L’écologie politique instrumentalise la science à des fins idéologiques. Pourtant, la lutte pour un meilleur environnement ne pourra se faire sans croissance et progrès.
Pour réduire l’empreinte carbone : Tour de France transformé en tour de Bourgogne ; enseignement à distance et télétravail généralisés ; quota d’un steack par mois et d’un achat de vêtement par an et par personne ; interdiction des pelouses et piscines individuelles…
Vous avez, bien sûr, deviné qu’il s’agit là de science-fiction. Plus précisément d’anticipation, c’est-à-dire de ce qui pourrait arriver demain. En effet, pas un jour ou presque ne passe sans que les pouvoirs publics français ou européen n’instaurent des mesures décroissantistes, ou ne durcissent les normes en matière de transport, logement, alimentation. Un contrôle renforcé de nos interactions et modes de vie dans l’objectif obsessionnel d’arriver un jour au Graal du zéro carbone net.
Un insidieux agenda radical
Les gouvernements n’assument certes pas un agenda aussi radical que celui évoqué plus haut, ou la prescription de « quatre voyages en avion maximum dans toute votre vie » faite, d’un air presque jubilatoire, par l’un des gourous les plus influents de ce discours, dont l’absence totale de doutes et de prises en compte d’hypothèses diverses signe, en fait, la démarche non scientifique. Discours martelé aussi par les militants-délinquants détruisant cultures, routes et usines, ainsi que les diverses vedettes qui, Tartuffe, se rendent aux quatre coins du monde en avion pour expliquer qu’il ne faut plus le prendre.
Mais un chemin équivalent est bien tracé par les pouvoirs publics.
Le Parlement européen ne vient-il pas de voter une loi imposant la mise en jachère d’un dixième des surfaces agricoles d’ici la fin de la décennie ? Le président de la Cour des comptes, dont on croyait naïvement que sa mission était de veiller à l’utilisation conforme de l’argent public, n’a-t-il pas appelé récemment à réduire notre consommation de viande (mais pas de fromages. Cherchez l’erreur) ? Il plantait au passage un poignard dans le dos de l’une des filières d’excellence de notre pays, qui ploie sous les normes et, surtout, les anathèmes au même titre que l’automobile, l’aérien, le tourisme, ou le BTP.
Combien d’entrepreneurs, ingénieurs et techniciens fiers jadis de nourrir le monde, transporter les gens, ou les loger, jettent aujourd’hui l’éponge, accablés par les discours de culpabilisation ?
Et le président de la République ne vient-il pas à l’instant de nous faire miroiter une « planification écologique touchant tous les secteurs » ?
Planification : le mot a l’air inoffensif, mais cela implique que les prix et quantités de tout ce que vous produisez, consommez, ou investissez passent par les fourches caudines d’un comité d’État.
Vous apprendrez à aimer vous appauvrir
Entendons-nous bien. Le combat écologique authentique visant à lutter contre gaspillages et pollutions est tout à fait estimable. Il ne s’agit pas non plus ici de nier l’impact de l’humanité sur le climat, ou de minimiser les graves épisodes caniculaires en cours en Espagne, Italie, États-Unis.
Mais, l’air de rien, la politique suivie aujourd’hui vise à instaurer une véritable écologie punitive : ses thuriféraires n’aiment pas l’expression, mais c’est bien de cela qu’il s’agit, puisque cette fureur planificatrice consiste à pénaliser, voire interdire diverses activités, sans miser sur le progrès technologique, comme l’admet candidement un de ses influenceurs, l’astrophysicien spécialiste autoproclamé de l’extinction des espèces (?!) Aurélien Barrau.
Afin de ne plus rejeter à terme dans l’atmosphère ce gaz carbonique présenté désormais comme un poison (c’est aussi le nutriment des plantes, mais passons), ou du méthane et protoxyde d’azote, il s’agit de réduire l’économie à des secteurs d’activité vertueux subventionnés par les impôts levés sur celles des activités jugées nocives qui n’auront pas encore été tuées par le poids des taxes et des règlements.
