Comment les princes doivent garder leur foi : MACHIAVEL
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- Catégorie : PHILOSOPHIE
Chacun entend assez qu'il est fort louable à un Prince de maintenir la foi et vivre en intégrité non pas avec ruse et tromperie. Néanmoins on voit par expérience de notre temps, que ces Princes se sont faits grands qui n'ont pas tenu grand compte de leur foi, et qu'ils ont su subtilement aveugler l'esprit des hommes lesquels à la fin ils ont gagné et surpassé ceux qui se sont fondés sur la loyauté.
Il faut donc savoir qu'il y a deux manières de combattre, l'une par les lois, l'autre par les armes : cette première sorte est humaine, la seconde est bestiale, mais d'autant que la première bien souvent ne suffit pas, il faut recourir à la seconde : parce qu'il est nécessaire aux Princes de savoir bien pratiquer la bête et l'homme. Cette règle fut enseignée aux Princes ouvertement par les anciens auteurs, qui écrivent comme Achille et, plusieurs autres fils de grands seigneurs du temps passé furent donnés à nourrir à Chiron Centaure pour les instruire en sa bonne doctrine. Ce qui ne signifie autre chose sinon qu'ils ont eu pour gouverneur une demi-bête et un demi-homme et qu'il faut qu'un Prince sache user l'une et l'autre nature et que l'une sans l'autre n'est pas durable. Puis donc qu'un Prince doit user de nature bestiale il en doit choisir le renard et le lion, car le lion ne se peut défendre des rats, le renard des loups : il faut donc être renard pour connaitre les filets et lion pour faire peur aux loups : car ceux qui simplement veulent faire les lions, ils n'y entendent rien. Pourtant le sage Seigneur ne peut garder sa foi si cette observance lui tourne à rebours et que les causes qui l'en induisent à promettre soient éteintes. D'autant que si les hommes étaient tous gens de bien mon précepte serait nul, mais pour ce qu'il y en a de méchants, qu'ils ne te le garderont pas, tu ne leur dois pas aussi tenir. Sur quoi jamais tu n'auras faute d'excuses suffisantes pour colorer cela que tu ne leur a pas tenu et sans pouvoir alléguer infinis exemples du temps présent, montrant combien de paix, combien de promesses ont été faites en vain, et mises à néant par l'infidélité des Princes, et qu'à celui qui a mieux su faire le renard il lui est mieux pris. Mais il est besoin de savoir bien cacher et couvrir cette nature, bien feindre et déguiser : car les hommes sont tant simples et obéissent si bien à la nécessité et aux affaires présentes, que celui qui veut abuser trouvera toujours quelqu'un qui se laissera tromper.
Je ne veux pas d'entre les exemples nouveaux en laisser passer un. Alexandre VI ne fit jamais rien que piper le monde et jamais ne pensa d'autres choses, trouvant sujet propre à ce faire, oncques homme n'eut plus grande efficacité pour assurer quelque cas, et qui affirmait avec plus grands serments mais qui moins l'observât : toutefois ces trôuffes lui vinrent toujours à souhait, d'autant qu'il entendait le point. Il n'est donc pas nécessaire à un Prince d'avoir toutes ces qualités dessus nommées, mais il faut bien qu'il fasse montre les avoir : encore osera-t-il bien dire cela que s'il les a, et s'il les observe toujours elles lui porteront dommage : mais faisant beau semblant les avoir, alors elles sont profitables, comme de sembler être pitoyable, fidèle, humain, vertueux et de l'être aussi, mais arrêter son esprit à cela que s'il le faut être, on le soit, et qu'on sache bien aussi user du contraire.
Faut aussi noter qu'un Prince même quand il est nouveau il ne peut bonnement garder toutes ces conditions par lesquelles on est estimé homme de bien : parce qu'il est souvent contraint pour maintenir les États de se gouverner autrement. Pourtant il faut qu'il ait l'entendement prêt à tourner selon que le vent et changement de fortune lui commandera (et comme j'ai déjà dit) faire toujours bien s'il peut, et entrer au mal par contrainte. Il doit aussi soigneusement prendre garde qu'il ne lui sorte de la bouche propos qui ne soient pleins des cinq qualités que j'ai dessus nommées, et qu'il ne semble à l'ouïr parler et voir autre chose que toute miséricorde, toute fidélité, toute bonté, toute débonnaireté : desquelles la plus nécessaire est la religion. Car les hommes jugent plutôt aux yeux qu'aux mains : d'autant que chacun peut voir facilement, mais connaître, bien peu : tout le monde voit bien ce que tu sembles par dehors, mais bien peu savent ce qu'il y a de' dedans, et ce peu-là n'osent contredire à l'opinion de plusieurs, qui ont de leur côté la majesté du royaume qui les soutient. Pour ce qu'aux actions et de tous les hommes et spécialement des Princes (desquels on ne peut appeler à autre juge) on regarde volontiers quelle a été l'issue. qu'un Prince donc se propose pour son but de vivre et maintenir ses états, les moyens seront toujours estimez honorables et louez de chacun. Pour ce que le vulgaire ne juge que de ce qu'il voit et de ce qui advient : or en ce monde il n'y a que le vulgaire : car le petit nombre a lieu quand le plus grand nombre n'a pas sur quoi s'appuyer et soutenir. Un Prince de notre temps, lequel n'est besoin de nommer, ne chante d'autre chose que de paix et de foi, lesquelles s'il eut bien gardées il eut souvent perdu les états et la réputation. (…)
(…) Mais touchant les qualités desquelles j'ai ci-dessus fait mention, parce que je n'ai parlé que des plus apparentes, je veux bien discourir aussi les autres brièvement, sous cette généralité : que le Prince doit penser (comme j'ai par devant dit) en partie de fuir les choses qui le font tomber en haine ou en mépris. Et tous et quantes fois qu'il ne faillira point en cet endroit il aura bien besogné et ne se trouvera en danger des autres infamies. Sur toutes choses ce qui le fait le plus haïr c'est de piller le biens et prendre à force les femmes de ses sujets : de quoi il doit s'abstenir. Car quand on n'ôte point aux hommes en général ni biens, ni honneurs ils vivent contents et n'y a plus à faire qu'à combattre l'ambition de peu de gens, laquelle facilement en plusieurs sortes on peut abattre. Mais d'être estimé variable, léger, efféminé, de peu de courage et sans résolution, le fait dépriser : c'est ce qu’un Prince doit fuir comme un écueil en mer, et s'efforcer qu'en ces faits on y reconnaisse une certaine grandeur, magnanimité, gravité, force : et envers les plus gros qui n'auront point de sujets vouloir sa sentence être irrévocable et se maintenir en telle opinion que personne ne pense le tromper ni abuser.
Le Prince qui donnera cette estime de sa personne, s'acquerra grande réputation, et contre celui qui est en telle réputation on ne se bande pas facilement, et ne l'assaut-on pas de léger, pour le moins si on connaît qu'il soit excellent et redouté des siens. Car un Prince doit avoir peur de deux côtés, l'un au dedans à cause de ses sujets, l'autre dehors, à raison des potentats étranges, desquels il se défendra par force d'armes et de ses bons amis — et s'il est puissant en armes il aura toujours bons amis — et les affaires des sujets seront assurées si celles des étrangers le sont, si d'aventure ils n'étaient troublés par quelque trahison : et quand bien les étrangers se voudraient remuer, s'il a ordonné son cas et vécu comme j'ai dit, il soutiendra toujours (s'il ne s'abandonne lui-même) tout le heurt et alarme, comme l'on raconte que fit Nabide de Sparte. Mais quant à ses sujets, si les affaires de dehors ne se remuent, il doit craindre qu'ils ne conjurent secrètement, de quoi un Prince s'assurera, s'il ne se fait point haïr ni mépriser et si le peuple se tient content de lui : tellement qu'il est force qu'il en advienne comme j'ai déduit une fois plus amplement. Or un des plus certains remèdes qu'ait le Prince contre les conjurations, c'est de n'être point haï, ni méprisé du populaire : parce que volontiers celui qui brasse la conspiration estime qu'il contentera le peuple par la mort du Prince : mais s'il pensait l'offenser il n'aurait pas le courage de l'entreprendre.
MACHIAVEL - Le Prince - Éd. HELLEU et SERGENT.
LA FORET, GRAND REPAIRE OU REFUGE DES GÉNIES DU TERROIR
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- Catégorie : PAGANISME
Après les eaux, la forêt est le grand repaire ou refuge des génies du terroir. C'est un lieu hanté, un espace excentrique plein de violence, un lieu d'exclusion, un refuge des bannis et des proscrits ainsi que des croyances païennes, un lieu de merveilles et de périls, un espace marginal, sauvage, redoutable, et aussi un foyer de la mémoire paysanne. C'est là que, bien souvent, se rencontrent ces fontaines et ces sources dont nous avons fait connaissance : la fée Ninienne, ou Viviane, aime se tenir au bord d'une fontaine de la forêt de Briosques, et Mélusine et ses sœurs près de celle de la forêt de Coulombiers... Là court le sanglier mythique, li blans pors, que chassent les chevaliers du roi Arthur, là passent la Mesnie Hellequin et la cohorte de Diane et Hérodiade.
Siège de phénomènes étranges qui sont autant de théophanies, la forêt est omniprésente dans les littératures médiévales, Le grand Lancelot en prose cite des forêts qui portent des noms évocateurs : Forest Aventureuse, Estrange, Perdue, Périlleuse, Desvoiable (impraticable) et Malaventurose. Tous les textes soulignent son caractère inquiétant par des adjectifs qui sont toujours les mêmes : os cure, sostaine, ténébreuse, estrange, salvage. En outre, la forêt est presque toujours longue et large (longue, lee) et elle est très ancienne (des tens ancienor). Le roman de Claris et Laris dit de l’une d'elles :
Trop est la forest fiere et grande 3292
et plaine de trop grant merveille [...]
les fées i ont lor estage 3317
en un des biaus lieus du boscage...
De Brocéliande, le poète anglo-normand Wace écrit dans le Roman de Rou (v. 6387 sqq.) :
La seut l'en les fées veeir,
se li Breton nos dient veir,
et altres mer(e)veilles plusors.
Bref, la forêt est un véritable conservatoire du paganisme, et c'est pour cette raison que s'y ébattent mille créatures surnaturelles qui s'y sont réfugiées, après avoir été chassées de leur territoire par l'avancée des hommes. En outre, dans toute l'aire allemande, elle s'étend souvent sur des contreforts montagneux, allie donc le caractère mythique de ces deux lieux.
Le problème majeur que rencontre le chercheur est le suivant : dans quelle mesure les nains, géants, dragons et hommes sauvages qu'on y trouve sont-ils la vision romanesque d'anciens génies du terroir ? Pour répondre à cette question, il faut s'appuyer sur les constantes dégagées à partir d'autres sites : personnage veillant jalousement sur sa terre et interdisant qu'on y pénètre ou qu'on y tue du gibier, individu (monstrueux ou non, ou encore remplacé par un monstre) imposant un tribut aux hommes ses voisins, paganisme marqué...
Dans un récit du XIIIe siècle, Virginal, dont nous possédons plusieurs rédactions, la dame qui porte ce nom règne sur un peuple de nains, dans les montagnes boisées du Tyrol, et possède un terrible voisin. Orkîse, qui exige d'elle une jeune fille comme tribut annuel. Qui est ce personnage dont le nom indique clairement qu'il est tenu pour un ogre (orco) ? Sans doute l'avatar littéraire ou légendaire du génie de ces forêts. Je signale que, dans une légende berrichonne, il est dit que les jeunes filles d'Ennordes tiraient au sort, chaque année, pour savoir laquelle irait trouver un monstre qui l'attendait au milieu de la forêt... Plutôt que de me livrer à un jeu de devinettes avec tous les risques que cela comporte, je préfère me tourner vers trois personnages qui entretiennent des rapports particuliers avec la sylve : Merlin, Auberon et Zephir.
Fils d'un démon incube, diable angélisé, protecteur de la chevalerie, Merlin est un personnage complexe et syncrétique dans lequel demeurent encore bien des zones d'ombre malgré les nombreuses études qui lui ont été consacrées. De son géniteur il tient ses dons d'ubiquité, de métamorphose, de connaissance du passé, mais de Dieu, son don de prédiction. Selon le Perlesvaus, lorsqu'il mourut il fut impossible de l'inhumer dans une chapelle et son cercueil est vide, car lorsqu’on l'y eut placé, le corps disparut, en porté de par Dieu, o par l’anemi. A sa naissance, il est couvert de poils, et une fois qu'il a grandi, il est grand, fort, maigre, brun, velu. Geoffroy de Monmouth nous le montre, pris de démence, vivant comme un homme sauvage (Vita Merlini, v. 1-112) et retournant dans les forêts dès qu'on l’en arrache. Il nous le présente parcourant la forêt à cheval sur un cerf (ibid., v. 451 sqq.) et menant un troupeau de cerfs, de daims et de chèvres sauvages, car il sait se faire obéir des animaux, comme le vilain de l’Yvain de Chrétien de Troyes. Dans le Merlin-Vulgate (1) il est appelé « homme sauvage » et se donne ce nom à lui-même. Il prend aussi parfois l'apparence d'un cerf blanc. Dans le Livre d'Artus (2), il apparaît comme le maître de la fontaine aux tempêtes et il s'abrite dans un chêne creux, et il déclare : « Je veux que tu saches que ma coutume est telle que j'aime à demeurer dans les bois de par la nature de celui qui m'a engendré. » Geoffroy de Monmouth nous dit que lorsque le roi Aurèle envoie chercher Merlin, on le trouve dans un coin de forêt mystérieux, près de la fontaine de Galabes, au pays des Gewisséens. Le Merlin de Robert de Boron (3) souligne aussi le lien étroit qui l'unit à la forêt : Je voil que vos sachiez qu'il me covient par fine force de nature estre par foies eschis [à l'écart] de la gent (p. 149).
Retenons bien les traits qui permettent de voir que le Merlin romanesque remonte sans doute à un génie de la forêt, aspect que les rédacteurs ont largement occulté en faisant du devin le fils d'un incube, histoire d'expliquer ses pouvoirs. Merlin est le maître des animaux, il peut prendre à volonté la forme qui lui plaît. Or nous savons que c'est le propre des génies qui ne prennent forme que pour se montrer aux hommes. Il commande aux éléments, et il y a surtout ce motif récurrent : il ne peut longtemps s'éloigner de ce que nous devons considérer comme son élément naturel. Ce détail n'est pas sans rappeler les légendes mélusiniennes où les fées, qui épousent des mortels, sont contraintes de s'isoler pour se baigner une fois par semaine, parfois sous la forme d'un serpent qui est celle habituelle des génies des eaux.
Par le biais de la croyance aux incubes qui jouit d'une large diffusion à partir du XIIe siècle, le personnage de Merlin est intégré à l’univers humain et au monde romanesque, et les seuls indices qui le rattachent encore à son origine réelle sont ceux cités précédemment. Edmond Faral signale un poème du XIIIe siècle, le Dit de Merlin Merlot, qui présente Merlin comme une sorte de génie des bois, et il ajoute : « Le personnage du sylvain qu'il met en scène, si différent du type que peignent les romans français du cycle arthurien, répondait peut-être à quelques superstitions anciennes, indépendantes des traditions proprement bretonnes (4).» L'intuition de Faral est remarquable car il ne disposait pas encore des études réalisées depuis qui montrent que deux personnages différents se sont fondus pour donner la figure romanesque que tout le monde connaît.
Si nous nous tournons vers Auberon, qui surgit dans Huon de Bordeaux (5) (vers 1220), les déductions faites à propos de Merlin se confirment car nous retrouvons un certain nombre d'éléments communs. Auberon, présenté comme un nain car sa petite taille est due à la malédiction d'une fée à sa naissance, habite « [...] une forêt très vaste et très redoutable [...]. Nul ne peut, une fois entré dans ce bois, lui échapper, si jamais il lui adresse la parole, et dès qu'il aura passé un instant auprès de lui, il ne pourra plus le quitter de toute sa vie », ce qui équivaut à un emprisonnement dans l'autre monde.
Auberon possède de grands pouvoirs : quand il est furieux, il fait pleuvoir et venter, briser les arbres enfin. C'est le maître des prestiges et il est capable de faire apparaître une rivière large. En outre, comme tout bon être féerique, il est en possession d'objets magiques et se rend en un clin d'œil là où il le désire.
Il est présenté comme un chrétien, mais un détail montre qu'il appartient en fait à un autrefois préchrétien : il est né avant le Christ lui-même. Il connaît aussi le passé et n'ignore rien de la vie du jeune Huon. Si les pouvoirs de Merlin sont attribués à sa conception particulière, ceux d'Auberon le sont à des fées, nous restons dans le même registre, mais dans le premier cas il est diabolique, dans le second, simplement merveilleux.
Dernier détail d'importance pour notre enquête, c'est le maître des animaux : « Tous les oiseaux, bêtes ou sangliers, si farouches et si sauvages qu'ils soient, viennent à moi de bon gré dès que je leur fais signe de la main. » En étudiant naguère les strates qui se superposent dans ce personnage, j'ai montré, avec quelque vraisemblance je crois, qu'Auberon n'était pas un nain mais un elfe, mais cela n'exclut pas son caractère de génie sylvestre car, au Moyen Age, toutes ces créatures sont confondues les unes avec les autres, et leurs attributs et leur nature se mêlent pour les besoins romanesques (6). Dans Huon de Bordeaux, le génie est interprété et présenté in bonam partem et devient en quelque sorte l’ange gardien de Huon, mais ses facultés surnaturelles, qui se manifestent essentiellement dans la forêt, je le souligne, sont celles du génie du lieu.
Avec le Roman de Perceforest, c'est un autre personnage extraordinaire qui surgit, Zephir, présenté comme un lutin malicieux et farceur. Alors qu'Estonné chevauche dans la Selve Carbonnière, son cheval s'arrête soudain et le démon qui est en lui, Zephir, se présente comme un ange déchu. C'est un démon assez haut placé dans la hiérarchie des esprits, il a le don de se métamorphoser à volonté, ce qu'il fait pour, dit-il, cacher sa laideur :
Et pour ce me convient il transmuer en autre forme pour couvrir ma laideur, quant je veuil estre familier a une personne (II, 97v°).
