Dans les années 1990, Renaud Dély travaillait à Libération, le quotidien gauchiste. Il y traquait le Front national. Il passa ensuite aux hebdomadaires Marianne et Le Nouvel Observateur avant de tenter l’aventure radiophonique à France Inter. Il pontifie aujourd’hui sur la chaîne télévisée Arte. Son profil dépasse le simple politiquement correct.
Renaud Dély vient de publier aux éditions JCLattès un bouquin ni fait ni à faire (on lit le Mouvement national du progrès et non le Mouvement nationaliste du progrès). Il veut peut-être terroriser les ultimes abonnés de Télérama et de Politis. Son titre ? L’Assiégé (2024, 248 p., 20,90 €). Le sous-titre est bien plus explicite : Dans la tête de Dominique Venner, le gourou caché de l’extrême droite. Ouf, on échappe à l’ultra-droite !
Dély se fait fort d’entrer dans l’esprit d’un défunt incinéré. Il ne fait que transposer ses frustrations, ses fantasmes et ses obsessions. Il appartient à cette coterie de plumitifs et d’universitaires diplômés au petit bonheur la chance. Ces gars vivent de la « bête immonde », pourtant à l’origine sociale-démocrate selon Bertolt Brecht. Sans elle, Renaud Dély couvrirait la chronique des chiens écrasés, la rubrique nécrologique et les affaires d’adultère de son patelin. Grâce à l’extrême droite, il concilie gagne-pain et militantisme. Lui et ses congénères scribouillards devraient avoir la décence de verser aux droites radicales des redevances ou des droits d’auteurs. À l’ingratitude s’ajoute chez eux la pingrerie ainsi que l’absence de la moindre reconnaissance du ventre. C’est lamentable ! Mais ne scient-ils pas la branche sur laquelle ils sont assis ?
L’auteur a l’audace de réduire la vie d’un remarquable activiste, puis d’un excellent historien méditatif en quatre chapitres : son sacrifice solennel à Notre-Dame de Paris, le 21 mai 2013; l’épopée guerrière en Algérie; l’aventure d’Europe-Action et du Rassemblement européen de la Liberté (REL); sa passion pour les différentes formes de chasse, son amitié pour François de Grossouvre, détenteur des secrets les plus inavouables de François Mitterrand, son œuvre d’essayiste et ses funérailles.
En classe de Terminale, cette pseudo-biographie vaudrait à son auteur un zéro pointé pour cause de paraphrase permanente. Il plagie en effet Le Cœur rebelle et l’agrémente de dialogues fictifs. Outre la dénonciation gratuite d’un mal-pensant selon les normes en place, il faut regretter que des personnalités-phares de la « mouvance », des intimes ou des amis proches de Dominique Venner, aient accepté de le rencontrer. Dély les remercie d’ailleurs très sincèrement. Pourquoi lui accorder un temps précieux en sachant que le résultat sera défavorable avec l’établissement d’une « légende noire » ? Aucun contact avec les stipendiés du Système médiatique d’occupation mentale ne devrait s’établir. Pas la peine que leurs affidés dénigrent dans un second temps le livre !
Certes, la superbe photographie qui orne la couverture pourrait susciter la curiosité d’un adolescent réfractaire au prêchi-prêcha du Régime. Cet attrait constituerait un point de départ intéressant d’autant que Renaud Dély donne une bibliographie non exhaustive de Dominique Venner. Le parcours de chaque livre est étonnant. Sans la découverte au milieu des années 1980 d’un ouvrage collectif dirigé par Robert Badinter, Vous avez dit fascismes ?, sorti en 1984 chez Montalba, un brûlot contre la « Nouvelle Droite », votre serviteur ne tiendrait pas la présente chronique...
Cependant, à travers l’outrage à la mémoire et à l’action de Dominique Venner, Renaud Dély vise le Rassemblement national dont les responsables connaîtraient sur le bout des doigts l’ensemble de son œuvre. Dély les accuse de pratiquer un double discours, de cacher sous couvert de « dédiabolisation », une profonde radicalité. Les marinistes pratiqueraient ainsi la taqiyya (la dissimulation). En fait, Dély n’a rien compris à son sujet. Il ne l’a pas assez lu. Si Ordre Nouveau a un instant envisagé de le mettre à la tête du futur Front national pour l’Unité française avant que la fonction n’échoit à Jean-Marie Le Pen, Dominique Venner ne se présentait jamais en souverainiste national étriqué. En mars 2013, deux mois avant sa disparition héroïque, sortait l’essai de Gérard Dussouy, Contre l’Europe de Bruxelles : fonder un État européen aux éditions Tatamis avec une préface de Dominique Venner. Pour lui, « la promotion de l’identité européenne fondera une identité recouvrante et non pas absorbante des identités antérieures. C’est alors que pourra être fondée une République fédérale européenne articulée sur l’authenticité des régions et l’effacement volontaire des États nationaux (p. 15) ». Serait-ce donc la ligne-directrice ultra-secrète de Jordan Bardella et de Marine Le Pen ? À l’aune de ce détail magistral, Renaud Dély s’égare dans son analyse superficielle. Le qualifier de « gourou », terme repris par Le Monde et L’Obs, est un véritable contresens.
Dominique Venner estime par ailleurs dans cette préface que « la seule alternative au choc systémique qui s’annonce sera un européisme capable de transcender les mouvements de rébellion et de dissidence (p. 13) ». Son œuvre et sa vie posent les fondations d’un renouveau albo-européen inéluctable. Lors de ses vœux le 31 décembre 2023, Emmanuel Macron a réclamé un réarmement nécessaire. Craignons cependant que derrière une belle intention civique et républicaine se profilent la continuité et l’accélération de la décadence occidentale libérale-libertaire cosmopolite. Dominique Venner agissait, lui, en professeur d’énergie. C’est la raison pour laquelle à Madrid, à Rome et à Kyiv, on continue à saluer cette haute figure, car son exemple constitue un repère intellectuel salutaire, un réarmement éthique, spirituel et philosophique effectif, en ces temps chaotiques. Et si on veut vraiment reproduire la méthode « délyctueuse », pourquoi ne pas entrer dans la tête de Jacques Delors, le gourou officiel de l’ultra-centrisme ?
Salutations flibustières !
GF-T
« Vigie d’un monde en ébullition », n° 99, mis en ligne le 23 janvier 2024 sur Radio Méridien Zéro.
Son lien audio est : Vigie d’un monde en ébullition #99: « L’outrage » – Méridien Zéro