« On va vous apprendre à aimer ne plus prendre l’avion, ni la voiture et à ne plus manger, vous vêtir, ou vous loger à votre guise. »
Les mêmes gourous vantent les parcours en vélo, même quand nous sommes vieux, fatigués, malades, chargé de sacs, ou avec de jeunes enfants, ou qu’il pleut. Il s’agirait pour eux d’expier notre addiction à la société de consommation pour découvrir des relations humaines « plus authentiques », comme si une vie immobile, faite de frugalité et de contemplation allait miraculeusement nous faire aimer nos voisins.
Il ne suffira pas de se priver de week-end à Barcelone, mais bien d’imposer méthodiquement une décroissance qui ne dit pas son nom. Par la persuasion au début, « vous verrez comme vous aurez plaisir à vous conformer à ces restrictions et pénalités », puis plus fermement quand les gens se montreront récalcitrants. Certains Verts proposent déjà de poursuivre pour écocide tel ou tel industriel du pétrole (les automobilistes aussi, pour complicité ?), ou oublient que cette société industrielle qu’ils abhorrent s’est accompagnée depuis deux siècles d’une spectaculaire amélioration. Eh oui, c’est ce que disent les indicateurs de développement humain (malnutrition, mortalité infantile, espérance de vie, alphabétisation) partout dans le monde. Ainsi que d’une chute inédite de la proportion de l’humanité vivant dans l’extrême pauvreté (revenu de moins de 2,5 dollars par jour) ces quarante dernières années.
Cette écologie-là se révèle tout à la fois misérable, contre-productive et irrationnelle.
Réduire, ralentir, rationner, rapetisser, réprimer
En effet, nous appauvrir constitue bien l’objectif derrière les mots aimables de « transition » et « frugalité », imposés sans la moindre évaluation de l’impact sur nos vies. « Transitez, y a rien à voir. » Réduire la quantité et le choix de biens et services que nous pourrons consommer, ou les rendre plus chers, donc inaccessibles au plus grand nombre, s’apparente bien à une cure d’appauvrissement. La seule nuance étant que pour certains ce serait volontaire (pas longtemps, la frugalité étant une théorie qui perd beaucoup de son charme dès qu’on passe aux travaux pratiques).
Réduire, ralentir, rationner, rapetisser, réprimer.
Cela constitue une politique de régression sociale, tout d’abord, bobos contre prolos. Déjà, ceux qui n’ont pas les moyens de changer de voiture sont menacés d’être exclus des centres-villes. Les pénalités associées aux logements à classe énergétique médiocre imposent des travaux que les ménages à revenus modestes n’ont souvent pas les moyens de payer. Quant à la raréfaction dramatique du foncier prévue par la loi ZAN (zéro artificialisation nette) elle se traduira, mathématiquement, par un renchérissement des logements au profit des possédants, souvent âgés, au détriment des jeunes primo-accédants. Sans compter qu’elle nuira à toute réindustrialisation.
Réindustrialisation qui ne saurait qu’être verte, évidemment, grâce à la fameuse transition énergétique. Mais le solaire et l’éolien ont le léger inconvénient d’être non pilotables, dépendants des terres rares chinoises et bien plus coûteux qu’on ne le prétend ; les écologistes prétendent que le renouvelable crée trois fois plus d’emplois que les autres énergies, en oubliant que cela implique trois fois plus de salaires et donc des tarifs en conséquence…
Un coût social vertigineux
Notamment, mettre fin aux moteurs thermiques et diminuer de moitié les gaz à effet de serre, gaz carbonique et méthane, d’ici 2030 en Europe nous infligerait inévitablement une récession d’une ampleur équivalente à celle provoquée par le covid…
Malgré la vogue des renouvelables, les énergies fossiles constituent en effet toujours 80 % du mix énergétique mondial, comme au début du siècle !
Les gouvernants savent que tout cela est irréaliste, ce qui ne les empêche pas de se livrer à une surenchère d’objectifs et engagements spectaculaires. Sans atteindre toutefois le niveau de l’Arabie saoudite, premier exportateur mondial de gaz et de pétrole qui promet la neutralité carbone à l’horizon 2050. Des hydrocarbures sans carbone, cela aurait tendance à être de l’eau, non ?
Si réduire notre dépendance aux énergies fossiles en provenance de Russie et Moyen Orient est géopolitiquement judicieux, aboutir au zéro carbone à l’horizon 2040 aurait un coût social et humain monstrueux, comme l’explique bien un article de l’économiste Ralph Schoellhammer.
