Usa 06 2020
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L’ANTICOMMUNISME DES NATIONALISTES AU TEMPS DE LA RÉPUBLIQUE GAULLIENNE : L'exemple des héritiers de Jeune Nation
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La question de l'anticommunisme des nationalistes pourrait paraître un objet susceptible d'être traité sans référence à une chronologie précise tant l'anticommunisme semble être un dénominateur commun et constant des différents groupements composant la nébuleuse nationaliste. Pourtant, cette étude, tout en ne perdant pas de vue les permanences, entend privilégier les singularités de l'anticommunisme des nationalistes des années 1960 par rapport à celui de leurs devanciers. En effet, la présence d'un bloc communiste à l'Est de l'Europe dont chacune des crises, à commencer par celle de Budapest, est célébrée et soutenue avec vigueur, l'accomplissement de la décolonisation et des traumatismes que provoque dans ces milieux le désastre de Dien Bien Phu, la perte de l'Algérie, la montée du tiers-mondisme comme réponse à la décolonisation, conjuguées à la présence au pouvoir du général de Gaulle dont la politique coloniale comme la politique extérieure jugée philosoviétique font figure de véritables repoussoirs, donnent à l'anticommunisme des années 1960 une coloration particulière et différente de celui des années 1930 voire de la IVe République.
A cette différence des enjeux qui provoque une différence des discours, il faut ajouter celle des acteurs. A cet égard, l'ultra-droite nationaliste des années 1960 se caractérise par une véritable diversité, classique dans ces milieux mais qui s'est accentuée à cause du double échec successif de la lutte en faveur de l'Algérie française et de la candidature de Jean-Louis-Tixier-Vignancour à l'élection présidentielle de décembre 1965. La dislocation des Comités Tixier-Vignancour (CTV) a provoqué une véritable explosion de cette nébuleuse en une myriade de groupements qui ne sont parvenus à se retrouver, et ce encore que pour quelques-uns d'entre eux, que bien des années plus tard et avec des dates d'intégration différentes dans le Front national (FN) dirigé par Jean-Marie Le Pen.
De même qu'il serait trop commode de considérer comme nécessairement centrale la place de l'anticommunisme dans les groupements et chez les auteurs nationalistes, il serait erroné de surestimer le caractère fédérateur de l'anticommunisme que des groupements, et notamment ceux issus de la dissolution de Jeune Nation (JN), entendent dépoussiérer au nom d'une « critique positive » chère à l'un de leurs principaux mentor, Dominique Venner (1). En effet, si la lutte en faveur de l'Algérie française a vu coexister tant bien que mal les différents groupements nationalistes et, partant de là, des discours anticommunistes plutôt convergents, le milieu des années 1960 reflète des préoccupations plus variées. Ainsi, les inquiétudes suscitées par le progressisme - considéré comme un agent de diffusion du marxisme (2) -et les conséquences du concile Vatican II chez des nationalistes d'obédience catholique-traditionaliste (3) et dont un Jacques Ploncard d'Assac se fait régulièrement l'écho dans les Écrits de Paris ou dans ses chroniques lues au micro de la « Voix de l'Occident (4) », n'existe pas chez les rédacteurs d’Europe Action qui sont, pour certains d'entre eux, les futurs tenants de la Nouvelle Droite.
La différence entre les groupements et les discours se retrouve également dans les modalités de la lutte anticommuniste, qu'il s'agisse des thématiques comme des méthodes. Au principe d'affirmation d'une séparation radicale entre leur projet et celui de communistes envisagés comme de redoutables manipulateurs, s'oppose la volonté de s'approprier les méthodes de l'adversaire pour mieux le combattre, ce qui ne manque pas d'être dénoncé, en milieu étudiant, par d'autres nationalistes à propos de la Fédération des étudiants nationalistes (FEN). Le processus comme le procédé ne sont pas nouveaux et Frédéric Monier l'avait mis en lumière à propos des années 1930 et de l'appropriation par la Cagoule de l'ouvrage de Neuberg publié en 1931 avec une préface du Comité central de la SFIC et intitulé L'insurrection armée (5). Il se retrouve dans les années 1960. Ainsi, le catalogue de la Librairie de l'Amitié, dirigée alors par Suzanne Gingembre, - dont la maquette est due à François d'Orcival - ne se contente pas de proposer des titres d'ouvrages et de disques. Certains d'entre eux sont accompagnés de deux lignes de présentation instructives. La maladie infantile du communisme de Lénine serait utile à lire pour comprendre « comment un parti révolutionnaire doit se comporter pour la prise du pouvoir » tandis que La guerre révolutionnaire de Mao Tsé-Toung est présentée comme le « texte essentiel [qui] permet de comprendre pourquoi Mao a triomphé ». Plutôt que de prétendre brosser une synthèse hasardeuse sur un objet sur lequel font défaut des travaux de première main, l'ambition de cette contribution sera volontairement limitée à l'étude, sur une décennie, de l'anticommunisme formulé et pratiqué par des groupements nés dans la postérité de Jeune Nation et du Parti nationaliste (PN). Il s'agit en particulier de la FEN, des Comités de soutien et de diffusion d'Europe Action (CSDEA) du Mouvement nationaliste du Progrès (MNP) et du Rassemblement européen de la Liberté (REL). Sur près de dix ans, leurs animateurs ont essayé de mener concomitamment une action de rénovation doctrinale et organisationnelle de l'ultra-droite nationaliste. L'anticommunisme joue évidemment dans leur engagement un rôle majeur et certains des militants les plus aguerris de ce milieu se sont fait pour la première fois une « réputation » en allant incendier le siège de L'Humanité le 7 novembre 1956 à Paris au lendemain de la répression sanglante du soulèvement hongrois.
