le mieux à leur disposition, celui qui est aujourd'hui relégué dans les groupes de jeunes voyous sans expérience et sans jugement. Les délits de brutalité nous semblent être aujourd'hui quelque chose d'anormal à tel point que si la brutalité a été énorme, nous nous demandons souvent si le coupable jouit bien de son bon sens. Cette transformation ne tient évidemment pas à ce que les criminels se sont moralisés, mais à ce qu'ils ont changé leur manière de procéder, en raison des conditions nouvelles de l'économie, comme nous le verrons plus loin. Ce changement a eu la plus grande influence sur la pensée populaire.
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La férocité ancienne tend à être remplacée par la ruse et beaucoup de sociologues estiment que c'est là un progrès sérieux ; quelques philosophes qui n'ont pas l'habitude de suivre les opinions du troupeau, ne voient pas très bien en quoi cela constitue un progrès au point de vue de la morale : « Si l'on est choqué de la cruauté, de la brutalité des temps passés, dit Hartmann, il ne faut pas oublier que la droiture, la sincérité, le vif sentiment de la justice, le pieux respect devant la sainteté des mœurs caractérisent les anciens peuples ; tandis que nous voyons régner aujourd'hui le mensonge, la fausseté, la perfidie, l'esprit de chicane, le mépris de la propriété, le dédain de la probité instinctive et des mœurs légitimes, dont le prix souvent n'est plus compris. Le vol, le mensonge, la fraude augmentent malgré la répression des lois dans une proportion plus rapide que ne diminuent les délits grossiers et violents comme le pillage, le meurtre, le viol, etc. L'égoïsme le plus bas brise sans pudeur les liens sacrés de la famille et de l'amitié, partout où il se trouve en opposition avec eux.
Aujourd'hui, d'ordinaire, on estime que les pertes d'argent sont des accidents que l’on est exposé à rencontrer à tout pas que l'on fait et qui sont facilement réparables, tandis que les accidents corporels ne le sont pas facilement ; on estime donc qu'un délit de ruse est infiniment moins grave qu'un délit de brutalité ; les criminels profitent de cette transformation qui s'est produite dans les jugements.
Notre code pénal avait été rédigé dans un temps où l'on se représentait le citoyen sous les traits d'un propriétaire rural, uniquement préoccupé de gérer son domaine en bon père de famille et de ménager à ses enfants une situation honorable ; les grandes fortunes réalisées dans les affaires, par la politique, par la spéculation étaient rares et considérées comme de vraies monstruosités ; la défense de l'épargne des classes moyennes était un des grands soucis du législateur. Le régime antérieur avait été encore plus terrible dans la répression des fraudes, puisque la déclaration royale du 5 août 1725 punissait de mort le banqueroutier frauduleux; on ne peut rien imaginer qui soit plus éloigné de nos mœurs actuelles ! Nous sommes aujourd’hui disposés à croire que les délits de ce genre ne peuvent être généralement commis que grâce à une imprudence des victimes et qu'ils ne méritent que par exception des peines afflictives ; et encore nous contentons-nous de peines légères.
Dans une société riche, occupée de grandes affaires, où chacun est très éveillé pour la défense de ses intérêts, comme est la société américaine, les délits de ruse n'ont point les mêmes conséquences que dans une société qui est obligée de s'imposer une rigoureuse parcimonie ; il est, en effet, très rare que ces délits puissent apporter un trouble profond et durable dans l'économie ; c'est ainsi que les Américains supportent, sans trop se plaindre, les excès de leurs politiciens et de leurs financiers. P. de Rousiers compare l’Américain à un capitaine de navire qui, pendant une navigation difficile, n'a pas le temps de surveiller son cuisinier qui le vole. « Quand on vient dire aux Américains que leurs politiciens les volent, ils vous répondent d'ordinaire : « Parbleu, je le sais bien ! » Tant que les affaires marchent, tant que les politiciens ne se trouvent pas en travers de la route, ils échappent, sans trop de peine, aux châtiments qu'ils méritent. »
Depuis que l'on gagne facilement de l'argent en Europe, des idées analogues à celles d'Amérique se sont répandues parmi nous. De grands brasseurs d'affaires ont pu échapper à la répression, parce qu'ils avaient été assez habiles, aux heures de leurs succès, pour se créer de nombreuses amitiés dans tous les mondes ; on a fini par trouver qu'il serait bien injuste de condamner des négociants banqueroutiers et des notaires qui se retiraient ruinés après de médiocres catastrophes, alors que les princes de l'escroquerie financière continuaient à mener joyeuse vie. Peu à peu la nouvelle économie a créé une nouvelle indulgence extraordinaire pour tous les délits de ruse dans les pays de haut capitalisme.
Dans les pays où subsiste encore aujourd'hui l'ancienne économie familiale, parcimonieuse et ennemie de la spéculation, l'appréciation relative des actes de brutalité et des actes de ruse n'a pas suivi la même évolution qu'en Amérique, qu'en Angleterre, qu'en France ; c'est ainsi que l'Allemagne a conservé beaucoup d'usages de l'ancien temps et qu'elle ne ressent point la même horreur que nous pour les punitions brutales ; celles-ci ne lui semblent point, comme à nous, propres aux classes les plus dangereuses.
Il n'a pas manqué de philosophes pour protester contre un tel adoucissement des jugements ; d'après ce que nous avons rapporté plus haut de Hartmann, nous devons nous attendre à le rencontrer parmi les protestataires : « Nous sommes déjà, dit-il, près du temps où le vol et le mensonge que la loi condamne seront méprisés comme des fautes vulgaires, comme une maladresse grossière, par les adroits filous qui savent respecter le texte de la loi, tout en violant le droit d'autrui. J'aurais assurément mieux aimé, pour mon compte, vivre parmi les anciens Germains, au risque d'être tué à l'occasion, que d'être obligé, dans nos cités modernes, de tenir chaque homme comme un escroc ou un coquin, tant que je n'ai pas de preuves évidentes de sa probité. » Hartmann ne tient pas compte de l'économie ; il raisonne à son point de vue personnel et ne regarde point ce qui se passe autour de lui; personne ne voudrait aujourd'hui être exposé à être tué par les anciens Germains ; une escroquerie ou un vol ne sont que des dommages très facilement réparables
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L'expérience nous a, en effet, prouvé malheureusement que les enseignements que les historiens des idées nomment des enseignements très élevés, restent d'ordinaire sans efficacité. Cela avait été évident pour les stoïciens ; cela n'a pas été moins remarquable pour le kantisme ; et il ne semble pas que l'influence pratique de Proudhon ait été bien sensible. Pour que l'homme fasse abstraction des tendances contre lesquelles s'élève la morale, il faut qu'il existe chez lui quelque ressort puissant, que la conviction domine toute la conscience et agisse avant que les calculs de la réflexion aient eu le temps de se présenter à l'esprit.
On peut même dire que tous les beaux raisonnements par lesquels les auteurs croient pouvoir déterminer l'homme à agir moralement, seraient plutôt capables de l'entraîner sur la pente du probabilisme ; dès que nous raisonnons sur un acte à accomplir, nous sommes amenés à nous demander s'il n'y aurait pas quelque moyen propre à nous permettre d'échapper aux obligations strictes du devoir.
Sources : G. Sorel - Réflexions sur la violence – Ed. Marcel RIVIERE & Cie.
Le cancer américain : Le cancer américain
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L'Amérique, que certains ne manqueront pas de nous accuser de prétendre à découvrir, n'est pas en réalité aussi saisissable qu'on le croit, moins saisissable en tout cas qu'aux temps glorieux de la découverte et de la conquête.
Où peut-on trouver l'Amérique ? Peut-on même fixer ses limites ? L'Amérique serait-elle nulle part, ou bien serait-elle partout? Inexistence? Ubiquité? Comme cette grippe dite espagnole que l'on aurait sans doute grand tort de limiter à l'Espagne, qui y prit peut-être naissance, mais qui, depuis sa découverte, a hanté tous les organismes, sans souci de lieu ni de temps. L'Amérique n'est plus un pays, n'est en tout cas pas une patrie. L'attaquer, en tant que pays, serait mal poser la question, la limiter, et la mêler de préoccupations nationales qui sont d'ores et déjà dépassées. L'Amérique, il faudrait plutôt l'appeler le pays yankee, pour bien montrer que sur la carte on en chercherait en vain la frontière, et pour prouver qu'elle se répand partout où règne un certain esprit, où sévit, comme un fléau, une certaine manière de vivre ou de dire « non » à la vie. L'Amérique, si elle est un cadre, n'est plus un cadre territorial, mais bien un cadre de pensée et d'action. L'Amérique, c'est une méthode, une technique, une maladie de l'esprit. Partout où celle-ci sévit, quels que soient l'uniforme des militaires ou les vignettes des timbres-poste, le Yankee a fait école et se retrouve chez lui.
L'Amérique, c'est son cancer. C'est donc, hélas ! Non seulement outre-Atlantique, mais ici, sur notre sol, dans nos villes et même nos universités qu'il faut apprendre à connaître la nature profonde du danger qui nous menace. Localisable, il ne l'est plus : mais il vaudrait mieux qu'il le fût, car il serait encore possible d'isoler ou bien de couper l'organe malade. Thérapeutique impossible, puisque l'Amérique s'est répandue partout. S'il serait vain de définir dans l'espace le cancer américain, il est encore plus difficile de le déterminer dans le temps. L'Amérique est-elle moderne, est-elle usée ? La question se pose mal ainsi. Un célèbre économiste yankee a fait un jour cette réponse qui ressemble formellement à celle d'un paysan normand, mais qui semble au fond très exacte et témoigne d'un vrai courage : « L'Amérique est à la fois très vieille et très jeune », très jeune par ses réserves de matières premières et l'élasticité de son marché, très vieille par le perfectionnement de ses méthodes de travail et de crédit, aboutissement d'un long effort et d'une tradition plus ancienne que ne sont les États-Unis. Comme aux vitraux des cathédrales, l'Ancien Testament cacochyme est supporté par le Nouveau; ainsi dans les pays yankees, des systèmes vieux comme le monde, ou plutôt vieux comme l'abstraction, retrouvent une nouvelle jeunesse au contact d'un sol plein de germes et de richesses inexploitées. Allant plus loin que notre auteur et réduisant cette antinomie apparente, nous pouvons dire plus simplement: les États-Unis sont hors du temps comme ils sont au-dessus de l'espace. Leur accroissement démesuré, leur prolifération monstrueuse ne s'expliquent que par leur manque de contact avec le réel, de contact avec la durée et de contact avec le sol.
