{xtypo_dropcap}L{/xtypo_dropcap}es Africains ne respectent que la force. Et ils méprisent la faiblesse. Ils ont bien raison. Car l’histoire des sociétés humaines a toujours été déterminée par des rapports de force, quoi qu’en disent les utopistes de tous poils. Ceci ne signifie pas, comme pourraient affecter de le croire les amateurs de simplisme réductionniste, que la force élimine le droit. Cela signifie que tout droit réel, c’est à dire vivant, appliqué, respecté s’appuie sur la force nécessaire pour imposer le respect. En revanche la faiblesse suscite le mépris. Rivarol le disait déjà très bien, en son temps : « Quand les peuples cessent d’estimer, ils cessent d’obéir ».
Ces principes, tous les vrais politiques en ont fait, au cours des temps, leur bréviaire. Mais aujourd’hui et chez nous ils sont délaissés, ignorés ou méprisés. Car la République française est dirigée ou plutôt présidée par une buse. Qui, appliquant les consignes d’un entourage hanté par la communication, la médiatisation, croit qu’on peut diriger un pays à l’aide de coups de pub successifs, destinés à épater les gogos.
La dernière trouvaille en date, en la matière, est la proclamation solennelle des vertus éminentes de la ville d’Alger, décorée par Chirac de la croix de la Légion d'honneur car décrétée « capitale de la France combattante » en 1944. Ce coup d’encensoir a été donné en prenant prétexte de la commémoration du débarquement en Provence, le 15 août 1944, des armées « alliées » composées de 500 000 hommes dont 230 000 Français. Or, sur ces 230 000 hommes catalogués comme Français, 120 000 étaient classés officiellement comme « indigènes » par la hiérarchie militaire de l’Armée d’Afrique (hiérarchie composée en grande partie d’anciens officiers de Vichy ralliés, tardivement, à de Gaulle). Ces « indigènes » étaient en majorité maghrébins, les autres originaires d’Afrique noire. La propagande officielle chiraquienne a célébré avec des trémolos le rôle exemplaire des Africains dans les combats de 1944. En fait, comme l’ont rappelé dans la presse certains de ces hommes décorés le 15 août par Chirac, beaucoup d’entre eux avaient été enrôlés de force. Lamrani Mokhtar, ancien du 4e régiment de tirailleurs marocains, raconte (Le Monde, 14 août 04) : « On ne voulait pas, mais comme on n’a pas voulu faire d’histoire, on n’a rien dit. De toute façon, on était pauvre, sans travail et, surtout, le recruteur m’a dit : « Soit tu viens avec nous, soit tu vas en prison ». Alors je suis monté dans le camion et je suis parti à la guerre ». Un autre Marocain, Mohammed Mechti, enrôlé lui aussi de force, lâche : « S’il fallait le refaire, je ne partirais pas et j’empêcherais ceux qui veulent partir ». On est loin de l’imagerie d’Epinal déversée par les télévisions... D’ailleurs ces « malgré nous » d’Afrique déclarent sans ambiguïté que l’augmentation de leur pension d’ancien combattant les intéresse plus que les décorations. Rappelons tout de même que depuis 1989 leur carte d'ancien combattant leur donne le droit de résider en France, de toucher le SMIC et l’allocation spécifique vieillesse (ce qui leur permet de vivre une partie de l’année en France, l’autre dans leur pays d’origine).
Mais revenons à la Légion d’honneur décernée à la ville d’Alger. Il faut rappeler que cette ville fut, treize ans après 1944, le théâtre d’une lutte sans merci entre les poseurs de bombes du FLN et les paras – la fameuse « bataille d’Alger » – à l’issue de laquelle les unités de choc de l’armée française ont éliminé le terrorisme et restauré ainsi la paix publique. Victoire militaire rendue inutile, dans les années suivantes, par la politique d’abandon et de trahison qui entache à jamais le nom de de Gaulle.
Bouteflika, nous dit la presse, n’a pas réagi officiellement à la décoration remise par Chirac à la ville d’Alger. Mais, bien sûr, il jubile : les Français se mettent à plat ventre, ce sont décidément des larves et il faut en profiter au maximum. Après avoir proclamé 2003 l’année de l’Algérie, avec toutes les opérations de bourrage de crâne qui l’ont illustrée, Chirac a reçu Bouteflika en grande pompe au fort de Bregançon – ce qu’il n’avait jamais fait pour aucun chef d’Etat . Au nom de « l’amitié profonde » qui unit la France et l’Afrique, a expliqué celui qui est censé diriger la France. Et Raffarin, pour ne pas être en reste, a affirmé que « l’avenir, c’est forcément une relation de proximité entre la rive sud de la Méditerranée et l’Europe ». La « relation de proximité » plaît beaucoup à Bouteflika qui voit l’avenir « riche de promesses généreuses ». En effet un traité d’amitié entre la France et l’Algérie est en chantier avec, à la clef, comme le note Le Monde, « remises de dettes, développement des infrastructures »... tout ceci aux frais de la France bien entendu. Avec, surtout, une accélération supplémentaire du phénomène migratoire destiné à faire d’un nombre croissant d’Algériens de futurs Français, qui accéléreront ainsi l’africanisation en cours de la population hexagonale. Bouteflika a de quoi être souriant sur les photos : le pouvoir français fait preuve d’un masochisme sans limites et les Africains auraient bien tort de ne pas en profiter. Car, ils sont bien placés pour le savoir, en décorant la ville d’Alger Chirac a voulu faire oublier que beaucoup de soldats « indigènes » de 1944 sont devenus peu après les cadres des mouvements d’insurrection contre la France. Emblématique, à cet égard, est le cas d’un certain Ben Bella : cité en 1944 deux fois à l’ordre de l’armée, deux fois à l’ordre de son régiment, décoré par de Gaulle, il devient dix ans plus tard un des fondateurs du FLN et, en 1962, le premier président de la République algérienne, en laissant aux Européens d’Algérie le choix entre « la valise ou le cercueil ». Comme bien d’autres Africains, Ben Bella s’est rendu compte en 1944 des faiblesses d’une France marquée par l’esprit de démission dont la traduction politique sera la IVe République. Une France vieillie, qui se méfiait de ces soldats africains engagés en première ligne contre les Allemands depuis l’Italie (les Américains s’en étaient servi de chair à canon lors des très durs combats de Monte Cassino) et qui furent peu à peu démobilisés et renvoyés en Afrique alors que les troupes alliées remontaient vers le nord par la vallée du Rhône. Le général Fuhr, qui était alors sous-lieutenant dans la 1ère division blindée formée à Oran, témoigne : « C’est ce qu’on a appelé le « blanchiment » des troupes. A mesure que nous approchions des Vosges et de l’hiver, ces hommes ne supportaient pas le froid, et ils furent remplacés par des volontaires français » (Le Monde, 14 août 04). La guerre d’Indochine fut la confirmation, pour beaucoup d’Africains, que la France n’était plus capable d’avoir un esprit conquérant, victorieux. Elle était devenue une proie facile, qu’on pourrait chasser du sol africain, avant d’inverser les rôles et de l’envahir par un processus appelé immigration.