De plus, cette transition à marche forcée aura un impact dramatique sur l’emploi.
Que feront les ouvriers et ingénieurs de l’agro-alimentaire, l’automobile, l’aéronautique suite à l’effondrement de la demande ainsi programmé ? Ils se reconvertiront en consultant en mobilité douce, certificateurs d’agences de certification, ou producteurs de tofu ? Et puisqu’on parle d’agro-alimentaire, réalise-t-on que tourner le dos au si décrié modèle productiviste en refusant engrais et pesticides aboutira à des rendements divisés par deux ou trois, ce qui ne permettra pas de nourrir huit milliards d’humains ? Le Sri Lanka en a fait la funeste expérience.
Bref, il n’y aura pas de décroissance heureuse.
Les écologistes jouent contre leur camp
Cette politique se révèlera aussi contre-productive.
En effet, si la France, dont l’économie est une des plus décarbonées au monde grâce au nucléaire, disparaissait purement et simplement, l’effet sur les gaz à effet de serre serait annulé en moins d’un an par la croissance de la Chine (et en trois ans par celle de l’Indonésie).
Pékin construit une grande centrale à charbon très polluante tous les… quatre jours. « Qu’importe, répondent les écologistes radicaux, il faut bien que quelqu’un montre l’exemple. »
Parce que vous croyez que, subjuguées par tant de vertu, la Chine et l’Inde vont nous emboîter le pas ? Au contraire, quand elles auront vu combien cela aura rendu les Français malheureux, comment cela aura dévasté leur industrie et donc leur indépendance nationale, ils en déduiront que cette politique doit être évitée à tout prix. Le combat écologique apparaîtra comme un odieux repoussoir et suscitera une réaction électorale d’allergie, partout dans le monde, qui emportera le bébé Vert avec l’eau du bain.
La Science instrumentalisée
Qu’importent emplois, prospérité et géopolitique, s’exclament toutefois ces écologistes, puisque la Science nous démontre que, sauf mesures draconiennes, la planète va mourir. Ils exciperont de cette menace pour piétiner sans limite nos droits et libertés, et faire taire sceptiques et contestataires.
Le problème étant que la Science ne démontre rien de tout cela.
Les certitudes catastrophistes assenées par des forts en gueule sur les plateaux TV, à rebours des écologistes pondérés comme Bjorn Lomborg, ou le cofondateur de Greenpeace Patrick Moore, ne sont pas si scientifiques qu’elles le prétendent. S’est imposée la vision de l’adolescente Greta Thunberg (dont les études sur les interactions complexes entre atmosphère, biotope et climat font autorité auprès des spécialistes), selon laquelle l’humanité aurait « droit » encore à un quota de 210 gigatonnes de rejet de CO2 dans l’atmosphère avant de déclencher un emballement irréversible menaçant la vie sur Terre.
L’affaire semble pourtant un peu plus compliquée que ça. Il n’est pas non plus établi rationnellement qu’à force de sacrifices et de planification interétatique l’humanité puisse limiter le réchauffement de la planète comme on règle le rhéostat d’un grille-pain !
S’il n’est pas question de contester ici les conclusions des spécialistes en climatologie, biologie ou énergie (on n’invoquera pas le « consensus », notion politique mais non scientifique, puisque la Science se nourrit seulement d’expériences irréfutables et de démonstrations), force est de constater que la Science court le risque d’être instrumentalisée par l’écologie décroissantiste.
John Clauser, prix Nobel de physique 2022, fustigeait récemment le fait que « le narratif commun sur le changement climatique constitue une dangereuse corruption de la science qui menace le bien-être de milliards de personnes. Une science climatique mal orientée s’est métastasée en une pseudoscience massive, promue et étendue par des agents marketing d’entreprise, des politiciens, des journalistes, des agences gouvernementales et des environnementalistes tout aussi mal orientés. »
Médias, politiques et ONG mettent désormais systématiquement en avant le scénario le plus inquiétant parmi tous ceux cités par les études rigoureuses, en prenant soin de retirer le conditionnel.
C’est ainsi que s’est imposée la conviction que les archipels des Kiribati ou des Maldives seraient submergés dans quelques décennies par la montée des océans, sans que leurs surfaces aient pourtant diminué notablement depuis trente ans. Ou que nous vivons « la sixième extinction », d’origine humaine, à la suite du livre de la journaliste sans formation scientifique Elizabeth Kolbert.
