LES VAINCUS ONT TOUJOURS TORT!
— Quelles ont été vos impressions lors du déclenchement des hostilités entre la France et l'Allemagne?
— Entre 1934, c'est-à-dire l'époque où j'ai quitté Paris pour Berlin, et la visite avec Hitler en 1941, je ne suis venu qu'une fois à Paris. C'était en 1937, lors de l'Exposition internationale; je faisais partie du jury. Je crois qu'à cette époque les rapports entre nos deux pays, nos deux peuples s'amélioraient... Je sentais que certains Français, las des troubles et du désordre, souhaitaient chez eux un régime analogue au nôtre. L'idée d'une guerre avec la France me semblait absurde... Je fus d'autant plus étonné quand la France nous déclara la guerre... On dit toujours que c'est l'Allemagne qui a déclaré la guerre à la France en 1940, en 1914, en 1870... C'est faux! On dit que c'est l'Allemagne qui porte toutes les responsabilités de la dernière guerre. C'est faux! On disait aussi cela de la précédente... A cette époque l'Allemagne était comme encerclée. Le pacte franco-soviétique, ratifié en février 1936 avait causé une grande émotion en Allemagne. On ne voulait pas, certaines puissances ne voulaient pas d'une Allemagne forte et indépendante. Hitler ou Monsieur «Schmidt», cela n'avait pas d'importance et le résultat aurait été le même... On avait toujours poussé la Pologne contre nous. Et pourtant tout était possible, on pouvait tout éviter. N'est-ce pas Churchill qui a dit dans ses Mémoires: «La seconde guerre mondiale était la plus facile à éviter de toutes les guerres.» Seulement, le redressement de l'Allemagne, quelques aspects de la politique de Hitler déplaisaient à certains milieux. Je me souviens en avoir discuté avec le ministre Chautemps. Il m'apprit, en particulier, que les Anglais, ou plutôt leur gouvernement, avait versé des sommes énormes pour stimuler le courant d'opinion anti-allemand en France! D'ailleurs, notez-le bien: Hitler n'a pas déclenché tout de suite les opérations militaires contre la France, après la déclaration de guerre. C'est qu'il espérait toujours aboutir à un arrangement, un compromis.
Qu'avons-nous gagné à cette guerre? Nous, Européens! Tant de millions de morts! Pourquoi cette Croisade! Aujourd'hui, vingt-cinq ans plus tard, des hommes s'entretuent toujours, des minorités sont toujours persécutées. Ce qui me réconforte, c'est qu'entre nos deux pays, il n'y a plus de guerre possible! Alors pourquoi revenir sans cesse sur le passé et vouloir déformer l'histoire par tant de mensonges! On dit: «L'Allemagne est coupable! L'Allemagne est la seule coupable!» Et tout le monde le croit! La presse et les moyens d'information déforment les faits: «L'Allemagne a toujours tort.» Bien sûr, le vainqueur a toujours raison! Il peut raconter ce qu'il veut! Tenez voici un petit exemple qui me concerne personnellement.
Arno Breker se lève, se rend dans la pièce voisine. Un instant plus tard, il revient, brandissant un journal.
Voyez ce journal littéraire français si respectable! Je viens d'y lire un article sur le général Lammering, responsable de sanglantes représailles à Tulle. Et bien, j'ai ainsi appris que j'étais «un ami intime de ce général» et que je buvais «avec lui d'énormes chopes de bière» (!) Or, c'est absolument faux: je n'ai jamais rencontré cet homme et je ne le connais pas! Pourquoi écrire de tels mensonges? C'est le règne de l'imposture! Voici maintenant que l'on évoque Oradour à mon sujet, et je ne peux me défendre! On essaie à tout prix de nous enfoncer dans le crâne un sentiment de culpabilité!
A la fin de la guerre, j'ai été convoqué par un des responsables du C. I. G. (organisme américain de «dénazification»). Il m'a dit, en un allemand fort correct: «Ecoutez, il faut absolument dire que vous regrettez d'avoir travaillé pour Hitler...» J'étais abasourdi... « Mais comment? dites-moi ce que je dois répéter! Est-ce que je dois dire que je regrette infiniment d'avoir trop bien travaillé!» Finalement lui-même ne trouvait pas de formule, alors il a fini par comprendre l'absurde de la situation...