L'esprit yankee n'est en effet pas autre chose que l'exploitation en série, sur une échelle gigantesque, de la plus lamentable erreur que l'Europe ait jamais commise, de l'erreur rationaliste. Descartes n'en est pas responsable, quoi qu'ait voulu nous le faire dire un critique auquel sans doute le maniement des idées claires ne réussit pas. Rationalisme n'est pas raison: la raison dans tous ses efforts est un instrument de conquête, qui ne va pas sans passion. A ce titre, elle est respectable et ne peut être que bienfaisante. Mais les règles, dont elle arrache de vive force la révélation à l'univers hostile, lorsque la passion est éteinte et la conquête organisée, s'affaissent peu à peu en techniques, commodes sans doute, mais impérieuses, et bientôt néfastes. L'esprit américain, qui utilise pratiquement les conquêtes de la raison sans avoir partagé les efforts de la découverte, ni les risques de la recherche, n'est justement pas autre chose que l'utilisation de ce rationalisme dégradé dans un domaine purement technique. Civilisation de techniciens, où le savant n'est qu'un outil comme les autres, tout au plus une machine-outil. Civilisation qui néglige, dans un geste de parricide, les forces sentimentales et réelles qui ont forgé ses instruments. Ce n'est pas par hasard, mais par une nécessité singulièrement révélatrice que la plupart des inventions, exploitées ou mises au point aux États-Unis, sont dues à des inventeurs européens.
Rationalisation industrielle et financière — mépris de l'individualisme au sens révolutionnaire du mot — philanthropie fallacieuse, telles sont les trois rubriques sous lesquelles tous les faits américains, même diversement interprétés, semblent se grouper d'eux-mêmes ; Descartes et les cartésiens purs, dans leur fièvre créatrice et leur volonté de conquête ne pouvaient pas prévoir cette dégradation de leur méthode. Descartes en descendant dans la rue ou en montant dans les buildings perdait toute sa valeur humaine et tout son prix sentimental.
Le pionnier, qui fut le premier colon des États-Unis, n'eut de respect dès l'origine ni pour la terre, ni pour le génie humain. Le pionnier ne sait que voir et se servir de ce qui est; il découvre peut-être, mais il n'invente pas. Poussant encore plus loin le mépris du réel, négligeant encore plus les facteurs affectifs, n'ayant plus rien à découvrir, ses fils, enfermés dans une spécialité, suivent jusqu'au bout, sans vrai mérite, les lois particulières qui la régissent. L'esprit américain moderne demande à la statistique ce que l'esprit européen authentique demande à l'homme : la statistique, moyen d'éliminer les facteurs personnels pour réduire tout aux lois des grands nombres, plus inhumaines et plus abstraites. N'ayant point formé la raison, ne l'ayant même jamais vue à l'œuvre en sa période créatrice, l'esprit yankee ignore sa vraie nature, ses défauts comme sa souplesse. Utilisant les lois qu'elle a créées sans comprendre comment elle les créa, les utilisant d'autant plus béatement qu'il ne les a jamais connues que toutes figées, débarbouillées et bien au point, dégagées des erreurs et des affres de leur naissance, il les applique avec une impartialité blessante à tout ce qui est vivant comme à tout ce qui est inerte. L'industrialisme est son fief: le mythe de la production remplace l'élan créateur : le taylorisme ou le fordisme sont réputés inoffensifs et bienfaisants, tout au moins tant que les statistiques n'accusent pas un accroissement des accidents du travail ou du surmenage physique.
Mais comme il faut pourtant, pour toute tyrannie habile, une opposition limitée, inoffensive, inefficace, protestent au nom du spirituel quelques pasteurs payés pour cela, parasites du mal qu'ils dénoncent, ou quelques littérateurs isolés qui jouent le rôle jadis assigné aux bouffons des rois. L'antiaméricanisme en Amérique, et peut-être bien en France, est jusqu'à présent affaire de clercs ou d'esthètes. Saturnales inoffensives, qui bien loin d'ébranler le régime le consolident à leur insu. Tout par ailleurs est mis en œuvre depuis la chaîne jusqu'au test, à tout propos, à tout moment, pour écarter l'individu et stériliser les passions. La plainte des artisans, amoureux du travail bien fait, qui parfois s'élève en romance, joue le rôle sympathique et niais de la diligence détrônée par la locomotive dans les films de Buster Keaton. Il est permis de s'attendrir en pensant au bon vieux temps ; et tel grand seigneur de l'acier ou du caoutchouc se paiera le luxe de faire rebâtir son village à l'ancienne mode puis d'en bannir les autos et même l'éclairage électrique. Qui donc serait insensible aux charmes désuets de Ruskin ? Dubreuil même les ressentirait, en dehors des heures de travail. Mais qu'on ne s'avise pas de toucher aux centres nerveux du régime, mythe de la production, religion du crédit ; qu'on ne s'avise pas de remettre les techniciens à leur place et les statisticiens à leur rang. Ils y seraient aussi inexperts qu'un officier d'état-major au milieu d'un maniement d'armes ; et personne ne dirigerait ni ne trouverait plus de chef, tant le sens du concret et de l'invention authentique est ignoré dans les milieux où se déploie le cancer américain.
Ce prestige de l'abstrait, qui a dominé le monde intellectuel aux environs de 1860, apparaît aujourd'hui, pour qui le détache des objets d'utilité pratique auxquels a donné naissance le progrès technique, comme extrêmement vieillot et très loin des hardiesses de la pensée contemporaine. Il éveille le souvenir des petits cénacles positivistes où Homais, hélas, rejoint Comte, ou celui de la philosophie, attendrissante à force de naïveté, qu'exprimé encore parfois, après boire, un polytechnicien de première année. Tel qu'il est, sous sa forme primaire, dans sa grossièreté prétentieuse, ce prestige suffit à engendrer le terrible cancer qui ne cesse de proliférer, poussant de tous côtés les cellules d'une rationalisation déréglée, devant les exigences de laquelle plient les volontés d'abord, et, pour continuer, les instincts.
Nous verrons plus loin comment du plan industriel passant au plan financier, le cancer de l'abstraction, dominant peu à peu tous les mécanismes du crédit, de la publicité et de la suggestion, envahit les domaines les moins ouverts aux brimades de la technique, tournant ainsi les positions qu'il ne pouvait prendre de front: la psychologie individuelle elle-même passe au rang de ses conquêtes. Mais, plus grave que les prétentions américaines à faire pivoter les tables des conférences politiques (tout bon pragmatiste n’est-il pas doublé d'un spirite ?) se montre à nos yeux la nécessité qui pousse Hoover, comme elle pousserait tout autre chef du pouvoir fédéral, à pratiquer une politique d'aventure, d'intervention et de colonisation dans les affaires européennes et mondiales.
Hoover et ses successeurs éventuels conservent bien en cela la tradition des grands envahisseurs des époques barbares. En dépit de l'ardeur avec laquelle les conquérants de tous les temps se jettent sur le petit cap eurasiatique, en dépit même des convoitises qu'excité la vue de ces terres trop fécondes, ce n'est jamais spontanément que les barbares montent à l'assaut. Ils le font soit parce qu'ils y sont contraints par un plus barbare qu'eux qui les pousse l'épée dans les reins, soit parce qu'un cataclysme naturel a ravagé leur pays d'origine. L'éclat sauvage dont leurs yeux brillent, l'orgueil farouche de leurs manières et leur nomadisme étrange, tout cela a pour cause la peur. On ne court jamais si vite que lorsque les maisons croulent : ainsi font les bandes yankees, escortées de leur clientèle. Mais ce qu'il y a de nouveau dans l'invasion yankee, c'est que la catastrophe qui les chasse n'est plus le résultat d'un cataclysme naturel, mais d'un cataclysme artificiel, encore qu'il puisse s'accompagner de désastres naturels, comme les trop bonnes ou les trop mauvaises récoltes de blé. Ce cataclysme c'est, nous l'avons vu, l'effet produit par la raison coupée de sa base affective ; ainsi font les armes à feu ou l'alcool abandonnés aux indigènes, mal préparés à leur emploi, et qui en pâtissent les premiers. Encore les sauvages sont-ils punis pour ne savoir se servir correctement ni des armes à feu, ni de l'alcool ; tandis que les Américains connaissent, et connaissent trop bien l'usage technique de la raison. Mais tout se passe pour eux comme si cette faculté, pourtant habituelle à l'homme, avait surgi brusquement comme un membre supplémentaire, en bois, en fer, voire en chair, plus important que tous
les autres, destiné à les remplacer ou à les assujettir.
C'est que la raison quelle qu'elle soit, à l'état pur ou frelatée, sous forme technique ou pure, a une propriété magnifique à laquelle tous nos pédants, ingénieurs ou logiciens, ne prennent jamais garde, et qui est en quelque sorte la cause et la rançon de sa puissance : c'est qu’elle ne peut pas reculer. Elle va toujours dans le même sens, considérant comme homogènes tous les milieux qu'elle pénètre, prétendant toujours aussi à des généralisations plus grandes. La proposition nouvelle, dont on fait la déduction, s'ajoute aux propositions précédentes et servira à son tour de base à une nouvelle déduction : chaîne sans fin, dont on voit la bienfaisance quand elle s'exerce dans le sens de la création et du progrès humain. Mais de quels méfaits capable, quand son point de départ est faussé et son déroulement inhumain. Non seulement, il est impossible de rompre la chaîne, mais elle est tout entière présente à tout moment du raisonnement, que le raisonneur en soit ou non conscient. La raison qui opère dans tous les milieux possibles, domine le temps comme l'espace : outil merveilleux qui ne s'use point, elle confère à l'agressivité humaine une puissance théoriquement illimitée. Mais lorsqu'elle joue en porte à faux, elle va jusqu'au bout du désastre.
