Deux d'entre elles ont déposé plainte et une troisième entend le faire. L'entreprise a mis en place un numéro (0800 202 202) pour signaler des cas similaires.
"Il était très long, très fin, et n'arrêtait pas de bouger dans tous les sens." Le 18 novembre 2019, Ylonna, 3 mois, régurgite un ver long de "plusieurs centimètres" après avoir bu du lait en poudre Galliagest 0-6 mois, se remémore auprès de franceinfo sa mère, Elodie, habitante de Saint-Malo (Ille-et-Vilaine). "J'ai eu peur, j'ai été prise de panique", témoigne cette auxiliaire de vie et mère de trois enfants.
A l'époque, la situation de sa fille est préoccupante : depuis trois semaines, Ylonna ne s'alimente quasiment plus, et sa température, qui varie entre 35 et 41 °C, lui vaut une hospitalisation la nuit du 3 au 4 novembre. La découverte du ver accélère les choses : envoyée à l'hôpital de Saint-Malo par sa médecin généraliste, Ylonna subit une analyse des selles et une échographie abdominale qui ne permettent pas de découvrir d'autres parasites. L'étude du ver conclut par ailleurs qu'il s'agit d'un "parasite adulte", sans fournir plus d'informations, selon le résultat d'analyse que franceinfo a pu consulter. Et l'échantillon a depuis été "détruit par l'hôpital", regrette Elodie.
"On a vraiment eu peur de perdre notre fille", raconte, la gorge nouée, la mère de l'enfant, même si aucun lien formel ne peut pour l'instant être établi entre l'état de la fillette et le ver régurgité. L'histoire se termine bien : "Trois jours après avoir régurgité, Ylonna a recommencé à manger naturellement. Aujourd'hui, elle a 7 mois et est en bonne santé", se réjouit Elodie.
"Un ver d'un centimètre et demi, bien vivant"
Les parents d'Ylonna ont néanmoins porté plainte mardi 25 février pour "administration de susbstance nuisible à un mineur de 15 ans suivie d'incapacité n'excédant pas huit jours", selon le document consulté par franceinfo. "S'il y a un problème avec le lait Gallia, il faut qu'ils le sachent et qu'ils fassent quelque chose", justifie Elodie.
L'histoire de cette famille bretonne n'est pas isolée. Quelques jours plus tard, dimanche 23 novembre, Marine et Kevin, habitants de Sort-en-Chalosse (Landes), ont eu la désagréable surprise de trouver "une larve vivante" dans le biberon de leur bébé de 3 mois, rapporte France Bleu Landes. La boîte de Gallia relais naissance 0-6 mois avait été achetée la veille dans une pharmacie d'une commune voisine. Le couple contacte Gallia, filiale du groupe agroalimentaire Danone, en lui communiquant le numéro de production de la boîte – ce qu'a confirmé l'entreprise à l'AFP –, mais décide de ne pas porter plainte.
D'autres cas suivent. Le 4 janvier, Sarah, habitante de Bormes-les-Mimosas (Var), repère "une toile d'araignée" dans une boîte de lait Galliagest 0-6 mois alors qu'elle prépare un biberon pour son fils de 1 mois. "En secouant la boîte, je trouve au fond un ver d'un centimètre et demi, bien vivant", raconte à franceinfo cette mère de deux enfants.
"Avec mon mari, on a mis la larve dans une petite dosette et on l'a apportée en pharmacie pour se faire échanger la boîte", indique-t-elle. Contactée par franceinfo, la pharmacie confirme la présence d'un ver et indique avoir renvoyé la boîte à Gallia, à la demande de l'entreprise, pour effectuer des analyses."On se dit que ce genre de choses ne devrait pas arriver, surtout que c'est une grande marque et un très bon lait", se désole Sarah. Après avoir pris connaissance de la multiplication des cas ces dernières semaines, la jeune femme assure vouloir porter plainte lundi prochain "pour ne pas que ça se reproduise".
"J'ai essayé de garder mon calme"
Car la famille de Sarah n'est pas la dernière concernée. Dans la nuit du 11 au 12 février, à La Bourboule (Puy-de-Dôme), Stéphanie découvre "un point noir de quelques milimètres qui se déplace" dans une boîte de lait Galliagest 0-6 mois alors qu'elle prépare un biberon pour son fils Léo, âgé de 2 mois. "J'ai essayé de garder mon calme, mais j'ai tout de suite fait le lien" avec ce qui est arrivé à Ylonna, et dont elle a entendu parler dans la presse. Après avoir contacté le service client de Gallia et la pharmacie de garde la plus proche de chez ses parents, où elle est en vacances à ce moment-là, elle réussit finalement à se faire ouvrir une pharmacie en urgence pour se procurer du lait infantile et nourrir son fils.
"Dans ce cas précis, l'enfant ne semble pas avoir été malade à cause du lait, mais il est difficile de savoir car il souffrait d'une bronchiolite et avait donc de la fièvre", indique l'avocat de Stéphanie, Me Arnaud Constans, joint par franceinfo.Le magasin Auchan de La Bourboule, dans lequel la boîte de lait avait été achetée, "a indiqué verbalement avoir retiré les boîtes de lait Gallia de ses rayons", ajoute-t-il.
Stéphanie a porté plainte le 18 février au commissariat de Montrouge (Hauts-de-Seine), commune voisine de celle où ils résident, pour "mise en danger d'autrui par personne morale", selon le document que franceinfo a consulté.Une plainte a également été déposée vendredi 28 février auprès de la Direction départementale de la protection des populations (DDPP) du Rhône. "Ce qu'on cherche, c'est surtout à comprendre ce qu'il s'est passé pour que ça ne se reproduise pas, et que les autres familles qui utilisent ce produit soient vigilantes", indique Stéphanie.
Outre ces quatre exemples, un autre cas, dans les Bouches-du-Rhône, a été rapporté par RTL. Mais franceinfo n'a pas été en mesure de vérifier cette information.
Une contamination en dehors de la chaîne de production, selon Danone
Contacté par franceinfo, Florent Lalanne, directeur des affaires médicales de Danone, qui fabrique le lait infantile concerné, indique que l'entreprise "prend cette question très très au sérieux car la santé de l'enfant en bout de chaîne est notre souci premier".
"Dans la chaîne de production, l'ensemble de la poudre de lait n'est jamais en contact avec l'air et est conditionnée sous atmosphère protectrice où le pourcentage d'oxygène, de l'ordre de 2%, est très faible, ce qui rend impossible pour un organisme vivant de se développer", détaille-t-il. "Une vingtaine de procédures de contrôle sont menées sur chaque produit, avec une centaine de critères" avant que ces derniers quittent l'usine, ajoute-t-il.
"L'essentiel pour nous, c'est de pouvoir avoir accès aux boîtes de manière à pouvoir effectuer des analyses pour comprendre comment ces larves peuvent venir se loger dans le produit", indique également Florent Lalanne, en invitant les familles touchées à contacter l'entreprise via un numéro de téléphone (0800 202 202) ou le site laboratoire-gallia.fr.
Les deux lots utilisés par les familles des Landes et du Puy-de-Dôme, qui ont contacté Gallia, ne proviennent pas de la même référence de lait, mais ont été produits sur un même site, à Wexford (Irlande), précise le responsable des affaires médicales de Danone.
Les "analyses internes" conduites grâce aux numéros de lot communiqués par ces deux familles "ont montré une conformité du site de production, ce qui nous suggère très fortement une contamination dans la suite du processus" lors dutransport, du stockage ou du circuit de distribution, assure Florent Lalanne.
Un cas semblable en 2018
Ces exemples ne sont pourtant pas une première : un cas similaire avait été rapporté par20 Minutes en novembre 2018. A l'époque, une famille du Val-de-Marne avait découvert une larve vivante dans une boîte de lait en poudre de la marque Gallia après avoir remarqué que leur fille de 6 mois souffrait de maux de ventre. "On essaye de comprendre ce qu'il s'est passé. Toutes les autres boîtes de ce lot produit en avril 2018 ont été vendues. Et, depuis, nous n'avons eu aucune autre réclamation", avait alors indiqué un porte-parole de Danone.
Interrogé sur ce cas, Florent Lalanne assure que "des investigations ont eu lieu" et ont conclu à "la conformité du produit". "On a contacté la famille à de multiples reprises mais nous n'avons pas réussi à récupérer la boîte" et l'affaire s'est donc arrêtée là, assure-t-il.
Il est assurément trop tôt pour prévoir où conduira véritablement, et jusqu'où ira, la volonté affichée du gouvernement turc d'inonder l'Europe de réfugiés et d'immigrants. Certains prenaient peut-être jusqu'ici cette menace, maintes fois réitérée par Erdogan, pour une rodomontade qui ne serait jamais mise à exécution. Sur la forme la tradition ottomane retrouvée ne se dément pas. Et c'est sans doute ce qui, le 28 février en fin de matinée encore, amenait le secrétaire général de l'Otan Jens Stoltenberg à exprimer la "totale solidarité" des membres du Conseil Atlantique avec leur inconstante et infidèle alliée.
Après un entretien téléphonique du 27 avec Mevlut Cavusoglu, ministre des affaires étrangères à Ankara, l'article 4 du traité signé à Washington en 1949 avait même été invoqué. Or, c'est dans l'affaire syrienne que la clause était supposée fonctionner. Depuis 2011, Erdogan en compagnie des islamistes, prétend défendre les droits de l'homme dans ce pays, contre ce que les médias ont pris l'habitude d'appeler l'armée du régime, élément de langage désignant tout simplement l'armée régulière, d'un pays juridiquement souverain depuis 1946, détaché de l'Empire ottoman depuis le traité de Sèvres.
Or, dès le lendemain 29 février, encouragés sans doute par cette affirmation hasardeuse d'une complaisance de principe, les agents du pouvoir d'Ankara déclenchaient, depuis Istanbul, la marche vers l'Europe de milliers d'illégaux.
L'activation du chantage migratoire a donc d'ores et déjà introduit une nouvelle dimension dans les relations avec la Turquie. Et cette perspective ne sera pas si facilement éliminée. Tout le monde a compris en effet, qu'en fonction des développements futurs, et si son utilisation devait demeurer impunie, cette arme d'un genre nouveau sera activée chaque fois que l'actuel gouvernement d'Ankara et les réseaux des Frères musulmans la jugeront utile. Ceci jusqu'à ce qu'un mécanisme éliminatoire intervienne.
Même la très incertaine, et si souvent incohérente, Merkel se sait obligée de réagir. Elle doit se prémunir elle-même contre la poussée protestataire qui s'est exprimée dans divers scrutins au niveau des Länder. Elle demeure certes encore accrochée à une chancellerie où elle a fait plus que son temps. Elle sait que sa maladroite politique d'accueil affirmée en 2015 avait déjà engendré son recul dans l'opinion populaire, au mépris de ce qui avait, au contraire par le passé consolidé sa popularité, quand en 2011 elle avait constaté l'échec du modèle multiculturel "Multikülti".
C'est ainsi que le 2 mars, lors d'une conférence de presse à Berlin, Steffen Seibert au nom du gouvernement allemand a voulu affirmer que l'Union européenne attend de la Turquie qu'elle respecte l'accord turco-européen de 2016. Car celui-ci visait à empêcher les migrants d'atteindre l'Europe, et pour cela environ 3,2 milliards d'euros ont déboursés par les contribuables européens pour défrayer Ankara et, notamment, équiper sa flotte de garde-côtes."Nous sommes convaincus de la valeur de l'accord et nous attendons qu'il soit respecté", déclare un peu platement le porte-parole de Merkel.
Ce concept semble très au-dessous d'une situation qui ressemble de plus en plus à une invasion organisée. Elle justifie amplement la requête du gouvernement d'Athènes sur le fondement de l'article 78-3 du traité de l'Union européenne, qui prévoit de façon explicite le cas précis.
Notons cependant sa rédaction très molle : "Au cas où un ou plusieurs États membres se trouvent dans une situation d'urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut adopter des mesures provisoires au profit du ou des États membres concernés. Il statue après consultation du Parlement européen."
C'est en cette occasion que le politiquement-islamiquement correct ne manquera pas de chercher à invoquer la convention de 1951 et l'obligation pour l'Europe d'accueillir et de répartir "toute la misère du monde".
Oui l'Europe est au pied du mur, et c'est au pied du mur qu'on voit le maçon.
Toutes les îles grecques de la mer Égée, jusqu'à Rhodes et jusqu'à la république de Chypre, de même qu'en Méditerranée occidentale les îles de Lampedusa, Malte et le rocher de Gibraltar devraient être désormais, solennellement, proclamées inviolables sentinelles européennes, à défendre solidairement contre toute attaque venue de l'Orient.
Si cette doctrine n'est pas affirmée et mise en pratique, non seulement par Frontex mais par tous les moyens disponibles, ce seront ensuite la Sicile, la Sardaigne, la Corse, les Baléares, puis la Bulgarie, la Provence ou la Campanie.
Les Européens responsables, cela existe, l'ont compris et ils proclament, enfin, leur solidarité.
Depuis le début de l'épidémie, plusieurs journalistes indépendants, dissidents politiques et lanceurs d'alerte ont été interpellés. Beaucoup ont été assignés à résidence ou placés en quarantaine forcée.
Fang Bin n'a plus donné signe de vie depuis 15 jours. L'homme d'affaires chinois, reconverti en journaliste indépendant pour couvrir l'épidémie de Covid-19 à Wuhan, a disparu des radars, le 9 février. La télévision publique hongkongaise RTHK(en chinois) croit savoir qu'il a été interpellé chez lui. Des pompiers auraient fracturé sa porte pour ouvrir le passage à des policiers en civil, détaille la chaîne. "Fang Bin a révélé la réalité de l'épidémie que le gouvernement voulait taire, accuse un de ses proches, interrogé par franceinfo. Il s'est battu pour la vérité. Les autorités n'ont pas accepté qu'un homme les défie de la sorte."
Pour rassurer les Chinois et le reste du monde sur sa gestion de l'épidémie, le régime s'est engagé dans une bataille de l'information. Lors d'un discours prononcé le 3 février – publié douze jours plus tard par l'agence de presse chinoise –, Xi Jinping a proclamé "une guerre populaire"qui doit s'appuyer sur la "stabilité sociale". Le président chinois a promis de "sévir contre ceux qui profitent de l'épidémie pour lancer des rumeurs".
Cette déclaration s'est traduite par une explosion de la censure sur les réseaux sociaux et l'interpellation quasi systématique de ceux qui tentent de la braver. Le cas le plus emblématique est celui du médecin Li Wenliang, le lanceur d'alerte qui a révélé au monde l'existence de l'épidémie quand les autorités locales tentaient encore d'en dissimuler l'ampleur. Avant de succomber à la maladie, contractée dans l'hôpital où il travaillait, il avait été interpellé et forcé à signer un procès-verbal dans lequel il avouait avoir "perturbé l'ordre social" en colportant des "rumeurs".
Interpellation filmée
Avant de disparaître, Fang Bin a lui aussi été accusé par les autorités chinoises de répandre des "fausses informations". En cause : une vidéo postée sur YouTube – dont l'accès est bloqué en Chine – le 1er février. Sur les images filmées dans un hôpital de Wuhan, on voit le reporter compter les corps disposés dans des sacs mortuaires, à l'intérieur d'une camionnette. On suit Fang Bin dans les couloirs de l'hôpital, où il rencontre un homme en sanglots. "C'est mon père", gémit ce dernier, prostré devant la dépouille d'un homme âgé que les médecins n'ont pas pu ranimer. Bouleversante, la séquence suscite une vague d'émotions sur les réseaux sociaux.
Quelques heures après la mise en ligne de ces images, le journaliste citoyen reçoit la visite des autorités chez lui. "Qui êtes-vous ?", demande Fang Bin aux hommes équipés de masques et de combinaisons postés derrière sa porte, tout en filmant la scène. "Vous vous êtes rendu dans un lieu très dangereux. Vous auriez pu être infecté" par le virus, martèlent-ils. "Ma température est normale !", réplique le journaliste, exigeant qu'on lui montre un mandat d'inspection. Les hommes masqués finissent par interpeller Fang Bin, hors caméra.
Ce n'est pas une première pour l'homme d'affaires. Avant de couvrir l'épidémie de coronavirus à Wuhan, Fang Bin s'était déjà engagé contre le gouvernement chinois : "Il a milité pour la défense des pratiquants du Falun Gong [un mouvement spirituel réprimé en Chine] et est venu en aide à des activistes détenus par le gouvernement, raconte son ami. Par le passé, Fang Bin a déjà été détenu par les autorités pendant plusieurs mois."
Il connaît les méthodes de la police, c'est pour ça qu'il a filmé l'interpellation. Le gouvernement est sous pression, car Fang Bin a l'opinion publique avec lui.Un ami de Fang Binà franceinfo
A sa libération, le lendemain, il raconte son interrogatoire au Los Angeles Times (en anglais). D'après son récit, les hommes qui ont frappé à sa porte n'étaient pas des médecins, mais bien des policiers, qui l'ont accusé de recevoir de l'argent d'organisations étrangères pour faire ses vidéos. Son matériel électronique a été confisqué et Fang Bin sommé d'arrêter de "répandre la panique". Fang Bin continue de mettre en ligne des vidéos. Jusqu'à sa disparition, le 9 février.
"Devant moi il y a le virus, derrière moi le pouvoir"
Chen Qiushi n'a plus donné de nouvelles à ses proches depuis le 6 février. L'avocat de formation de 34 ans, est journaliste indépendant depuis 2019, quand il s'est rendu à Hong Kong pour documenter les manifestations pro-démocratie. Fin janvier, il parvient à se rendre à Wuhan, juste avant le placement de la ville en quarantaine. Avec son smartphone monté sur une perche à selfie, il se rend dans les hôpitaux et filme les conditions de prise en charge des patients, le manque de masques et de matériel de dépistage.
L'exercice est périlleux : en Chine, les reporters doivent disposer d'un certificat officiel, délivré aux seuls journalistes qui travaillent pour des titres de presse autorisés. "Ces journalistes indépendants devraient être encouragés et protégés pour produire de l'information accessible à tous, mais le gouvernement leur impose une censure stricte", regrette Renee Xia, directrice de l'ONG Chinese Human Rights Defenders (CHRD), basée à Washington. Banni des réseaux sociaux chinois, Chen Qiushi contourne la censure grâce à un VPN (un logiciel qui permet de modifier sa géolocalisation) pour poster ses vidéos sur Twitter et YouTube. "C'est un homme très courageux", affirme un de ses amis qui milite en ligne pour sa libération.
Malgré les risques, il estime que son devoir de journaliste consiste à foncer en première ligne dès qu'il se passe un événement, pour voir et témoigner de la vérité.Un proche de Chen Qiushià franceinfo
A Wuhan, Chen Qiushi se sent rapidement menacé. "J'ai peur. Devant moi, il y a le virus et derrière moi, il y a le pouvoir chinois. Aussi longtemps que je serai dans cette ville, je continuerai à témoigner", lance-t-il, au bord des larmes, dans une vidéo publiée le 30 janvier. "Je vais être direct : Je vous emmerde ! Je n'ai pas peur de la mort. Vous pensez vraiment que j'ai peur de vous, le Parti communiste ?"
Conscient des risques, son entourage correspondait très régulièrement avec lui pour s'assurer qu'il était en sécurité. Lorsqu'il ne répond plus, des amis se rendent dans son appartement mais trouvent porte close, comme l'explique dans une vidéo Xu Xiaodong, un champion de MMA qui gravite autour du journaliste.
Inquiète, sa mère lance un appel à l'aide sur les réseaux sociaux. Elle est finalement contactée par les autorités, qui lui annoncent que son fils a été placé en quarantaine pour raisons médicales. Pour ses proches, le motif de sa disparition est autre. "Je lui ai parlé juste avant et il était en bonne santé, ils veulent juste le faire taire", accuse son ami. Sa quarantaine devait prendre fin le 19 février, mais le trentenaire n'a toujours pas donné signe de vie.
"Résistez, citoyens !"
Difficile de savoir combien de Chinois ont, comme eux, disparu. Contrairement à Chen Qiushi et Fang Bin, de nombreux lanceurs d'alerte et critiques du pouvoir ont été arrêtés sans attirer l'attention des médias occidentaux. C'est le cas de l'ancien prisonnier politique Ren Ziyuan, interpellé le 13 février pour avoir critiqué en ligne la gestion de l'épidémie par le pouvoir chinois. Xu Zhiyong, autre figure de la contestation chinoise, a quant à lui été arrêté le 15 février.
Selon un décompte de CHRD, en date du 7 février (et qui n'a pas pu être actualisé depuis), 351 personnes ont été "punies" pour "propagation de fausses rumeurs" sur le coronavirus. "Beaucoup de ces affaires ont donné lieu à des détentions administratives allant de trois à quinze jours", explique Renee Xia, la directrice de CHRD.
Nombreuses sont les personnes qui, après avoir posté des messages critiques sur internet, ont été emmenées au poste de police, où elles ont été questionnées, intimidées ou assignées à résidence sous prétexte d'une mise en quarantaine.Renee Xia, directrice de CHRDà franceinfo
Le juriste Xu Zhangrun, un des rares intellectuels à avoir remis en cause publiquement la politique de Xi Jinping, en a fait les frais. D'après le Guardian(en anglais), l'universitaire a été privé de ses moyens de télécommunication à son retour à Pékin, après un séjour dans sa province natale. "Il a été confiné chez lui au prétexte qu'il devait être placé en quarantaine", a affirmé un témoin au journal britannique.
Mesure sanitaire ou tentative de musellement ? Deux semaines avant d'être assigné à résidence, Xu Zhangrun avait publiéun essai passionné(en anglais) sur la gestion de l'épidémie, dans lequel il dénonçait un "régime corrompu" ayant favorisé "l'inefficacité et le chaos ". Conscient des risques encourus, il concluait ainsi son texte : "Il est maintenant facile de prévoir que je vais faire l'objet de nouvelles sanctions. En fait, ceci pourrait bien être mon dernier texte."
Une prémonition partagée par Fang Bin. Juste avant de disparaître, le journaliste indépendant a publié sur sa page YouTube une étrange vidéo de 13 secondes. On n'y voit rien d'autre qu'un message inscrit sur une feuille de papier : "Résistez, citoyens ! Reprenez le pouvoir au gouvernement et rendez-le au peuple".
La Turquie maintiendra ses frontières avec l'Europe ouvertes pour permettre aux migrants de passer, a affirmé samedi 29 février le président turc Recep Tayyip Erdogan, reprochant à l'Union européenne de ne pas suffisamment aider Ankara à porter le fardeau. La Turquie «ne peut faire face» à une nouvelle vague de réfugiés syriens, a-t-il également dit.
«Nous n'allons pas fermer les portes», a déclaré Erdogan, affirmant que 18.000 migrants avaient déjà franchi celles-ci pour traverser vers l'Europe depuis vendredi, un chiffre impossible à confirmer.
Le président turc a également dit avoir sommé la Russie de s'«ôter de son chemin» en Syrie. Erdogan s'est entretenu avec Vladimir Poutine lors d'un entretien téléphonique après la mort de nombreux soldats turcs en Syrie. «J'ai dit à Poutine : 'Que faites-vous là-bas ? Si vous voulez établir une base, allez-y, mais ôtez-vous de notre chemin. Laissez-nous seul à seul avec le régime (syrien)'», a déclaré Erdogan, ajoutant que les forces syriennes «paieront le prix» de leurs attaques contre l'armée turque.
La variété des conceptions rend difficile tout effort de synthèse. Depuis le simple syndicat mixte qui englobe tous les éléments professionnels et qui a « pour principe essentiel la liberté » (1), jusqu'au « corporatisme pur » qui fait de l'Etat lui-même une sorte de super corporation (2), nous trouvons toute une gamme de doctrines. Les unes s'inspirent du Moyen-âge, insistant sur la paix sociale et la moralité ; elles ont parfois un certain parfum de romantisme et de poésie. Les autres visent à être scientifiques, mettent l'accent sur la recherche du bien commun et la restauration du principe d'autorité ; elles ont de la force, voire de la rudesse. Beaucoup sont sommaires, se bornant à critiquer des thèses adverses et à nous fournir des esquisses de réglementation pratique, applicables à des cas déterminés.
La variété des doctrines étrangères.
Il est surprenant qu'il y ait aussi diversité de doctrines dans le pays qui passe pour un modèle de réalisation corporative : l'Italie.
A en croire G. Arias (3), les fins publiques se substituent aux fins privées dans le régime corporatif, au point que l'individu, lors des choix par lesquels il exerce son activité, se laisse guider par sa « conscience corporative » et non par son intérêt personnel, et que l'entrepreneur se conforme à ce qu'il croit être l'intérêt public (4).
Suivant Fovel (5), le corporatisme est une doctrine productiviste, c'est-à-dire d'augmentation de la production. Dans ce but, il convient d'éliminer le revenu du capital. Cette thèse est donc avant tout anticapitaliste.
Pour Ugo Spirito (6), l'Etat moderne n'est ni transcendant, comme en régime libéral, ni bureaucratique, comme en régime socialiste, il n'est pas surajouté à l'individu, il est la nation elle-même qui absorbe l'homme par l'intermédiaire de la corporation. L'économie se trouve subordonnée à l'Etat ainsi compris et tous les phénomènes économiques sont systématisés en vue de fins d'ordre étatique. La corporation se présente à la fois comme une solution des antagonismes « public-privé » et « capital-travail » ; elle aboutit à une fusion de l'individu et de l'Etat du point de vue économique.
Comme le remarque G. Arias avec raison et non sans vivacité, cette dernière conception est contraire à celle qui inspire la Charte du Travail italienne. Celle-ci, en effet, dans la déclaration VII, affirme le principe de l'initiative privée et distingue nettement l'individu et l'Etat du point de vue économique. « Les organisateurs d'entreprises, lit-on, sont responsables vis-à-vis de l'Etat de la direction de la production. »
Passons à des auteurs moins hardis. Marco Fanno regarde la corporation comme un moyen de remédier aux crises, c'est-à-dire aux fluctuations des prix dans le temps. Il découvre la cause de ces mouvements dans un fait structurel qui est non pas précisément la longueur du processus de la production, dont certains économistes français ont parlé, mais la différence dans la durée des cycles productifs des biens instrumentaux et de ceux des biens directs (de consommation). Les variations de la demande de ces derniers biens se répercutent de manière inégale à travers les stades de la production, en sorte que les chefs d'entreprise, isolés, commettent de multiples erreurs de calcul et ne parviennent pas à ajuster leur offre à cette demande ultérieure changeante. La corporation, ayant une vue globale des entreprises, est à même de mieux connaître, de mieux calculer, de mieux prévoir, et d'imposer une discipline de l'offre (7).
En généralisant la conception de Marco Fanno, on peut se faire une idée de celle d'Ugo Papi qui fait du corporatisme une doctrine d'assurance non seulement contre la crise, mais contre tous les risques économiques. Cette assurance porte sur l'individu et sur l'affaire elle-même : elle vise les revenus à leur source (8). La propriété privée, l'initiative individuelle, la faculté d'épargne sont préservées, mais une « discipline unitaire » est instituée. Par exemple, la corporation décide s'il convient ou non, en raison de la situation du marché, de permettre la création ou l'extension d'une entreprise.
Ugo Papi n'ignore pas que le système corporatif fait surgir une nouvelle bureaucratie et il recommande une « réduction systématique du coût », conformément à la déclaration VIII de la Charte du Travail, c'est-à-dire l'obtention d'une production plus économique et non la simple amputation des revenus existants. Pour y parvenir, il compte sur l'intervention de l'Etat, non pas « occasionnelle et incohérente sous la pression des intérêts les plus puissants », mais « ordonnée et consciente des répercussions », conformément au double principe d' « intégralité dans la tutelle des intérêts existants » et « d'adhérence à la réalité du marché ». Ces deux normes correspondent au quatrième caractère général que nous avons indiqué ; elles signifient que les dirigeants du système, grâce à la vue d'ensemble qu'ils possèdent, d'une part contrôlent toutes les activités de manière à obtenir leur meilleur aménagement, et d'autre part règlent leur action d'après les conditions du milieu sans obéir à des dogmes.
Particulièrement instructive pour nous est la thèse d'Agostino Lanzillo (9), car elle se situe aux antipodes de celles de Fovel et de Spirito ; elle est réaliste et prouve que le corporatisme d'association avait d'éminents partisans dans l'Italie de 1936.
Selon cet excellent auteur, la corporation est un « regroupement des entreprises, des forces de travail, des activités, des échanges, sous le contrôle de l'Etat, par grandes branches de la production, en vue d'une coordination rationnelle des entreprises et des facteurs de production et d'une distribution équitable du produit dans la sphère des intérêts économiques et moraux de la Nation ». La corporation n'est pas un organe d'Etat, au contraire, elle est autonome par essence et même elle se présente comme « la négation dialectique de l'Etat » puisqu'elle apporte une « solution intégrale des problèmes de structure » et exerce ses fonctions « en dehors de l'Etat et même, s'il y a lieu, contre l'Etat ».
Malheureusement, « la structure corporative italienne présente le défaut d'être née par la volonté de l'Etat », elle n'est pas sortie de « l'humus social ». D'où des incertitudes à ses débuts. Mais la corporation ne doit pas préparer une planification qui serait une préface du socialisme. Elle n'est ni révolutionnaire, ni anticapitaliste, elle apporte une heureuse solution « à la contradiction qui existe entre les exigences de la vie sociale et l'incapacité de l'Etat ».
A. Lanzillo nous apporte donc une théorie remarquable de corporatisme anti-étatiste.
Filippo Carli rapproche l'économie corporative de l'économie néo-classique (10). D'après lui, la psychologie de l'individu est en partie déterminée par les groupes auxquels cet individu appartient, notamment par l'Etat, synthèse des citoyens et fait spirituel. La recherche de l'équilibre ne doit pas être rejetée, elle doit au contraire être étendue, de manière à obtenir un équilibre à la fois dynamique et multiple, c'est-à-dire « économique, éthique, psychique, démographique, juridique ». L'ordre économique n'est que l'aspect hédonistique de l'ordre politique. Le théoricien peut retenir cet aspect pour étudier une « économie pure » du corporatisme. L'homo corporativus, sujet d'une telle économie, procède à des calculs analogues à ceux auxquels se livre l'homo economicus, mais en tenant compte à la fois de ses intérêts et de ceux de la corporation dont il dépend (calcul hédonistique synthétique). L'économie orthodoxe n'est pas niée, elle est complétée.
Cette manière de présenter le problème est très acceptable, car l'économiste a toujours la faculté d'abstraire pour mieux étudier, mais il est à peine besoin de remarquer que l'homme réel tient généralement peu de compte des intérêts de son groupe lorsque celui-ci est très étendu, ce qui est le cas de la corporation. Un tel fondement doctrinal donne naissance à de grandes difficultés. Les prix, par exemple, doivent être coordonnés de manière à satisfaire aux exigences à la fois des individus et des groupes.
Pour F. Vito, l'économie politique étudie les moyens de parvenir à certaines fins et ces fins, qu'il résume dans les mots « justice sociale », sont des données morales et politiques. La justice est satisfaite lorsqu'une compensation est offerte à quiconque fournit un effort utile à la société et non à l'entreprise. Par exemple, le salaire est rémunéré d'après l'utilité sociale de la prestation accomplie et non conformément à l'intérêt pécuniaire de l'entrepreneur, en d'autres termes, selon la productivité sociale et non selon la rentabilité individuelle. La corporation est l'instrument qui, sous l'égide de l'Etat, « assure la discipline unitaire, organique et totalitaire de la production », en appliquant l'activité à des buts d'intérêt national (11). Les pouvoirs publics, on le voit, ont une mission difficile à remplir : préciser les fins et inciter les individus à les atteindre. L'économique est le
corollaire d'une éthique et d'une politique (12).
Théoriquement donc, l'économie corporative ainsi comprise n'est pas purement et simplement étatiste. « Tout en conservant l'initiative individuelle et la propriété privée, on cherche à obvier aux désordres de la concurrence grâce à l'instauration d'un système de discipline de la production dans lequel les intéressés conservent le rôle principal. Tel est le système de l’autodiscipline de la production institué par le corporatisme » (13). Il y a là une forte base individualiste : le salut doit en principe venir d'un acte de volonté.
Mais les corporatistes ne croient pas au jeu des automatismes et à l'harmonie des intérêts ; à cet égard, la divergence éclate avec les classiques : « Dans l'Etat corporatif qui considère l'homme tel qu'il est, l'initiative privée n'est pas niée, elle est reconnue en tant qu'elle s'accorde avec les intérêts de la collectivité » (14). Mais s'accorde-t-elle d'elle-même ? Le corporatiste se méfie des tendances naturelles à l'homme, consacrées par de mauvaises habitudes, et recourt à l'Etat pour les combattre. Cette direction étatiste s'exerce par l'intermédiaire de la corporation et là est la différence avec les associations à caractère de monopole : ces dernières s'orientent vers la défense des intérêts privés, tandis que la corporation est orientée vers l'intérêt national. Et c'est ainsi que l'étatisme s'étend, soit temporairement si on regarde l'homme comme capable de s'amender et d'aboutir à l'autodiscipline souhaitée, soit définitivement si l'on est moins optimiste. « L'organisme typique à qui est confié le soin de discipliner la production dans le système italien est la corporation, bien que cette discipline soit exercée directement par l'Etat dans certains secteurs à titre temporaire ou définitif » (15).
Remarquons que la théorie, ainsi comprise, se présente toujours comme celle d'une économie de bien-être, mais en précisant « bien-être collectif » ; elle n'est pas a priori une économie de puissance, bien qu'elle le soit devenue en Italie. Elle repose sur ce postulat que l'Etat, à défaut de l'individu isolé ou groupé, sera capable d'orienter le système de manière à obtenir le bien-être et en même temps la justice. Que l'individualisme n'y parvienne pas complètement, c'est l'évidence même ; l'homme est récompensé non seulement suivant son mérite, mais encore suivant sa chance ; il ne peut en être autrement dans un système de liberté relative, car on ne saurait supprimer le hasard sans instaurer un régime d'autorité totale. Mais que les dirigeants soient capables de faire mieux, c'est une autre question. L'action du hasard peut être considérée comme la rançon de cette liberté dont chacun profite et qui est source à la fois de responsabilité et de risques. Chacun n'a, en principe, qu'à s'en prendre à lui-même s'il ne parvient pas à ses fins, et l'Etat, toujours présent dans une société individualiste, a pour rôle de remédier aux conséquences fâcheuses des circonstances imprévues. Nous n'avons ici ni à décrire, ni à défendre ce système qui a incontestablement de la grandeur, puisqu'il repose sur une notion de personnalité humaine, mais nous sommes fondés à nous demander si les résultats de l'action corporative, temporairement ou définitivement étatiste, seront tels qu'ils compenseront la perte de la liberté individuelle. Le bien-être collectif repose sur une augmentation de la production, qu'aucune contrainte et sans doute aucune persuasion ne permet d'obtenir aussi bien et aussi vite que l'intérêt personnel ; la justice sociale repose, comme le veut M. Vito, sur une rémunération conforme à l'utilité sociale de la prestation accomplie. Mais comment apprécier cette utilité ? C'est aux dirigeants à le faire. Tout dépend de la qualité des agents chargés de la direction et c'est un problème d'élite qui se pose, problème auquel nous sommes constamment ramenés dans notre société actuelle, quel que soit le régime adopté.
Si de l'Italie nous passons au Portugal, autre pays corporatif qui a récemment attiré les regards, nous trouvons des idées analogues à celles que nous venons d'exposer. Citons quelques excellents auteurs : M. Caetano, C. Gonçalves, M. de Figueiredo, Da Costa Leite Lumbrales, José Joaquin Teixera Ribeiro, Pereira dos Santos. Le premier de ces écrivains notamment (16) explique que le corporatisme est un système comportant une conception complète d'organisation sociale. D'après lui, il existerait une sociologie corporative dont se détacheraient une économie corporative, une politique corporative et un droit corporatif. Le principe de cette sociologie serait personnaliste. La distinction entre l'individu et la personne, qui est en honneur aujourd'hui parmi les tenants du personnalisme et qui leur permet de faire figure d'adversaires à la fois des anciens libéraux et des modernes socialistes, était faite déjà par des auteurs portugais. La « personne » serait l'homme concret et social par opposition à « l'individu » qui correspondrait à un être économique abstrait et isolé (17). L'économie corporative est donc « intégraliste » puisqu'elle concerne l'homme « intégral », elle est morale et sociale, elle doit servir à des fins supérieures. Ainsi le capital a pour but l'utilité sociale, c'est-à-dire doit être socialement productif ; là seulement est sa justification. L'Etat corporatif, de son côté, unit un pouvoir fort et unitaire à une large décentralisation des fonctions administratives conférées à des entités juridiques autonomes sous la tutelle du Gouvernement.
L'économie corporative comme économie de groupes.
Essayons de dégager les grandes lignes d'une théorie de l'économie corporative : celle-ci nous apparaît essentiellement comme une économie de groupes, qu'elle soit d'Etat (imposée) ou d'association (spontanée). Elle se présente comme une extension et une accentuation du mouvement de concentration que l'on constate à l'époque moderne dans l'industrie et le commerce.
La corporation peut faire partie d'autres groupements ou elle-même être divisée en groupements, mais elle demeure l'unité du système.
Le point de vue économique.
Dans l'ordre économique proprement dit, tout dépend de la réalisation d'un équilibre entre les groupes et non plus entre les individus.
Insuffisances et dangers du corporatisme d'association.
S'il s'agit d'un corporatisme d'association, la lutte entre les entreprises, que déplorent les adversaires du libéralisme, est remplacée par une lutte entre les collectivités. Celles-ci elles-mêmes ne sont parfois que des façades, car dans tout groupement il existe des entreprises particulièrement puissantes et actives, des « centres de force », comme l'écrit Pantaleoni, qui font prédominer leurs propres intérêts (18). Le monopole, si amèrement reproché aux individualistes, est généralisé, renforcé, sanctionné. Le « jugement corporatif » risque d'être un jugement hédonistique collectif et même individuel dans le cas dont nous venons de parler. Les corporations ont sur les cartels ce surplus de force qui leur vient du nombre et de la cohésion de leurs membres. Déjà les cartels, dit-on, réalisent une économie de groupes, mais ils réussissent rarement à englober toutes les entreprises de
la branche de production envisagée, une concurrence résiduelle ou potentielle subsiste, et bien souvent des concurrences partielles se perpétuent même entre les entreprises cartellisées en portant sur la qualité, la présentation, les délais de livraison, etc... Dans la plupart des cas, nous sommes aujourd'hui en face de ces « marchés imparfaits » sur lesquels s'est exercée la sagacité des modernes économistes. Le système corporatif au contraire ne laisse plus qu'une alternative entre deux formes de monopole dont nous aurons à parler.
Enfin, en raison de sa cohésion, le groupe est puissant et il est doué, comme tous les organismes vivants, d'une force d'expansion dont les grandes entreprises privées nous fournissent maints exemples (19). L'autodiscipline devrait consister alors en une autolimitation, bien improbable d'ailleurs, car on sait quels entraînements subissent les individus comme les collectivités en périodes de prospérité. Il ne suffit pas d'avoir une conception de l'intérêt général pour modérer sa marche quand la route est belle et l'horizon clair, il faut une connaissance, assez peu répandue de nos jours, des nécessités du rythme.
L'action du groupé sur les prix.
Un tel groupe monopoleur va exercer son action sur les prix. Quand les corporations se trouvent en présence d'éléments non corporatisés, elles tendent à imposer leurs prix, quand elles ont à faire à d'autres corporations, elles se heurtent plus ou moins violemment à elles. D'un côté, monopole unilatéral, de l'autre, monopole bilatéral.
Le cas du monopole unilatéral.
a) La théorie du monopole a été exposée avec soin dans le courant de ces dernières années par un grand nombre d'économistes et nous n'avons pas à y revenir (20).
Plaçons-nous dans l'hypothèse la plus favorable en supposant que le Comité directeur du groupe ait acquis le sens de l'intérêt général et ne cherche pas à obtenir uniquement le gain maximum. Il évitera toute sous-production rentable, c'est-à-dire qu'il s'abstiendra de réduire la production dans le cas où, grâce à une certaine rigidité de la demande, l'augmentation de valeur correspondant à la rareté croissante de l'offre ferait plus que compenser la contraction du volume des ventes (21).
Nous pouvons admettre dans ce cas que les dirigeants de bonne volonté désireront découvrir le prix normal, forme moderne du juste prix médiéval, qui a hanté nos hommes d'Etat depuis bien des années. Après avoir essayé de traquer le bénéfice anormal, nos législateurs ont visé ce prix normal par la loi du 19 août 1936 relative aux denrées de première nécessité en le considérant comme égal à la somme du coût réel et du bénéfice légitime (« rapport qui doit exister entre le prix d'achat et le prix de revente » art. 7). Ils étaient sur ce point d'accord avec la conception vulgaire et c'est ainsi sans doute que raisonneraient les chefs bien intentionnés des grandes unités corporatives. Or il y a là des dangers.
D’abord le calcul du prix de vente doit se faire d’après le prix de remplacement des marchandises et non d’après le prix de revient sous peine de conduire à la ruine, en temps de hausse des prix, les entreprises dont la trésorerie est étroite. C’est pour parer à ce grave inconvénient que de bons esprits ont proposé la constitution d’un stock de base ou stock-outil, ensemble de marchandises à l’état de matières premières, de produits semi-ouvrés ou de produits finis, dont l’importance serait proportionnelle à celle du matériel et à celle du chiffre d’affaire de l’entreprise. Ce fonds de roulement devrait être maintenu en nature, non en valeur monétaire. Le supplément de bénéfices, après les prélèvements nécessaire à ce maintien, serait seul retenu pour le calcul des bénéfices normaux (22).
Si, au lieu d’envisager une période de hausse, nous supposons qu’une dépression mondiale survienne et entraîne un fléchissement des revenus nationaux, les prix établis à partir du coût dont les principaux éléments, intérêts, salaires, charges fiscales et sociales, suivent avec retard ou ne suivent pas du tout les mouvements des affaires, seront manifestement excessifs par rapport à la demande. Ou les prix de vente seront maintenus et les affaires se raréfieront, ou les prix de vente fléchiront et le profit considéré comme légitime disparaîtra. De toutes manières, les entreprises iront à la ruine, plus ou moins rapidement suivant le degré d'élasticité de la demande.
Il est probable que les dirigeants de la corporation, notant une tendance de la demande à se restreindre, pour ce motif d'ordre général ou pour tout autre, par exemple à cause d'un changement de la mode, seront incités à fermer la profession en interdisant des créations et des extensions d'entreprises, au lieu de chercher à réduire les coûts et les prix pour susciter une demande nouvelle de la part d'acheteurs jusque là hors de portée.
Ajoutons encore que la fixation d'un bénéfice légitime est forcément arbitraire. On peut imaginer quelles pressions subiront les membres des organismes chargés d'une tâche aussi délicate, de quelle force de caractère ils devront faire preuve.
Ce n'est pas tout : dans l'hypothèse corporative, le prix est uniforme pour les produits identiques fournis par les diverses entreprises, comme sur un marché ordinaire. Or les groupes réunissent des entreprises travaillant à des coûts divers qui correspondent à des différences dans la situation, l'outillage, l'organisation, l'habileté des dirigeants ou du personnel, les proportions respectives des coûts fixes et des coûts proportionnels. Le prix devra couvrir le coût maximum afin d'éviter la ruine des entreprises défavorisées. En conséquence subsisteront les rentes, si souvent reprochées à nos économies.
Lorsque les prix sont fixés de la sorte sur le marché des produits, ils doivent l'être également sur celui des services et sur celui des capitaux. La corporation doit assurer l'équilibre entre l'épargne et l'investissement, obtenir l'auto-discipline de ce dernier et contrôler le crédit : véritable direction économique, des plus délicates et dont les résultats sont fort douteux (23).
Le cas du monopole bilatéral
b) La question du prix dans le cas où les corporations, chacune dotée d'un monopole, s'opposent les unes aux autres, est encore très controversée. Les spécialistes ne sont pas d'accord sur le point de savoir si ce prix est déterminé ou non. Tout dépend du sens que l'on donne à ce mot. Si l'on considère comme déterminé un prix qui pourrait être prévu, c'est-à-dire calculé d'avance par un observateur connaissant toutes les données économiques du problème, nous verrons que le prix est indéterminé dans le cas qui nous intéresse ici. Si, au contraire, on admet qu'il y a détermination dès l'instant où l'on peut rassembler toutes les données, économiques ou non, mesurables ou non, tous les prix sont susceptibles d'être déterminés.
Lorsque les discussions s'engagent entre deux parties jouissant d'un monopole, l'une d'achat, l'autre de vente, chacune d'elles pousse à la hausse et résiste à la baisse ou inversement jusqu'au moment où d'une part elle n'a plus d'avantage à traiter et où d'autre part elle craint que l'adversaire ne se retire. Il y a donc des limites qui encadrent une zone dans laquelle se fixera le prix, mais, étant donné que les entreprises peuvent se décider à vendre temporairement à perte, en raison de l'importance des immobilisations qu'il faut amortir, cette zone est fort étendue.
Les théoriciens nous apprennent que le prix, au cas de monopole bilatéral, tend à se fixer à un point d'équilibre qui correspond soit au sacrifice égal minimum pour les deux parties, soit à l'avantage égal maximum pour elles, soit au maximum total d'avantages. Cette multiplicité de solutions possibles prouve déjà que la détermination du prix n'est pas absolue. Mais cette manière de voir ne nous offre qu'une approximation de la réalité. En effet, ces auteurs raisonnent sur deux unités opposées comme ils raisonneraient sur des moyennes abstraites qui se heurteraient mécaniquement. En fait, chaque partie ne se borne pas à faire pression sur l'autre et à résister à la pression adverse jusqu'au moment où un équilibre est atteint. Elle tient compte de l'attitude probable de l'adversaire, c'est-à-dire estime dans quelle mesure celui-ci sera disposé à poursuivre la discussion plutôt qu'à conclure un arrangement, et à la suite de cette estimation peut se décider à traiter en deçà du point d'équilibre ou à tenter d'aller au delà de ce point. Si par exemple deux unités industrielles se trouvent en présence, l'une vendeuse de matières premières et ayant une trésorerie aisée, l'autre acheteuse de ces matières et ayant une trésorerie étroite, chacune dotée d'un monopole respectif de vente et d'achat, le prix sera très différent suivant que la première ignorera ou non la situation de la seconde et suivant que la seconde jouera hardiment ou non son jeu.
L'action des parties dépend donc d'une double appréciation : chacune cherche à connaître la situation de l'adversaire et l'opinion que cet adversaire a d'elle. Il y a des dirigeants de corporation, comme des dirigeants de cartels ou de syndicats, qui peuvent être téméraires, timorés, bluffeurs ou insouciants dans les négociations. Ces caractères particuliers se compensent quand il y a sur le marché multiplicité de vendeurs et d'acheteurs, mais non dans le cas où des unités sont en présence. Si donc le prix n'est pas complètement arbitraire, comme dans le cas d'une fixation par un tiers ou par l'Etat, on ne peut pas cependant le regarder comme déterminé, puisque nous nous trouvons avoir à faire à des facteurs psychologiques non mesurables et dont les influences sont imprévisibles (24).
Il va de soi que toutes les constatations précédentes sont faites en supposant que les dirigeants des corporations sont des hommes à qui rien d'humain n'est étranger. C'est une hypothèse qui restera voisine de la réalité tant que ne seront pas intervenues des modifications psychologiques profondes dont nous aurons à parler.
Incertitudes et dangers du corporatisme d'Etat.
Nous avons raisonné jusqu'à présent sur une économie de groupes conforme à l'hypothèse d'un corporatisme d'association. Dans le cas d'une corporation conçue comme différente des groupes, représentant l'intérêt national et émanant du Gouvernement, c'est l'Etat qui décide souverainement. Il fixe les prix par l'intermédiaire des comités directeurs suivant les indications fournies par des statistiques plus ou moins exactes dans la mesure où les préoccupations économiques dominent et selon les conceptions personnelles des dirigeants dans la mesure où les préoccupations politiques ou éthiques l'emportent. De toutes manières, l'équilibre n'est assuré que par des tâtonnements successifs et coûteux. Le prix perd sa signification propre de point d'équilibre obtenu par la conjonction de forces opposées. Dès l'instant où interviennent des tiers par voie d'autorité, il n'a plus du prix que le nom et devient incapable de remplir son rôle de régularisation et d'orientation. S'obstiner à l'appeler prix est une hypocrisie verbale. Il ne reste plus, dans ce cas, qu'à souhaiter que les fonctionnaires chargés de la direction soient d'une compétence indiscutée et d'une conscience parfaite (25).
Quant au profit, il est maintenu en principe, lui aussi, mais il se rapproche du traitement du fonctionnaire ; en effet, les surprofits dus au monopole et à la concurrence imparfaite tendent à être éliminés ; inversement, l'Etat intervient en cas de difficulté pour soutenir les entreprises en péril de manière à éviter une diminution des salaires ou une fermeture de l'usine et il empêche ainsi la disparition totale de la rémunération des dirigeants (26).
Tout dépend évidemment de la mesure dans laquelle l'Etat saura assouplir le système de manière à le plier au rythme de la vie économique avec une marge suffisante de profit pour conserver un stimulant individuel.
Il ne faut pas se dissimuler que, lorsque l'Etat entre en jeu pour fixer les prix et les profits, il se charge d'une tâche redoutable. Pour peu qu'il soit faible, les épreuves de force qui se livrent autour des prix dans les économies de groupes reparaissent sous une forme indirecte : les intéressés s'efforcent d'agir sur les pouvoirs publics par la persuasion, l'intimidation, la corruption, et, comme il s'agit d'intérêts collectifs, l'exploitation du vaincu est totale, car la responsabilité se dilue dans le groupe et nul ne prend conscience de la part qui lui incombe.
Le point de vue social.
Dans l'ordre social, la corporation n'échappe pas aux lois des groupes que Palante a fort bien énumérées à la fin du siècle dernier.
Conformément à la loi de conservation, elle cherche à grandir, à s'étendre, à acquérir la prépondérance. Toute vie, dit Nietzsche, est volonté de puissance et toute société acquiert un caractère « exploiteur ». D'où les innombrables procès entre les anciennes corporations, la tendance à l'exploitation des consommateurs, la difficulté d'une auto-limitation et les efforts en vue d'englober le plus grand nombre de sujets (métiers connexes) ou d'objets (prix).
D'après la loi de continuité, le lien physiologique se substitue aux autres liens sociaux lorsque ces derniers font défaut. De là vient que la corporation jadis s'est contractée, s'est repliée sur elle-même, est devenue étroitement familiale, a réservé l'accès à la maîtrise aux seuls fils ou gendres de maîtres.
La loi de grégarisme amène la solidarité économique à se transformer en contrôle et en contrainte. Palante cite à ce propos les corporations médiévales qui assujettissaient la vie privée de leurs membres à une étroite discipline.
La loi de conformisme, corollaire de la précédente, explique l'intolérance des groupes les uns vis-à-vis des autres.
Enfin la loi d'immobilisme s'applique avec d'autant plus de rigueur que le groupe est plus fragile, la moindre innovation risquant de détruire ce qui lui reste de cohésion, et elle se traduit par cette routine que l'on a constatée en France dans les corporations lors de leur décadence (27).
Il est à remarquer que ces lois peuvent engendrer des effets heureux. « L'esprit de corps » est capable de susciter l'enthousiasme, l'héroïsme, la charité. La loi de conservation peut se traduire en besoin de grandeur, la loi de continuité en désir de sacrifice en faveur des générations à venir, la loi de grégarisme en sentiment de fraternité, la loi de conformisme en volonté de discipline, la loi d'immobilisme en respect des traditions. Il semblerait donc que tous les caractères changeraient pour ainsi dire de signe si l'inspiration générale se modifiait. Ainsi en va-t-il de la graphologie, les mêmes traits ont deux significations différentes, l'une favorable, l'autre défavorable, suivant que l'écriture est considérée dans son ensemble comme supérieure ou inférieure. Malheureusement, rien ne garantit que les élites seront placées à la tête des corporations. Cette association n'a en elle-même aucune vertu propre de redressement, elle est une forme et nous sommes obligés de constater une fois de plus que tout dépend de l'esprit qui l'anime.
L'économie de groupes dans l'évolution actuelle.
Si, considérant les différents caractères de la corporation, on essaye de s'élever à une vue d'ensemble, il faut prendre garde de ne pas tomber dans l'erreur qui consiste à regarder l'économie de groupes comme une économie individuelle dans laquelle l'unité se serait simplement dilatée. On commettrait une inexactitude analogue à celle que nous avons relevée ailleurs dans les comparaisons faites couramment entre les petites communautés socialistes dont l'histoire nous offre des modèles et les nations socialistes que certains voudraient instituer. Dans les deux cas, la différence entre les institutions confrontées est de nature et non de degré. Les unités individuelles sur lesquelles raisonnaient les économistes classiques, douées de sensibilité, d'intelligence et de volonté dans une mesure extrêmement variable suivant les cas, supposées indépendantes les unes des autres, permettent à la loi des grands nombres de jouer. Or, nous savons aujourd'hui que les lois économiques sont des lois statistiques comme les lois physiques (28). Si donc nous avons à faire à un petit nombre de grandes unités, le degré de probabilité des lois va fléchir. Comment imaginer les équilibres envisagés par Walras sur les marchés des produits, des services, des capitaux, si au lieu de milliers de chefs d'entreprise, d'ouvriers et d'épargnants, il n'existe qu'un nombre restreint de corporations et, qui plus est, de grandeur et de puissance inégales ?
Il est certain que les hommes tendent à s'agglomérer en fait depuis longtemps, et que le groupe peut être regardé à bien des égards comme la consécration d'un état de choses existant. Deux voies s'ouvrent alors au réformateur: ou chercher à repersonnaliser l'homme, au besoin avec l'aide de l'Etat, ou admettre et accentuer l'évolution en légalisant une économie de groupes.
Si nous sommes en présence d'une économie de bien-être, comme nos ancêtres la concevaient, la première solution est défendable, mais exige de la patience et du temps ; si nous avons à faire à une économie de puissance, telle que la conçoivent plusieurs de nos contemporains, la deuxième solution sera probablement préférée.
Nous nous arrêtons ici dans cet exposé, car nous sommes en présence d'un jugement de valeur. Mais nous comprenons maintenant pourquoi les théoriciens que nous avons cités sont enclins à déborder le cadre économique et à nous imposer des fins politiques et morales. Dans une économie de groupes, les équilibres naturels anciens sont détruits. Il faut supposer une modification psychologique en admettant que l'homme est altruiste, comme fait G. Arias, ou faire intervenir l'Etat en prenant appui sur une donnée historique ou philosophique, comme fait Ugo Spirito. De toutes manières, les fins sont l'essentiel, ainsi que l'explique F. Vito.
Le dilemme ne doit pourtant pas être posé de manière simpliste dans les termes : moralisation ou étatisme. Les classiques ont admis la morale et l'Etat, mais avec une extrême modération et c'est en cela que leur doctrine est humaine. Ils savent que la moralité est indispensable au système qu'ils exposent, et même qu'ils vivent de leur temps : un régime contractuel exige le respect des contrats. Ils sous-entendent ce postulat qui est évident ; ils le sous-entendent même trop, car les commentateurs modernes ne l'ont pas toujours aperçu. Mais ils savent également que l'homme est faillible et ils placent l'Etat à côté de lui pour le surveiller.
Au total, le corporatisme est une doctrine extra économique dans une large mesure appliquée à un système de grandes unités professionnelles. L'équilibre s'établit dans le cas d'une auto limitation (morale) ou d'une contrainte extérieure (étatisme). Il en résulte fréquemment une tendance confessionnelle ou dictatoriale.
La nuance confessionnelle est d'autant plus normale que le corporatisme repose au fond sur un sentiment de méfiance à l'égard de l'homme actuel. Or, d'après la doctrine chrétienne, les penchants naturels de l'homme sont considérés comme mauvais et chacun de nous doit travailler à les redresser. M. Salazar fait .allusion aux « tendances vicieuses de l'humanité. » (29). A cet égard, nous sommes loin de l'individualisme qui fait confiance à l'homme en le supposant, intéressé, mais non perverti.
La mutuelle attirance des deux formes de corporation.
Si différentes que soient la corporation d'association et la corporation d'Etat, elles s'attirent l'une l'autre curieusement.
D'une part la corporation d'association, même si elle se discipline, peut éviter difficilement l'intervention de l'Etat quand elle est amenée à prendre des mesures d'importance nationale, comme la fixation des prix, l'établissement d'un certificat d'aptitude, la fermeture d'une profession (30). Et si elle ne se discipline pas, non seulement les pouvoirs publics seront amenés à la diriger, mais c'est elle-même qui les appellera à son aide.
D'autre part, le corporatisme d'Etat n'est qu'une forme d'étatisme et l'on comprend que les pouvoirs publics souhaitent de voir jaillir du sol national des associations vivaces. Mais comme une invitation ne suffit pas, ils créent la charpente, ils éduquent les individus, ils prennent temporairement en mains l'organisation de l'économie avec le désir bien arrêté de préparer ainsi leur propre abdication. L'expérience portugaise, dont nous aurons à parler, nous offrira un modèle de cette méthode que nous résumerons par la formule : au corporatisme d'association par le corporatisme d'Etat.
Cette attirance mutuelle provient d'une double instabilité. Le corporatisme d'association ne trouve pas dans le milieu ambiant le support nécessaire (spiritualisme, notion d'intérêt général, désir de collaboration, etc...) pour se suffire à lui-même ; le corporatisme d'Etat, s'il n'est pas temporaire et destiné à servir de cadre à un mouvement ultérieur spontané, n'est qu'un masque de l'étatisme et, théoriquement, se renie.
Louis Baudin
(Sources : Le Corporatisme par Louis Baudin, Ed. L.G.D.J. – 1941)
(4) Cette conscience n'est pas un principe rationnel, écrit G. Arias. Suivant l'expression d'un commentateur, elle est « le concept normatif de l'utilité corporative » (P. E. Taiviani, II concetto di ulilita nella teoria corporativa, Economia, juillet 1935). Sur la même question, voyez M. Troisi, Considerazione nella norma corporativa, Economia, janvier 1937
(5) Struttura teorica del corporativismo. come economia di produttori, in Nuovi problemi politica, storia ed economia, 1932. Economia e corporativismo, Ferrare, 1929.
(6) I fondamenti della economie corporativa ; Milan, 1932. Capitalisme e corporativismo ; Florence, 1933.
(7) Cicli di produzione, cicli di credito e fluituazioni industriali, Giornale degli Economisti, mai 1931.
(8) Lezioni di economia politica corporativa ; 4e édit., Padoue, 1937, tome III, titre II, chap. XIV.
(9) Lo Stalo nel processo economico ; Padoue, 1936, ch. XV.
(10) Promesse di economia corporativa ; Pisé, 1929. Teoria generale della economia politica nazionate ; Milan, 1931.
(11) F. Vito, Economia politica corporativa ; Milan, 1939, ch. III.
(12) Dans le même sens, E. Coppola, La norma corporativa ; Rome, 1936. Cette norme est « une dogmatique nouvelle connexe aux principes éthiques et politiques ».
(13) F. Vito, Lo stato attuale della dottrina degli aggruppamenti di imprese in Italie, in Gli aggruppamenti di imprese nett economie corporativa ; Milan, 1939. Cet économiste a écrit un grand nombre d'études sur la corporation. Citons, en ce qui concerne la question des fins et le caractère éthique de l'économie corporative : L'essenza dell’economia corporativa, in Economia corporativa ; Milan, 1935. Sui fini dell'economia corporativa, Giornale degli Economisti ; 1935.
(14) Fr. Feroldi, I gruppi di imprese nell'economia corporativa, in Gli aggruppamenti di imprese... ; op. cit., p. 115, note 1.
(15) F. Vite : Concorenza imperfetta, monopolio collettivo di economia corporativa in Gli aggruppamenti di imprese... ; op. cit., P. 15.
(16) M. Caetano, Licoes de Direito Corporativo ; Lisbonne, 1936.
(17) Remarquons incidemment qu'il n'existe aucune opposition entre l'individualisme et le personnalisme, le deuxième n'est que le développement du premier, lequel n'a jamais admis l'isolement de l'homme et même a toujours reconnu la nécessité de certaines interventions de l'Etat.
(18) La critique a été faite par M. Venditti, Negozii associa-tivi économie! ; Naples, 1938, p. 168. M. F. Feroldi répond que c'est là un fait interne qui peut et doit être combattu : / gruppi di imprese neilVconomia corporative, Economi'a, mars 1939, p. 246.
(18) La critique a été faite par M. Venditti, Negozii associativi économici ; Naples, 1938, p. 168. M. F. Feroldi répond que c'est là un fait interne qui peut et doit être combattu : I gruppi di imprese nell’economia corporativa, Economia, mars 1939, p. 246.
(19) Fovel compte sur cette tendance de la corporation pour éviter la stagnation.
(20) Pour tout ce qui concerne les prix, voyez nos ouvrages : La monnaie et la formation des prix ; Paris, 1936, et plus récemment : le mécanisme des prix ; Paris, 1940.
(2l) C'est le cas du « monopole social » de E. Staley, World Economy in Transition ; New-York, 1939, p. 184.
(22) J.o., Déb. Parl.,Sénat, Séances des 15 et 22 février 1940 et proposition de loi Dommange.
(23) Voyez notre brochure : La réforme du crédit ; Paris, 1938, p. 107.
(24) Nous ne sommes donc pas d'accord avec M. F. Zeuthen (Du monopole bilatéral. Revue d'économie politique, 1933, p. 1651).
(25) Les hommes d'Etat eux-mêmes semblent n'avoir pas une idée claire des difficultés inextricables auxquelles ils se heurteraient s'ils devaient fixer les prix. Ils paraissent ignorer ce que les économistes nomment « le calcul des valeurs ». C'est ainsi que M. Déat écrit à propos de la corporation : « Le prix sera fixé pour une période donnée et pour une denrée déterminée en tenant compte de tous les éléments et en assurant à chacun des producteurs, salariés ou non, à quelque échelon qu'ils soient placés, une rémunération normale et suffisante ». On juge du travail ! Nous renvoyons aux remarques pertinentes de tous ceux qui ont étudié la question de nos jours : Mises, Haiyek, Robbins, etc... (M. Déat, Corporatisme et liberté ; op. cit., p. 54).
(26) Bruno Foa, II profitto nel sistema corporativo, Annali di statistica e di economia, 1935, vol. III, p. 73.
(27) Pour l'analyse générale de ces lois, voir G. Palante, Précis de sociologie ; Paris, 1903.
(28) Voyez notre étude. La loi économique, dans l’ouvrage : Cournot ; Padoue, 1939, p. 29.
(29) Une révolution dans la paix ; Paris, 1937, p. 148.
(30) F. Perroux, Capitalisme et communauté de travail ; op. cit., p. 155 et suiv.
Les communistes — et, avec eux, bon nombre de journaux — ont célébré la révolution russe de 1917. Des revues « bourgeoises » ont même consacré des numéros spéciaux à cet événement politique, le plus considérable de notre siècle.
On nous a longuement parlé, à la radio, des grandes figures du mouvement bolchevick, en particulier de Lénine et de Trotsky. Mais aucun de ces journalistes, aucun des ces historiens, aucun de ces speakers, imités d'ailleurs par leurs confrères dit anticommunistes, n'a soufflé mot de l'un des grands responsables de la révolution d'octobre, de celui dont le concours permit à Lénine et à Trotsky de vaincre les derniers obstacles qui se dressaient encore sur le chemin qui menait au Kremlin.
Cet homme mystérieux, sans lequel les chefs communistes; n'auraient peut-être pu triompher s'appelait Jacob Schiff.
L'ascension de Jacob Schiff.
Né à Francfort-sur-Main en 1847, Jacob-Heinrich Schiff était le principal dirigeant de la banque Kuhn, Loeb and C° de New York. Après de courtes études en Allemagne, il avait gagné l'Amérique en 1865 et s'était établi à New York où il travailla dans une banque. Après un séjour en Europe, autour de 1873, il était entre chez Kuhn, Loeb and C°, fondée par des coreligionnaires, et en était devenu le « grand patron » quelques années plus tard.
Sous son impulsion, la banque prit un essor considérable : elle finança la reconstruction du chemin de fer de l'Union Pacific, créa la Bothern Security C° qui supprima la concurrence ruineuse entre les diverses compagnies de chemins de fer et renfloua les finances japonaises (1). Devenu l'un des magnats de la finance américaine, il dirigea de nombreuses affaires industrielles, toutes considérables (Central Trust C°, Western Union Telegraph C°, Wells Fargo Express C°, etc.) et présida même à plusieurs reprises la Chambre de Commerce de New York. Il fonda la chaire d'Economie sociale de Columbia, occupa celle de la section est-asiatique du Musée d'histoire naturelle de New York et présida diverses œuvres philanthropiques.
Lorsque Jacob Schiff célébra son soixante-dixième anniversaire, «toutes les tendances de la Communauté juive aux U.S.A., lisons nous dans le « Jewish Communal Register of New York » (2), s'unirent pour lui témoigner leur reconnaissance ».
Il est vrai, précisait cette publication israélite américaine, que « M. Schiff a toujours usé de sa fortune et de son influence pour le plus grand intérêt de son peuple» et qu'« IL FINANÇA LES ADVERSAIRES DE LA RUSSIE AUTOCRATIQUE» (3).
Banquier des révolutionnaires.
En rendant ainsi hommage au banquier américain, quelques années avant sa disparition, il mourut en 1920, peu avant Lénine, cet organe officiel du judaïsme américain ne faisait que confirmer ce que la diplomatie américaine avait appris dès 1917 et qu'elle devait consigner dans un document du Département d'Etat en 1931 : à savoir que Jacob Schiff et son correspondant en Europe, Warburg, avaient financé l'opération révolutionnaire qui permit aux bolchevicks de prendre le pouvoir en Russie.
A vrai dire, l'accord de Schiff avec les théoriciens de la Révolution marxiste remontait à de longues années. Dès 1880, on notait que nombre de révolutionnaires russes, revenus de l'étranger dans leur patrie pour se livrer à une propagande subversive, étaient soupçonnés de recevoir des subsides de Jacob Schiff.
La guerre russo-japonaise avait fourni à la banque Kuhn, Loeb and C°, l'occasion de combattre le Tsarisme abhorré (4) et de lui porter un coup dont il ne devait pas se relever. C'est elle qui avait négocié tous les emprunts japonais (5), non seulement aux Etats-Unis, mais sur les marchés allemands et surtout anglais. C'était évidemment son rôle de banque, mais là ne s'était pas borné son activité.
Les subsides accordés aux nihilistes par Jacob Schiff ne furent pas des générosités isolées. Le banquier entretint une véritable organisation terroriste chargée de « liquider » ministres, gouverneurs, officiers de police, personnalités et de créer un climat insurrectionnel. Des bombes « made in U.S.A. » entraient en contrebande par la Finlande. Elles étaient utilisées non seulement contre les hauts fonctionnaires du Tzar, mais aussi contre les installations militaires, les fabriques d'armes et de munitions, les entrepôts, etc. Des grèves révolutionnaires fomentées par les émissaires de Schiff et financées par eux, se déchaînaient opportunément. Des soulèvements se produisaient dans les faubourgs ouvriers de Moscou et de Saint-Pétersbourg, gagnaient les autres quartiers et les principales villes. L'opinion publique accusait le Japon, principal bénéficiaire (du moment) : ces destructions paralysaient, en effet, son ennemi. On évalua les dégâts causés à plus de quinze millions de roubles, soit 100 millions environ de nos francs actuels.
Le tableau de chasse de Jacob Schiff, établi au lendemain de la guerre russo-Japonaise par un journal de Saint-Pétersbourg, le Strand, comporte : 114 gouverneurs, hauts fonctionnaires et généraux, 286 chefs et officiers de police, 452 agents, 109 officiers et 750 soldats tués ou blessés, plus 7331 civils tués et 9661 civils blessés, 194 attentats à la bombe et 1 995 vol à main armée.
Une manœuvre de grande envergure.
Cet épouvantable massacre porta ses fruits : menacée de révolution intérieure, la Russie dut accepter la médiation du président Théodore Roosevelt. Elle envoya le comte Witte traiter à Portsmouth (U.S.A.) avec les plénipotentiaires japonais. Outre les représentants de l'ennemi officiel, le ministre russe reçut par deux fois, la visite de négociateurs inattendus.
Dans ses Mémoires (6), il précise que ces négociateurs étaient Jacob Schiff en personne, le Dr Strauss, ancien ambassadeur des Etats-Unis en Italie, et M. Kraus, Grand Maître de l'Ordre des B'nai B'rith (7).
« Ces Messieurs, explique le comte Witte, se trouvaient être dans les meilleurs termes avec le président Roosevelt. »
Cela leur valut d'être reçus aussitôt, avec des égards particuliers. Exposant sans détours le but de leur visite, ils ne cachèrent pas au représentant du Tsar que la cause des malheurs récents de la Russie était la situation inférieure faite à leurs coreligionnaires dans ce pays.
Le comte Witte, qui avait épousé une israélite, n'avait rien d'un antisémite. Il fit toutefois observer à Jacob Schiff et à ses collègues qu'ils exagéraient les malheurs des Juifs de Russie et que l'on ne pouvait leur donner tous les droits sans amener une réaction populaire qui leur serait plutôt nuisible.
« Cela provoqua de la part de Schiff, écrit le comte Witte, des répliques acerbes, que les raisonnements plus pondérés de Strauss atténuèrent. »
Une seconde entrevue n'eut guère plus de résultat. Il était donc désormais établi que même si la paix était signée avec le Japon, la guerre continuerait avec une autre puissance, au nom de laquelle Jacob Schiff et ses amis s'estimaient en droit de parler.
Dès lors, la banque Kuhn, Loeb and C° prépara, presque ouvertement, les événements à la faveur desquels se produirait, en Russie, l'avènement d'un régime révolutionnaire. Elle consacra des fonds importants à subventionner parmi les prisonniers de guerre russes internés au Japon, une propagande socialiste et antimilitariste. Suivant une méthode qui a été reprise depuis par les Chinois, durant la guerre de Corée, des propagandistes parlant russe parcouraient les camps de prisonniers, distribuant des secours matériels, des vivres et du tabac en même temps que des brochures révolutionnaires pour les inciter à l'insurrection quand ils rentreraient dans leur pays. Le bon grain ainsi semé en 1905 devait lever douze ans plus tard,..
La cynique alliance.
Tout en subventionnant les révolutionnaires russes, Jacob Schiff poursuivait, sur un autre plan, la guerre qu'il avait déclarée aux Romanoff.
Il déclencha, en 1911, une violente campagne contre le Président William H. Taft, successeur de Théodore Roosevelt, pour le contraindre à dénoncer les accords commerciaux existant entre les Etats-Unis et la Russie. Il prit prétexte d'une affaire de passeports pour faire voter aux deux Chambres du Congrès une résolution invitant l'hôte de la Maison Blanche à déchirer le traité de commerce. Le Président Taft s'était fait tirer l'oreille : il finit par s'incliner. Jacob Schiff devait se vanter publiquement de sa victoire dans une déclaration qu'il fit à la presse peu avant l'effondrement du régime impérial russe :
« Qui donc, sinon moi, a-t-il dit, a mis en mouvement l'agitation qui a contraint ensuite le président des Etats-Unis, comme vous devez bien le savoir vous-mêmes, à dénoncer notre traité avec la Russie ? » (8).
Cette rupture avec les Etats-Unis, même limitée au plan commercial, n'allait pas améliorer la situation économique de l'Empire. On se doute que les conséquences ne furent pas graves seulement pour les Romanoff.
Affaiblie par ces mesures économiques, la Russie ne se trouvait pas en possession de tous ses moyens lorsque la guerre éclata en 1914. Le fameux « rouleau compresseur » dut stopper son avance assez loin de la capitale allemande.
L'action révolutionnaire démoralisait les combattants du front, excitait les mécontentements de l'arrière, aiguisait les haines et les rancœurs de la classe ouvrière.
Les premiers troubles graves, fomentés par des agents révolutionnaires envoyés par les amis de Jacob Schiff, se produisirent dans les faubourgs des villes russes ; la propagande révolutionnaire obtint des résultats dans les dépôts bondés de réservistes. On sait que c'est un régiment de ces derniers qui provoqua, en s'insurgeant pour ne pas partir au front, la chute du régime impérial.
Schiff est satisfait.
Le 19 mars 1917, Jacob Schiff avait gagné la partie contre les Romanoff. Il pouvait envoyer à Milioukoff, ministre des Affaires étrangères du gouvernement provisoire, le télégramme suivant :
« Permettez-moi, en qualité d'ennemi irréconciliable de l'autocratie tyrannique qui poursuivait sans pitié nos coreligionnaires, de féliciter par votre entremise le peuple russe de l'action qu'il vient d'accomplir, si brillamment, et de souhaiter plein succès à vos camarades du gouvernement et à vous-même» (9).
Ce premier succès parut nettement insuffisant à Jacob Schiff. Le gouvernement provisoire, composé principalement d'idéologues francs-maçons, était-il suffisamment docile aux consignes de la haute finance ? On le disait soucieux de conserver l'amitié anglaise et décidé à continuer la guerre contre l'Allemagne. C'était là un danger, car les contre-révolutionnaires pouvaient se ressaisir et réduire à néant les efforts des amis du banquier. Les millions de dollars que la banque Kuhn, Loeb and C° avaient dépensés dans l'opération risquaient d'avoir été gaspillés. Il importait de prendre d'urgence des mesures propres à parfaire un travail si bien commencé.
Puisque le gouvernement provisoire n'était pas un instrument absolument sûr, Jacob Schiff résolut de le briser et de lui substituer des hommes et un gouvernement qui activeraient le travail révolutionnaire.
Ces hommes existaient : ils formaient l'extrême-gauche du parti révolutionnaire russe. Ils avaient participé aux réunions internationales de Zimmerwald et de Kienthal (10). Après la révolution de Mars 1917, un de leurs chefs, Lénine, était entré en Russie par le fameux « train plombé » allemand.
« En dépêchant Lénine en Russie, a dit Ludendorff dans ses Mémoires sur la guerre, notre gouvernement assumait une grande responsabilité ; du point de vue militaire, cette initiative fat justifiée : il fallait abattre la Russie. »
Lénine était porteur de quarante millions or fournis par Berlin pour lui permettre d'agiter les masses révolutionnaires et de contraindre le gouvernement provisoire à faire la paix. Le concours de Jacob Schiff rendait cette action décisive.
L'aide directe a Trotsky.
C'est ce que devait aller exposer à New York, aux dirigeants de la banque Kuhn, Loeb and C°, l'un des plus redoutables agitateurs révolutionnaires, Leiba Bronstein, dit Léon Trotsky.
Les premiers contacts de Trotsky avec le magnat de la Finance cosmopolite furent assez décevants. Le banquier jouait alors la carte démocratique en Russie. Il se savait près d'aboutir et n'était pas disposé à contrarier le jeu de ceux dont il se servait. Trotsky, introduit et recommandé par la direction du journal juif révolutionnaire Forward de New York, n'obtint que des paroles d'attente et des subsides relativement peu importants. Trotsky s'embarqua donc sans avoir reçu de promesse formelle.
A quelques mois de là, éclatait l'émeute du 4 juillet 1917 qui devait, selon les prévisions de Lénine et de Trotsky, renverser le gouvernement provisoire. Déconcertés par l'intervention d'un unique régiment rappelé du front, les insurgés se dispersèrent. Lénine s'enfuit et Trotsky fut arrêté.
Leur cause paraissait perdue. Mais les bolcheviks avaient fait la preuve de leur audace et le télégraphe allait leur apporter l'annonce du concours financier de Jacob Schiff, décidément résolu à pousser la révolution russe à l'extrême.
On ignore l'importance des fonds mis à la disposition des bolcheviks Lénine et Trotsky pour fomenter l'insurrection d'Octobre 1917 qui renversa Kerensky et établit le régime soviétique. Mais on sait comment ces fonds leur parvinrent. Le gouvernement des Etats-Unis a publié sous le titre « Paper relating to the Foreign Relations of the United States — 1918 — Russie (in three volumes). United States, Governement Printing Office, Washington 1931 » les preuves de la collusion.
Les pièces principales de ce volumineux dossier ont été reproduites dans notre numéro spécial — si curieusement ignoré de la presse de droite et de gauche, parue en 1963 (11).
Ce document contient, notamment, le texte d'une dépêche adressée au bolchevik Raphaël Scholnickan, Haparanda, pour avertir le camarade Trotsky (qui venait d'être stupidement libéré sous caution) que la banque Warburg venait d'ouvrir un compte courant pour financer son entreprise.
Vous devinerez sans peine l'origine de ce compte lorsque vous saurez que les frères Warburg, qui dirigeaient à Hambourg la banque Max Warburg, étaient apparentés et associés à Jacob Schiff. Un des Warburg d'Amérique, Félix, était le gendre du banquier américain, tandis que l'autre, Paul, avait épousé la belle-sœur du potentat. La « construction du socialisme en Russie », pour parler comme l'Humanité, devenait une simple affaire de famille...
On sait la suite...
Un syndicaliste accuse.
La révolution triomphante établit le régime communiste qui dure encore et qui s'est maintenu, contre vents et marées, grâce à ces complicités financières internationales que Samuel Gompers, peu suspect d'antisémitisme puisque juif lui-même, dénonçait avec vigueur moins de cinq ans plus tard.
Après avoir stigmatisé l'attitude « cynique » des hommes d'Etat et des financiers, le fameux syndicaliste américain mettait directement en cause un « groupe de banquiers germano anglo-américains qui aiment à s'intituler financiers internationaux pour masquer leur vraie fonction ». Et il précisait : « Le plus important banquier de ce groupe et parlant au nom de ce groupe, né en Allemagne comme il se trouve (12), a envoyé des ordres à mes amis et associés afin que tous travaillent en faveur de la reconnaissance des Soviets » (13).
Les communistes et, avec eux, les « historiens » qui ont empli les colonnes des journaux et les pages des revues pour retracer les fameuses journées d'octobre 1917, ont été bien ingrat de ne pas citer l'homme qui avait travaillé avec tant d’acharnement à l'écrasement de la vieille Russie et à son remplacement par l'inquiétante U.R.S.S.
Henry COSTON
Notes :
(1) Cf. « The Jewish Communal Register of New York 1917-1918 pages 1018-1019.
(2) Ibid.
(3) Ibid.
(4) « En 1904-1905, la firme Kuhn, Coch & Cie renfloua les finances militaires japonaises, rendant ainsi possible la victoire nippone sur les Russes. » (Ibid.)
(5) Les Rothschild apportèrent également leur aide au Japon de 1905 à 1913 et y investirent des fonds {Jacques Bonzon : Les Emprunts russes et les Rothschild).
(6) Berlin 1932, tome I, pages 394-395.
(7) Société secrète israélite, qui compte plusieurs centaines de loge» à travers le monde, en France notamment.
(8) New York Times, 5 juin 1916.
(9) New York Times, 10 avril 1917.
(10) Ces conférences avaient eu lieu respectivement en 1915 et 1916. Elles avaient réuni, en pleine guerre, des militants socialistes appartenant aux deux parties belligérantes.
(11) « La Haute Finance et les Révolutions » (à nos bureaux : 6 F plus port).
(12) Il désignait ainsi Warburg, parent et associé de feu Jacob Schiff à la banque Kuhn, Loeb and C°.