Fondée en grande partie sur des archives des groupements précités et qui nous ont été très obligeamment confiées par Alain de Benoist, cette contribution entend cependant montrer que si l'anticommunisme y est présent du début à la fin, sa place comme son contenu ne sont pas fixes. Il présente même des éléments de rupture par rapport aux décennies antérieures qui l'inscrivent profondément dans le contexte des années 1960 de même qu'il se distingue pour partie de l'anticommunisme professé par d'autres groupements de l'ultra-droite de la période.
Les héritiers de Jeune Nation : de la FEN au REL
En avril 1968, le premier numéro du Bulletin intérieur et d'information REL Europe n'entérine pas seulement la fin d'un groupement politique né pour la préparation des élections législatives de 1967. Comme l'indique alors Dominique Temple, membre du nouveau Bureau politique et chargé de la « recherche doctrinale », il s'agit de « constater la fin d'une époque, Europe Action, qui rappelle à certains d'entre [eux] celle de Jeune Nation » (6). En effet, une session extraordinaire du conseil fédéral du REL tenue le 24 mars 1968 a balayé son ancienne direction et exclu notamment Dominique Venner, Ferdinand Ferrand, Pierre Bousquet et Luis Daney, figures historiques de Jeune Nation.
Il ne saurait être question de brosser un tableau de l'évolution de Jeune Nation, cette association fondée en 1950, qui a pris le nom de « Mouvement Jeune Nation » en 1956 et qui est dissous le 15 mai 1958 (7). Deux éléments doivent néanmoins être rappelés. En premier lieu, le fait que certains des « aînés » du mouvement, à commencer par Venner, ont joué un rôle de premier plan dans les groupements évoqués, CSDEA, MNP, REL. Par ailleurs, la relève que constitue la FEN s'inscrit à l'origine directement dans le sillage de Jeune Nation. En effet, sa dissolution n'empêche pas l'organisation de continuer ses activités dans la clandestinité pour mieux préparer une renaissance légale qui doit être appuyée par un journal, Jeune Nation, lancé en juillet 1958. Déclaré à la préfecture de police le 8 octobre 1958, un nouveau mouvement, le Parti nationaliste, a tenu un congrès les 6, 7 et 8 février 1959 : il est dissous dès le 12 (8). L'impossibilité de faire vivre un parti nationaliste a fait germer l'idée de mettre sur pied, sous la forme d'un groupement étudiant, une structure légale. A l'origine, la rivalité entre Pierre Sidos, chef historique de Jeune Nation, et le responsable originel des étudiants de Jeune Nation, Georges Maillet, rend la chose impossible. Ce dernier exclu, l'influence du groupe en milieu étudiant paraît irrémédiablement compromise. C'est alors qu'à la rentrée universitaire 1959-1960, une relève s'impose à partir de trois jeunes gens venus de province : François d'Orcival, Pierre Poichet et Georges Schmeltz (Pierre Marcenet) qui ont lancé des comités d'action pour l'Algérie française. Leur avenir est immédiatement assombri par la disparition du journal Jeune Nation dont le dernier numéro a été saisi avant même sa parution le 28 janvier 1960. Ces difficultés répétées n'empêchent pas la mise sur pied d'un « manifeste de la classe 60 » et le lancement de la FEN le 1er mai 1960. Si le combat en faveur de l'Algérie française est largement privilégié - tout en prenant le soin, pour les responsables, de se tenir à l'écart de l'OAS -, on ne saurait négliger, au moins pour les premières années de la FEN, sa volonté d'être une contre-UNEF en essayant de promouvoir, dans les universités et via sa revue, Les Cahiers universitaires, un syndicalisme corporatif.
C'est surtout au lendemain des accords d'Évian et à partir de la rentrée 1962-1963 que la FEN se développe à l'université, diffusant dans la plupart des facultés, à Paris comme en province, des bulletins ronéotypés ou imprimés (9) qui attestent d'une implantation nationale de ce mouvement dont l'apogée se situe entre 1964 et 1966, quelle que soit par ailleurs la concurrence exercée par le mouvement Occident, né en avril 1964 d'une dissidence à l'intérieur de la FEN de Paris. Si la question des querelles de personnes - un conflit entre Pierre Sidos et Dominique Venner - ne peut être négligée, elle n'est pas centrale pour expliquer cette scission comme le pense Joseph Algazy (10). En effet, il s'agit de savoir si la FEN doit ou non se rapprocher plus étroitement d’Europe Action, mensuel dont le premier numéro est paru en janvier 1963, ce qui pose contrairement à ce qu'écrit Joseph Algazy une véritable question d'ordre idéologique, notamment par rapport à l'anticommunisme, qui reste, à Occident, d'une facture traditionnelle si on se réfère aux textes publiés par Occident université (11)- II faut comprendre en effet que, malgré des convergences héritées de Jeune Nation, ce sont les divergences qui dominent entre l'orientation souhaitée dès lors par Pierre Sidos et celle des amis de Venner. Pierre Sidos, à l'époque comme par la suite, se veut le chantre d'un nationalisme centré sur la France dans la droite ligne des théoriciens du XIXe siècle, et reprend volontiers, à l'instar de Jeune Nation, le discours des ligues et des partis d'avant 1940. A l'inverse, dans la lignée de « Pour une critique positive », les hommes d'Europe Action inscrivent l'Europe devant la France comme valeur suprême et se veulent les chantres d'un nationalisme européen qui se traduit par le culte de l'homme occidental et donc de l'homme blanc prétendument menacé dans son identité, non seulement en France mais aussi en Europe ou en Rhodésie. Tandis que la FEN se développe dans les universités et y diffuse, à côté de bulletins locaux, une revue à vocation théorique, Les Cahiers universitaires, Europe Action - dans lequel écrivent ses principaux dirigeants - entend être une plate-forme de rassemblement de « l'opposition nationale » qui fait de l'élection présidentielle de 1965 une échéance décisive.
C'est tout le sens de la création des CSDEA fondés le 11 novembre 1964 dans le cadre d'une réunion à la salle des Horticulteurs. Publiquement présentés le 24 janvier 1965 - en référence aux barricades d'Alger-, les Comités sont conçus dans l'esprit de leurs dirigeants, comme une organisation phare de la « communauté nationaliste » à côté de la FEN. Ainsi que l'explique le premier numéro du Courrier intérieur du CSDEA d'octobre 1965 (12), ce dernier doit être pensé comme une association satellite où « l'adhésion ne doit pas se limiter aux seuls militants [qualifiés de "volontaires"] mais intégrer des sympathisants, auxquels il ne faut pas hésiter à forcer la main pour les faire adhérer en dissipant "une prévention" à l'engagement qui "remonte aux périodes de répression" ». Or, pour les dirigeants du CSDEA, les temps ont bien changé et il faut marteler que « nous ne sommes pas une organisation clandestine », - choix assumé depuis la « Critique positive » - et que « la méthode du combat politique par la propagande, l'organisation et l'utilisation des moyens légaux » est « la seule voie praticable ». Ainsi posés, les objectifs sont clairs et nécessitent, pour être menés à bien, de « faire adhérer immédiatement au CSDEA » le plus possible de participants aux CTV (13), en profitant notamment des Journées nationales des 30 et 31 octobre 1965, destinées à « fixer les bases du futur parti qui doit sortir de la campagne présidentielle ». A ce moment, l'optimisme est de mise quant au résultat à venir de Tixier-Vignancour. Le premier tour de l'élection présidentielle de décembre est une véritable douche froide : avec un peu plus de 5 % des suffrages, les militants sont bien loin des scores escomptés.
Au lendemain de cet échec, le CTV est ébranlé mais son avenir est suspendu à un congrès prévu pour le 23 janvier 1966. Ce dernier débouche sur l'éclatement de la structure -Jean-Marie Le Pen et ses proches suivent alors une autre direction (14) - et la publication, dès le 24, d'un manifeste dont les rédacteurs entendant faire la base d'une Journée nationale prévue six jours plus tard. Elle rassemble 200 délégués représentant 57 départements et issus pour l'essentiel des CSDEA, de la FEN, sans oublier d'anciens poujadistes. L'objectif est de créer un parti nationaliste, le futur MNP qui doit être une organisation militante, le vecteur de l'idéologie nationaliste et une force électorale en vue des législatives de 1967 (15). Le congrès fondateur se tient les 30 avril-ler mai 1966, date dont le choix n'a rien d'indifférent, les organisateurs ayant voulu « très volontairement » en finir avec l'idée que « cette journée est réservée à nos adversaires communistes » et « montrer qu'il n'en était rien et qu'elle appartenait à notre patrimoine nationaliste (16) ». Pendant deux jours, 500 délégués, auxquels il faut ajouter des représentants de groupements étrangers (17), ont entendu des messages de personnalités (18) et l'exposé de la doctrine du nouveau parti dirigé et dominé par la figure de son délégué général Dominique Venner. Le MNP inscrit son action dans une logique de « défense de la Civilisation occidentale (19)». L'Occident serait alors triplement menacé par le « travail de falsification » de ses élites qui « réduit les Occidentaux à ignorer leur histoire et les entraîne à renier leurs valeurs les plus authentiques », la « puissance de la technologie » jugée uniformisatrice et la « marée démographique du monde de couleur », laquelle, « acheminant "les peuples" vers le grand brassage universel », déboucherait à terme sur la « disparition de notre spécificité génétique, la fin du monde blanc et de sa civilisation ». L'objectif des dirigeants du MNP est donc de faire sortir les blancs de ce qui est considéré comme un « état de totale soumission » pour les conduire à « refuser cette mort » et à « lutter ».
Comme on peut le constater, l'anticommunisme n'est pas la préoccupation centrale du MNP. Son premier objectif et son premier test sont les élections de 1967 qui doivent être une occasion marquante de faire connaître le mouvement. Il s'implante alors dans différents départements, notamment en Moselle où se diffuse, sous l'égide de ses responsables locaux un bulletin ronéotypé intitulé Nationaliste, de même qu'est publié sous le titre de Courrier nationaliste un mensuel de vingt pages qui se présente comme l'organe de liaison des sections du Bas-Rhin et de Meurthe-et-Moselle. Cependant, à quelques mois des élections, le bilan n'est pas très encourageant. Les dirigeants prennent alors deux initiatives. La première est de créer à la fin de l'année 1966 une association dénommée REL, étiquette, jugée plus attractive, sous laquelle les candidats doivent en principe se présenter. Une seconde intervient au début de février 1967 lorsque le délégué général compose une lettre circulaire pour solliciter des candidatures en mettant en avant l'intérêt du mouvement mais surtout en donnant à penser au futur candidat que les frais qu'il engagerait pourraient être couverts (les 5 % nécessaires devant être atteints). Néanmoins, les prétendants ne se bousculent pas et les résultats du premier tour des élections législatives du 5 mars 1967 sont un échec net. La moyenne des suffrages exprimés obtenus n'est que de 2,5% mais surtout le REL n'a présenté des candidats que dans 24 circonscriptions -Paris et région parisienne, Moselle, et pourtour méditerranéen - ce qui lui confère un total de voix légèrement supérieur à 30 000. Ces résultats, ajoutés aux difficultés de la Librairie de l'Amitié qui, avec les Éditions Saint-Just, publie et diffuse des ouvrages nationalistes, débouchent sur une crise grave et sur l'éclatement du mouvement au printemps de 1968. Tandis que le REL Europe prend la suite du premier REL et végète, tout comme la petite revue Militant de Pierre Bousquet, Dominique Venner se retire de la politique active pour se consacrer à l'écriture et Alain de Benoist lance en février-mars 1968 le premier numéro de la revue Nouvelle École qui n'est alors que ronéotypée (20).