Il y a raison et raison : il y a la raison inventive, dont les progrès, consistant en élans nouveaux de l'esprit créateur, forment une chaîne héroïque de risques, d'efforts et de jouissances : il y a la raison technique, dont la progression monotone se fait sans heurts et sans mystère, à l'ancienneté, comme on vieillit.
Les vrais spécialistes de la raison, qui ne sont pas ses vulgarisateurs techniques, mais bien ses promoteurs, philosophes ou mathématiciens, dans l'humilité nécessaire de qui a souffert pour créer, n'ignorent pas que c'est en remettant à tout instant en cause la valeur absolue de la raison, en faisant comme si, avant eux, on n'avait jamais pensé, en d'autres termes en la réinventant à tout moment, en la rattachant à leur instinct vital propre et à leur propre volonté de puissance, qu'ils ont le droit de s'en servir. « Le premier pas vers la philosophie, aurait dit Diderot avant de mourir, c'est l'incrédulité ». L'incrédulité provisoire à la science comme à tout autre dogmatisme ; en cela Diderot révèle le ressort le plus profond du vrai esprit cartésien, du vrai esprit européen. Au contraire l'esprit yankee, crédule par définition, qui a reçu comme loi imprescriptible la confiance en la raison et en la statistique et qui d'ailleurs ne connaissant que la raison appliquée, échappe, quant à son principe, à l'élan du génie humain, est peut-être bien capable de se passionner pour toutes les opérations intellectuelles - pour toutes, une exceptée qui est la fondamentale et qui consiste à remettre en question toutes les questions à la fois. La notion même du doute ou du risque métaphysique lui est étrangère. Il y verrait à la fois une trace de pessimisme et une espèce d'indécence. Il est permis à un Yankee de se convertir à tout ce qu'on voudra, d'adhérer à une des innombrables sectes qui monnayent l'esprit religieux : mais il est interdit de renier ouvertement une croyance officiellement reçue, du moins de la renier explicitement, affectivement, avec les blasphèmes nécessaires.
On a dit que l'étudiant américain manquait d'esprit critique autant que ses maîtres ; et il est vrai que les deux sexes semblent rivaliser de conformisme dans leurs universités florissantes. Mais il serait faux de dire que les jeunes gens ou les jeunes filles soient fermés aux idées nouvelles, ou qu'ils se tiennent consciemment à des principes établis. Bien au contraire, toujours tourné vers l'avenir parce que c'est le sens de sa marche, l'esprit américain ne peut pas reculer. Tout ce qui est nouveau, il l'adopte sans renier pour cela l'ancien. Il est ouvert à tout sans effort, sans curiosité, sans angoisse, comme une femme prostituée, car il met tout sur le même plan. L'intolérance, il l'abomine; car c'est un vice européen qui diminue l’efficiency. Ce n'est même pas chez lui l'impartialité de libres penseurs, qui refusent de croire à rien, mais insuffisance psychologique et incurable paresse dialectique. Dans ce pays où tous disent « oui », la compréhension facile, unanime, préétablie, qui devient un trait de la race, est sans mérite, ni grandeur.
Du reste, sur le plan technique, sur le plan soi-disant empirique que l'esprit américain a choisi ou plutôt que les événements lui ont imposé, cet éternel acquiescement est parfaitement justifié. L'angoisse romantique et le doute critique n'y seraient que des obstacles gênants, eux qui pourtant sous d'autres latitudes ont prouvé leur efficacité et contribuent à la dignité des consciences humaines. Ces stimulants éliminés, ces vertus majeures abolies, il n'est d'autre progrès possible que celui d'une boule de neige se déplaçant en ligne droite. Ce qu'il y a de grave en effet, c'est qu'en réduisant les facultés rationnelles au domaine technique, non seulement l'Américain interdit à son esprit de reculer, de se reprendre, mais il l'oblige à progresser toujours dans la même direction uniforme, à une cadence uniformément accélérée. Aux grandes voies naturelles, parfois inégales ou sinueuses, il substitue des allées de parc, et prend pour parole d'Évangile l'axiome de géométrie sur la ligne droite, plus court chemin... C'est avec une tranquillité extraordinaire que Carnegie fait son acte de foi : « Les bases sur lesquelles repose la société actuelle sont préférables à toutes celles qui ont été essayées ». Le premier précepte de la morale du succès est donc de ne pas examiner ces bases : autour de ce principe éthique et combien satisfaisant, s'édifie le fameux Évangile de la richesse, commun à la Christian Science, à Carnegie et à Babbit. Le Service Social, école de docilité, fait oublier les principes individuels de charité ou de fraternité. Nul n'y échappe : dans ce conformisme géant, toutes les facultés ont leur rôle. Celles de l'homme naturellement, mais aussi, ce qui est plus difficilement justifiable, celles de la femme et de l'enfant. On se rappelle la formule de Thomas Graindorge : « Les enfants mènent les femmes, qui mènent les hommes, qui mènent les affaires ». Voici que l'esprit yankee a interverti les termes pour en tirer la formule du cancer américain : « Les affaires mènent les hommes, qui mènent les femmes qui mènent les enfants ». Qu'on ne nous oppose pas les triomphes du féminisme américain et le culte américain de l'enfance. L'homme est écrasé par la meule avant la femme, mais elle le suit. Ce qui trompe, c'est que, dans une société rationalisée, les hommes qui mènent les femmes ne sont pas leurs maris ou leurs parents et que les femmes qui mènent les enfants ne sont pas leurs mères. Civilisation démente où, pour que l'on puisse vivre, il faut renoncer à la vie, tout au moins à la transmettre. L'homme encore, à la rigueur, peut s'assujettir aux affaires sans renoncer à la paternité. Mais la femme, elle, doit choisir, entre le bien-être immédiat et la trahison de l'avenir. Quant à l'enfant, pour ménager cette main d'œuvre de demain, on l'éloigne du foyer dévorant, où se consume sa famille, et on le retient à l'engrais, à l'écart, dans des parcs spéciaux, scientifiquement organisés.
On voudrait que ces formules fussent plaisantes : elles ne font malheureusement qu'exprimer la logique profonde du système. En pays yankee, l'esprit trouve sa première raison d'être et sa principale application dans la production industrielle, issues elles-mêmes de la croyance que le bonheur peut s'obtenir par la technique ; il est donc tout naturel que la richesse devienne une fin en soi, et permette ainsi d'oublier tous les autres biens. Sans doute, aux États-Unis, les conditions historiques ont-elles facilité les choses en utilisant une société calviniste, où le prêt à intérêt et le travail matériel se réconciliaient en Dieu ; mais, en dehors de toutes circonstances locales ou d'époque, la réduction de la raison à la raison technique aurait suffi à entraîner toutes les conséquences du cancer rationalisateur. Comme la raison ne connaît de progrès que mesurables, et qu'elle est à sens unique, le désir et le devoir s'accorderont pour produire de plus en plus, et aussi de plus en plus vite. Ainsi naît l'effarante théorie des hauts salaires, qui, sous son aspect humanitaire et malgré les apparences de bien-être qu'elle procure, met le comble à l'esclavage en élargissant la geôle.
A cette hypocrisie flagrante, à cet hameçon bien camouflé lancé aux travailleurs par la société yankee, on ne peut vraiment rien comprendre tant que l'on n'a pas compris sur quelles bases techniques repose la civilisation américaine. L'homme, pour elle, est avant tout un producteur ou mieux une machine à produire ; mais pour pouvoir continuer à produire selon un rythme accéléré, il faut, dans un monde où la religion du travail n'a pas encore étouffé tous les instincts ou les besoins, il faut malgré tout consommer. Ici, l'anarchie menace : jusqu'ici, en ces périodes désordonnées qui ont précédé Taylor, on mangeait lorsqu'on avait faim, on consommait selon ses besoins. Fantaisie inadmissible. Comment imaginer en effet que l'on puisse réglementer la production dans un pays où le consommateur reste libre ? Production et consommation, les deux mamelles de l'Amérique, doivent observer le même débit : sans quoi il serait fatal que tous ses produits un jour lui remontassent au cerveau. Le meilleur moyen d'éviter pareille folie, d'améliorer cette situation anarchique, est de considérer le producteur comme consommateur en même temps que comme ouvrier. Lui qui subit, comme ouvrier, pendant les heures de travail, la discipline patronale, subira, avec plus de ménagements apparents, pendant ses heures de détente, l'obligation de consommer. Le procédé est peut-être nouveau dans son application humaine: on l'avait déjà vu fonctionner, sous une forme plus élémentaire, dans la production des foies gras.
Pour que le haut salaire ne manque pas son but, et que ce qui vient de l'usine retourne sans faute à l'usine, il faut le compléter par une organisation du crédit, destinée à la consommation. Ainsi l'ouvrier sert deux fois la machine productrice, à laquelle il est deux fois enchaîné : il la sert en tant que main d'œuvre et en tant que débouché. Si tout fonctionne correctement, si le haut salaire, déterminé par des calculs de probabilité corrects, sans nul facteur sentimental, n'est ni trop haut ni trop bas, si le stimulant du crédit est convenablement réglé, il semble qu'on puisse escompter, selon une progression sans limite, le développement simultané du travail, du salaire et de la consommation. Si la publicité s'en mêle pour décider les hésitants, si l'habitude de la vente à crédit pénètre tout à fait dans les mœurs, le cycle sera fermé ; et dans ce système parfait sans contact avec l'extérieur, fait d'autorité et de confiance, il deviendra même inutile de distribuer un salaire. Le travail pourra être directement transformé en demande, conformément, cela va sans dire, aux nécessités de la production. La prospérité régnera avec ses splendeurs théoriques, mais portant en son sein abstrait tous les germes de la misère, dont nous reparlerons plus loin.
