L’arrogance impériale d’Obama, ainsi que son mépris pour la Constitution, ont provoqué une tragédie.
Barack Obama a été élu président quelque 143 années après l’abolition de l’esclavage aux États-Unis. En 2008, en écoutant la larme à l’œil le discours de victoire d’Obama, prononcé au Grant Park de Chicago, les afro-américains étaient loin de s’imaginer que le premier président noir des États-Unis allait laisser derrière lui son propre héritage d’esclavage — en Afrique.
Et pourtant, c’est exactement ce qu’il a fait, par une combinaison d’arrogance impériale, de mépris pour les limitations normalement exprimées dans la Constitution sur les pouvoirs de l’exécutif en cas de guerre, et en usant de faux prétextes.
En 2011, poussé par sa Secrétaire d’État Hillary Clinton ainsi qu’une poignée de conseillers, Obama a ordonné une suite de frappes aériennes, qui s’est échelonnée durant des mois, pour faciliter une campagne de changement de régime soutenue par l’OTAN et renverser Mouammar Kadhafi, qui dirigeait alors la Libye.
Au mois de février 2011, Obama annonce avoir donné pour instruction à son administration de préparer une « gamme totale d’options » pour assurer une réponse des États-Unis aux désordres libyens (Kevin Lamarque/Reuters)
Loin d’installer la démocratie libérale et la prospérité, la chute de Kadhafi a laissé le pays fracturé, partagé entre deux gouvernements rivaux et diverses milices en compétition pour prendre le pouvoir. Le changement de régime pratiqué par Obama a marqué le début d’une ère de chaos qui n’est pas terminée, et parmi les maux qui s’en sont suivis, certains frappent des Noirs d’Afrique.
Ces maux ont commencé durant la guerre, lorsque le racisme et l’emploi par Kadhafi de mercenaires sub-sahariens noirs se sont combinés pour déclencher des atrocités à grande échelle contre les Noirs, considérées comme un juste retour des choses pour diverses atrocités, comme des tabassages, des viols et des lynchages.
Un ouvrier turc travaillant dans le domaine du bâtiment a affirmé à la BBC : « Nous comptions 70 à 80 personnes venant du Tchad qui travaillaient pour notre entreprise. Ils ont été tués au sécateur et à la hache, et les agresseurs ont dit : ‘Vous apportez des soldats à Kadhafi.’ Les Soudanais aussi ont été massacrés. Nous l’avons vu de nos propres yeux. »
Un groupe rebelle a été glorifié par un graffiti en bord de route comme « la brigade qui purge les esclaves, peaux noires » — il s’agit d’une référence aux descendants d’esclaves noirs libyens, comme ceux qui vivaient dans la ville de Tawergha. La ville, qui comptait autrefois 30 000 habitants, a été mise à sac, et ses occupants ont été attaqués ; la localité est devenue une ville fantôme nettoyée ethniquement.
En 2017 — six années après la mort de Kadhafi — CNN a recueilli une nouvelle dimension impensable de la misère imposée aux personnes noires par suite au changement de régime d’Obama : la chaîne de télévision a diffusé la vidéo montrant deux ventes d’esclaves aux enchères sur un marché à ciel ouvert en Libye. « Des gars forts et costauds pour le travail agricole », affirmait un vendeur. Elle montre trois hommes noirs vendus pour 400 $ par tête.
Sunday Iabarot, un Nigérien, montre la cicatrice qu’il affirme avoir reçue comme marque de la part de ses ravisseurs (Lynsey Addario pour TIME)
Et cela se poursuit de nos jours. Le mois dernier, les Nations Unies ont rapporté qu’une enquête menée sur une durée de trois ans a établi que « détentions arbitraires, meurtres, viols, mises en esclavage, esclavage sexuel, meurtres sans procès et disparitions forcées » sont devenus « monnaie courante » en Libye.
L’hypocrisie de la puissance de guerre d’Obama
En 2007, en tant que candidat à la présidence, Obama s’était exprimé sur les limitations à l’autorité du président sur l’appareil militaire, en affirmant au Boston Globe que « selon la Constitution, le président ne dispose pas du pouvoir d’autoriser de manière unilatérale une attaque militaire dès lors que la situation n’implique pas de bloquer une menace avérée ou imminente envers la nation. »
Mais une fois élu président, Obama a trahi ces assurances — et a violé son serment d’investiture — en ordonnant au Pentagone de mener des bombardements contre la Libye sans autorisation du Congrès.