Or bien, qui dérangerait Volkswagem, la plus grande affaire allemande, création de Hitler (la voiture du peuple)! Qui reprocherait à Mercedes d'avoir contribué pendant toute la guerre à la construction des chars d'assaut? Bon nombre de ses voitures roulent en France et ailleurs. Ces firmes sont en dehors de la question ! En revanche, les artistes, les intellectuels, les journalistes sont jugés coupables pour avoir travaillé dans leur spécialité et pour avoir accepté le régime choisi par leur pays!
Et quand je pense que Rudolf Hess est toujours dans la forteresse de Spandau, enfermé, à l'âge de soixante-seize ans!... Les Anglais savent très bien pourquoi ils ne le libèrent pas. Vingt-cinq ans après, ils redoutent toujours certaines vérités. Hitler ne voulait à aucun prix d'une guerre avec l'Angleterre, car il avait un profond respect pour le peuple anglais et son histoire.
— Est-il exact que par deux fois Staline vous ait fait proposer de venir entreprendre des travaux monumentaux en URSS?
— Absolument! Je sais que Staline se faisait envoyer par courrier diplomatique toutes les photographies de mes travaux. Il était ainsi au courant de mon travail du commencement jusqu'à la fin. Il avait chargé Molotov de m'inviter à Moscou. Quand celui-ci vint à Berlin pour la signature du pacte germano-soviétique, il me laissa entrevoir de gigantesques commandes. Les travaux de Berlin me suffisaient déjà amplement. J'entends encore Molotov: «Nous avons des bas-reliefs qui vous attendent, de cent mètres de long sur quatre mètres de haut. Les pierres sont prêtes, mais nous n'avons pas de sculpteurs en URSS...» La deuxième fois, c'était en 1945, et par l'intermédiaire de deux officiers américains, Je sortais justement de clinique. J'étais anéanti, moralement et physiquement. Ce n'était pas le moment, c'est le moins qu'on puisse dire !
— C'est à cette époque que votre atelier et l'ensemble de votre œuvre d'artiste ont été détruits, n'est-ce pas?
— Totalement détruits ! Les Américains ont détruit mon atelier. Complètement! La guerre était terminée! Mon atelier était très grand, c'était la perfection même. Il n'avait pas du tout souffert de la guerre.
Les Américains sont donc arrivés, ils cherchaient un dépôt, c'est mon atelier qu'ils ont choisi! Ils ont tout vidé! Ils ont tout cassé! Tout! Vous comprenez!
Arno Breker élève la voix en prononçant ces derniers mots. Je comprends ce qu'il ressent en ce moment.
HITLER ET PARIS
— Parlez-nous de votre exposition à Paris, en 1942 ?
— Quand on m'a invité pour cette exposition, j'ai d'abord refusé. Je ne voulais pas, en tant que «vieux Parisien», faire une exposition dans de telles conditions. Mais entre-temps on avait arrêté mon fondeur, Rudier, qui avait fondu l'œuvre de Rodin et de Maillol, parce qu'il avait refusé aux autorités d'occupation de fabriquer des pièces de guerre.
Rudier était en prison à Fresnes. Il put heureusement faire sortir un petit mot qui arriva jusqu'à moi à Berlin. Aussitôt, j'allai chez Speer. Je lui dis: «Ecoute, je vais faire cette exposition à Paris, à la condition que Rudier fasse des fontes pour moi. Speer me dit tout de suite: —Qu'est-ce que tu veux? De combien as-tu besoin?
— Trente tonnes de bronze», lui ai-je répondu. Il me fallait aussi du coke. J'ai tout obtenu et Rudier a travaillé jusqu'à la fin de la guerre pour moi. Sa fonderie fut sauvée.
Et il n'a pas travaillé seulement pour moi, mais aussi pour beaucoup de sculpteurs français. Voilà pourquoi j'ai fait cette exposition à l'Orangerie, qui a d'ailleurs été un succès. Je le dis, parce qu'on me le reproche encore aujourd'hui.
D'ailleurs, aussitôt que les troupes françaises entrèrent en Allemagne, il y eut aussi des expositions d'artistes français, à Baden-Baden et ailleurs...
— Qu'avez-vous fait pour le rapprochement artistique franco-allemand?
— Comme vous le savez, j'ai travaillé pour le rapprochement de la France et de l'Allemagne dès la fin de la première guerre mondiale. Comme mon ami Benoit-Méchin en France. A mon grand étonnement, je me rendis compte, lors de la visite de Paris, que Hitler était un grand admirateur de la culture française, ce que personne n'avait jamais soupçonné. Je percevais tout le parti que je pouvais tirer de cette constatation.
