Julius Evola ne s'est pas limité à écrire des œuvres pour transmettre sa pensée, il a été un promoteur culturel du plus haut niveau, soucieux de présenter les œuvres d'auteurs considérés comme « mineurs » par le sens commun de son temps. Au début des années 1930, alors qu'il était occupé à rédiger l'un de ses livres les plus importants, La Tradition hermétique, il tomba sur une œuvre de Cesare Della Riviera, Le Monde magique des héros, expression très claire du chemin « solaire » de réalisation. Frappé par sa lecture, il travailla dur pour que ce texte soit réédité dans sa seconde édition en 1605.
Evola a tenté de rendre le traité de Della Rivera accessible en modernisant son langage : « sans déformer le style mais en préservant la patine de l'antiquité qui est essentielle dans les œuvres de ce genre » (p. 7), a soutenu Fusco. Le traditionaliste a également inclus une centaine de notes explicatives, certaines très détaillées, afin de contextualiser les thèses de l'auteur au bénéfice du lecteur moderne. Il a divisé le texte en chapitres numérotés, donnant à chacun d’eux un titre spécifique pour fournir un contexte. La nouvelle édition est enrichie d'une annexe contenant une documentation abondante, visant à identifier les différences entre les éditions de 1603 et de 1605. Parmi d'autres documents, on peut citer un essai d'Alexandre Douguine sur le thème de la Via Eroica et la critique du livre de Guénon Della Riviera. L'ésotériste français, plus généralement, croit qu'Evola a réduit l'objet de l'investigation à sa propre vision du monde et, de cette manière, est arrivé à l'identification de l'Adepte et du Héros et de l'hermétisme et de la magie. L'annexe contient également la reproduction des notes des manuscrits d'Evola relatifs au Monde Magique, conservés à la Fondation Evola.
Ce texte est, pour Evola, cristallin. Dans ses pages, en effet, sont clairement visibles : « des échos de la science traditionnelle, qui à la fin du Moyen Âge est devenue une tradition hermétique-alchimique secrète » (p. 11). Ce processus de conservation-transmission de la Sagesse originelle, avec le début de sa décadence et son devenir le patrimoine exclusif d’une élite initiatique, a été présenté dans le Monde Magique des Héros par Della Riviera, en recourant à des déguisements prudents : « et des adaptations à l’usage et au bénéfice de la religion catholique dominante […] un labyrinthe de symboles et d’étymologies imaginatives et énigmatiques » (p. 11). L'auteur décrit en effet les enseignements essentiels sur la vision magique de la nature, l'intégration solaire de l'esprit et du corps, la conquête héroïque de l'Arbre de Vie. C'est un pouvoir qui régénère et rend immortel. Pour Evola, la science sacrée traditionnelle de l'âge primordial était préservée comme une science occulte : « elle se glissait ici et là dans les « hérésies », elle était l'âme secrète de la spiritualité guerrière-chevalière gibeline, des Templiers jusqu'aux « Fedeli d'Amore » ; a pris des allures tantôt « platoniciennes », tantôt « humanistes », tantôt « mystiques » ; a pris une forme encore plus impénétrable d’« alchimie », d’art hermétique, d’ Ars Regia dans les « transmutations » » (p. 11).
En bref, même dans un langage différent, secret, Della Riviera propose à nouveau la Voie solaire de la Tradition primordiale. Elle se fondait sur une lecture symbolique du monde, de la nature, perçus comme expressions de puissances invisibles, dans laquelle : « l’idéal le plus élevé était donné par ce sentiment de lumière triomphante […], victorieuse chaque matin sur les ténèbres, dont le Soleil présentait l’image corporelle » (p. 9). La civilisation pré-moderne orientait « solairement » l’élite, coïncidant avec les seigneurs des deux puissances. Ces derniers étaient des hommes chez qui le pouvoir temporel ne faisait qu'un avec le pouvoir spirituel et dont l'action était en harmonie avec la contemplation. Ainsi, la science sacrée traditionnelle visait à la réalisation effective de la spiritualité solaire. C’était autre chose que de la « religion ». La « religion » est une apparition tardive, souligne Evola, un produit de la dégénérescence de la spiritualité originelle. Au commencement, il n’y avait pas de distance entre l’homme et Dieu et la science sacrée plaçait la virilité transcendante, le roi sacré, l’initié solaire, au sommet de ses activités. C'étaient ceux qui avaient détruit en eux-mêmes la nature humaine terrestre, trop humaine, et s'étaient accomplis dans la dimension solaire.
Ils étaient venus manifester dans tout leur être la puissance qui imprègne toute chose, pour s’identifier au principe. C’est pour cela qu’ils pouvaient magiquement : « dominer le monde, les choses, la nature, les hommes, non pas de l’extérieur mais de l’intérieur […] par leur supériorité qui est la puissance » (p. 10). C'est cette connaissance que, au début du XVIIe siècle, Della Riviera proposa à nouveau à ses contemporains. Les éléments apocryphes du texte, les références aux sciences naturelles de l’époque, ou aux philosophies néoplatoniciennes et aristotéliciennes, ne représentent que l’enveloppe extérieure de ces connaissances. Leur contenu faisait référence à : « une connaissance objective suprarationnelle » (p. 13), obtenue par la réalisation. Les concessions faites par l'auteur au catholicisme et à ses dogmes lui ont permis d'obtenir un Imprimatur régulier pour l'ouvrage en question et de le diffuser librement.
Pour Evola, le traité de Della Riviera était donc la synthèse par excellence de la Voie traditionnelle vers le divin. Un outil de « travail » indispensable encore aujourd’hui pour ceux qui s’engagent dans cette voie.
Jean Sessa
Source : Pagine Filosofali
(la première édition était parue en 1603). Le livre a été publié en 1932. Ce chef-d'œuvre de la littérature hermétique est à nouveau disponible, grâce à l'édition de Sebastiano Fusco, dans la série « Orizzonti dello Spirito » des Edizioni Mediterranee (pour commander : 06/3235433,