Ses agents occupent des postes souvent élevés, révèle l'enquête d'un journaliste. Leur mission: appliquer la censure et limiter le débat public.
Aux États-Unis, le journaliste Glenn Greenwald a dénoncé lors d’une de ses émissions le fait que de nombreux agents de la CIA occupent les postes les plus élevés au sein des plateformes internet des grandes entreprises technologiques. Leur mission est d’appliquer la censure et de limiter les opportunités de débat public.
Les Américains sont conscients des efforts déployés par l’État sécuritaire pour contrôler les médias depuis les années 1970, lorsque la commission Church du Sénat a révélé l’opération Mockingbird de la CIA, a déclaré M. Greenwald aux auditeurs de son podcast, « System Update ».
Dans le cadre de ce programme, des agents de la CIA ont infiltré et influencé secrètement les plus grands organes de presse du pays.
La révélation du projet Mockingbird a fortement embarrassé les médias et le gouvernement, car il est interdit à la CIA de cibler le public américain, a expliqué M. Greenwald.
Au cours de la dernière décennie, plusieurs lanceurs d’alerte ont révélé que l’État sécuritaire américain avait de nouveau intensifié ses activités secrètes de ciblage des citoyens américains, en particulier depuis le début de la guerre contre le terrorisme, après le 11 septembre.
Il y a une dizaine d’années, les informations selon lesquelles les agences de renseignements espionnaient les Américains ou infiltraient les médias étaient considérées comme scandaleuses.
Selon Greenwald les choses ont changé. En fait, il est devenu courant que les principaux organes d’information embauchent ouvertement d’anciens agents des services de sécurité américains pour couvrir et commenter l’actualité.
Au cours des derniers mois, les dossiers Twitter et la dernière décision de justice Missouri v. Biden ont clairement montré à quel point le régime de censure est devenu agressif.
Le gouvernement américain dicte en partie le contenu que les plateformes de médias sociaux doivent autoriser sur leurs sites, a déclaré M. Greenwald. Mais, a-t-il ajouté, « il existe une autre forme de censure :
« Il y a un autre élément, une autre couche. Ces anciens agents de la CIA ont infiltré ces grandes entreprises technologiques, exactement comme ils ont infiltré les organes d’information des entreprises. Ils sont partout dans ces régimes de censure ».
Les postes de direction des entreprises technologiques sont désormais occupés par des personnes issues directement des agences de renseignement.
Par exemple, James Baker, dont les Twitter Files ont révélé qu’il était impliqué dans la plupart des décisions de censure avant la prise de contrôle de la plateforme par Elon Musk, a travaillé en tant qu’avocat général pour le FBI avant de devenir conseiller juridique de Twitter.
« Le FBI a donc envoyé son meilleur avocat travailler dans la partie de Twitter qui censurait les contenus politiques », a déclaré M. Greenwald. « Vous comprenez ? C’est le FBI qui contrôle notre discours politique national et lui assigne ses limites.
MintPress News a dressé le profil d’un certain nombre d’anciens agents de la CIA qui gèrent et élaborent aujourd’hui des politiques de désinformation sur Facebook, ainsi qu’il ressort d’un article datant de juillet 2022 que M. Greenwald a partagé.
Selon l’article, le problème n’est pas que ces personnes soient incompétentes. « Le problème, c’est le fait d’avoir autant d’anciens employés de la CIA qui dirigent les plateformes d’information et de nouvelles les plus importantes au monde. L’agence elle-même décide ainsi de ce que vous voyez et de ce que vous ne voyez pas en ligne – et tout cela sans pratiquement aucun contrôle public. »
Cela permet aux agences de renseignement de conserver une influence significative sur les flux d’informations et de nouvelles, tout en maintenant « un certain vernis de dénégation plausible ».
Le gouvernement américain n’a pas besoin de dire aux plateformes ce qu’elles doivent faire, car les personnes qui prennent les décisions ont d’abord gravi les échelons de l’État de sécurité nationale – « ce qui signifie que leurs perspectives correspondent à celles de Washington », a déclaré M. Greenwald, citant MintPress News.
Selon M. Greenwald, il s’agit là de la preuve d’un effort sur plusieurs fronts : d’une part, d’anciens agents de la Sécurité de l’Etat font de la propagande auprès du peuple américain dans les médias d’entreprise et, d’autre part, ils contrôlent ce qui peut être dit sur les plus grandes plateformes de Big Tech.
Il en résulte, selon lui, que tout l’éventail des opinions dissidentes est « tout simplement interdit ».
Le complexe industriel de la censure
Le compte Twitter @NameRedacted247 suit le mouvement des agents de sécurité de l’État dans les sociétés de médias sociaux où ils travaillent sur la désinformation.
Le compte a fourni un fil de discussion, que l’équipe de Greenwald a confirmé, indiquant qu’en décembre 2022, Google employait au moins 165 personnes occupant des postes de haut niveau au sein de la communauté du renseignement.
Dans l’ensemble de l’entreprise, il y avait 27 anciens agents de la CIA, 52 anciens agents du FBI, 30 personnes issues de l’Agence nationale de sécurité (NSA), 50 du Département américain de la sécurité intérieure (DHS) et six du Directeur du renseignement national.