L'histoire économique des États-Unis vient à l'appui du diagnostic que nous venons de formuler. Si, après l'avoir décelé, nous étudions le développement du cancer américain, nous retrouverons dans les faits ses caractères essentiels, et notamment l'incapacité de recul, le cancer américain comme les autres ne rétrocédant jamais.
De cette merveilleuse histoire retenons simplement trois étapes essentielles. D'abord la conquête du sol. Cette conquête, appuyée sur une immigration constante et constamment renouvelée, se fait par vagues d'assaut et non par enracinements successifs, si bien que les conquérants n'ont jamais le temps de s'adapter aux conditions locales, mais apportent dans leurs bagages des coutumes d'importation, hétérogènes et disparates. Pourtant, pendant cette période, la richesse du Nouveau Monde est encore presque exclusivement agricole. C'est aussi la période où le véritable esprit démocratique, fait de possession du sol et de respect de l'individu, a chance encore de s'instaurer. La seule tentative sérieuse, dans l'histoire des États-Unis, pour créer un lien affectif entre l'homme et la terre, pour créer un véritable pays, un vrai patriotisme, se produisit à cette époque ; et c'est celle de Jefferson. Tentative bientôt étouffée : n'y a-t-il pas quelque chose de profondément tragique, et d'une ironie cruelle, à constater que ce contemporain de la Révolution française semblait avoir eu, dans sa répulsion instinctive pour la civilisation urbaine et pour l'instauration d'un pouvoir fédéral centralisateur, une intuition confuse de la tyrannie sans précédent qui allait surgir en un siècle ? Il est véritablement sinistre de comparer les tendances de l'ancêtre du parti démocrate, Jefferson, anticentralisateur, antibancaire, anti-urbain, avec celles du président Wilson, apôtre sous toutes ses formes de l'abstrait et de la centralisation et mieux encore avec celles d'un possible candidat démocrate à la présidence des États-Unis, à savoir M. Owen Young, dont on connaît les méfaits. Rien ne permet de mieux mesurer la marche du cancer américain, en son pays d'origine.
Le second fait de l'histoire des États-Unis, qu'il convient de détacher se place au cours du XIXe siècle, et dès avant cette guerre de Sécession, qui représente beaucoup plus la victoire de l'industrie sur l'agriculture que celle de la liberté sur l'esclavage. C'est l'accumulation extrêmement rapide du capital industriel, qui ne tarda pas à se subordonner, en les enchevêtrant, toutes les puissances existantes, des Compagnies de Chemin de Fer aux grandes Sociétés Anonymes. Alors, comme un symbole ou comme un témoignage, commencèrent à surgir du sol ces villes d'un type nouveau, dont la croissance prodigieusement rapide est un symptôme autrement effroyable que la congestion progressive de Paris, de Londres ou même de New York. Nous touchons là, pour ainsi dire, le cancer du doigt, sous sa forme matérielle : mais il ne devient tout à fait inguérissable, que le jour où l'institution du crédit agricole et la motorisation de l'agriculture imposèrent aussi aux champs les mêmes lois rigides, dont le gratte-ciel semble le temple.
Le troisième fait dominant de l'histoire économique du cancer américain, celui qui complète tous les autres, envahissant toutes les retraites où se réfugie l'âme humaine, est le développement presque explosif de ces mécanismes psychologiques que sont le crédit, la presse et la publicité. Ce fait là est si révélateur que nous l'étudierons à part. Désormais, du moment où le crédit, servi par les techniques de suggestion collective, se dégageant de ses enveloppes matérielles, s'élève sur le monde conquis comme un fantôme désincarné, il est loisible, pour le moins clairvoyant, d'apercevoir sinon la nature du moins les dangers de la tyrannie qui le mène. Peut-il encore réagir, malgré les krachs et les misères, enveloppé dans de faux mirages, comme l'est le promeneur nocturne dans la publicité lumineuse ?
Le voilà donc, ce conquérant malgré lui, cet Attila à lunettes d'écaillés, jeté à l'assaut du monde par la faculté à sens unique qui gouverne à son insu et sans qu'il y puisse rien, les gestes et jusqu'aux intentions de tout son peuple. Comme il a raison d'avoir peur ! Comme on comprend les mouvements de mauvaise humeur, aussi bien des fermiers de l'Ouest que des banquiers de l'Est, tous mêlés dans le même sac, toujours prêts à envoyer à tous les diables cette Europe, qu'ils jalousent au fond, qu'ils surveillent comme une proie et qu'en même temps ils craignent plus ou moins secrètement comme un remords ou un foyer de résistance. Même les plus hardis cherchent provisoirement à la laisser de côté comme une poire pour la soif. Qui s'y frotte s'y pique : dans cette ridicule Europe subsistent malgré tout effort quelques forces spirituelles qu'il vaut mieux ne pas braver. Mais leur cancer, en dépit des crises ou même à cause d'elles, leur donne une soif inextinguible et croissante ; il leur faut bien, malgré eux, tendre la main vers le fruit, qui toujours s'offre à eux avec plus d'insistance.
Alors le conquérant abstrait, de son central téléphonique, lance ses troupes sur le monde : il appelle ses lieutenants, banquiers et publicistes; il fait chercher ses aumôniers, quakers ou bien philanthropes; et sans cesser pour cela de refaire les toits de Versailles ou de reconstruire la cathédrale des rois de France, il envoie ses colleurs d'affiches en ambassade à Londres et à Paris, ou autres futures préfectures yankees, pour offrir dans un sourire doré ou la paix ou la guerre. Cependant que fiévreusement, talonné par sa nécessité interne, il prépare pacifiquement sa guerre de tarifs et d'escompte, en laissant aux Européens les risques plus meurtriers d'une guerre à poitrines humaines, prolongement fatal de la sienne, dont il compte bien profiter. Nous verrons plus loin en détail les raisons immédiates qui l'obligent à l'aventure : mais les raisons profondes nous sont déjà connues. Il faut qu'il avance, qu'il marche : son pouvoir et sa raison d'être se résument à la fidélité à la ligne droite, ligne abstraite qu'il n'a jamais quittée, qui devant lui semble aplanir tous les obstacles qu'en réalité elle ignore, qui a stérilisé la terre partout où il est passé. Car en dépit de son blé et de son pétrole, malgré ses buildings et ses parcs verdoyants, l'Américain est un nomade et le restera toujours. Nomade parfois sédentaire, mais qui du nomadisme garde les tares essentielles en vivant et proliférant sans contact avec le réel. Non seulement déraciné, mais détaché de tout, de lui-même comme des autres, assujetti seulement à l'impératif barbare de la production et de la spéculation sans profit, chacun suit avec une ardeur automatique les Attila sans génie et sans grandeur, que de Monroe à Hoover, le sort lui a désignés. Malgré ses tracteurs et son crédit agricole, malgré ses engrais, son Farm Board là où passe l'Américain, l'herbe ne repousse jamais.
Sources : le cancer américain – R. Aron et A. Dandieu – Réédition l’Age d’Homme 2008.
Les idées de la garde de Fer
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- Catégorie : HISTOIRE
Nous avons eu plusieurs fois l'occasion de faire connaître à nos lecteurs le mouvement de la « Garde de Fer » de Codreanu qui fut une des expériences les plus originales du fascisme d'avant-guerre. (Cf. notre numéro spécial, Les Fascismes inconnus, avril-mai 1969). Nous donnons ci-dessous un extrait d'une des études les plus récentes sur ce mouvement, celle de Carlo Sburlati, parue en Italie sous le titre « Codreanu et la Garde de Fer ».
Codreanu répétait souvent :
« Ce pays (la Roumanie) est en train de mourir par manque d'hommes et non par manque de programmes. Voilà mon opinion. Ce ne sont pas des programmes que nous devons chercher, mais des hommes, des hommes nouveaux. La pierre angulaire sur laquelle la Légion s'appuie est l'homme et non pas un programme politique. C'est pourquoi nous nous battons ici, non pas tant pour réaliser un programme déterminé, mais pour forger des hommes nouveaux. »
On ne peut pas ne pas noter le réalisme de cette affirmation du Capitaine ; en effet, il est facile pour les démagogues et les hommes politiques de parler de révolutions et de réformes comme si on pouvait disposer d'une baguette magique comme panacée contre tous les maux. Mais changer le visage d'une nation est une affaire ardue et quotidienne, qui présuppose non seulement de la préparation, de la compétence et un grand sérieux d'intention de la part de celui qui est placé à la tête de l'Etat, mais aussi une force d'ensemble de la collectivité nationale tout entière.
Codreanu a, par ailleurs, compris que le peuple roumain, pour retrouver sa voie et la confiance en l'avenir, n'a pas besoin d'un homme politique grandiloquent et brillant, mais plus simplement d'un grand éducateur qui sache parler avec humilité et sincérité au cœur de toute la nation. Parti de l'idée de l'homme comme valeur morale et non comme entité numérique, Codreanu a exprimé dans la Légion de l'Archange Michel cette conception qui était la sienne, faisant ainsi d'elle plus qu'un parti politique, une école de vie et une milice du sacrifice.
C'est pourquoi il serait vraiment malhonnête de vouloir blâmer et corriger les défauts des autres si on n'a pas d'abord la volonté et le courage de connaître et de corriger les siens propres.
« Des programmes ? Et lesquels ? Croyez-vous que nous ne puissions pas assainir les marais ? Que nous ne puissions capter l'énergie des montagnes et électrifier le pays? Construire de nouvelles villes ? Ne pouvons-nous pas élever dans les Carpathes une patrie qui rayonne comme un phare au centre de l'Europe? » Faire des programmes, c'est clair, n'est pas suffisant. Il faut avoir la force, le pouvoir, la volonté de les réaliser. Il faut avant tout se rénover intérieurement pour pouvoir avoir ses papiers en règle afin de porter en avant un processus de restructuration radicale de l'Etat et de reconsécration existentielle de l'homme dans le cadre de la nouvelle réalité.