Au cours d’une attaque frontale contre le sens commun, l’administration Obama avait affirmé avec hypocrisie que, comme l’engagement se limitait au bombardement, et comme l’armée libyenne n’était pas en situation de riposter, les États-Unis "n’étaient pas engagés dans « des hostilités”, et que par conséquent, la loi « War Powers Act » n’était pas applicable.
Rien à voir avec des « hostilités », selon les avocats d’Obama : une bombe de la coalition explose en Libye au mois de mars 2011 (Reuters)
Si l’intervention a été préconisée par des gens comme Hillary Clinton ou Samantha Powers, « faucon humanitaire » du National Security Council, de nombreux membres de l’administration Obama s’y sont opposés, parmi lesquelles Joe Biden, alors vice-président, le secrétaire de la Défense, le président de l’état-major conjoint, le conseiller à la sécurité nationale et l’adjoint au conseiller à la sécurité.
Selon Robert Gates, alors secrétaire de la Défense, relayé par Yahoo News, la décision prise par Obama d’entrer en guerre en Libye était fondamentalement un pile ou face. « Le président m’a dit qu’il s’agissait d’une décision parmi les plus incertaines qu’il avait prises, du genre 51-49 ».
Bien sûr, comme le candidat Obama l’avait expliqué de manière univoque, cette décision ne lui appartenait en rien.
Le fait que la décision prise par Obama ait été prise sans conviction — et se soit conclue par un désastre pour tant de personnes innocentes — souligne les raisons pour lesquelles il aurait dû s’en tenir à la Constitution, qui exige que les corps délibératifs et représentatifs de la Chambre et du Sénat aient pour rôle de prendre les décisions relatives à la guerre, à l’issue d’un débat public.
Comme l’écrivit James Madison à Thomas Jefferson en 1798, « la Constitution suppose, comme le démontre l’histoire de tous les gouvernements, que l’exécutif soit la branche du pouvoir la plus intéressée par la guerre, et la plus encline à la guerre. Elle a par conséquent attribué la question de la guerre au pouvoir législatif. »
On peut douter du fait que le Congrès aurait donné son feu vert à cette intervention. Un sondage mené par Pew Research, publié une semaine avant les frappes aériennes ordonnées par Obama, que 63% des Étasuniens estimaient que les États-Unis n’avaient « aucune responsabilité de mener des actions de combat en Libye », et 77% étaient opposés au « bombardement des défenses aériennes libyennes. »
Qu’Obama ait qualifié de « 51-49 » sa décision au sujet de la Libye est également funeste à un autre titre. « Il ne s’agit de rien de moins que de la reconnaissance d’un crime de guerre », avance Scott Horton dans son ouvrage Enough Already : Time to End the War on Terrorism. « Le président a reconnu avoir lancé une guerre d’agression injustifiée, un crime selon le droit étasunien ainsi que… selon le droit international. »
Une autre intervention invoquée selon de faux prétextes
Outre sa violation de la Constitution, le désastre provoqué par Obama a été, comme semble-t-il toutes les interventions des États-Unis, invoqué selon de faux prétextes — dans ce cas, l’affirmation selon laquelle Kadhafi s’apprêtait à commettre un génocide à Benghazi, place forte des rebelles et deuxième ville de la Libye.
« Nous savions que si nous attendions un jour de plus, Benghazi — une ville dont la taille avoisine celle de Charlotte — aurait pu subir un massacre qui se serait répercuté sur la région et aurait souillé la conscience du monde, » a affirmé Obama une fois lancés les bombardements étasuniens.
L’énoncé avancé par les dirigeants de l’administration, selon lequel des dizaines ou des centaines de milliers d’habitants de Benghazi allaient se faire massacrer, résidait sur une interprétation volontairement détournée d’un discours de Kadhafi, au cours duquel il avait affirmé : « nous n’aurons aucune pitié pour eux. »
Kadhafi faisait clairement référence aux rebelles armés qui occupaient la ville. De fait, il avait également affirmé que « quiconque rend les armes, et reste chez soi sans armes, quoiqu’il ait fait par le passé, sera pardonné et protégé. »
Susan Rice, alors ambassadeur des États-Unis à l’ONU, avait affirmé au Conseil de Sécurité que Kadhafi livrait du Viagra à ses soldats pour qu’ils réalisent des viols en masse (AP)
Le département de la Défense avait appris, via une source de renseignements, que Kadhafi avait explicitement ordonné que les civils ne soient pas attaqués. Qui plus est, à l’époque où la Maison Blanche d’Obama faisait d’horribles prédictions sur Benghazi, Kadhafi avait d’ores et déjà repris d’autres villes aux rebelles sans massacrer les habitants civils.