Le tryptique anticommuniste : dénoncer, célébrer, conquérir
Dénoncer : de la lutte contre la subversion à la mise en cause de la « collusion gaullisme-communisme »
Si l'anticommunisme n'est pas durant les années 1960 l'axe majeur du discours politique de ces héritiers de Jeune Nation, le communisme n'en est pas moins régulièrement stigmatisé. Comme le relève Fabrice Laroche (Alain de Benoist), le « danger communiste » reste « bien réel » même s'il ne souhaite pas « faire l'obsession de l’ "Appel au loup" d'un nouveau compère Guilleri (21)». Reste cependant à cerner ce qu'il revêt, dans l'esprit de ces nationalistes.
Il apparaît à cet égard que la triple conjonction de la fin de la guerre d'Algérie, du credo que représente alors le texte « Pour une critique positive » et la prise en compte de l'actualité française et internationale des années 1960 et notamment de la politique extérieure du régime, ont débouché sur une reformulation de l'anticommunisme. Ainsi, le discours classique sur la subversion, notamment via les mouvements de décolonisation puis les gouvernements issus de l'indépendance, s'il reste un classique de nombreuses chapelles de l'ultra-droite, est largement éclipsé ici par une thématique fustigeant le « gaullo-communisme ». L'anticommunisme peut être entendu comme un antimarxisme, un antisoviétisme et un des éléments d'un discours plus large visant à dénoncer la technique et les technocrates.
La stigmatisation de la collusion « gaullo-communiste » n'est évidemment ni sans antécédents ni sans a priori. Elle s'inscrit ainsi, sorte d'héritage avec l'ultra-droite des années 1940 et 1950 dans une remise en cause de l'épuration, qui d'après Dominique Venner aurait tendance à être négligée. « On oublie trop souvent », écrit-il alors, « qu'en 1945, communistes, gaullistes et autres "démocrates" ont saisi le prétexte de l'épuration pour liquider physiquement l'opposition nationale, assassiner ou proscrire ses dirigeants, ses intellectuels et ses militants, pour voler ses journaux et ses moyens (22) ». Cependant, les hommes à Europe Action qui veulent en finir avec « les formules périmées d'une extrême droite sénile (23) », mettent l'accent sur des phénomènes plus contemporains. L'anticommunisme alors développé ne peut en conséquence se comprendre qu'en référence au contexte propre de l'époque - décolonisation et indépendance de l'Algérie, montée du tiers-mondisme, politique extérieure gaullienne - qui incontestablement réoriente le discours anticommuniste. Ainsi, la dénonciation du communisme est rarement séparable de celle du capitalisme, sur fond de mise en cause de la technocratie.
Dès le premier numéro d'Europe Action en janvier 1963, l'équipe rédactionnelle martelait que « la société traditionnelle était morte » et que « l'Occident dont beaucoup conservent la nostalgie du cœur n'est plus ». « La réalité occidentale, c'est le monde capitaliste marchant à la rencontre du communisme. [...] Les technocrates ont la même vision matérialiste du monde que les hommes du Kremlin. Tous, ils tendent à imposer une société pliée à la seule et inflexible loi d'un rendement défini par une caste dirigeante. A l'Est comme à l'Ouest, la transformation des hommes en machines à produire et à consommer, standardisés dans leurs besoins, leurs opinions et leur comportement est déjà fortement avancée (24). » Quelques mois plus tard, l'équipe d'Europe Action récidivait, présentant comme « dépassée » l'opposition entre le capitalisme et le communisme. En effet, « dans les deux camps, des groupes influents voient qu'au-delà des divergences superficielles, il existe une communauté d'intérêt et d'idéologie beaucoup plus puissante. Les vieilles équipes disparaissent, remplacées à l'Est et à l'Ouest par les mêmes hommes : les technocrates (25) ». Cette double thématique, de l'importance de la technocratie et de la « convergence » entre des systèmes en principes opposés sont alors un des éléments clés du débat public de la France des années 1960 et c'est dans ce cadre, et en reprenant en quelque sorte la balle au bond, que les nationalistes d'Europe Action réorientent leur discours anticommuniste pour stigmatiser les complaisances et les compromissions de la France gaullienne avec l'Union soviétique et considérer que le PCF fait le jeu du pouvoir gaulliste.
Le PCF serait d'abord un allié objectif du gaullisme sur le plan intérieur et de nombreux articles d'Europe Action ne manquent aucune occasion d'ironiser sur la faible virulence de l'opposition communiste contre le régime et les accommodements entre le pouvoir et le parti, seule force politique qui « quand l'aventure gaulliste cessera [...] n'aura rien perdu ». D'un scrutin à l'autre, le discours est le même que celui utilisé pour les élections législatives de 1967 : les communistes, « d'une façon comme de l'autre [...] auront manœuvré de façon à favoriser la majorité en place », non sans obtenir de contrepartie, comme par exemple la possibilité d'organiser la fête de L'Humanité en 1966 (26). L'essentiel du propos n'est cependant pas alors dans la mise en cause propre du PCF mais dans celle de l'URSS. L'anticommunisme est d'abord un antisoviétisme - même si la Chine n'est pas sans susciter des articles -et de Gaulle est régulièrement accusé de faire le jeu de l'URSS.
Si la question est revenue récemment sur le devant de la scène via différents ouvrages de Thierry Wolton remettant au goût du jour des scandales retentissants comme l'affaire Georges Pâques et dressant le tableau d'une France gaullienne « sous influence (27) », la collusion supposée entre de Gaulle et les communistes est alors un classique de la mouvance nationaliste et même un élément fédérateur de son discours (28) comme de la campagne tixiériste. Interrogé pour donner son sentiment sur la Ve République à quelques semaines de l'élection présidentielle, Jean-Marie Le Pen, alors secrétaire général des CTV, commentait ainsi la politique extérieure du régime : « De Gaulle poursuit le vieux rêve de l'alliance russe, politique dite de l'équilibre, l'amenant à rompre dans les faits avec l'Europe, et plus particulièrement avec l'Allemagne, et à se détacher de l'Alliance atlantique. La France est ainsi appelée par de Gaulle à entrer dans la zone d'influence soviétique (29) ». Par la suite, la sortie de l'OTAN, le long voyage du général à Moscou du 20 juin au 1er juillet 1966 sont autant d'occasions pour illustrer ce qui est considéré comme un axiome décliné sur tous les tons, notamment pour déplorer « l'étroite dépendance sur le plan technologique » qui serait celle de la France (30).
On connaît mieux aujourd'hui la nature du rapprochement entre la France gaullienne et l'URSS. Il apparaît que 1966 a bien été sur ce plan une « année phare (31) » et que les autorités françaises, engagées dans la volonté de redonner au pays un poids international autonome, ont recherché une coopération avec l'URSS dont le caractère décevant des résultats tient moins à la volonté des dirigeants qu'aux réticences, notamment des entreprises, à suivre cette politique. Fondamentale pour notre objet est la question de l'accueil que l'opinion lui réserve. A cet égard, la prise en compte d'une chronologie fine montre le décalage existant à ce moment-là, entre les thèses antisoviétiques défendues par les nationalistes et l'opinion majoritaire du pays. On constate d'abord, ce qui fait écho à une déclaration précitée de Jean-Marie Le Pen, que l'image de l'Union soviétique est associée à celle de la « Russie éternelle » (chœurs, ballets etc) : le discours du général trouve ici un premier terreau favorable (32). En second lieu, il apparaît que de dégradée à la fin des années 1950, l'image de l'URSS est en plein redressement (33). Une étude des sondages concernant le rapport de l'opinion française à l'URSS fait ainsi apparaître que si en 1961 18 % des Français ont une bonne opinion de l'URSS (contre 37% une mauvaise), en 1964, les chiffres s'équilibrent (25/25) pour basculer ensuite puisqu'en 1966, 35 % des Français ont une opinion favorable de l'URSS contre 13 % qui en ont une mauvaise (le chiffre tombe à 9 % en 1967). Dans ces conditions, quelle que soit par ailleurs la faiblesse de l'impact d'une revue comme Europe Action - qui tire à 20 000 exemplaires en 1965 -, il importe de considérer que le créneau est à l'époque très peu porteur, tant ce discours paraît isolé et l'opinion soit indifférente, soit rétive à l'idée d'une mise en cause de l'URSS et du communisme dans de tels termes. Pourtant, les nationalistes parviennent alors soit à attirer des personnalités marquées par l'anticommunisme (via des entretiens ou des textes publiés (34), soit à se rattacher (voir infra) à des opérations anticommunistes dépassant la sphère nationaliste ; mais il faut bien considérer que le contexte de leur action est fort peu favorable.
Célébrer : l'anniversaire de l'écrasement de l'insurrection hongroise
Dans l'agenda du militant nationaliste des années 1960, l'anniversaire de l'écrasement de la révolte hongroise de 1956 est une date fondamentale qui doit être rappelée par tracts, manifestations ou réunions. Pour des raisons différentes, les commémorations de 1965 et de 1966 sont significatives. Si la première se déroule entre soi, la seconde, placée sous le patronage du comité pour la célébration du soulèvement hongrois, permet de prendre la mesure de l'éventail de l'anticommunisme et de son caractère fédérateur.
La célébration des événements de Budapest est au cœur des activités du CSDEA qui a organisé à cette occasion une grande réunion publique à la Mutualité le 27 octobre 1965 en présence de François Sidos, Fabrice Laroche (Alain de Benoist), Jean Mabire et Dominique Venner. Encadrée par un service d'ordre nommé « Promotion Budapest » dont les membres doivent être vêtus d'une tenue sombre avec chemise claire et surtout sans « aucun habit paramilitaire (35) », la réunion est présentée par un tract comportant quatre volets. Tandis que la page de couverture est occupée par un char soviétique, surplombé du nom de Budapest, les deux pages centrales, intitulées « Échec au communisme » et « Promotion Budapest », proposent la photo d'un membre de ladite « promotion » et deux textes, l'un étant notamment intitulé « Nos références de combat (36) ». Cet accent mis sur l'action à mener se retrouve dans un document capital, le « schéma d'exposé » proposé aux organisateurs des « réunions commémoratives » des CSDEA (37). Si les responsables locaux sont invités à l'amender et à l'adapter, le schéma conseillé est tout de même riche d'intérêt. Cinq points doivent en effet le rythmer.