Je lui demandais s'il était possible que des artistes français participent aux grands travaux de Berlin. Alors Hitler commanda une fontaine à Maillol et une grande mosaïque à Derain. Il était sans parti-pris. Voulant avant tout préserver un climat d'entente mutuelle, malgré les événements. Je tentais de faire libérer les artistes français prisonniers, ils étaient environ vingt-cinq-mille. Malheureusement, après l'évasion du général Giraud, Hitler ne voulut plus entendre parler de ce projet.
— Vous avez accompagné Hitler lors de sa visite de Paris?
— Je ne puis vous faire sentir à quel point j'étais ému de retourner à Paris dans de telles conditions. Nous sommes passés par Bruly, à la frontière belge, puis de là nous avons pris l'avion jusqu'au Bourget.
Le 23 juin, à l'aube, nous sommes donc rentrés dans un Paris vide. C'était impressionnant. Nous étions entrés par la porte de la Villette, puis nous avions pris la rue de Flandres, et la rue de Lafayette. Nous arrivâmes enfin à l'Opéra. Hitler attachait particulièrement d'importance à la visite de l'Opéra, car il rêvait d'en faire construire un à Berlin ou à Munich. Il connaissait à fond l'œuvre de Garnier; mais il n'avait jamais eu l'occasion de visiter l'Opéra. Il le fit de fond en comble, ce jour-là. Puis, la Madeleine, les Champs-Elysées, la place de l'Etoile et l'Arc de Triomphe, le Trocadéro, la Tour Eiffel... Hitler était fasciné. L'Ecole militaire, les Invalides, la Chambre des Députés, le boulevard Saint-Germain, Saint-Sulpice, le palais du Luxembourg, l'Odéon, le boulevard Saint-Michel, le Panthéon... Nous fîmes demi-tour à la hauteur de «la Closerie des lilas».
Hitler voulut pousser jusqu'à Montmartre où j'avais travaillé... Le Palais de Justice, la Sainte Chapelle, Notre-Dame, l'Hôtel de Ville, la place des Vosges, le Marais, le Louvre, la place Vendôme, l'Opéra de nouveau, la rue de la Chaussée d'Antin, la place Clichy, la place Pigalle, le Sacré Cœur... Nous quittâmes ensuite Paris et reprîmes l'avion au Bourget. Hitler pria le pilote de tourner un moment au-dessus de Paris, à faible altitude. Peut-être des Parisiens se souviennent-ils d'avoir vu cet avion? J'étais fort étonné de constater que Hitler était mieux préparé que moi à cette visite, et pourtant comme «vieux Parigot», je connaissais beaucoup de choses. Mais lui savait tout: les dates historiques, les mesures, les emplacements des monuments... Il était très ému, presque bouleversé. Au sommet de la colline de Montmartre, je me souviens que Hitler me dit : «II fallait absolument préserver cette merveille de la culture occidentale, épanouie devant nous. Il fallait la garder intacte pour la postérité. Nous y avons réussi».
Après la visite de Paris, je n'oublierai jamais cet instant où devant moi, juste en face de moi, Hitler perdit contenance, tant il était troublé par les souvenirs de cette journée.
Cet orateur exceptionnel cherchait ses mots, balbutiait... Finalement, je l'entendis murmurer: «Ce fut une lourde responsabilité:» II était visiblement en proie à une grande émotion en prononçant cette phrase, en évoquant le déclenchement des hostilités entre la France et l'Allemagne. Peut-être entrevoyait-il que l'affrontement entre nos deux pays conduirait à l'effondrement de notre civilisation.
Quand on a entendu de telles phrases, quand on a assisté à de telles scènes, quand on a visité Paris avec Hitler, on ne peut croire au fameux: «Paris brûle-t-il?» Un homme qui avait donné l'ordre aux troupes de contourner Paris et d'éviter tout combat dans sa périphérie pouvait-il, quatre ans plus tard, ordonner la destruction de cette même ville?!...
«LA CONDAMNATION DES VAINQUEURS»...
Arno Breker me parle alors de ses amis français: Maillol, Despiau, Cocteau Derain, Vlaminck, Pascin, Cortot, Guitry, Benoit-Méchin...
— Le premier que j'ai connu, ce fut Jean Cocteau. Il m'a laissé une très grande impression. Je me souviens, une fois, j'étais allé au «Bœuf sur le toit» avec un ami allemand; nous étions toute une bande: Cocteau le fils de Renoir, Léger... Mon ami parlait très fort. A un moment, le chef d'orchestre fit arrêter la musique et s'adressa au public: «Tant qu'il y aura des boches ici, la musique ne reprendra pas!» Nous avons été forcés de partir. Cocteau était scandalisé. C'était, lui aussi, un ardent partisan de la réconciliation franco-allemande.
