Quand on veut s'imaginer la personnalité du pays normand, avant de penser à Corneille, à Gustave Flaubert ou même à Guillaume le Conquérant, la plupart des Normands (et encore plus les « Français de l'extérieur » - les « horsains » comme on dit ici) pensent à un pays fondé par les « hommes du Nord », les Vikings, et a leurs bateaux (improprement appelés « drakkars »), et naturellement les ancêtres des Normands sont venus de Norvège (même si le plus gros des Vikings installés en Normandie venait du Danemark ...).
En Normandie, cette conscience au « premier degré » est commune. (...) C'est cela un mythe: une origine quasi-fabuleuse, des ancêtres lointains, réels ou supposés qui cimentent une communauté de destin. Bien plus, il n'y aurait eu que 5000 colons Scandinaves au milieu d'une population autochtone de plus de 100 000 Neustriens, qu'importe ... que les Normands descendent des Gaulois ou des Vikings. C'est la conscience de ce mythe qui fait la Normandie. Un mythe s'oppose quelquefois à la science ou à l'histoire, jamais complètement toutefois. Il part d'un fait historique réel qui s'idéalise à travers les générations ou qui s'enracine à une « période basse » de l'histoire d'un pays.
Le folklore normand du XIXème siècle est moribond: il est essentiel qu'il survive ou plutôt qu'il revive, mais cette survie est loin d'être évidente. En ce qui concerne la langue, le normand est encore bien plus menacé que le breton; il est probable qu'il aura quasiment disparu dans une génération. Quant au mythe viking, c'est en Normandie la valeur la plus éternelle. Dans une époque où chacun recherche des racines et où règne l'attrait pour le fantastique ou le merveilleux, un tel mythe hors du commun ne peut que fasciner.
Tout mythe national s'enracine dans l'Histoire pour la transfigurer et susciter une véritable « relance » d'un sentiment qui se transforme à son tour en événement. L'avenir s'enchaîne sur le passé. Il en privilégie certains aspects et donne un éclairage qui devient parfois contrainte, exaltant et réduisant tour à tour. Le mythe devient fait.
Ainsi, ce qu'on nommera un jour l'idée nordique est-elle devenue, au fil des ans, inséparable de la réalité normande. Elle a peu à peu conquis le régionalisme jusqu'à s'identifier avec lui. L'originalité fondatrice de la Normandie se réclame d'abord de la source Scandinave.
JEAN MABIRE
Sources : ARTUS N°2-1980