Si discuté, et discutable, que soit le personnage de Jeanne d’Arc, ce qui est indiscutable, c’est qu’il est hors du commun. D’abord sans doute par le fait, non seulement de ses fameuses ‘voix’, mais par les apparitions qu’elle rapporte -saint Michel, sainte Catherine et sainte Marguerite-, dont elle précise que «ils sentaient bon» et dont elle se plaint qu’elles la harcèlent avec une mission qu’elle-même juge impossible, impensable: se présenter au Roi, le convaincre de l’aider à bouter les Anglais hors de France et le faire sacrer à Reims.
Il est historiquement incontestable que Jeanne se soit effectivement présentée au Roi, ‘revêtue d’habits masculins’, qu’elle l’ait persuadé de lui confier quelques minces effectifs pour secourir Orléans assiégée, effectifs avec lesquels elle a ensuite remporté des victoires aussi complètes qu’inattendues, qu’elle ait fait sacrer le Roi Charles VII à Reims et que, par la suite, au faîte de la reconnaissance et des honneurs, elle ait été honteusement délaissée et abandonnée aux Anglais et à une Eglise réfractaire aux positions politiques divines. Il est également incontestable qu’elle a été amenée à soutenir un long et difficile procès, avec une simplicité et une constance d’âme qui ne peuvent que forcer l’admiration, que brisée finalement et, abandonnée même par ses voix, elle a cédé à des pressions énormes, mais qu’elle s’est finalement héroïquement rétractée, avec un sens émouvant de l’honneur et que, enfin, elle est morte saintement sur le bûcher.
Voilà ce qui paraît acquis, historiquement. Voilà ce qui soulève pourtant des centaines de questions, des ‘comment se fait-il ?’, des comment peut-il s’expliquer ?’ Comment expliquer, par exemple, qu’une petite bergère, tout juste sortie de l’adolescence, monte à cheval comme un chevalier et mène les charges, qu’une petite paysanne lorraine parle au Roi et à sa cour en bon français et tienne tête dans cette langue aux juristes et aux théologiens de son tribunal ? On imagine, on échafaude des explications. Jeanne ne serait pas une paysanne. Ce serait une grande bâtarde que la Reine Isabeau de Bavière aurait eue du Duc d’Orléans. Et le Roi ne serait peut-être pas non plus le fils de Charles VI le Fou. C’est le mérite de madame Peyrebonne d’avoir accumulé dans son livre une quantité impressionnante de questions, d’explications, d’objections, de mises au point, bien entendu inégalement convaincantes, mais en tout cas très stimulantes, dont un tableau du noeud de vipères qu’était la cour de Charles VII.
‘Jeanne d’Arc, bergère, princesse ou sorcière’, Micheline Peyrebonne, éd. Dualpha 2003, 213 p., 23€, BP58 F-77522 Coulommiers Cedex, www.dualpha.com)
Article paru dans le n°61 de Renaissance européenne