L’administration Obama, ayant apparemment à l’idée que des massacres de civils n’allaient pas suffire à enflammer l’opinion publique, avait également affirmé avec sensations que Kadhafi livrait du Viagra à ses soldats pour qu’ils mènent une campagne de viols de masse.
L’arsenal pharmaceutique de Kadhafi s’est avéré tout aussi inexistant et imaginaire que le programme d’armes nucléaires de Saddam Hussein,
Cinq années plus tard, en 2016, au cours de sa tournée de campagne présidentielle, Clinton, mise sur la défensive, avait répété le mensonge patent selon lequel « Kadhafi menaçait de massacrer sa population. » Quelques jours après qu’elle a affirmé cela, le comité aux affaires étrangères du parlement du Royaume-Uni publiait le rapport d’une enquête sur l’intervention en Libye, qui avait pour conclusion que Kadhafi n’avait aucune intention de s’en prendre aux populations civiles.
Des Africains payent le prix fort pour les ambitions étasuniennes
Obama avait dénoncé l’invasion de l’Irak par George Bush, la qualifiant de « fondée sur aucune raison, mais sur la passion ; non sur des principes mais sur la politique. » On peut en dire autant de la campagne de changement de régime menée par sa propre administration en Libye, qui avait vocation à :
- Générer une publicité positive pour le gouvernement étasunien. Les révolutions du Printemps Arabe de 2011 ont amené au renversement embarrassant des régimes soutenus par les États-Unis en Égypte et en Tunisie. Anne-Marie Slaughter, une dirigeante du département d’État Clinton, avait affirmé à Clinton que soutenir les rebelles en Libye allait « modifier l’image des États-Unis en l’espace d’une journée » et « impressionner les populations jeunes dans tout le Moyen-Orient. »
- Concrétiser une thèse. Samantha Power, désormais la directrice nommée par Biden de l’agence étasunienne du développement international, avait commencé en 2011 au sein du National Security Council, avait écrit A Problem From Hell, un livre qui exhortait à l’adoption d’une doctrine d’intervention humanitaire appelée sous le nom de « Responsabilité de protéger. » Avec la Libye, Power avait trouvé l’opportunité de faire une démonstration de son concept — et de faire progresser sa carrière. Elle a été promue au poste d’ambassadeur auprès des Nations Unies une fois lancés les bombardements étasuniens.
- Soutenir les ambitions présidentielles de Hillary Clinton. Des courriels en provenance du département d’État indiquent que les conseillers de Clinton, membres du gouvernement ou non, s’enthousiasmaient à l’idée d’une intervention réussie en Libye en vue d’une campagne présidentielle de Clinton à venir. Sidney Blumenthal avait affirmé à Clinton qu’une fois survenu le départ de Kadhafi, « Vous devez apparaître face aux caméras. Vous devez vous positionner dans le récit historique de cet événement. »
- Protéger la domination économique de l’Occident. Bien que Kadhafi ait œuvré par le passé pour s’attirer les bonnes grâces des États-Unis et de leurs alliés, il se peut qu’il ait scellé son destin lorsqu’il se mit à pousser les pays africains à se passer des monnaies occidentales en établissant une nouvelle monnaie pan-africaine, le dinar-or. Dans un courriel du mois d’avril 2011, Blumenthal affirmait à Clinton que Kadhafi avait déjà accumulé 143 tonnes d’or pour soutenir cette nouvelle monnaie.
En faisant référence à la Libye, Hillary Clinton avait fanfaronné : « Nous n’avons pas perdu un seul Étasunien… au cours de cette action. » Cela ne constitue pas une consolation pour les familles des civils morts sous les bombes étasuniennes, ou pour les esclaves et autres victimes qui vivent en Libye et continuent de payer le prix fort pour la campagne de changement de régime d’Obama, illégale, promulguée par des mensonges, et à courte de vue.
Brian McGlinchey
Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone