Agence Pôle Emploi à Nice, août 2021 © SYSPEO/SIPA
Emmanuel Macron avance que la France serait en situation de quasi plein emploi pour justifier sa politique économique. La publication des chiffres du chômage ne fait plus l’objet de commentaires dans la classe politico-médiatique comme autrefois. Philippe Murer dénonce une vaste fumisterie.
Toute la politique de Macron, y compris la retraite à 64 ans, est justifiée par le fait que le chômage baisse et que « nous arrivons presque au plein emploi ». Puisque nous sommes presqu’au « plein emploi », baisser le niveau des allocations chômage pour les précaires, diminuer de 25% la durée de l’allocation chômage, baisser à six mois le taux plein d’allocation chômage pour les cadres est d’ailleurs tout aussi normal que de demander aux Français de travailler deux ans de plus.
La question qui se pose face à un président très malin est: ce « quasi plein emploi » qui justifie toute sa politique est-il réel ?
Première astuce de Macron: utiliser le taux de chômage selon l’Insee et non selon Pole Emploi
Quand on parle de l’Insee, tout de suite ça fait sérieux, fiable, indubitable. Le taux de chômage selon l’Insee affiche 7,3%, quasiment le plus bas depuis 40 ans : nous serions donc au quasi plein emploi.
Le problème est que ce chiffre de l’Insee n’est pas une statistique, c’est un chiffre issu d’un sondage et comme tout journaliste le sait, le chiffre que vous obtenez dépend des questions posées dans le sondage. Ainsi, ce taux de chômage de 7,3% s’accompagne d’un chiffre étonnant de 2,2 millions de chômeurs. Il y aurait donc 2.2 millions de chômeurs selon l’Insee contre environ 3 millions d’inscrits en catégorie A à Pôle Emploi et 6 millions d’inscrits en toute catégorie ? En fait, 4 millions de personnes vont s’actualiser tous les mois à Pole Emploi mais ce ne sont pas des chômeurs ! Cette petite entourloupe pourrait s’appeler : comment prendre 4 millions de Français et les autres pour des idiots.
D’ailleurs, en pleine panique du Covid, en juin 2020, aucun porte-parole du gouvernement n’a triomphalement annoncé que le taux de chômage selon l’Insee était au plus bas depuis 40 ans. Et pourtant c’était la réalité… de ce chiffre. Normal, cela nous aurait tous mis la puce à l’oreille. Comment le taux de chômage aurait-il pu passer de 8,1% à 7,1% en six mois pendant que le PIB chutait de façon violente, que les entreprises étaient fermées et les Français étaient confinés !
Ce chiffre correspond de façon de plus en plus lointaine à la réalité. Le chiffre en dur de Pôle Emploi, avec des vrais gens qui s’actualisent et donnent leur carte d’identité, montre que l’écart entre les chômeurs selon l’Insee et Pole Emploi est passé de 1,4 millions à 3,5 millions de personnes.
La deuxième astuce du gouvernement est de disperser les chiffres du chômage de Pôle Emploi en cinq catégories afin que plus personne n’y comprenne plus rien
Il y a les chômeurs en catégorie A dont parlent la télévision et le gouvernement, environ 3 millions, et il y a les autres ; ceux qui travaillent quelques heures par semaine mais qui cherchent un emploi à temps plein, ceux qui sont au chômage mais en stage de formation et ceux qui sont dispensés de rechercher un emploi pour une raison ou une autre.
Cette dispersion des chômeurs permet d’afficher un nombre de chômeurs en catégorie A de 3 millions soit un chiffre équivalent à 1995. Quel triomphe pour Macron ! Bizarrement le nombre de chômeurs en catégorie ABCD a augmenté de 2 millions entre 1995 et 2022. Et si l’on rajoute les 2 millions d’allocataires du RSA qui souvent ne sont pas inscrits à Pôle Emploi (ils n’ont pas d’allocations chômage), on arrive à un chiffre de 8 millions de chômeurs correspondant à un taux de chômage d’environ 25%. Ce n’est plus tout à fait le « quasi plein emploi ».