Il prend donc en général l'aspect d'un vieillard vêtu d'une cape de bure, ce qui rappelle les « génies encapuchonnés » (genii cucullati). Il possède un corps dont la substance semble être l'air, le souffle auquel renvoie son nom : Tu n'as néant plus pouvoir de toy vengier sur moy, déclare-t-il à Estonné, que tu auroiez ci ung fort vent s'il te hurtoit a ung fossé (II, 96v°). De plus, il se transporte à son gré là où il le souhaite. Il rend de grands services à son protégé et à d'autres chevaliers et, lorsque les Romains veulent envahir la Grande Bretagne, il les tourmente et les empêche de débarquer, acte qui le rapproche très exactement d'un genius loci, d'un landvaettr.
Chez les trois personnages dont nous venons de faire connaissance, les points communs et les différences sont révélateurs. Tous trois ont une origine surnaturelle, diabolique ou féerique ; tous aiment le séjour des forêts et viennent en aide aux élus de leur choix ; tous disposent de pouvoirs merveilleux, mais c'est chez Merlin, « le salvage », que les traits anciens, voire païens, sont les mieux conservés, A partir des informations recueillies, on peut tenter de dresser une typologie du génie de la forêt, tel qu'il apparaît dans les romans :
1. C'est un marginal qui ne reste jamais bien longtemps dans le monde des hommes.
2. Il existait bien avant le christianisme, mais il est réintégré dans l'univers médiéval chrétien par le biais de légendes religieuses - mythe des anges déchus -, de croyances savantes et cléricales - pouvoir générateur des incubes -, en l'existence des fées - origine d'Auberon, fils de Jules César et de la fée Morgue selon certains textes.
3. Les actes bénéfiques de ces personnages contredisent leur origine et sont le reflet de leur intégration au monde courtois, de leur mise en conformité avec la civilisation d'une époque. On peut aussi y voir, dans le cas de Merlin et de Zephir, une sorte de rachat de leur tare originelle.
4. Le génie de la forêt est en même temps le maître des animaux et il a pouvoir sur le temps qu'il fait.
5. Il est aussi bien zoomorphe qu'anthropomorphe.
Bref, s'il est apprivoisé, il reste néanmoins une créature ambiguë, inquiétante, qui conserve un soupçon de diablerie : Zephir adore jouer des tours, Merlin aime mystifier ceux qu'il sert, Auberon est prompt à s'encolérer et se laisserait aller au pire quand on le contrarie, s'il ne se trouvait quelqu'un de ses vassaux pour le tempérer. Au-delà de leur transformation littéraire, parallèle du reste à celle des fées, ces personnages témoignent de la persistance des croyances anciennes, même si les romans ont tendance à faire de l’un ou l'autre d'entre eux une sorte de deus ex machina ou un élément burlesque.
Claude Lecouteux
Notes :
- O. Sommer, The vulgate version of the arthurian romances, T. II, Washington, 1908.
- Ibid,VII, Washington, 1913.
- A. Micha, Paris/Genève, 1980 (TLF281)
- Faral, la légende arthurienne, op. cit., supra, T. II, p. 45. Le texte, tiré de la Vie des pères (milieu du XIIIe siècle), a été édité par Méon dans : Nouveaux recueil des fabliaux, T. II, p.236.
- P. Ruelle, Bruxelles/Paris, 1960 ; trad.fr. de F. Suard, Paris, 1983.
- C. Lecouteux, Nains et les Elfes au Moyen Age, Paris, 1988.
Sources : Démons et génies du terroir au Moyen Age - Ed. IMAGO, 1995.
Une date, un événement : 19 juillet 711, une leçon à méditer.
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Le 19 juillet 711, à l'issue d'une bataille de sept jours, les troupes du roi wisigoth Roderic (Rodrigue) sont défaites, sur le Rio Guadalete, par les Maures arrivés du Maghreb sous le commandement du Berbère Tariq (qui a laissé son nom au Djebel Tariq-Gibraltar).
Pendant deux siècles le royaume wisigothique s'était avéré le plus brillant des Etats germaniques nés sur les ruines de l'empire romain, dont il avait repris intelligemment à son compte et intégré l'héritage culturel. Mais, au début du VIIIe siècle, ce royaume était fragilisé par une crise profonde. La famine et des épidémies de peste sapaient le moral des populations, tandis que les luttes entre clans nobiliaires rivaux créaient une dangereuse instabilité politique. Le roi Witiza avait voulu, au cours de son règne, apaiser les tensions en indemnisant les aristocrates victimes, au cours du règne précédent, de l'exil ou de la confiscation de leurs biens. Mais à sa mort ses frères, voyant le Senatus (assemblée des plus grands personnages laïcs et ecclésiastiques du royaume) désigner comme nouveau roi le duc de la Bétique, Rodrigue, firent reconnaître comme souverain, par l’aristocratie du nord-est de la Péninsule, leur neveu Agila. L'un des chefs du parti qui soutenait Agila, le comte Julien, prit contact avec les musulmans du Maroc pour leur demander leur appui. Gouverneur de Ceuta, il savait que le chef du Maghreb, Musa ben Nusayr, convoitait l'Espagne depuis longtemps (on est alors au cœur de la période qui marque la seconde vague des conquêtes musulmanes, sous le califat d'al-Walid). Des chroniques des IXe et Xe siècles assurent que Julien voulait se venger du roi Rodrigue, qui aurait déshonoré sa fille...
Dans la nuit du 27 au 28 avril 711, Tariq ben Ziyad, gouverneur de Tanger, fait passer le détroit à une troupe de 7 000 hommes, essentiellement des Berbères (les Arabes ne sont qu'une centaine dans cette première armée d'invasion). Rodrigue, qui combattait dans le Nord une révolte de Basques et de Cantabres, accourt pour faire face aux envahisseurs. Mais, au cours de la bataille décisive, le 19 juillet, il est trahi par les fils de Witiza, qui passent à l'ennemi avec leur clientèle et leur armée d'esclaves. Tué, son corps ne fut pas retrouvé et seuls son cheval blanc et son manteau brodé d'or, symboles de la royauté, tombèrent aux mains des Maures. Il restait à récupérer le trésor royal conservé à Tolède, qui se rendit sans résister (l'archevêque Oppas collabora, ouvertement et immédiatement, avec les musulmans).
Les Maures étendirent en quelques années leur domination sur la plus grande partie de l'Espagne, semant au passage destructions, rapines, meurtres et viols. Mais leur conquête fut facilitée par la collaboration que leur fournit une partie de la population. Pour conserver leurs biens, beaucoup de nobles ont choisi d'être des renégats. Ainsi, contre leur renonciation formelle à toute prétention au trône, les fils de Witiza, Akhila, Ardabast et Olmund ont pu conserver le patrimoine foncier considérable des anciens rois wisigoths. De même leurs partisans ont choisi de profiter de l'occasion pour s'emparer des biens des fidèles de Rodrigue. Le comte Cassius, un hispano-romain qui gouvernait les régions de Borja et de Tarazona, se convertit à l'islam et fut ainsi à l’origine de la lignée des Banu Quasi, qui devaient gouverner pendant plusieurs siècles le bassin de l'Ebre. Quant au comte wisigoth Théodemir, gouverneur de la Murcie, il put conserver son poste en se soumettant aux envahisseurs et en leur payant tribut. Un autre précieux concours fut apporté aux Maures par les communautés juives, qui gardaient une forte rancune à l'égard d'un royaume wisigoth qui avait pris, dans le cadre des conciles de Tolède, des mesures drastiques à leur égard (entre autres, le VIIIe concile, convoqué en 653 par le roi Receswinthe, rappela que le souverain devait défendre la foi catholique contre « la perfidie des juifs», tandis que le XIIe concile, convoqué en 681 par le roi Ervige, déclarait avoir pour but « d'extirper la peste judaïque, qui renaît sans cesse »).
Une fois le royaume wisigoth disparu, son souvenir nourrit dans les esprits de la population européenne de l'Espagne la nostalgie d'un ordre conforme à ses traditions. Mais aussi l'espérance d'une Reconquista qui, partie des bastions d'une résistance tenace basée dans le nord de la péninsule, devait finalement rejeter les Maures en Afrique. Au prix de luttes qui durèrent presque huit siècles...
Pierre VIAL
Sources : Rivarol 30 juillet 2010
F1: GROSJEAN JUGE LE SALAIRE DE LEWIS HAMILTON “INADMISSIBLE”
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Romain Grosjean s'est positionné sur la question des salaires en Formule 1 en prenant l'exemple de Lewis Hamilton. Le pilote français évoque un possible un salary cap.
Le monde de la Formule 1 post-Covid ressemble beaucoup au précédent, avec son lot de controverses et de polémiques, alors que la saison raccourcie par la crise sanitaire n’a même pas encore commencé, pas tout à fait en tout cas. Ce dimanche, c’est le pilote Romain Grosjean qui a fait une sortie qui pourrait faire grincer des dents chez Mercedes, surtout dans la bouche du Britannique Lewis Hamilton, directement visé par la déclaration du Français.
Hamilton, seul au monde
"Personnellement je trouve inadmissible que Lewis Hamilton gagne plus de 40 millions de dollars (35 millions d'euros) par an, et d'autres pilotes 150.000 euros, pour faire le même travail", a tonné Romain Grosjean en qualité de président de l’association des pilotes de Grand Prix de Formule 1 (GPDA), en marge des essais du Grand Prix d’Autriche. Lewis Hamilton gagne 40 millions de dollars par an (plus de 35 millions d’euros) et réclame une augmentation de salaire pour 2021. Alors qu’il est déjà très loin devant les autres pilotes (3e, Ricciardo touche moitié moins d’argent), Hamilton voudrait percevoir un salaire annuel de 44 millions de dollars (39 millions d’euros).
Les risques du salary cap
La requête du sextuple champion du monde britannique n’a pas été très bien accueillie par ses pairs, dont une partie réclame l’instauration d’un salary cap visant à plafonner la masse salariale d’une équipe. "C'est une discussion qui a eu lieu au sein de l'association des pilotes, il y avait des pour et des contres, a renseigné Grosjean. Le problème qui a été posé est que si on impose un salary cap pour les pilotes, on risque de casser la filière du sport automobile. Car quel manager ou constructeur va investir dans un jeune pilote, financer le début de sa carrière si plus tard il ne peut pas récupérer de l'argent en touchant un pourcentage des salaires élevés en F1?"
La racaille immigrée agresse et vole au Parc Astérix (vidéo)
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Un cambrioleur frappe et défèque sur sur sa victime octogénaire et crie "Allah Akbar"
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Un homme de 53 ans a été condamné à 24 mois d'emprisonnement, dont six avec sursis, pour avoir volé, frappé et déféqué sur un homme de 85 ans qu'il venait cambrioler en mai au Croisic. Il a également injurié et menacé de mort les policiers municipaux venus l'interpeller. Il était jugé ce jeudi.
Les faits remontent au 29 mai dernier. En plein après-midi, parce qu'il a vu une fenêtre ouverte et qu'il n'avait pas d'argent, le prévenu entre dans la maison de l'octogénaire au Croisic. Il y dérobe des vêtements, un téléphone et trois couteaux. Il s'en va mais revient car il a oublié ses chaussures. Entre-temps, le retraité a appelé la gendarmerie. L'ancien responsable du cinéma du Croisic essaie alors de coincer le cambrioleur avec son déambulateur, lui attrape le bras. Mais le quinquagénaire le fait chuter.
Le cambrioleur défèque sur sa victime de 85 ans
Le retraité essuie de nombreux coups, notamment à la tête. Des coups que conteste le prévenu sans convaincre le tribunal correctionnel de Saint-Nazaire qui le juge ce jeudi. Puis quand le vieil homme est au sol, il défèque sur lui et lui macule la tête avec ses excréments. "Il a été souillé littéralement" insiste l'avocat de la victime Me Frignat qui estime qu'il "n'a dû son salut qu'à l'arrivée de la police municipale".
Les policiers municipaux menacés de mort
Les agents se font copieusement insulter, menacer de mort et de carnage. A plusieurs reprises, le cambrioleur crie "Allah Akbar, je vais revenir avec une voiture, tout défoncer, faire un carnage". Le prévenu a déjà été condamné à 19 reprises, dont une fois pour assassinat. Et quand le procureur dénonce son "comportement odieux", il préfère se boucher les oreilles.
Le tribunal correctionnel de Saint-Nazaire a condamné le prévenu à 24 mois d'emprisonnement dont six mois avec sursis et mise à l'épreuve pendant deux ans. Il est maintenu en détention et a interdiction de rencontrer la victime et de se rendre au Croisic à sa sortie de prison.
I-Média n°301 – USA. Émeutes raciales : ce que les médias cachent
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LE SPECTRE DU FASCISME - SAINT-PAULIEN
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« II faut créer une force nouvelle. »
Drieu La Rochelle («Socialisme fasciste» — 1934)
D’abord, qu'est-ce que le fascisme ?
Le Fascisme originel est la doctrine du parti fondé à Milan le 23 mars 1919 par Benito Mussolini, ex-socialiste révolutionnaire, ex-directeur — avec Pietro Nenni — de « l’Avanti ». Il a quitté ce journal pour faire paraître, le 14 novembre 1914, un autre quotidien socialiste : « II Popolo d'Italia ». Au-dessous du titre, on lit :
Qui a du fer a du pain. Blanqui.
La Révolution est une idée qui a trouvé des baïonnettes. Napoléon.
Le premier article de Mussolini, intitulé « Audacia », commence ainsi :
« Je m'adresse à tous ceux que le destin a chargés de faire l'Histoire. » Il s'agit donc de faire l'Histoire. Comment ?
« L'homme n'est ce qu'il est, écrit Mussolini, qu'en fonction du processus spirituel auquel il concourt, dans le groupe familial et social, dans la nation et au sein d'une Histoire à laquelle collaborent toutes les nations. D'où les hautes valeurs de la tradition dans les mémoires, la langue, les mœurs et les lois de la vie sociale. En dehors de l'Histoire, l'homme n'est rien. C'est pourquoi le Fascisme est contraire à toutes les abstractions individualistes à base matérialiste à la mode au XIXème siècle ; c'est pourquoi il est aussi contraire aux utopies et innovations jacobines... Il repousse les conceptions selon lesquelles, à un certain moment de l'Histoire, le genre humain parviendrait à un stade d'organisation définitive. Une telle doctrine est contraire à l'Histoire réelle et à la vie, qui est mouvement incessant et perpétuel devenir. »
Le Fascisme se distingue essentiellement du Capitalisme, du Conservatisme, du Socialisme marxiste et du Communisme soviétique par un contenu spirituel, une progression systématique, et la possibilité d'un renouvellement idéologique constant dans le temps et dans l'espace.
Lorsque l'Italie entre en guerre, Mussolini s'engage. Blessé gravement en 1917, le caporal des bersaglieri revient à Milan et reprend la lutte au « Popolo ». Face à la vague rouge, il fonde les « Fasci di Combattimento ». En novembre 1919, arrive à Moscou une délégation de socialistes italiens qui est reçue par Lénine : « Pourquoi avez-vous laissé partir le camarade Mussolini ? interroge-t-il immédiatement. En Italie, c'est le seul homme capable de faire une révolution. A présent, il est contre nous ».
Mussolini a choisi deux modèles. D'abord le révolutionnaire Blanqui, socialiste national. Condamné à mort par Gambetta, il passa trente-sept années en prison. Et Napoléon. Choix symbolique. Le symbole du faisceau n'est pas moins clair.
Les faisceaux des licteurs — qui précédaient consuls et dictateurs — étaient des fascines de verges liées, d'où émergeait un fer de hache. Mussolini utilisait ainsi un symbole d'union, de « forces liées », directement tiré de l'histoire romaine. Unir était le premier mot d'ordre du parti fasciste. La notion de droite ou de gauche est ici inexistante.
Il est étrange de constater que le Faisceau figure toujours en bonne place dans les armoiries de cette République Française dont on oublie le numéro.
Nos bons « antifascistes » oublient que le socialiste Albert Thomas, secrétaire général du Bureau International du Travail de Genève, reconnaissait que les lois sociales fascistes étaient « les plus hardies d'Europe » : il lui eût été difficile de ne pas le reconnaître. N'oublions pas, non plus, que Toscanini et F.T. Marinetti, fondateur du « Futurisme », étaient colistiers de Benito Mussolini aux élections de Milan, en 1920.
Nous savons qu'au moment de la Marche sur Rome, en 1922, Mussolini hésite : il veut proclamer une République fasciste, ce qu'il fera en 1943 : vingt et un ans trop tard. La Maison de Savoie ne cesse jamais d'être antifasciste. Victor-Emmanuel en 1945 envoie à Staline le Grand Collier de l’Annonciade : le dictateur soviétique devient ainsi cousin du roi ! Le 2 juin, la République italienne est proclamée, grâce aux voix fascistes. En l'occurrence, le Fascisme, c'est la Gauche.
Le 24 janvier 1920, Hitler présente, dans la grande salle d'une brasserie munichoise, le Hofbräuhaus, « le Parti Ouvrier allemand national-socialiste ». La volonté de synthèse est ici plus évidente encore, d'autant que Hitler exige « l'abolition de l'esclavage des intérêts bancaires, la nationalisation des trusts et la participation directe des travailleurs aux bénéfices de leurs entreprises ».
Le putsch national-socialiste qui échoue à Munich en novembre 1923 — exactement le 18 Brumaire - est dirigé contre le Commissaire d'Etat bavarois von Kahr, le général von Seeckt, chef de la Reichswehr, et son adjoint politique von Schleicher, le général von Lossow, soutenus par le prince Rupprecht de Bavière et la hiérarchie de l'Eglise catholique : toute la Droite conservatrice, toute la Réaction. C'est encore un von qui oblige Roehm et ses SA à mettre bas les armes au ministère de la Guerre : Epp.
L'action de Hitler et Mussolini est inexplicable si l'on oublie que l'écroulement de trois empires, celui des Romanov, celui des Hohenzollern et celui des Habsbourg, avait permis au communisme de guerre d'avancer résolument au cœur de l'Europe. En Allemagne, les Spartakistes, les Conseils (Soviets) de Marins, d'Ouvriers et de Soldats avaient pris le pouvoir à Kiel, Brème, Halle, Leipzig, Magdebourg, Essen, Berlin.
L'Armée Rouge avait été arrêtée dans les Pays Baltes par un Corps de Volontaires allemands, le Baltikum, et devant Varsovie, grâce à l'intervention directe de la France et à l'habileté manœuvrière du général Weygand.
Le communiste Kurt Eisner avait proclamé une « République socialiste bavaroise », en plein accord avec un envoyé de Trotsky, Lewien. Un autre communiste, Bêla Kun, de sinistre mémoire, avait pris le pouvoir en Hongrie. L'Europe danubienne était à feu et à sang.
C'est ce qui explique d'abord l'apparition de mouvements de synthèse du national et du social, de la révolution nécessaire et des plus glorieuses traditions. En France, la première association de ce genre fut fondée le 11 novembre 1925 par un dissident de l’Action Française, Georges Valois, qui venait du reste de l'extrême-gauche. C'était le Faisceau, qui disparut pratiquement trois ans plus tard.
Donner à un parti national le nom d'un mouvement étranger constituait une incroyable bévue qui fut souvent commise, et d'abord par le fondateur de l’Union des Fascistes Britanniques, Sir Oswald Mosley, qui du reste reconnut cette erreur dans ses Mémoires. Plus tard, en 1934, un Parti Fasciste suisse, créé par le fils du colonel Fonjallaz, ne connut qu'un succès médiocre ; Christian Message, ancien séminariste, fonda, en 1940, un Parti national-socialiste français, qui n'en eut aucun.
Au contraire, le Parti National Réformateur de Mustapha Kemal permit l'édification de la République Turque, dont le général fut élu président en 1923. De même, la Légion portugaise du Dr. Salazar et la Phalange espagnole jouèrent un rôle de premier plan dans l'édification d'Etats où le national-corporatisme et le national-syndicalisme entreprirent des révolutions qui restent inachevées. La Garde de Fer en Roumanie, Rex de Léon Degrelle en Belgique, les Croix Fléchées en Hongrie furent, avant-guerre, des partis d'opposition, de même que le Parti National-Socialiste hollandais d'Anton Mussert qui, aux élections de 1935, obtint 300.000 voix. Mussert, comme le Dr. Clausen, chef du Parti National-Socialiste danois - qui s'affirmait « chrétien » — et Quisling, plus tard chef du Nasjonal Samling norvégien, se considéraient comme appartenant à l'ethnie germanique. C'est une conception qui coûta très cher aux chefs et aux adhérents de ces mouvements après la défaite du IIIe Reich.
En France, un des principaux dirigeants du Parti Communiste, Jacques Doriot, député-maire de Saint-Denis, avait définitivement rompu avec Moscou en 1934 et fondé, en 1936, le Parti Populaire Français. Le style de ce Mouvement ressemblait assez peu à celui des Ligues qui avaient succédé au Faisceau de Georges Valois : Jeunesses Patriotes, Parti National Populaire, Croix de Feu et Volontaires Nationaux, Solidarité Française, Les Francistes de Coston et Le Francisme de Bucard, etc...
En 1936, au moment de la grande folie du Front Populaire, Doriot avait proposé au Parti Social Français, rassemblement issu des Croix de Feu et présidé par le colonel de La Rocque, de mener une action commune contre le gouvernement de Léon Blum au sein d'un Front de la Liberté. La Rocque, pour des raisons obscures, avait refusé.
Le Front de la Liberté n'en réunit pas moins, avec le PP.F., des amis du légendaire aviateur Jean Mermoz, vice-président du P.S.F. qui disparut mystérieusement dans l'Atlantique sud à la fin de 1936, et le Parti Radical Français d'André Grisoni, Milles-Lacroix et Gaston-Gérard, le Parti Agraire et Paysan Français de Paul Antier, les Comités de Défense paysanne de Dorgères (Haut les Fourches !), le Parti Républicain National et Social de Taittinger, de nombreux éléments de la Fédération Nationale Catholique, l'Action Française, ainsi que des syndicats indépendants et des mouvements de défense de l'armée, comme l'Union Militaire Française. La tactique du Front était retournée contre les marxistes et grâce à de solides noyaux ouvriers, paysans, syndicalistes, une synthèse des forces françaises actives, réelles, se trouvait réalisée.
Avec Doriot, des orateurs fameux : Philippe Henriot, Xavier Vallat, Léon Daudet, Pierre Taittinger, Delest, Dorgères, s'exprimèrent devant de vastes auditoires, à Paris et en province, de 1936 à 1939. Il s'agissait, expliquait Doriot,
1)De juguler le parti de Staline qui, en France, poussait à la guerre, tout en préparant la défaite ;
2) D'empêcher une guerre qui nous ferait tout perdre et rien gagner ;
3) De refaire de la France une grande nation européenne ayant des rapports normaux avec l'Allemagne et l'Italie ;
4) De substituer aux Traités de Versailles, Saint-Germain, Trianon, des accords réalistes, permettant la création d'une véritable Entente européenne ;
5) De créer, avec tous les peuples de notre Empire, de nouveaux rapports moraux, sociaux, économiques, dans le respect absolu de leurs valeurs, croyances, traditions et possibilités réelles. Ces peuples devaient décider très librement de la nature des liens les unissant à la métropole.
Nous reparlerons du P.P.F., toujours désigné comme « essentiellement fasciste ».
Ce n'est pas la Gauche qui chassa du pouvoir en 1935 Juan-Domingo Perón, chef des Descamisados et du Justicialisme, mais la Réaction la plus méprisable. Lorsque Perón reprit le pouvoir en 1973 et rentra d'exil, il n'était plus que l'ombre de lui-même. Agé de 77 ans, déjà gravement malade, il retrouva un pays ruiné, en proie à l'inflation galopante, aux factions et à la terreur. Le Justicialisme est mort avec lui. Il renaîtra, espérons-le, sous une autre forme.
Tous ces Mouvements luttaient à la fois contre le communisme, le socialisme marxiste, les forces de la Réaction, les oligarchies financières et « la puissance coercitive du capitalisme international ».
Au sein de chaque nation, ces mouvements combattaient pour donner un nouveau sens à l'Histoire et c'est bien ce qu'il faut faire aujourd'hui. C'était la première étape d'une union des peuples occidentaux, menacés de mort, contre le bolchevisme, secret allié du capitalisme international.
Chaque nation devait faire son salut à sa manière. Pourtant, lorsqu'on relit les programmes de ces Mouvements, on constate qu'ils préconisaient, dans chaque pays, une révolution intellectuelle, morale, sociale et politique, beaucoup plus profonde que celles qui sont encore proposées par les vieux doctrinaires des IIe, IIIe et IVe internationales. La notion de Droite ou de Gauche est ici dépassée.
Lorsque José Antonio Primo de Rivera, fils de général, donna lecture, le 29 octobre 1933, au théâtre de la Comédie à Madrid, du programme de la Phalange, ce fut, parmi les auditeurs appartenant à la Droite, la stupeur et bientôt l'indignation.
José Antonio déclarait d'abord :
« L'Espagne est une unité de destin dans l'universel ».
Il affirmait ensuite que l'Etat national-syndicaliste protégerait la propriété privée, la propriété familiale, la propriété communale, et qu'il instaurerait la propriété syndicale. D'où création d'une propriété communautaire, en harmonie avec les intérêts de la nation.
Cela supposait, selon José Antonio, trois grandes réformes :
1) Nationalisation des services du crédit,
2) Révision radicale des formes de métayage en vigueur, afin que les grandes propriétés fussent exploitées au juste bénéfice des travailleurs de la terre et au profit de la collectivité
3) Participation réelle du travailleur aux bénéfices et à la plus-value des entreprises industrielles. Le syndicat vertical n'est pas représentatif, mais légalement participatif : c'est lui qui détermine la politique économique du pays.
Un pionnier, une « Vieille chemise » de la Phalange, Fernandez Cuesta, me dit qu'une bonne partie des assistants quitta le théâtre atterrée.
Trois ans plus tard, d'autres invités sortirent du Théâtre municipal de Saint-Denis non moins angoissés. Le P.P.F. de Jacques Doriot y célébrait son premier congrès national et le député-maire de Saint-Denis, élu contre Duclos, avait déclaré :
« Au Capital, sa place, mais rien que sa place,
Au Travail, sa place, mais toute sa place. »
Et encore :
« Entre les communistes et les Deux Cents familles, il y a du monde en France ! »
Enfin — rue de Belleville — en 1937 :
« Messieurs les communistes qui êtes dans la salle, vous savez qu’une fois de plus j'ai publiquement invité le camarade Maurice Thorez à cette réunion. Malheureusement, il n’est pas venu et il ne viendra pas sur cette estrade m'apporter la contradiction. Je vous prie donc de lui répéter ce que je vais vous dire : si vous croyez que le camarade Staline s'intéresse à vos augmentations de salaires, vous vous trompez beaucoup. Je le connais mieux que vous ; vos salaires, il s'en moque, et je vais vous dire ce qui l'intéresse: que nous nous battions à mort contre Hitler, afin qu'il puisse tirer les marrons du feu. »
Qu'ils fussent revêtus de chemises noires, brunes, vertes ou bleues, les hommes — et les femmes - désignés comme « fascistes » étaient tenus en suspicion par la Droite, le Centre, toutes les organisations et institutions du conservatisme social et politique. Le plus souvent, on les considérait comme des « communistes camouflés » et des agitateurs de la pire espèce.
La Droite classique et traditionnelle comprit trop tard le sens du drame. La Droite de l'argent et des « intérêts créés » subventionnait l'extrême-gauche et bientôt décernait aux Bolcheviks des brevets de patriotisme. Nous voulions faire l'Europe. Nous fîmes la guerre.
Tout ce qui constituait l'armature de l'Europe réelle fut sacrifié, fusillé, emprisonné, calomnié, isolé, finalement engagé dans des aventures sans issue et facilement rejeté dans le ghetto d'une Droite caricaturale et besogneuse.
Cependant, aujourd'hui même, la seule solution n'est ni à gauche, ni à droite. Elle est dans la synthèse des deux.
Communistes, marxistes, conservateurs aveugles et sourds, anti-Boches - il y en a toujours - redoutent plus que tout de voir surgir un Mouvement au sein duquel ouvriers, techniciens, patrons, employés, paysans, enseignants, intellectuels, seraient fraternellement unis. C'est pourquoi « le combat antifasciste » reste la base essentielle des propagandistes et agitateurs des diverses formations marxistes. C'est pourquoi tout ce qui contrarie la marche en avant des Marxistes est considéré comme « fasciste ».
Le « spectre qui hante le monde » n'est plus le communisme. C'est le « fascisme ». L'image du bolchevik des années 1925-28, de « l'Homme au couteau entre les dents », a été remplacée par celle du féroce SS - qui était du reste un SD - , gardien des camps de concentration... il y a plus de trente ans !
Peu importe que ces camps aient existé bien avant que Hitler ne prît le pouvoir. D'après Soljénitsyne, Martchenko, le Dr. de Toth, Sakharov, et d'autres témoins, la population des camps de concentration soviétiques peut être actuellement évaluée entre un million et demi et deux millions d'êtres humains. Peu importe que la terreur règne toujours derrière le rideau de fer, que les communistes triomphants massacrent et torturent en Indochine et en Afrique des dizaines de milliers d'innocents. C'est autour de quelques centaines de terroristes et activistes communistes, arrêtés et condamnés en Espagne ou au Chili, que l'on agite « l'opinion mondiale ».
En 1976, il n'y a pas au monde la moindre trace d'un pouvoir fasciste ou national-socialiste. Depuis 1945, il y a eu et il y a toujours d'innombrables dictatures militaires, policières, tribales, etc... Tout porte à croire que ce n'est pas fini. Mais enfin, on a pris l'habitude de désigner comme « fascistes » tous ceux qui gênent les exercices des communistes et autres gauchistes. Nous pouvons lire tous les jours que MM. Giscard, Chirac, Poniatowski, Lecanuet sont « fascistes », et j'ai lu que Jules Moch, Ramadier, Guy Mollet, De Gaulle, Pompidou l'étaient aussi.
Je lis qu'on nous prépare une « France soviétisée ». Elle l'est déjà plus qu'à demi ! La société de production-consommation est sous-soviétisée. Trop peu d'entreprises sont saines. La plupart sont directement menacées de l'intérieur : quatre ou cinq associations, dites syndicales, antagonistes y organisent un combat incessant. Chacune a pour but de défendre les intérêts de ses adhérents, au lieu de veiller à un intérêt commun, qui est bien évidemment celui de l'entreprise. Il n'y a plus de production cohérente possible.
Les splendides réussites économiques italienne et allemande d'avant la guerre ne peuvent être niées. Elles étaient dues à la solidarité populaire ouvriers-techniciens-patrons.
En France, il fallut attendre le 1er Mai 1941 pour qu'un chef d'Etat, enfin convaincu, parce que vaincu, le maréchal Pétain, commençât ainsi un certain discours, à Saint-Etienne :
« Ouvriers, techniciens, patrons... »
Encore était-ce parce qu'on avait pris la peine de lui expliquer le problème.
Aujourd'hui, le chef de l'Etat français veut que « progressent la rationalité et la justice dans le fonctionnement de l'économie mondiale ». Comment atteindre ce but, comment créer « un nouvel ordre économique mondial », alors qu'un sabotage systématique de l'utilisation des matières premières est organisé à la base, dans chaque nation, par une armée étrangère qui campe en Occident : communistes, marxistes et Cie ?
Tous les mouvements que nous avons évoqués ont lutté pour défendre l'entreprise à la base, à la fois contre un insupportable paternalisme et un pseudo-syndicalisme politisé. Avant de descendre dans la rue, c'est sur le Front du Travail que ces partis de synthèse ont livré bataille.
Avec De Gaulle et le mythe de « la participation », certains eurent l'illusion qu'une espèce de fascisme était au pouvoir. Pitoyable illusion que les Hexagonaux ont payée fort cher. Aujourd'hui, ce que l’on voit à la télévision, ce qu'on peut lire dans des journaux qui, le plus souvent, sont des bulletins publicitaires, prouve que la nation est incapable d'un effort collectif pour se sauver. Cependant Mussolini, Mustapha Kemal, Salazar, Antonio, d'autres encore, réussirent à tirer de l'abîme des peuples qui s'abandonnaient. Et maintenant ?
« Gauche, Droite... Ces mots n'ont pas de sens ! » nous disait en 1937 Drieu La Rochelle. De nos jours, la société occidentale telle qu'elle est conçue, telle qu'elle fonctionne, est indéfendable. Quand elle n'est pas criminelle, elle est absurde ou corrompue : seuls des individus de beaucoup de présomption et de peu de capacité prétendent le contraire. Depuis 1945, la fausse intelligence et l'imposture ont partout triomphé. Le nihilisme ne trouve pas devant lui des volontés, mais quelques bonnes volontés, des hommes las avant la bataille. Aucune doctrine hardie, cohérente. Aucune organisation politique, intellectuelle, spirituelle sérieuse. Un simulacre de Religion et l'Armée elle-même, deux fois décimée, ridiculisée par de fausses victoires, sont impuissantes ou complices. Le Bolchevisme va donner le dernier assaut. L'issue du combat ne semble pas douteuse. Lorsque, tout à coup...
SAINT-PAULIEN
Sources : Item « l’ordre » - mars avril 1976
Le futurisme contestataire
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- Catégorie : Littérature
« Une automobile rugissante, qui a l'air de courir sur de la mitraille, est plus belle que la Victoire de Samothrace». Filipo Tommaso Marinetti l'affirme dans un manifeste, publié, le 20 février 1909, dans « Le Figaro».
Pour lancer cette proclamation, qui condamne « l'immobilité pensive» et exalte « le mouvement agressif..., le pas gymnastique, le saut périlleux, la gifle et le coup de poing», le poète italien a choisi Paris. Son pays, estime-t-il, ne convient pas à une telle entreprise.
Choix paradoxal, puisque l'auteur entend bien demeurer essentiellement italien, et donner au « futurisme», dont il expose les principes, un caractère national. Paris est alors la ville accueillante à toutes les créations littéraires et artistiques. Naturalisme, impressionnisme, symbolisme, orphisme, nabisme, fauvisme, cubisme y ont suscité des curiosités inlassables et des débats passionnés.
L'Italie, au contraire, demeure soumise aux disciplines classiques. Dans le Nord, son développement industriel paraît requérir toutes ses énergies.
Marinetti n'est qu'un homme de lettres, mais un an (presque jour pour jour) après son manifeste, cinq peintres italiens qui ont adopté ses principes en publient un à leur tour, Ils se nomment Boccioni, Carra, Russolo, Baila, Severini.
En Italie, cette déclaration de principes fait, selon l'un de ses signataires, « l'effet d'une décharge électrique».
Au mois d'avril suivant, les «cinq» publient un nouveau document : le « Manifeste technique de la peinture futuriste».
La prééminence du dynamique sur le statique y est affirmée. La nouvelle peinture traduira dans son langage « la vie moderne fragmentaire et rapide».
« II faut mépriser toutes les formes d'imitation». Le mouvement et la lumière doivent anéantir la matérialité des corps. Le nu, encore triomphant dans les salons, est déclaré aussi nauséeux en peinture que l'adultère en littérature. Les futuristes exigent sa suppression totale pour dix ans.
L'absolutisme même des allégations futuristes ne facilite pas, en 1910, l'approbation des théories nouvelles par l'opinion italienne. Aussi est-ce à Paris que, grâce à Gino Severini, qui est venu y résider, la première grande exposition futuriste peut avoir lieu. Elle se tient en février 1912 à la galerie Bernheim-Jeune.
Soixante et un ans après cette manifestation historique, c'est encore Paris qui présente, au Musée d'art moderne, une rétrospective de ce mouvement.
Près de quatre-vingt-dix peintures, sculptures et dessins, et de nombreux documents, permettent de mesurer le chemin parcouru depuis la proclamation de ces audaces. Il apparaît aujourd'hui qu'elles ne se sont pas soustraites à une permanence plastique de bon aloi : les peintres futuristes sont d'abord des peintres ; le « faire » italien s'y distingue. C'est en vain qu'ils s'élèvent contre la culture classique. Ils sont conditionnés par un savoir séculaire, qu'ils enrichissent des recherches picturales de leur temps.
Celles-ci leur fournissent les moyens techniques d'exprimer la lumière et le mouvement. Le divisionnisme de Seurat, en particulier, permet la conversion des formes en vibrations lumineuses et en perceptions animées.
Le futurisme, qui doit tant au cubisme, s'oppose ici à lui. Alors que le cubisme, soucieux de constructivité, tente de rétablir un ordre classique par la recomposition synthétique des formes, le futurisme tend à un éclatement, traduisant des « états d'âme plastiques».
En raison même de la liberté et de la souplesse de l'expression verbale, Marinetti apparaît cependant plus affranchi du formalisme traditionnel que ceux qui le suivront picturalement.
Cet Italien si indéfectiblement attaché à son pays est, en outre, de culture cosmopolite. Né à Alexandrie, en Egypte, en 1876, il a accompli à Paris la majeure partie de ses études. Il s'exprime aussi bien en français qu'en italien. Sa tragédie « Le roi Bombance », publiée en 1905, a même été écrite dans notre langue, et n'a été traduite qu'ultérieurement en italien, sous le titre « Re Baldoria». Son œuvre littéraire est alors désordonnée, baroque, voire saugrenue, mais brillante et riche d'inventions. En fait, ce novateur apparemment brouillon est très informé des diverses tendances qui contestent la culture de son temps. Il n'ignore pas les essais « unanimistes» de Jules Romains, dont « L'âme des hommes» a paru en 1904.
Si l'on ne peut lui refuser la paternité d'un mouvement qu'il a eu le mérite de définir et d'animer chaleureusement, on peut considérer que, curieux de littérature française, il a dû connaître les textes précurseurs de ce qui sera le futurisme.
Or il ne les a jamais évoqués. Et en conséquence, le même silence a été observé par ses biographes, et par les historiens du futurisme.
Compte tenu de l'évolution technique, la précellence de l'automobile de course sur la «Victoire de Samothrace» a pourtant des précédents. Dès 1852 (année de l'établissement du Second Empire) Louis de Cormenin blâmait, dans « Les fleurs de la Science», les «poètes à courte vue» qui estimaient incompatibles le machinisme et le lyrisme. La machine, certes, est encore imparfaite, écrivait-il, mais attendez, « et la locomotive sera aussi belle que le quadrige d'Agamemnon ».
En 1853, la «Revue de Paris» entreprenait une campagne en faveur de l'introduction du monde mécanique dans les lettres et dans les arts. Louis Ulbach, Achille Kaufmann se distinguaient dans cette tentative. Kaufmann décrivait habilement, en peintre pourrait-on dire, les sensations visuelles d'un voyageur en chemin de fer. S'adressant aux hommes de lettres, il leur disait : « Si vous ne sentez pas alors le grandiose et la poésie de l'industrie, vous n'avez pas besoin de chercher ailleurs des inspirations, vous n'en trouverez nulle part».
Deux ans plus tard, Maxime Du Camp faisait paraître ses « Chants modernes», dont la préface constituait, plus d'un demi-siècle avant Marinetti, un véritable manifeste futuriste. Du Camp dénonçait l'attachement à un archaïsme gréco-latin. On s'occupe encore, écrivait-il, de la guerre de Troie et des Panathénées, en un siècle « où l'on a découvert des planètes et des mondes, où l'on a trouvé les applications de la vapeur, l'électricité, le gaz, le chloroforme, l'hélice, la photographie, la galvanoplastie...»
Cormenin, Ulbach, Kaufmann, Du Camp avaient d'ailleurs, en Angleterre, un illustre prédécesseur: William Wordsworth, mort en 1850, à quatre-vingts ans. « Les découvertes du chimiste, du botaniste ou du minéralogiste, avait-il dit, seront, pour l'art du poète, des objets aussi convenables que ceux sur lesquels il s'exerce actuellement».
Même un romancier tel que Jules Verne ne dédaignait pas de recourir au vocabulaire scientifique pour ses descriptions poétiques. Ainsi ce lever de soleil : « Le luminaire du jour, semblable à un disque de métal doré par le procédé Ruolz, monta de l'océan comme s'il sortait d'un immense bain voltaïque».
Parmi les artistes disposés à passer de la novation littéraire à la novation plastique, Umberto Boccioni va se révéler l'un des plus résolus. Lorsqu'il fait la connaissance de Marinetti, en 1909, l'année du premier manifeste, il s'est déjà livré à des recherches tendant à soustraire les arts aux disciplines académiques alors en faveur. D'abord séduit par le néo-impressionnisme et le « Modem style», il s'intéresse, dès 1911, au cubisme. Sculpteur autant que peintre, Boccioni publie en 1912 le « Manifeste technique de la sculpture futuriste».
Sa condamnation de l'exploitation du classicisme y est catégorique. Prétendre créer « avec des éléments égyptiens, grecs, ou hérités de Michel-Ange, est aussi absurde, assure-t-il, que de vouloir tirer de l'eau d'une citerne vide au moyen d'un seau défoncé».
Les tableaux actuellement exposés au « Musée national d'art moderne» démontrent l'efficacité de ses recherches quant à l'expression du mouvement. Sans aucune détermination précise des cavaliers et de leurs montures, sa «Charge des lanciers» impose le sentiment vertigineux d'une force convergeant irrésistiblement sur un même point.
D'un tempérament moins doctrinaire que Boccioni, Carlo Carra prétendra avoir découvert la notion picturale du mouvement en se trouvant mêlé à une manifestation populaire. Sa fréquentation des milieux ouvriers, socialistes et anarchistes, contribuera évidemment à de telles découvertes.
Il s'efforce cependant d'aller au-delà de la traduction du mouvement, et d'exprimer aussi les sons et les odeurs, afin d'obtenir une « peinture totale». Ses conceptions en cette matière sont pour le moins originales. « Nous n'exagérons guère, écrit-il en 1913, lorsque nous affirmons que les odeurs peuvent à elles seules déterminer dans notre esprit des arabesques de formes et de couleurs constituant le thème d'un tableau et justifiant sa raison d'être.»
« Les funérailles de l'anarchiste Galli», «Ce que m'a dit le tram», «Poursuite», présentés à Paris, sont des œuvres qui expliquent les aspirations de l'artiste. Carra y renoncera plus tard, après avoir rencontré Chirico, et pratiquera, au sein du groupe « Novecento », la peinture figurative qu'il avait dénoncée en sa jeunesse.
Luigi Russolo n'est pas seulement peintre, il est aussi, et avant tout sans doute, musicien. Aussi ne peut-on pratiquement pas isoler ses recherches plastiques de ses recherches musicales.
— Nous prenons infiniment plus de plaisir, a-t-il dit, à combiner idéalement des bruits de tramways, d'autos, de voitures et de foules criardes qu'à écouter encore, par exemple, l'« Héroïque» ou la « Pastorale».
La machine musicale (« Intonarumori ») que Russolo construisit, avec le peintre Ugo Piatti, n'apparut cependant pas convaincante. Après la guerre, où il fut blessé, son inventeur vint à Paris, où il se livra, lui aussi, à la peinture figurative.
Doyen des signataires des manifestes de 1910, Giacomo Balla aura été essentiellement peintre. Encore qu'il se soit formé à peu près seul, il fait toujours au début du siècle, figure de maître. Il compte parmi ses élèves Boccioni et Severini.
Ses études de la décomposition de la lumière et du mouvement doivent beaucoup au divisionnisme. Mais il se propose de donner à celui-ci un caractère plus général, et d'en faire, en quelque sorte, l'instrument d'une esthétique nouvelle.
Son « Lampadaire» a pour objet principal de « démontrer que le romantique clair de lune est écrasé par la lumière électrique moderne». Ses « interpénétrations» préfigurent les recherches d'abstraction géométrique.
Si Gino Severini est, en France, le plus connu des artistes futuristes italiens, c'est qu'il s'établit très jeune à Paris, où il demeurera pratiquement pendant soixante ans. Compagnon d'Apollinaire, Max Jacob, Modigliani, Picasso, Braque, Delaunay, il épouse en 1913 la fille de Paul Fort.
A ses débuts, la peinture de Seurat exerce sur lui une influence décisive. Mais très tôt il est acquis aux principes du futurisme, qui répond à ses goûts modernistes pour la machine et la vitesse, qui, croit-il, doivent permettre à l'homme de dominer la matière. Il va même jusqu'à s'initier au pilotage aéronautique.
Plusieurs de ses œuvres exposées ont été inspirées par la vie parisienne : « L'autobus», « La danse de l'ours au Moulin-Rouge», « Rythme plastique du 14 juillet», « Danseuse au bal Tabarin». L'artiste a lui-même expliqué le sens du tableau «Nord-Sud» qui figure à l'exposition : « l'idée de la vitesse avec laquelle un corps illuminé traverse des tunnels alternativement sombres et éclairés...».
A ces cinq «grands» du futurisme, il faut ajouter Ardengo Soffici, écrivain autant que peintre, et l'architecte Antonio Sant'Elia, qui, soldat, fut tué en 1916, à vingt-sept ans. Un an plus tôt, Soffici avait déjà abandonné le groupe futuriste, en raison de ses dissentiments avec Marinetti.
La guerre, dont Marinetti magnifie les vertus régénératrices, sera donc fatale au futurisme italien proprement dit. Aux épreuves d'un conflit qui provoque des pertes irréparables, s'ajoutent des outrances de pensée et des intempérances de langage peu faites pour contribuer au crédit de cette école.
Ainsi, dans son « Manifeste futuriste de la luxure», publié en janvier 1913, Valentine de Saint-Point se livre à une apologie déréglée de la guerre. « La luxure, professe cette petite-nièce de Lamartine, est pour les conquérants un tribut qui leur est dû. Après une bataille où des hommes sont morts, il est normal que les victorieux, sélectionnés par la guerre, aillent, en pays conquis, jusqu'au viol pour recréer de la vie».
Sans doute Valentine de Saint-Point n'exprime-t-elle là que des considérations personnelles. C'est d'ailleurs une excentrique (vers la fin d'une carrière agitée, s'étant retirée en Egypte, elle se convertit à l'islamisme).
Pour avoir soutenu les futuristes avec un zèle jugé alors intempestif, Apollinaire, quant à lui, perdra en 1914 sa fonction de critique d'art à « l'Intransigeant» : « Vous vous êtes obstiné, lui écrit son directeur, Léon Bailby, à ne défendre qu'une école, la plus avancée, avec une partialité et une exclusivité qui détonnent dans notre journal indépendant... La liberté qu'on vous a laissée n'impliquait pas dans mon esprit le droit pour vous de méconnaître tout ce qui n'est pas futuriste».
Ce grief apparaît aujourd'hui d'autant plus singulier que Guillaume Apollinaire ne peut être tenu pour un champion inconditionnel des futuristes. S'il a été séduit par leur mouvement, il en a distingué les travers : « Ils se préoccupent avant tout du sujet, écrit-il en 1912. Ils veulent peindre des états d'âme. C'est la peinture la plus dangereuse qui se puisse imaginer...»
Sans le déclarer ouvertement, Apollinaire accorde plus de crédit au cubisme, qu'il comprend d'ailleurs assez mal, qu'au futurisme. Cependant, l'universalité de celui-ci le séduit. L'auteur de « L'hérésiarque» propose de soustraire le futurisme à son italianisme originel, et de « réunir sous ce nom tout l'art moderne», en tenant compte, bien entendu, des particularismes constitutifs.
Cette tentative de fondation d'une «Internationale culturelle» n'est pas sans intérêt, mais elle se trouve aussitôt désavouée par le fondateur du futurisme lui-même : Marinetti. Celui-ci considère que le futurisme ne doit pas se départir de son caractère national.
Sentiment incompréhensible à qui oublierait que le futurisme a été lancé pour « délivrer l'Italie de sa gangrène de professeurs, d'archéologues, de cicérones et d'antiquaires... L'Italie a été trop longtemps le grand marché des brocanteurs. Nous voulons la débarrasser des musées innombrables qui la couvrent d'innombrables cimetières».
En 1910, dans son « Discours futuriste aux Vénitiens», Marinetti se réfère au passé glorieux de la cité des Doges pour flétrir l'avilissement de sa population contemporaine :
« Vous fûtes autrefois d'invincibles guerriers et des artistes de génie, des navigateurs audacieux et de subtils industriels... Avez-vous donc oublié que vous êtes avant tout des Italiens ? Sachez que ce mot, dans la langue de l'Histoire, veut dire : constructeurs de l'Avenir...»
Et, après avoir évoqué les « héros de Lépante», Marinetti conclut en exhortant ses compatriotes à préparer « la grande et forte Venise industrielle et militaire qui doit braver l'insolence autrichienne sur la Mer Adriatique, ce grand lac italien».
Déclaration belliciste qui rappelle que le futurisme n'est pas seulement un mouvement esthétique. Son caractère politique est attesté dès ses premières déterminations. Au neuvième paragraphe de son manifeste de 1909, Marinetti a proclamé : « Nous voulons glorifier la guerre (seule hygiène du monde), le militarisme, le patriotisme, le geste destructeur des anarchistes, les belles idées qui tuent, et le mépris de la femme»,
L'Italie de 1909 ne convient évidemment pas à l'application d'une telle doctrine. A la tête du gouvernement, Giovanni Giolitti pratique une politique de modération. Libéral et opportuniste, peu soucieux d'idéologie, mais attaché aux principes d'une gestion raisonnable des affaires publiques, il entend « donner satisfaction aux intérêts purement individuels et locaux». Il excelle à s'assurer une « clientèle». Salandra, qui lui succède à la veille de la Première Guerre mondiale, poursuit cette politique incolore.
Dans ce climat lénifiant, les futuristes ne paraissent que plus insolites. Depuis le début de l'année 1913, ils disposent cependant d'une revue, « Lacerba», dirigée par Giovanni Papini et Ardengo Soffici. Ce périodique atteint rapidement un tirage d'une vingtaine de milliers d'exemplaires. En raison même de sa dénonciation du régime «bourgeois», il est bien accueilli dans les milieux ouvriers, auxquels le programme futuriste doit pourtant paraître singulier.
En novembre 1914 paraît un nouveau journal «socialiste», qui dénonce l'attentisme du gouvernement et réclame l'intervention de l'Italie dans la guerre. Cet organe, « II popolo d'Italia», a pour animateur Benito Mussolini. En épigraphe, une citation de Napoléon : « La révolution est une idée qui a trouvé des baïonnettes». Son premier éditorial, signé Mussolini, se termine par ces mots : « Mon cri augural est un mot effrayant et fascinant : Guerre! »
A cinq ans de distance» la proclamation de Marinetti se trouve ainsi répétée, amplifiée par la réalité du conflit qui va bouleverser l'Europe.
Lorsque, en mars 1919, Mussolini crée le « Fascio », il reçoit naturellement l'adhésion de Marinetti.
Loin d'être scandaleux, le passage du futurisme au fascisme procède ainsi de la simple logique.
Aux diatribes des futuristes contre l'art académique, la littérature conventionnelle, l'enseignement traditionaliste, tout ce qui témoigne de la mort par sclérose d'une société, répond le chant allègre du Parti: Giovinezza («Jeunesse ») !
L'exposition du futurisme au « Musée d'art moderne» ne s'étend que sur une période de huit ans, de 1909 à 1916 : du premier manifeste de Marinetti à la mort de Boccioni et de Sant'Elia. L'époque du ralliement et celle qui lui a succédé, non seulement en Italie mais dans le monde, sont ainsi délibérément écartées.
Cependant, Marinetti n'est mort qu'en 1944, Russolo en 1947, Balla en 1958, Carra et Severini en 1966. Le futurisme, qui avait en quelque sorte assimilé les découvertes de l'impressionnisme, du pointillisme, du cubisme, devait féconder à son tour d'autres mouvements.
En Italie même, des artistes comme Prampolini, Martini, Depero, Sironi, Morandi, d'autres encore (et avec eux l'architecte Chiattone) ont maintenu, plus ou moins longtemps, la tendance futuriste.
En 1928, encore, le régime fasciste encourageait la « Première exposition d'architecture futuriste».
En Russie, où les novations culturelles occidentales étaient attentivement observées, Larionov, l'inventeur du « rayonnisme», reconnaissait dès 1913 ce qu'il devait au futurisme, au cubisme et à l'orphisme. Malévitch s'était inspiré très tôt, lui aussi, des principes de la nouvelle école italienne,
Gontcharova devait beaucoup à celle-ci, ainsi que l'atteste sa manière de provoquer le sentiment du mouvement par la décomposition des images.
Les œuvres de Mondrian, de Kandinsky, de jozef Peeters se réfèrent implicitement à « la splendeur géométrique et mécanique», et à la «sensibilité numérique» exaltées par Marinetti.
En Allemagne, l'influence du futurisme est sensible dans les œuvres de Meidner, Dix, Richter, Schad, etc.
Aux États-Unis, sur celles de Davies, Kuhn, Cramer, Kantov, Weber.
En Angleterre, le « vorticisme », fondé par Wyndham Lewis dès 1914, procède directement du futurisme. Ezra Pound, qui lui donna son appellation, l'a reconnu dans un propos dont la résonance va bien au-delà du particularisme vorticiste : « L'écrivain italien qui m'intéresse le plus aujourd'hui, et envers lequel je me sens une large dette de gratitude, est Marinetti. Marinetti et le futurisme ont donné un grand élan à toute la littérature européenne. Le mouvement qu'Eliot, Joyce, moi et d'autres avons lancé à Londres n'aurait pas existé sans le futurisme».
Maurice Cottaz
Sources: Le Spectacle du Monde – Novembre 1973
Comprendre l’oligarchie : L'Echo des Canuts n° 14
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