Le préambule stigmatise la passivité occidentale à cette occasion - « nous demandons pardon au peuple de Hongrie, au nom de l'Occident qui l'a abandonné » - et fustige aussi, indirectement, le consensus antifasciste des années 1940 s'inscrivant contre le monde né de la Seconde Guerre mondiale - « nous demandons pardon pour les traités de Yalta et de Potsdam qui livrèrent 180 millions d'Européens au communisme » -. Désireux de montrer au « peuple hongrois » que « rien » n'a été « oublié », l'argumentaire invite à brosser un historique détaillé de la révolte. La troisième partie de l'intervention doit dresser un tableau de la Hongrie dix ans après, pour montrer que le communisme ne s'est nullement « humanisé » depuis 1956 et que, s'agissant des réformes économiques, de l'indépendance par rapport à l'URSS ou des libertés publiques, le résultat est désastreux contrairement à ce qu'en pense la grande presse et d'abord Le Monde. Or, pour les hommes du CSDEA, il importe de marteler que « le communisme est toujours le communisme » (point IV), c'est-à-dire « le bagne, la mitrailleuse et le bourreau », ce qui peut être illustré par des exemples empruntés à la RDA, à la Yougoslavie - affaires Mihajlovitch, Djilas - ou à l'URSS - procès Siniavski et Daniel -. Enfin, le communisme est « aussi la misère » (point V). L'orateur novice se voit proposer une série de chiffres pour l'illustrer ainsi qu'un bref résumé des théories économiques de Liberman à utiliser pour montrer que le système soviétique est dans l'impasse. Dans la conclusion, il importe de stigmatiser « la capitulation des démocraties capitalistes », la complicité objective des élites comme de la « pensée officielle » (médias, enseignement) jugées responsables du « silence sur Budapest, comme sur toutes les atrocités du communisme, autrement plus dangereux -puisque bien vivant- qu'un nazisme mort depuis vingt ans ».
Si les nationalistes du MNP organisent en 1966 leurs propres manifestations pour commémorer le souvenir de l'insurrection, ils se trouvent participer aux activités de structures plus larges comme le Comité franco-hongrois pour la célébration du soulèvement hongrois lancé en octobre 1966 par Joseph Ladanyi. Parmi de nombreuses manifestations envisagées, la plus importante est prévue pour le 3 novembre à Paris au cours d'une soirée à la Mutualité où doit être projeté un film tourné pendant le soulèvement. Pour appuyer son initiative, Joseph Ladanyi s'est entouré d'un comité de patronage dont la composition est significative (38). S'il inclut des personnalités de renom, bien extérieures à la mouvance nationaliste - Jules Romains, chargé de présider la manifestation du 3 novembre (39) ; André François-Poncet ou Rémy Roure -, il y rassemble des universitaires (Maurice Allais, Louis Rougier), de nombreux écrivains et journalistes marqués à droite (Jacques Perret, Dominique de Roux) ou directement engagés dans le combat nationaliste (François Brigneau, Jean Bourdier, Jean Mabire, rédacteur en chef d'Europe Action), voire spécialisés dans l'anticommunisme (Suzanne Labin). L'éventail des personnalités, la diversité de leurs profils et de leurs points de vue montrent que cet anticommunisme mémoriel peut être un fédérateur puissant qui dépasse les différences voire les fossés qui séparent les signataires et ce d'autant plus fortement que cette position n'est, à ce moment-là, guère partagée.
Conquérir : des intentions aux réalisations effectives
Chez les nationalistes de la FEN, du CSDEA et du MNP, l'anticommunisme ne se veut pas seulement un discours mais une action.
Si l'action directe a pu être aux origines d'une visibilité de Jeune Nation dans les années 1950, quelques années plus tard il s'agit d'abord d'aller lutter pied à pied contre les communistes. Comme le souligne la propagande, il « faut attaquer l'adversaire chez lui » (40) en essayant de consolider la place de la FEN à l'université et de prendre pied dans deux terrains particuliers, les municipalités et les entreprises.
C'est à l'université que ce courant nationaliste parvient à mener l'action la plus efficace et la plus visible, au moins si on se réfère aux multiples articles de presse parus dans les quotidiens nationaux et surtout régionaux du milieu des années I960 (41). Distributions de tracts devant les lycées ou les campus, réunions organisées pour relayer les campagnes nationales, bagarres, le plus souvent avec les étudiants de l'UNEF ou de l'UEC, sont ainsi relatées et le plus souvent dénoncées par la presse. Si cette poussée du nationalisme en milieu étudiant peut être relevée, le processus n'est pas nouveau en soi car ce milieu a réussi à demeurer depuis la Seconde Guerre mondiale un foyer de diffusion des idées nationalistes (42). L'originalité de cette situation serait à rechercher d'abord dans la répartition au sein de la mouvance nationaliste : à l'échelle de l'hexagone, la FEN domine en ce milieu des années 1960 d'autres tendances alors plus en retrait comme les monarchistes (43).
Si l'implantation de la FEN en milieu universitaire ne saurait être négligée, pour les deux autres terrains considérés - contrer le communisme dans ses bastions municipaux et à l'usine - il existe un abîme entre les intentions proclamées et les réalités effectives, tant il faut opposer l'image que ces militants entendent donner via leur propagande et les résultats de l'action menée. Dans le premier cas, il s'agit de pouvoir organiser des manifestations dans les municipalités communistes afin de faire basculer les ouvriers français vers le nationalisme. Si une action, menée à Sarcelles au printemps 1965 contre la visite prévue de Ben Bella en France est largement commentée et présentée comme une référence de combat, elle est sans véritable lendemain et à l'occasion des législatives de 1967 il apparaît que le REL n'a pu présenter qu'un seul candidat dans la banlieue rouge, Pierre Pauty, à Aubervilliers où il a obtenu 2,25 % des suffrages exprimés.