« Nous aussi nous voulons construire : d'un pont brisé à une route, d'une canalisation d'une chute d'eau à sa transformation en force motrice, de la construction d'une maison jusqu'à celle d'un bourg, d'une ville, d'un état roumain nouveau. C'est cela la mission historique de notre génération : sur les ruines d'aujourd'hui, nous devons construire un pays nouveau, un pays magnifique. Aujourd'hui le peuple roumain ne peut accomplir sa mission mondiale qui est celle de créer une culture et une civilisation propre dans l'Est de l'Europe. »
Comme on a eu souvent l'occasion de le remarquer, l'homme nouveau souhaité par Codreanu ne peut naître ailleurs que là où l'esprit chrétien a germé dans sa forme la plus pure. La foi en Dieu est un postulat fondamental de la doctrine légionnaire ; on ne peut laisser celle-ci de côté, à proprement parler parce qu’il est essentiel que chacun soit conscient de sa propre réalité spirituelle et de la mission terrestre qu'il doit accomplir.
« L'homme nouveau ou la rénovation nationale prédisposent une importante métamorphose spirituelle, une grande révolution du peuple tout entier, c'est-à-dire une réaction contre la situation actuelle, et la volonté ferme de changer cette direction. » L'acte révolutionnaire de Codreanu consiste dans le fait de vouloir pénétrer les différents problèmes en ne s'arrêtant pas aux apparences, mais en allant jusqu'au fond et en cherchant à les résoudre dans leur ensemble. Il ne s'agit pas de changer seul l'aspect extérieur, l'apparence des institutions, mais de chercher à modifier la nature même de l'homme en le faisant tendre vers des buts plus hauts.
Pour devenir un vrai légionnaire, il n'est évidemment pas suffisant de se proclamer tel. Il faut que se montrent évidentes des transformations intérieures, car elles seules peuvent développer de façon harmonieuse les différentes qualités de l'homme. Le mouvement légionnaire est une aspiration à la perfection et comme tel il exige de ses militants le sérieux, l'honnêteté et le courage en même temps que le refus le plus absolu, en politique comme dans la vie privée, de la déloyauté comme méthode de lutte.
« Marche seulement dans la voie de l'honneur. Lutte. Ne sois jamais vil. Laisse aux autres les voies de l'infamie. Plutôt que de vaincre avec infamie il vaut mieux tomber sur le chemin de l'honneur. Gardez-vous, Roumains, de cette folie épouvantable qu'est la lâcheté. Toute l'intelligence, tout te travail, tout le talent, toute l'éducation, ne serviront à rien si nous sommes lâches. Enseignez à vos fils à ne jamais employer de méthodes viles ni contre un ami, ni contre le pire ennemi, parce qu'en faisant ainsi, ils ne vaincront pas et seront plus que battus ils seront écrasés. »
« Même pas contre le lâche et ses viles méthodes, il (ne) faut employer les mêmes armes parce que, si alors nous vainquons, ce ne sera qu'un changement de personnes, mais la lâcheté demeurera inchangée. La lâcheté du vainqueur se sera substituée à celle du vaincu, mais en substance, ce sera la même lâcheté qui dominera le monde. Les ténèbres de la lâcheté ne peuvent être dissipées par d'autres ténèbres, mais seulement par la lumière qui émane d'un homme courageux et honnête. »
L'éducation de « l’homme nouveau » doit tenir compte par-dessus tout de lui donner conscience des devoirs civiques et des valeurs morales, et en outre naturellement de lui fournir un bagage culturel et de connaissances avec lequel il pourra faire front aux nécessités de la vie. La différence avec l'éducation comprise au sens bourgeois ou marxiste est plus qu'évidente : elle ne se réduit pas à un simple travail d'approfondissement ou de sensibilisation, ni n'aspire à un endoctrinement dogmatique et privé de sens critique. Elle aspire à quelque chose de plus profond et de plus suggestif : à faire participer l'individu à la réalité dans laquelle il vit, à en faire un centre d'irradiation spirituelle et non seulement culturelle, à le pousser vers des synthèses neuves et hardies, à le diriger vers des buts qui représentent des valeurs éternelles.
Si, pour la grande majorité des hommes, une des principales déterminations à l'action et à la lutte est l'intérêt personnel, Codreanu se trouve en complet désaccord avec cette mentalité. Le désir de s'enrichir, le luxe, la cupidité immodérée sont indubitablement des facteurs importants dans la détermination des actions humaines : mais ils le sont au sens négatif. Il faut non plus une élite fondée sur les idées de succès, de popularité ou de fortune, mais sur celles de sacrifice, de pauvreté, d'une vie âpre, sévère, austère. Voilà quel doit être le chemin pour s'élever. Les facilités, la goinfrerie, le luxe, le trivialité, montrent le chemin de la décadence des peuples.
« Nous devons vivre une vie de pauvreté, en étouffant en nous le désir des richesses et n'importe quelle tentative d'exploitation de l'homme par l’homme. Chaque fois que je me suis trouvé en face d'un sacrifice de la Légion, je me suis dit : comme il serait terrible que sur le sacrifice saint et suprême de tant de nos jeunes gens s'installe une caste de vainqueurs dont les portes seront ouvertes aux affaires, aux coups aventureux, aux orgies, à l'exploitation des autres. »
Il ne faut pas ici revenir sur la fonction irremplaçable et sur la signification morale que Codreanu attribue au travail, au plus humble et du plus fatigant au plus engageant et qui réclame une grande responsabilité. D'autre part, ses camps volontaires de travail restent encore aujourd'hui ce qu'une génération a su exprimer de plus concret et de plus stupéfiant, une génération qui s'était imposée pour but de dire non aux consignes des rhéteurs en s'actualisant et en s'exprimant dans les problèmes réels du pays.
Voici le portrait que fait de l'œuvre de Codreanu un de ses très proches collaborateurs, qui a eu la possibilité d'apprécier de façon particulière l'influence de la personnalité du Capitaine sur la mentalité et sur les coutumes roumaines.
« Au pays de la fuite devant toutes les responsabilités, étouffé par un si grand nombre de fourbes et de parasites sociaux, il a instauré l'école de l'homme d'honneur, de l'homme qui ne ment pas, de l'homme juste, digne, correct, joyeux, qui se donne à son travail et qui sait assumer ses propres risques. Il a instauré aussi le principe que nul travail n'est déshonorant et il a éliminé sans pitié de son organisation les débauchés, les fainéants, les fripons, les vaniteux, les hâbleurs et les malhonnêtes. »
Nous ne devons absolument pas considérer l' « homme nouveau » extrait de la réalité qui l'entoure, cristallisé dans ses archétypes idéaux, indifférent à tout ce qui ne le touche pas dans son intériorité spirituelle. Codreanu n'est certainement pas quelqu'un qui s'enferme dans une tour d'ivoire pour admirer sa propre supériorité intellectuelle et morale, qui ne s'abandonne pas au sarcasme, ne compatit pas ni ne méprise la multitude qui peine à chercher dans l'argent ou dans le plaisir le sens de sa propre existence.
Il espère dans l'évidence de (son) exemple et croit pardessus tout dans la force du sacrifice compris comme témoignage et comme réaffirmation d'une foi. Ayant tiré au clair que l'intérêt seul n'est pas en état de réaliser l'harmonie, tant dans le cœur des hommes que dans le contexte d'une nation, mais qu'au contraire cela représente un motif de discorde et de perturbation sociale, il reste à analyser quel serait l'élément capable d'opérer cette synthèse. Codreanu croit le trouver dans l'adhésion aux enseignements du Christianisme et par-dessus tout dans un grand pouvoir d'amour. « L'intérêt est l'expression de la nature animale de l'homme ; le facteur d'harmonie, capable de le sublimer et de lui assigner une mission, ne peut être que son esprit. L'élément régulateur de la vie politique, sociale et économique doit être l'Amour. L'amour appliqué de façon concrète signifie la paix dans nos esprits, dans la société et dans le monde. »
En partant de ces bases, « l'homme nouveau » et le légionnaire se posent en profonde opposition avec le vieux monde politique. Ainsi s'explique la défiance instinctive de tous les partis roumains, de la droite économique et bien-pensante
à l'extrême gauche maximaliste et discoureuse, à l'égard du
mouvement codréaniste. ;
Cette concentration de forces illégitime eut raison de l'enthousiasme et de la jeunesse en écrasant dans le sang le rêve de toute une génération.
Nuremberg nous aurait appris par la suite que les vaincus, non seulement ont toujours tort, mais que la plupart du temps ce sont même des fous criminels.
Ressemblances et différences avec le Fascisme et le National-Socialisme.
Nous commençons ce chapitre sur les rapports entre le Fascisme, le National-Socialisme et le mouvement de Codreanu par un état de faits. Durant la 2e Guerre Mondiale, tandis que beaucoup de ceux qui deviendront des ennemis acharnés du nazisme et du fascisme n'avaient pas encore eu leur brave crise de conscience ou peut-être jouissaient dans leur for intérieur des succès de l'Axe, dans les camps de concentration de Buchenwald, Dachau et Sachsenhausen, des centaines de légionnaires de la Garde de Fer dépérissaient et mouraient pour garder leur foi à un de leurs impératifs moraux : celui de ne pas renoncer à leur propre patrimoine politique, national et spirituel, même pas vis-à-vis de prétendus amis ou alliés.