En 2019, les journaux du monde entier ont à ce sujet fait leur Une sur l’étude d’une université australienne pronostiquant la disparition de la quasi-totalité des insectes, c’est-à-dire, en masse, et de la majorité des animaux, d’ici un siècle, par extrapolation à partir d’une recherche google « chute dramatique d’insectes » concentrée sur les régions céréalières d’Europe et du Kansas. On appelle ça un biais de confirmation XXL.
Le Jour du dépassement : fausse alerte
C’est chaque année, fin juillet, le même succès éditorial mondial, le Jour du Dépassement.
Inventé par l’ONG américaine Global Footprint Network, dont il fait la fortune, ce concept calcule le jour de l’année à partir duquel l’humanité est censée avoir consommé l’ensemble des ressources renouvelables que la planète est capable de produire en un an pour générer ces consommations, ou absorber les déchets produits. À partir donc du 28 juillet on tape dans les stocks de Gaïa, d’où le succès de l’expression « il nous faudrait 2,2 planètes pour vivre », voire, mieux, quatre si tout le monde vivait « à l’occidentale ». Problème : ce concept est passablement inepte.
Les activités consommant des ressources naturelles, en clair chasse, pêche, mines, agriculture, sont désormais relativement marginales dans le PIB mondial.
Parmi elles, certaines ne sont pas du tout renouvelables, comme le pétrole, pour lequel le Jour du Dépassement serait le 1er janvier au matin, et d’autres beaucoup plus qu’on ne le croit, comme l’eau, qui est utilisée, certes, mais pas vraiment consommée, intégrée dans un cycle évaporation/pluies, pour laquelle le Jour du Dépassement serait plutôt fin décembre. Pour surmonter cette difficulté, Global Footprint a trouvé astucieux de convertir en fait toutes les activités humaines, à base ou pas de ressources naturelles, en une empreinte carbone, et de la comparer à ce que la planète pourrait absorber sans se réchauffer. C’est à dire que l’ONG passe, en douce, d’une problématique « épuisement des ressources » à celle du réchauffement climatique. Tout sauf rigoureux sur le plan scientifique.
Puisqu’on parle d’épuisement des ressources, se rappeler des prévisions du fameux Club de Rome sous-tendant la réflexion des collapsologues et cité récemment comme source d’inspiration par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, qui avait prédit en 1972 que la dernière goutte de pétrole serait extraite en l’an 2000, et que le monde connaîtrait d’ici là famines sur famines. Depuis lors, on a découvert plus de pétrole qu’il n’en a été consommé, grâce aux progrès technologiques. Quant aux famines, la proportion de l’humanité en sous-nutrition, 9 % selon la FAO, est aujourd’hui à un plancher historique.
Cette problématique rappelle aussi le pari sur les prix de cinq matières premières censées refléter des pénuries graves qu’avaient fait en 1980 l’économiste Julian Simon et l’écologue Paul Ehrlich, lequel criait à la fin du monde et appelait à un contrôle autoritaire des naissances. Au terme échu, en 1990, Ehrlich avait perdu le pari dans les grandes largeurs.
Il semble désormais impossible de contester ne serait-ce que les hypothèses des projections les plus catastrophistes sans se voir qualifié aussitôt de facho, voire pire, de climatosceptique par les bonnes âmes vertes.
L’affaire mérite pourtant des discussions la tête froide.
Et pour limiter l’impact de l’humanité, il existe toutefois une autre piste que les sacrifices extrêmes, à la limite de l’expiation, réclamés par les écologistes radicaux : l’agilité technologique et la recherche scientifique, aux résultats si spectaculaires depuis trois siècles. Par exemple, se profilent des techniques pour piéger le gaz carbonique atmosphérique, en utilisant notamment les roches d’olivine.
Et les hydrocarbures pourraient être peu à peu remplacés par une filière particulière du nucléaire en cours de mise au point, celle du thorium qui n’a à peu près aucun des inconvénients de l’uranium : il est abondant, inapte à la production de bombes atomiques, et produit des déchets radioactifs moins dangereux.
Il nous faut des chercheurs, et non des marchands de peur.
Yves Bourdillon - 24 juillet 2023