Ce constat d'échec se retrouve dans la tentative de pénétration du monde ouvrier via la constitution de groupes « Unité et Travail ». Cette initiative émane d'un ajusteur chez Renault, Jean Ribaillet, ouvrier à la Régie, qui à partir d'octobre 1963 lance un bulletin intitulé Unité et Travail. Mettant en exergue des citations de Georges Sorel ou de Proudhon, cet organe reprend à son compte les thèmes nationalistes et les adapte en fonction du public visé, les ouvriers. Dans cette propagande, le communisme est évidemment dénonce mais en l'occurrence c'est moins l'URSS que le PCF qui est visé. Dès le premier numéro, le ton est donné : « Le parti communiste qui représentait l'espoir de beaucoup a pris du ventre. La révolution n'est plus au programme. [...] Le parti communiste, c'est l'opposition de sa Majesté. Combien de communistes emprisonnés ? De communistes fusillés depuis 1958 ? (44) ». Cela étant, l'accent mis sur le PCF, la contestation de la représentativité des « syndicats officiels » dont la « trahison » est régulièrement dénoncée n'empêchent pas le bulletin de décliner consciencieusement les thèmes anti technocratiques, anti tiers-mondistes et anti-immigration (45) véhiculés par Europe Action ou de conseiller comme des instruments de travail indispensables à tout militant les ouvrages et brochures d'Henry Coston (46). Plus intéressant encore à souligner par rapport à ce que l’on attendrait d'un bulletin de ce type, l'absence de mots d'ordres précis ou d'informations sur la vie d'éventuelles sections. Ainsi, le lecteur apprend seulement dans le n°4 qu'un groupe a été constitué en Loire Atlantique (47) tandis que l'éditorial du n°10 intitulé « Lutte sur deux fronts » est signé par la « section Renault » d'Unité et Travail (48). L'examen du bulletin, de sa présentation à son contenu, montre qu'il y a loin des intentions aux réalisations et qu'il est tout à fait illusoire de prendre au pied de la lettre l'optimisme d'un tract du MNP de mars 1966 qui invite les travailleurs de Béziers à rejoindre un groupement (Unité et Travail) rassemblant « déjà de nombreux travailleurs ». De même, le portrait chaleureux de Jean Ribaillet paru dans Europe Action sonne implicitement comme un aveu d'échec car un lecteur lucide peut douter sérieusement qu'il ait pu « dans son usine, avec deux camarades [...] renverser complètement l'opinion, s'attirer la sympathie de plusieurs centaines de ses camarades dans 5 ateliers des usines Renault » et démontrer par-là que « les "fiefs" communistes n'existent pas (49) ». Il faut au contraire considérer que l'échec dans ce domaine est particulièrement net, ce qui pose à la fois la question du profil sociologique de ces militants nationalistes - sur lequel nous ne disposons pas de statistiques, mais dont on peut penser qu'il est beaucoup moins large que la propagande ne le laisse entendre - et de la réceptivité d'un monde ouvrier encore dominé par le PCF et où le gaullisme a réalisé une percée.
Les différents éléments rassemblés dans cette contribution invitent à quelques remarques. La première est que le terme anticommunisme doit être précisé et contextualisé. On constate en effet que l'anticommunisme de ces nationalistes est inséparable de la conjoncture intérieure et internationale et qu'il en est un écho. S'il comporte des éléments classiques d'un discours anticommuniste -existence d'un gaullo-communisme depuis la Libération -, d'autres sont beaucoup plus atténués comme la thématique de l'encerclement, du complot, voire l'accent mis sur le PCF. L'anticommunisme stigmatisé ici est d'abord un antisoviétisme et un antimatérialisme, ce qui permet d'arrimer la critique du communisme à celle de la technocratie et de la convergence supposée des systèmes. L'examen des discours et des actions anticommunistes a permis de montrer que l'anticommunisme pouvait être un élément de fédération au sein d'un milieu nationaliste divisé mais surtout au-delà si on songe à l'identité de certains participants au comité créé pour l'anniversaire du soulèvement de 1956. La question se pose cependant de s'interroger sur l'objet que fédère un tel comité. A travers l'accent mis sur Budapest, il fait apparaître la constitution d'une mémoire conjuguant anticommunisme et défense de l'identité européenne bafouée par l'Armée rouge. Si la répression exercée, et partant de là, la question du problème des libertés affleure, les enjeux liés aux crimes de Staline et à la question du goulag ne sont pas directement posés.
Cette contribution permet également de prendre la mesure des limites de l'action menée par ces nationalistes en matière de combat anticommuniste, notamment lorsqu'il s'agit de combattre l'ennemi dans ses « fiefs » en utilisant au besoin ses méthodes et en cherchant à entamer sa base électorale et militante. Si du point de vue des résultats l'échec est patent, l'entreprise est intéressante sur le plan de sa postérité. En effet, vingt ans plus tard, si bien des dirigeants du CSDEA ou du MNP se sont tenus à l'écart du Front national ou l'ont ouvertement combattu, ce dernier a repris et prolongé des initiatives héritées des années 1960. Ainsi, au lendemain de la victoire électorale de François Mitterrand, alors que les finances et le moral sont au plus bas au Front national, germe chez Michel Collinot l'idée d'organiser une « contre-fête de L'Huma », sous le nom de fête des BBR (Bleus, Blancs, Rouges) : elle rassemble 2 000 personnes (50). Deux ans plus tard, lors des élections municipales, Jean-Marie Le Pen se présente pour la première fois dans un arrondissement populaire de la capitale où il obtient 11,26 % des voix, tandis qu'en septembre suivant, le succès municipal de Jean-Pierre Stirbois à Dreux, qui marque l'entrée du Front national sur la scène politique nationale, est le résultat d'un travail d'implantation mené depuis plusieurs années. Enfin, l'objectif affiché, et atteint, lors des européennes de 1984 fut de dépasser le Parti communiste, considéré par la brochure de présentation du Front national de 1983 comme « l'adversaire prioritaire au sein de la majorité (51) ».