Cela pour mettre en évidence à quel point peuvent être fausses les accusations des adversaires de Codreanu pour lesquels le mouvement Légionnaire n'était pas autre chose à ses débuts qu'une imitation du Fascisme et, par la suite, une succursale du National-Socialisme allemand. On a fait appel à tous les prétextes, les plus futiles, les plus mesquins et les plus invraisemblables pour accréditer cette thèse; en dernier lieu, on a exhibé une lettre, manifestement apocryphe, d'Hitler lui-même à Codreanu. Il est inutile de répéter ici que Codreanu eut soin de démolir et de démentir une à une toutes ces argumentations fausses et fantaisistes.
Naturellement, Codreanu agissant dans le cadre des révolutions nationales, il existe certaines affinités entre le fascisme et le national-socialisme d'une part et le mouvement Légionnaire d'autre part. Toutefois, il ne faut pas s'en formaliser : par son caractère éminemment spiritualiste et antibourgeois, la Garde de Fer est peut-être idéologiquement plus voisine de la Phalange espagnole et du Fascisme hongrois tel qu'il a pris visage avec le major Szalazi et ses Croix fléchées.
La grande estime que le Capitaine nourrit vis-à-vis du Chef du Fascisme italien reste indubitable :
« Mussolini nous a donné la certitude de notre victoire. Il existe en effet un lien de sympathie entre tous ceux qui, dans les diverses parties du monde, servent leur propre nation, comme il existe un lien entre tous ceux qui travaillent à l'anéantissement des nations. Pour nous, il sera l'astre lumineux qui nous aura appris l'espérance, il sera la preuve que le communisme peut être vaincu, il sera une confirmation de nos propres chances de victoire. »
II dira une autre fois : « Nous sommes parmi ceux qui croient que le soleil ne se lève pas à Moscou mais à Rome.»
Pour Codreanu, les réalisations de l'Italie d'alors dans le domaine économique et social prendront leur intérêt. Par-dessus tout le frappe le corporatisme par sa façon simple et honnête de résoudre les contrastes sociaux dans l'intérêt supérieur du prêteur, du donneur de travail et de nation. D'autre part, la structure économique particulière de la Roumanie, en phase d'industrialisation déjà mise en train, aurait permis une brillante application de ces idées.
Dans le national-socialisme allemand, à part la parfaite discipline instaurée, il voit la réalisation d'un grand état national et technocratique, avec une planification centralisée mais souple qui permet d'obtenir des résultats stupéfiants.
En Italie et en Allemagne enfin, Codreanu entrevoit le point d'appui de l'Europe Nouvelle qui est en train de naître, faisant fructifier l'héritage d'une civilisation qui a donné au monde les plus grandes réalisations de l'histoire et l'enthousiasme de millions de travailleurs, conquis finalement à la cause de la rénovation et à l'action politique.
José Antonio avait bien dit : « Le fascisme est une inquiétude européenne ; c'est une nouvelle façon de concevoir tout ce qui fermente en notre époque et de l'interpréter avec notre sensibilité », II est donc logique que la tradition historique différente de la Roumanie, la sensibilité différente de ses habitants, son degré différent de développement économique et social se reflètent aussi dans un mouvement comme le mouvement Légionnaire, qui enfonce ses racines dans l'humus même de la terre de Decebalo. A cela s'ajoute la présence d'une forte personnalité comme celle de Codreanu, inévitablement destinée à laisser la marque de ses propres actions.
De la rencontre (que nous avons déjà évoquée ailleurs) entre Corneliu et le philosophe Julius Evola, ce dernier a écrit : « Parmi les thèmes de notre entrevue, je me souviens de l'intéressante caractérisation que Codreanu fit du fascisme, du national-socialisme allemand et de son propre mouvement. Il disait que dans tout organisme existent trois principes : la forme, la force vitale et l'esprit. On doit penser la même chose pour une nation, et un mouvement rénovateur peut se dérouler en portant principalement l'accent sur l'un ou l'autre de ces trois principes. Selon Codreanu, dans le fascisme, c'est le principe de la forme, comme idée politique formatrice et comme état qui avait la première place : cette puissance organisatrice était l'héritage de Rome. Par contre, dans le national-socialisme allemand, un relief particulier est donné à la force vitale : de là, la part qu'avait pris la race, le mythe de la race et l'appel au sang et à la communauté ethnico-nationale. Pour la Garde de Fer, le point de départ serait, par contre, l'élément spirituel. C'est de lui qu'il voulait partir. Et par l'esprit, Codreanu entendait quelque chose qui se référait aussi aux valeurs proprement religieuses et ascétiques ».
Codreanu lui-même répondit ainsi à quelqu'un qui lui demandait quelles étaient les différences entre ces trois mouvements nationaux : « La fascisme s'intéresse avant tout a « l’aspect », c'est-à-dire à la forme organisatrice de l'Etat; le national-socialisme au « corps », c'est-à-dire à la pureté et à l’Eugénie raciale; la Garde de Fer, par contre, met l'accent sur quelque chose de bien plus profond : l'âme, c'est-à-dire l'essence même de l'homme. Si nous voulions nous servir ici d'une image visuelle, nous dirions que le fascisme combat le mal en élaguant les branches d'un arbre hypothétique qu'il veut abattre ; le national-socialisme en sciant le tronc ; et le mouvement Légionnaire en arrachant les racines. »
Parmi ceux qui ont le mieux étudié la pensée de Corneliu en rapport avec l'idéologie fasciste et nationale-socialiste, il faut noter l'écrivain italien Alfonso Panini Finotti, de qui nous extrayons ces lignes pénétrantes :
« La révolution légionnaire est une révolution typiquement roumaine. Par rapport au Fascisme et au National-Socialisme, la révolution Légionnaire présente des caractères tout à fait spéciaux. L'originalité de Codreanu ne consiste pas en une objectivité conceptuelle, en idéologies et programmes, même si ses opinions sur de telles réalités ont gagné un si grand nombre de fidèles et la plus grande force incisive par le moyen de bien autre chose que leur aspect purement thématique. Son action révolutionnaire consiste dans une existence ontologique éminemment fondamentale de cette réalité, se rencontrant aussi d'une telle façon avec les dernières tendances des conceptions les plus avancées de la vie européenne.
Il faut noter, en conclusion, le caractère humain de sa révolution tout entière. Tandis que les révolutions fascistes et nationales-socialistes s'effectuent comme un effort spécifique de simplification, et même et surtout d'unilatéralisation avec une finalité donnée de la nature humaine (l'extrême spécialisation, la transformation de l'individu en un instrument qui y prend part, mais en tout soumis aux consignes de l'Etat) et en contrecarrant le libéralisme, la révolution Légionnaire présente l'aspect d'une restitution de l'homme à lui-même au sens le plus complet du mot. Et à ce propos, l'émotion humaine de beaucoup d'affirmations de Codreanu et de ses militants est véritablement surprenante. Il est possible d'en trouver l'explication dans le caractère profondément spécifique de la sensibilité roumaine. A travers l'expérience de Codreanu et de la Garde de Fer, la sensibilité roumaine acquiert un caractère de dimension majeure, de monumentalité, en somme un nouveau style de vie. »
Est aussi intéressant ce jugement de l'historien américain Eugen Weber, professeur d'Université très lié avec les milieux juifs de Princeton et de Berkeley : « Une opinion largement répandue considère le fascisme comme l'idéologie d'une société bourgeoise décadente. Mais jamais ne s'est développée en Roumanie une bourgeoisie comparable à celles de l'Europe Centrale et Occidentale. La Légion, du reste, n'a jamais prétendu défendre ses intérêts, l'a au contraire attaquée en mettant en relief et en condamnant le système de corruption que Codreanu mettait en rapport avec les valeurs et les institutions bourgeoises. En cela, la Légion rappelait d'autres mouvements fascistes qui ne s'étaient pas présentés comme les défenseurs du libéralisme capitaliste, mais plutôt comme ses adversaires. Dans toute l'Europe, pendant la vingtaine d'armées qui va de 1920 et 1940, de la Finlande à l'Espagne, les fascistes se sont voulus révolutionnaires, et c'est cette accusation du reste qu'avaient lancée les conservateurs eux-mêmes. »
Qu'ajouter d'autre ? Il est clair que Codreanu, comme toutes les grandes personnalités, n'avait pas la vocation d'un disciple exempt de critiques, ou pire encore, celle d'un imitateur inconditionnel. Entre autres, le début même de sa bataille politique, qui date de 1919, quand Mussolini ne tenait pas encore les feux de la rampe et que d'Hitler on ne connaissait même pas encore le nom, témoigne de l'originalité absolue de ses bases.
Il reste à considérer comment Codreanu se serait comporté s'il avait conquis le pouvoir et eu entre ses mains le destin de la Roumanie, Très probablement, en connaissant son rigorisme moral et la sincérité absolue de ses affirmations, il aurait fait de la Roumanie un pays profondément différent, en s'efforçant par-dessus tout de maintenir la foi dans les principes mêmes pour lesquels tant d'amis étaient morts dans les longues années de lutte du mouvement Légionnaire.
De cela, nous pouvons établir une dernière «différence entre Codreanu et les autres leaders des révolutions nationales. Ceux-ci lui sont supérieurs sur le plan de l'efficacité dialectique, sur le plan du réalisme entendu dans un sens pragmatique et sur le plan de l'adaptation de leur propre stratégie politique aux conditions de lutte transformées. Profonds connaisseurs de l’âme humaine, ils ne savent pas individualiser le ressort le plus caché, réussissant à canaliser les vices, les passions, les héroïsmes et les vertus vers des objectifs déterminés à l'avance, et sans doute inconsciemment imposés à leurs propres peuples.
Codreanu a davantage confiance en l'homme, ou plutôt dans la capacité de l'homme à lutter et à s'élever au-dessus de sa propre nature d'animal diencéphalo-hypophysaire. Cela toutefois doit être un processus conscient et choisi, et non pas imposé. Il faut plutôt agir par l'exemple que par la suggestion. En somme, il ne faut pas vaincre d'abord et convaincre ensuite, mais faire en sorte que la conviction et l'acquiescement de tous soit le premier degré d'où partir pour réaliser les buts qu'on s'est imposés.
Codreanu est davantage un poète, avec tout ce que ce mot peut signifier, aussi bien en un sens négatif que positif. Mais probablement, autant dans le monde d'hier que dans celui d'aujourd'hui, il n'y a pas de place pour les poètes à ta tête des Etats.
Nation et Etat.
Il est extrêmement difficile de délimiter le concept de nation et la signification du mot : pour le moins, il n'y a guère de concordance entre les définitions données par les historiens, les philosophes, les hommes politiques et les hommes d'étude.
Le problème fondamental consiste justement à mettre en lumière quels sont les facteurs constitutifs de la nation, les uns s'orientant davantage vers un certain patrimoine spirituel, vers la culture et vers l'histoire, et les autres vert la population, les frontières de langue, la souche ethnique, la religion et ainsi de suite.
Mais ce qui peut être bon pour un peuple peut ne pas être valide pour un autre. Il suffit de penser à la langue et à la religion qui, comme le démontrent divers cas, peuvent être ou non indispensables pour la réalisation d'une nation.
Pour Codreanu, les facteurs fondamentaux sont trois :
- Un patrimoine physique : la chair et le sang ;
- Un patrimoine matériel : la terre;
- Un patrimoine spirituel.
Des trois, le plus important, ou plutôt le plus caractéristique est le patrimoine spirituel. Celui-ci, à son tour, consiste :
Dans la conception à l'égard de Dieu, du monde et de la vie;
Dans l'honneur ;
Dans la culture.
Cette dernière surtout, tient à préciser Corneliu, tout en étant internationale dans sa diffusion est cependant clairement nationale dans son origine.
Dans le patrimoine spirituel conflue ce qui fait l'âme véritable d'un peuple, sa manière de s'exprimer et d'être vivant, la spontanéité limpide de ses aspirations. « La force spirituelle d'un peuple, dira Codreanu, se façonne à la base comme un acte intellectuel et une conception de la vie, pour s'insérer ensuite dans la culture et dans l'histoire de la nation ».
Certains ont noté combien la façon de Codreanu de penser la réalité nationale, ainsi qu'elle apparaît dans ses écrits et dans ses discours, est semblable à la position sur ce problème de J. A. Primo de Rivera, fondateur de la Phalange de la J.O.N.S. et artisan de l'insurrection nationale espagnole.
Bien que les deux hommes ne se soient pas connus, ni n'aient eu l'occasion de s'influencer réciproquement, il résulte de façon impressionnante d'un examen de leurs écrits, l'identité (foncière) de leurs vues sur ce problème fondamental.
C'est surtout Horia Sima qui, dans sa pénétrante étude, a mis au point la convergence substantielle de tous deux sur l'interprétation du donné national.
José Antonio dit : « La nation n'est ni une race, ni une langue, ni un territoire. Es ma unidad de destino en lo universal. La nation n'est ni une réalité géographique, ni ethnique, ni linguistique; c'est seulement une unité historique. Un petit groupe d'hommes sur un lopin de terre constitue une nation en germe, seulement s'il agit en fonction de l'universalité, c'est-à-dire s'il accomplit son propre destin dans l'histoire ». Et l'auteur continue ; « Le facteur qui unifie les aspirations d'une masse humaine et qui relève au rang de nation, c'est son propre destin. Par la réalisation de son destin, une nation se distingue d’une autre, et non par le territoire, la langue ou les coutumes communes. C'est seulement une communauté humaine qui lutte pour la réalisation de son destin, qui sort de l'anonymat de l'histoire ».
Sur un point précis, aussi bien De Rivera que Codreanu n'ont aucun doute, c'est-à-dire sur le fait que les nations sont des réalités possédant une existence propre, et ne dépendent pas toujours de qui les dirige. Cela pousse José Antonio à affirmer l'existence d'une « âme métaphysique de l'Espagne qui est une vérité élémentaire, un axiome historique et politique, comparable aux vérités mathématiques » et à Codreanu : « L'honneur d'un peuple consiste dans la façon avec laquelle la race a pu acclimater son existence historique aux normes de ses conceptions sur Dieu, le monde et la vie ».
Et encore, tandis que De Rivera affirme : « L'Espagne n'est pas à nous comme un objet de patrimoine, notre génération n'en est pas la maitresse absolue », Codreanu fait une nette distinction entre « la collectivité nationale actuelle, c'est-à-dire la totalité des individus vivant sur la même terre, dans un même Etat et dans une période déterminée, et la Nation, c'est-à-dire l'entité historique qui existe par elle-même ».
« La première loi que doit suivre un peuple, écrit ailleurs Corneliu, est d'être fidèle à la réalisation de son destin. » Et José démontre de façon irréfutable que la décadence de l'Espagne a commencé précisément au moment où elle a cessé de croire à sa mission spirituelle et historique. Les rapports qui existent entre Nation et Etat sont analogues à ceux qui existent entre la cause et l'effet. Pratiquement l'Etat est la manifestation objective avec laquelle la Nation agit dans l'histoire et réalise sa mission.
C'est précisément pourquoi celui-ci ne doit pas être seulement un complexe d'organismes administratifs et bureaucratiques au service du citoyen et de la collectivité. L'Etat ne doit pas se limiter à organiser les transports ou les routes, à discipliner les rapports économiques, à diffuser l'instruction, à exercer la justice, à contrôler les prix et à tenir le compte des naissances, des morts et des mariages. L'Etat a évidemment aussi une fonction plus élevée. Il est l'instrument historique par lequel une collectivité s'exprime elle-même et se fait l'actrice de son propre destin.
Celui qui est appelé à la barre de l'Etat doit avoir bien présent à l'esprit le fait que sur ses épaules repose une triple responsabilité : par rapport aux générations passées, présentes et futures. C'est précisément pourquoi il ne doit pas être toujours l'esclave des décisions du peuple, comme cela est le cas dans un régime parlementaire où règnent les partis. Il est certain que l'assentiment populaire est une chose dont il ne peut se séparer, mais doit engager encore plus sa conscience d'agir dans le sillon de la continuité nationale, expression et incarnation de la réalité éternelle de la nation.
Il est clair qu'un Etat, entendu comme tel, ne doit pas être au service des intérêts particuliers, qu'ils soient de classe ou de groupe. Une telle forme d'état, en effet, au lieu de souder les énergies et les forces de tout un peuple en vue du salut commun, rend stérile et improductif l'apport de chacun à la réalisation des objectifs fixés. Sans compter que le soupçon d'une discrimination entre les citoyens de première et de deuxième catégorie fait manquer à l'Etat ce qui est la condition indispensable pour qu'il soit en état d'interpréter et de réaliser sa mission, c'est-à-dire l'harmonie et la concorde entre tous les membres de la communauté nationale.
Certes, pour ceux qui, comme nous, sont désormais habitués au pouvoir des partis, ou pire, à celui des courants politiques, il est difficile d'imaginer la vie politique soustraite aux jeux de couloirs du Parlement et aux groupes de pression, au conditionnement de la presse et des centres occultes de persuasion, aux orientations divergentes des syndicats et du pouvoir économique. Pour nous aujourd'hui, gouverner l'Etat signifie se diviser en sous-gouvernements et en offices, signifie la solidarité entre criminels et le placement obligé des amis, les bâtons dans les roues et les soucis pour les adversaires et les ennemis.
Pour Codreanu, au contraire, représenter l'Etat signifie avoir assimilé en soi-même la totalité historique et spirituelle de la nation, être entré en communion spirituelle avec de son propre peuple. C'est à travers la liberté créatrice de l'individu que se réalise le processus d'auto-identification de l'individu dans l'Etat doit être facilité par une éducation politique et religieuse sérieuse et consciente. Ce n'est pas par la violence ou la coercition qu'on peut édifier un Etat ou créer un destin commun. Pour le moins, il est mieux de laisser ces moyens extrêmes à qui a de l'Etat et de la Nation une conception purement utilitariste et pragmatique et qui réduit tout à un combat d'intérêts opposés en lutte éternelle entre eux.
Pour juger de la légitimité d'un Etat, nous ne devons pas nous référer à ses formes de gouvernement, c'est-à-dire s'il s'agit d'une république ou d'une monarchie, d'une démocratie ou d'un régime autoritaire. Il est clair que des formes particulières de gouvernement dans certaines parties du monde se sont avéré « coller » à la réalité d'un seul pays et dans d'autres ont montré des carences importantes et parfois même désastreuses. Ce qui est fondamental est que l'Etat se mette au service de la Nation, qu'il fasse accomplir à celle-ci sa mission historique, qu'il soit en état de réaliser les consignes qu'il a reçues.
Logiquement, en ce qui concerne les caractéristiques extérieures de l'Etat, celles-ci doivent s'adapter à la mentalité et aux coutumes d'un peuple en particulier et doivent s'insérer dans la réalité effective du moment. Cuoco a déjà démontré dans quelles erreurs on tombe en voulant simplement transformer les archétypes cristallisés des constitutions politiques.
Le Capitaine dira : « C'est le moment de poser les fondations d'une époque nouvelle. Une époque de retour aux réalités nationales, donnant à la Nation son sens réel de société naturelle, d'un groupe d'individus de la même race. Il faut élever depuis sa base le nouvel Etat ethnique national, fondé sur le primat de notre culture, sur le primat de la famille et sur celui des corporations de travailleurs ». Pour cela, l'Etat nouveau qui naît d'une révolution nationale ne doit pas se limiter seulement à une réforme des institutions. « Le nouvel Etat présuppose, en premier lieu, comme élément indispensable un nouveau type d'homme. On ne peut concevoir un Etat nouveau si on ne change pas d'abord une certaine mentalité ». Et Sima, interprétant admirablement la pensée de Codreanu dit : « L'Etat ne sera pas meilleur ou pire par la splendeur des institutions qui le constituent, mais bien par le degré de conscience civique de chaque citoyen. L'individu gardien des valeurs éternelles est le plus enviable trésor de l'Etat National. »
Le sentiment Religieux.