Facebook comptait au moins 115 anciens agents des services de sécurité à des postes élevés – 17 de la CIA, 37 du FBI, 23 de la NSA et 38 du DHS.
L’équipe « confiance et sécurité (trust and safety team) » de Google, qui gère les contenus autorisés sur la plateforme, est dirigée par trois anciens agents de la CIA qui contrôlent la désinformation et les discours haineux.
L’un d’entre eux, Nick Rossman, a qualifié les « anti-vaxxers » sur Twitter de « nazis » et de « collabos ».
Pensez-vous que ces personnes sont des arbitres objectifs de la désinformation ? Ou pensez-vous qu’ils utilisent dans ce but leur pouvoir de censure au sein de Big Tech? Idem pour les personnes infiltrées au sein des médias d’entreprise.
Greenwald a ainsi présenté une série de profils en ligne de personnes qui ont travaillé dans les services de renseignement pendant des années, voire des décennies, avant d’occuper récemment leurs nouvelles fonctions dans les grandes entreprises technologiques.
Matt Taibbi a lui aussi rapporté que les entreprises ont commencé à embaucher d’anciens agents de renseignement après l’élection de 2016, lorsque le FBI a créé son groupe de travail axé sur les médias sociaux, The Foreign Influence Task Force ou FITF.
Depuis lors, un énorme « complexe industriel de la censure » s’est développé, a déclaré Greenwald, qui comprend l’État américain, des fondations philanthropiques, des organisations de « vérification des faits », Big Tech, des universités, des groupes de réflexion, des organisations à but non lucratif et des entrepreneurs privés.
La marque du totalitarisme
Mais le plus étonnant dans cette histoire, selon M. Greewnald, c’est l’absence de réaction des libéraux, qui étaient autrefois les premiers à critiquer l’État sécuritaire. « L’idée que ces agences sont néfastes est au cœur de la politique libérale de gauche », a-t-il déclaré. Mais tout cela a changé avec la présidence Trump :
« …en 2015, en 2016, l’État sécuritaire américain s’est aligné contre Donald Trump et s’est consacré au sabotage d’abord de la campagne Trump, puis de la présidence Trump ».
Il y a maintenant très peu de médias qui font des reportages critiques sur ces agences, car elles sont « au sommet de leur pouvoir, plus puissantes que jamais ».
C’est pourquoi elles sont intégrées aux plus grandes entreprises qui contrôlent l’information et la propagande aux États-Unis – les médias d’entreprise et les grandes entreprises technologiques.
Elles sont obsédées par la destruction des quelques avant-postes de médias indépendants, les quelques endroits qu’elles ne peuvent pas contrôler et qui les empêchent de disposer d’un système d’information complètement fermé.
« Justement, un système d’information totalement fermé est la marque du totalitarisme. Si vous pouvez contrôler la façon dont les gens pensent et les empêcher d’entendre des opinions divergentes, vous pouvez contrôler toutes leurs actions parce que leurs actions sont basées sur ce que sont leurs pensées.
« Et si vous pouvez contrôler leurs pensées, vous n’avez même pas besoin de contrôler leurs actions. C’est le système qui est en train d’être créé ».
En Europe aussi
En 2014, le journaliste allemand Udo Ulfkotte avait publiquement dénoncé l’infiltration des médias européens par la CIA dans un livre de plus de 800 pages intitulé « Journalistes achetés : comment les politiques, les services secrets et la haute finance dirigent les médias de masse allemands ». Il avait affirmé avoir lui-même accepté de travailler pour les services secrets américains.
Il avait abordé également d’autres thèmes délicats, comme la pédophilie au sein du monde politique et militaire allemand en Afghanistan. Il aura finalement eu peu de temps pour alerter l’opinion publique puisqu’il est décédé d’une crise cardiaque en 2017, à l’âge de 56 ans.
Un rapport de 2016 du Département américain de la justice disait à propos du FBI : « Les politiques du ministère et du FBI en vigueur en 2007 n’interdisaient pas aux agents de se faire passer pour des journalistes ou de se faire passer pour un membre d’un organe de presse, et n’exigeaient pas non plus que les agents demandent une autorisation spéciale pour s’engager dans de telles activités d’infiltration. » Ces directives ont ensuite été modifiées, sauf pour les missions sous couverture.
Les agents de la CIA sont eux beaucoup plus libres dans ce domaine. Voici ce que le sénateur américain Frank Church écrivait en 1976 sur la prise de contrôle des médias par la CIA :
« La CIA entretient actuellement un réseau de plusieurs centaines de personnes étrangères à travers le monde qui lui fournissent des renseignements et tentent parfois d’influencer l’opinion par le biais d’une propagande secrète. Ces personnes fournissent à la CIA un accès direct à un grand nombre de journaux et de périodiques, à des dizaines de services de presse et d’agences de presse, à des stations de radio et de télévision, à des éditeurs de livres commerciaux et à d’autres médias étrangers ».
Ces ingérences dans la formation de l’opinion publique, qui peuvent miner les processus démocratiques, sont encore peu connues et étudiées. Une prise de conscience politique sera nécessaire pour éclaircir les zones d’ombre de ces activités cachées.
D’après un article de Brenda Baletti pour le Defender, traduit et adapté par Senta Depuydt, complété par Covidhub (18 juillet 2023)