Troisième technique de Macron
En juin 2017, le nombre d’apprentis était d’environ 400 000, il est aujourd’hui de 800 000. C’est normal puisque c’est quasiment gratuit pour les entreprises, l’État payant un an de salaire des apprentis en entreprise. Les chefs d’entreprise profitent à raison de cette main d’œuvre gratuite. Et ça fait 400 000 chômeurs en moins et 400 000 personnes au travail en plus. Souriez, c’est vous qui payez avec vos impôts.
En juin 2017, il y avait environ un million d’auto-entrepreneurs. Les auto-entreprises se créent au rythme de 600 000 par an. On peut évaluer le stock d’auto-entrepreneurs actifs à 2,5 millions. La majeure partie d’entre eux est payée un demi-Smic pour son travail selon l’Insee alors qu’il s’agit de leur unique ressource.
Entre apprentis et auto-entrepreneurs, Macron est arrivé à cacher sous le tapis près de deux millions de chômeurs.
Il n’y a d’ailleurs pas qu’en France que les chiffres de l’emploi semblent maquillés. Aux États-Unis, les économistes de Wall Street s’arrachent les cheveux. Tous les mois depuis début 2022, l’annonce des chiffres de l’emploi donne deux chiffres très discordants. Ainsi, un chiffre annonçait pour les trois mois du deuxième trimestre 2022 300 000 destructions d’emplois quand l’autre, le chiffre médiatisé, annonçait un million de créations d’emplois et ceci quelques semaines avant l’élection de mi-mandat. La banque centrale de Philadelphie a refait les calculs et annoncé que l’administration Biden avait sans doute surestimé le chiffre de création d’emplois d’un million au deuxième trimestre [1].
L’étrange augmentation de l’emploi quand le PIB stagne
Les chiffres de l’emploi salarié de l’Insee disent que le nombre d’emplois salariés est passé entre fin 2019 et le troisième trimestre 2022 de 25,8 millions à 26,7 millions. Dans le même temps, le PIB n’a quasiment pas augmenté. Cela signifie qu’il faut presque 4% de main d’œuvre en plus pour produire la même chose. Bien sûr, une partie de l’explication réside dans les bidouillages préalablement exposés. Mais il y a une autre explication : la France comme d’autres pays occidentaux subit probablement une baisse de productivité, un des principaux moteurs de la prospérité.
C’est la micro-économie qui nous explique ce mystère. Il suffit de parler avec des salariés et des directeurs dans les moyennes et grandes entreprises. La financiarisation des entreprises, dit plus simplement le fait que nombre d’entreprises sont transformées en machines à fric par les actionnaires secondés par des PDG payés en options sur action, rend les entreprises occidentales malades de leur management. Les meilleurs partent ou sont virés car préoccupés par le client ou le produit et non par les objectifs purement financiers, la perte de sens touche toute l’organisation et la démotivation globale guette.
Si ces hausses d’emplois sans hausse de la richesse créée sont une bonne chose pour ceux qui sont embauchés, c’est pourtant un moteur clé de la prospérité qui semble s’éteindre.
L’étrange pénurie d’emplois
Il suffit d’ouvrir une radio pour entendre l’antienne : nous n’arrivons pas à recruter, il y a une pénurie d’emplois (voire l’insulte « les Français deviennent fainéants »). Je pose la question suivante à ces experts de l’économie de marché, donc de la loi de l’offre et de la demande : connaissez-vous une chose en économie de marché dont la pénurie entraîne une baisse des prix ? Visiblement oui, puisque vous parlez de pénurie de salariés avec « en même temps » une baisse des salaires (les salaires ajustés de l’inflation ont baissé d’environ 4% en France cette année). Miracle, nous venons donc de prouver que la loi de l’offre et de la demande ne fonctionne pas quand il s’agit des salaires et du fameux « marché du travail ».
La réponse réside sans doute dans l’interview vidéo de septembre 2020 du très sérieux économiste Oliver Passet, de l’Institut économique Xerfi : « Les grosses ficelles de la maîtrise du chômage. Tous ces dispositifs ne permettront pas de camoufler intégralement la vague de licenciements qui se profile… À défaut d’agir sur le réel, les économistes sont devenus des maîtres dans l’art de la déconnexion. »
Philippe Murer - 27 janvier 2023
[1] New-York Post: « Biden administration overstated Q2 job growth by 1 million: Philadelphia Fed »