Le téléphone sonne. C'est Maurice Bardèche qui veut complimenter Arno Breker sur son livre. Ceci nous amène à parler de Robert Brasillach.
J'ai bien connu Brasillach. C'était un homme courageux, et aussi un très grand écrivain. Vous connaissez son Anthologie de la poésie grecque! Brasillach a toujours été touché par la culture germanique, comme moi par la culture française. Nous avons travaillé dans le même but. Brasillach, un traître! Il a eu le malheur d'être arrêté parmi les premiers. Un homme comme Cocteau, par exemple, s'il avait été arrêté à la même époque aurait probablement subi le même sort.
Il y a une chose que je voudrais dire et qui me tient beaucoup à cœur: Tous mes amis français se sont toujours comportés en français! Ils ne faisaient pas de courbettes à l'occupant! au contraire! Je n'ai jamais vu d'hommes aussi courageux que la plupart de ces «collaborateurs»... Leur position était si délicate à soutenir. Cela m'a toujours touché énormément! Ils allaient même souvent trop loin dans leur courage. Il faut le dire aujourd'hui. C'est absolument nécessaire à la défense de la vérité.
— En dehors de la sculpture,, avez-vous été attiré par d'autres moyens d'expression artistique?
— Oui, bien sûr! A l'Ecole des Beaux-Arts, je poursuivais parallèlement des études de sculpture et d'architecture. J'ai d'ailleurs hésité assez longtemps avant de me décider. La lithographie m'a aussi tenté, mais je n'ai jamais eu le temps. Maintenant j'ai le temps, mais c'est l'argent qui manque !
— Comment voyez-vous l'avenir de votre pays?
— C'est une question très grave que vous me posez là. Je ne cache pas que je suis extrêmement pessimiste. Il y a une certaine analogie entre ma situation personnelle et celle de mon pays. De la même façon que je suis toujours coupable, mon pays est toujours coupable! Il faut se méfier de la prospérité de l'Allemagne actuelle. En cas de difficultés, nous pouvons en quelques mois être complètement par terre. Quelles seraient alors les conséquences politiques? En face de cela, je ne vois pas pour l'instant une ouverture quelconque. Je désirerais enfin assister à la création d'une véritable Europe libre, idéal pour lequel je lutte depuis 1918.
Mais aujourd'hui où en sommes-nous? En Allemagne, il n'y a plus d'opposition! La propagande des Alliés après la guerre a fait du bon travail: On a appris aux enfants à douter de leurs parents. Les pères étaient fautifs. On a brisé les familles! Néanmoins, certaines valeurs sont indestructibles. Et on ne peut être éternellement coupable! Ainsi, je ne peux pas exposer, parce que je suis Coupable! Je ne peux pas travailler comme je le voudrais, parce que je suis coupable! Et si quelqu'un me salit, m'injurie, dans la presse ou ailleurs, je ne peux me défendre, car je ne trouverais pas un juge assez courageux pour me rendre justice. Je suis inexistant! J'ai toujours tort! Comme le vaincu! Je suis un vaincu, c'est tout!
Mais Arno Breker ne ressemble pas à un vaincu. Il pense sans doute avec nostalgie à ces statues de marbre et de bronze qui s'élevaient au fronton d'un monde de gloire qui s'est écroulé sous les coups de boutoir des croisés de la Démocratie. Mais l'artiste est toujours debout, car il est fort.
Non! Arno Breker n'est pas un vaincu. Car il sait qu'au-dessus des haines et des préjugés passagers et imbéciles, il y a une civilisation commune, la civilisation de l'Occident, à laquelle il peut être fier d'avoir apporté, en tant qu'artiste et en tant qu'homme, sa large contribution.
Au moment de quitter cet homme, je ne puis m'empêcher de songer à cette phrase de l'écrivain portugais Ramalho Ortigâo, si souvent citée dans Découvertes: «Combien, ô combien de fois, à travers les immanentes justices de l'Histoire, la défaite des vaincus n'a-t-elle pas été la condamnation des vainqueurs!...».
Il n'existe qu'un seul péché:
Tout le reste n'est qu'ignorance.
Et c'est pourquoi prions, si nous devons prier:
Préservez-nous, Seigneur, de toute lâcheté!
BALDUR VON SCHIRACH
Sources : Découvertes – Décembre 1970.