« Christ est ressuscité ! Ainsi ressuscitera aussi la justice pour le peuple roumain. Mais pour obtenir cela, il est nécessaire que ses fils parcourent le chemin qu'a parcouru Jésus ; se mettent sur la tête la couronne d'épines, montent à genoux le Golgotha avec la Croix sur les épaules et se laissent crucifier!... Légionnaires, c'est vous qui êtes ces jeunes gens! Celui qui renonce à la tombe, renonce aussi à la Résurrection ! » (Codreanu pour les Légionnaires).
Comme cela apparaît clairement dans ces paroles du Capitaine et dans ses innombrables écrits sur cette question, un des points fondamentaux de l'idéologie, de la doctrine et de l'action légionnaires est la foi en Dieu et la confiance dans le triomphe des valeurs soutenues par le Christianisme.
Il faut surtout dire d'abord que le peuple roumain est, par une tradition millénaire, profondément religieux; sa religiosité est intimement et sincèrement ressentie et vécue intérieurement. Ce n'est pas une foi alambiquée et soumise au crible de la raison, mais une foi pure, spontanée, cristalline. Nous avons déjà fait remarquer comment pour Codreanu et pour les Légionnaires Dieu ne se discute pas mais se vit. Pour eux, la négation de Dieu est une position tout aussi insoutenable que la négation du monde ou de nous-mêmes.
Certains, en partant de ces principes, en sont venus à affirmer que la Légion est le seul mouvement politique contemporain de structure religieuse. Et effectivement la structure organisatrice que Codreanu a donnée à son mouvement peut rendre cette thèse plausible. En effet, la Légion prend naissance sous la tutelle protectrice de l'Archange Saint Michel, et une de ses organisations les plus fortes, celle de la jeunesse, porte le nom de Confraternité de la Croix.
Le rituel des réunions également, qui a donné à beaucoup d'adversaires de la Légion sujet à des descriptions de registre pirandellien ou kafkaïen, se ressent d'une organisation vaguement religieuse. Chaque discussion ou réunion est ouverte par une prière et, dans chaque local, il y a obligatoirement un Crucifix ; une lampe à huile brûle perpétuellement face à l'icône de Saint Michel. Ainsi le chant, auquel Corneliu accorde une grande importance pour faire ressentir spirituellement l'unité de tous les militants, a une fonction chorale qui est bien présente dans la liturgie et la pratique chrétiennes.
Si tout cela est indéniable, il ne faut pas en déduire que le mouvement de Codreanu fut une émanation de l'Eglise orthodoxe roumaine ou qu'il la représentait sur le plan politique. Rien de plus faux et de plus éloigné de la vérité.
Au contraire, même si de nombreux prêtres, surtout dans les campagnes, suivirent avec sympathie et intérêt l'action politique de Codreanu (les prêtres soumis à un procès parce que suspects de connivence avec la Garde de Fer seront un peu moins de 300), l'Eglise comme structure séculaire et hiérarchique fut toujours résolument hostile au Mouvement Légionnaire.
En effet, on ne peut nier que la condamnation à mort de Corneliu, des Décemvirs et des Nicadors fut décrétée par un gouvernement dans lequel le fauteuil de Premier Ministre était occupé par le Patriarche de l'Eglise Orthodoxe Miron Cristea. Et ce fut toujours sous la direction des hautes autorités religieuses du pays et sous la compétence technique du ministre de l'Intérieur Calinescu que les persécutions contre les éléments de la Garde atteignirent un degré d'intensité encore jamais expérimenté.
Bien évidemment, le Christianisme est pour Corneliu bien autre chose que la « Religion des esclaves » de Nietzsche, ou de l'attentisme passif et renonciateur de tant de pseudo chrétiens qui est une véritable fuite devant ses propres responsabilités au nom de principes qui ne sont certes pas recommandés par l'Evangile. Dans son livre : « De Codreanu à Antonescu », A. P. Finotti dit : « Face au découragement résultant du manque total de compréhension avec le néant, Heidegger construit de façon radicale son célèbre pragmatisme métaphysique. Sur les pas de la philosophie nietzschéenne et acceptant la lutte avec le Christianisme, il se dirige vers une espèce de mythologie ontologique. Devant la même situation à laquelle, en réfutant le nihilisme intégral, Nietzsche et Heidegger ont dit non, Codreanu dit : « Je crois en Dieu ». Il reste donc sur une position tout à fait dans l'optique du Christianisme et il établit la nécessité absolue de la foi pour chaque Légionnaire. Toujours dans ce sens s'explique et doit être entendu l'aspect eschatologique de la « résurrection » dans laquelle Codreanu voit le sens ultime de la vie des peuples. Tout ce qui constitue le matérialisme et la conception faustienne et démoniaque de la culture européenne est un outrepassement orgueilleux ».
Malgré l'atmosphère vaguement mystique qui entoure la personnalité et les décisions du Capitaine, malgré l'aura de sacralité qui paraît vivifier chacun de ses gestes et chacune de ses actions, il est indubitable que Codreanu considère le Christianisme non à la façon d'un mythe ou d'une philosophie positive, non comme un ordre établi ou un conformisme d'attitudes, mais bien comme une façon de vivre et de s'expliquer soi-même.
Pour lui, être chrétien signifie de ne jamais renoncer à la lutte du bien contre le mal, signifie assumer couragesement ses propres responsabilités, signifie combattre et lutter de toutes ses propres forces pour le triomphe des idéaux mêmes pour lesquels le Christ, il y a deux mille ans, est monté au Calvaire. Cela signifie surtout souffrir et savoir accepter de bon gré toute épreuve et tout sacrifice, et même le sacrifice suprême de la vie.
C'est-à-dire témoigner, comme les martyrs de l'antiquité et les milliers de saints qui étincèlent dans l'histoire de l'Eglise, que la vie est d'autant plus digne d'être vécue qu'elle est davantage placée au service de Dieu, de ses commandements et d'une juste cause. Dans ce contexte, le martyre des Légionnaires prend une valeur d'autant plus significative et durable dans la mesure où elle a pour but non seulement le triomphe de valeurs terrestres et d'idéaux politiques, mais est placée au service de la parole de Dieu. « Le but final du peuple n'est pas la vie, mais la résurrection dans le nom du Christ ».
« La foi légionnaire, ainsi profondément inspirée par l’enseignement chrétien, a réussi à réaliser, dans le cadre de l'humanisme spécifiquement roumain, une synthèse originale, grâce à la fusion de l'idée nationale avec les désirs les plus avancés de justice sociale et de coexistence pacifique entre les peuples de manière qu'elle possède toutes les valeurs nécessaires pour pouvoir s'insérer organiquement dans l'ordre international réclamé par la nouvelle phase historique. Cette foi légionnaire qui n'a pas pu être détruite par les sanglantes persécutions du passé ne peut pas non plus être dépassée par les événements en cours » (Constantin Papanace).
Codreanu écrit dans ses Mémoires inédites : « Une des caractéristiques de notre temps est que nous nous occupons des luttes entre nous et les autres hommes et non de la lutte entre les Commandements de l'Esprit Saint et les désirs de notre nature terrestre. Seules les victoires sur les hommes nous intéressent, et presque jamais celles sur le mal et le péché. Le mouvement Légionnaire tend aussi à la victoire chrétienne de l'homme, en vue de sa rédemption. Il faut être préparés également à la lutte décisive pour le salut de notre âme. »
Même en posant sa bataille politique sur un plan hautement idéaliste et même en prêchant le don absolu des militants à la cause de la Légion, Codreanu a la perception bien claire de la portée de sa propre action, et ne l'effleure même pas la pensée de se substituer à l'Eglise roumaine là où celle-ci, surtout en ce qui concerne des actions extérieures, peut avoir manqué à son devoir et à sa haute mission. En effet, l'Eglise n'est pas pour lui tel ou tel de ses ministres, ni tel ou tel homme politique qui prend sous sa tutelle des intérêts déterminés purement matériels, mais elle est l'expression tangible d'une réalité que le Christ a voulu pour perpétuer son enseignement. « Nous faisons une grande distinction entre la ligne que nous suivons personnellement et la mission de l'Eglise chrétienne. Celle-ci est infiniment plus élevée. Elle atteint la perfection et le sublime. Dans notre action quotidienne, dans tous nos projets et toutes nos décisions, nous devons aller vers elle ; c'est à travers nos efforts terrestres que nous pourrons nous élever jusqu'à elle. »
« Le Légionnaire croit en Dieu et le prie pour la victoire de la Légion. Les guerres sont gagnées par ceux qui ont su attirer du ciel les forces mystérieuses du monde invisible et qui savent s'en assurer le concours. »
D'où l'importance de la prière dans la doctrine légionnaire. Prier n'est pas seulement un acte de foi. C'est un acte d'espérance. C'est une manifestation de courage, quand tout semble s'écrouler sur nous. C'est s'enrichir en esprit pour affronter de nouvelles luttes et de nouveaux sacrifices. Pour Corneliu, la prière est « l'élément décisif de toute victoire », voulant signifier avec cela plus que la victoire sur les autres, celle, beaucoup plus importante, sur soi-même et sur sa propre nature rebelle.
Pour finir, nous voulons rappeler une phrase de Codreanu qui met au point toute sa conception spiritualiste et antimachiavélique de la politique, et son haut enseignement moral et chrétien :
« II faut surmonter la nature animale de l'homme ; le facteur d'harmonie, capable de la sublimer et de lui assigner une mission ne peut être que son esprit. En dehors de l'amour que Dieu a placé dans l'âme humaine, à travers le sacrifice de N.-S. J.-C. et comme synthèse de toutes nos qualités, l'amour qu'il a placé au-dessus de toutes les autres vertus, il n'y a rien qui puisse nous donner la tranquillité et la paix. »
Carlo SBURLATI
Sources : Défense de l’Occident - Numéro 95 - Avril 1971.
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