OLIVIER DARD
Maître de conférences en Histoire contemporaine Université Paris X Nanterre
NOTES
1. Sa brochure, Pour une critique positive est parue pour la première fois comme
supplément au n° 98 du 28 août 1962 de l'hebdomadaire Politique éclair. Elle s'ouvre par un exposé sans concession des « tares de l'opposition nationale ». A la fin de 1962, celte brochure commence à être bien connue dans la mouvance nationaliste et Lucien Rebatet lui rend hommage dans Rivarol (numéro du 6 décembre 1962), y voyant comme une sorte de passage de témoin : « la génération montante prend le relais, avec une maturité, un pragmatisme que nous pouvons lui envier ».
2. Elle est au cœur de l'ouvrage publié par Roger Holeindre, (responsable du service d'ordre de la campagne TV) aux éditions du Fuseau en 1965 et intitulé Honneur ou décadence.
3. Signalons que des catholiques traditionalistes proches de la mouvance nationaliste (Michel de Saint-Pierre ou Jean Madiran) ont lancé en 1965 différents appels aux évêques pour dénoncer « l'infiltration marxiste » dans la « vie chrétienne » et déplorer le « dialogue » entamé par de larges fractions de l'Église de France avec les communistes (se reporter à titre d'exemple à Jean Madiran, « L'appel aux évêques a un an » in Editoriaux et chroniques, tome I : De la fondation d'Itinéraires à sa condamnation par l'épiscopat (1956-1966), Dominique Martin Morin, 1983, pp. 276-277.
4. Elle émet chaque jour en français depuis Lisbonne. Voir notamment les chroniques réunies dans son ouvrage Le poids des clefs de Saint-Pierre, imprimé au Portugal et diffusé par la Librairie française et dans lequel il stigmatise le « dialogue » (pp. 20-21) : « la vérité, c'est qu'on aide à la propagation des sophismes marxistes sans même obtenir des communistes la réciprocité pour des paroles de vérité ». Ploncard d'Assac se « méfie » d'ailleurs d'autant plus qu'il « sait combien habiles sont les communistes dans le maniement de la psychologie des foules ».
5. Frédéric Monier, Le complot dans la République, stratégies du secret de Boulanger à la Cagoule, La Découverte, 1998, pp. 236-241.
6. Bulletin, p. 7.
7. On signalera sur ce point l'imposant mémoire de maîtrise de Laurent Latruwe, Le mouvement Jeune Nation à Paris et en région parisienne de 1949 au début des années I960, Paris XIII, 1996.
8. Ces renseignements sont tirés des attendus de l'arrêt de mise en accusation et de renvoi devant la Cour de Sûreté de l'Etat du 12 janvier 1962.
9. Il faut ajouter l'importance des bulletins lycéens.
10. Joseph Algazy, L'extrême droite en France (1965-1984), L'Harmattan, 1989, p. 45.
11. Joseph Algazy, op. cit., en cite d'ailleurs des extraits, p. 47.
12. Il s'agit d'un document de six pages dactylographiées intitulé « Les tâches de la rentrée ». Les citations qui suivent en sont extraites et les termes soulignés le sont dans le texte original.
13. L'opération est ardue car, ainsi que le reconnaît cette note (p. 3), les militants du CSDEA s'y heurtent à de « vives hostilités provenant d'éléments aux conceptions étroites et réactionnaires ou d'arrivistes forcenés ». Le n° 2 du Courrier intérieur de novembre 1965 revient sur ce point et rappelle que le CSDEA est d'abord « une école de militants et un centre de propagande » qui entend œuvrer pour créer une nouvelle école de pensée et former les cadres de la future révolution nationaliste. Les termes soulignés le sont dans le texte original.
14. Jean-Marie Le Pen a créé le Cercle du Panthéon. De son côté, Tixier-Vignancour a lancé l'Alliance républicaine pour les libertés et le progrès qui a présenté des candidats aux législatives de 1967.
15. Le 30 janvier au soir, un bureau national provisoire est désigné et comprend notamment Dominique Venner, Fedinand Ferrand, Pierre Bousquet (secrétaire des CSDEA), Georges Schmelz (secrétaire général de la FEN), Jean Ribaillet (secrétaire du groupe Unité et Travail des usines Renault), Pierre Pauty (ancien responsable poujadiste) et différents secrétaires départementaux des CTV (dont le général Cariou pour le Var).
16. « Le congrès en bref », p. 9. Signalons que dans la matinée du 1er mai, une délégation des ouvriers d'Unité et Travail se rend sur la tombe de Bastien Thiry, tandis que le général Cariou est allé au mur des Fédérés présentés comme des hommes « fusillés par les conservateurs et les lâches ».
17. Citons notamment Ordine nuovo représenté par son secrétaire général, Pino Rauti.
18. Signalons notamment les noms d'Henri Massis, de Jules Monnerot et de Louis Rougier.
19. Les citations qui suivent sont extraites de la première partie du manifeste « Pour la défense de la civilisation occidentale ».
20. Sur la naissance de Nouvelle École et des débuts de ce qui allait devenir la « Nouvelle Droite » voir les témoignages d'Alain et de Benoist et de Maurice Rollet in Le mai 1968 de la nouvelle droite. Éditions du Labyrinthe, 1998.
21. Fabrice Laroche, « Quatre semaines en France et dans le monde », Europe Action, n°43-44, juillet-août 1966, p. 12.
22. Dominique Venner, « Les concurrents », Europe Action, février 1965, p. 5.
23. Ibid.,
24. Europe Action, n° 1, janvier 1963, pp. 7-8.
25. Europe Action, n° 10, octobre 1963, p. 5.
26. Europe Action, n° 46, octobre 1966, p. 4.
27. Voir notamment son ouvrage, Thierry Wolton, La France sous influence, trente ans de relations secrètes, Grasset, 1997 (notamment la quatrième partie : « Objectif de Gaulle », pp. 353-455).
28. Exemple parmi d'autres, l'article de Michel Dacier (René Malliavin), paru dans Écrits de Paris en décembre 1965 sous le titre « Le Kremlin et l'élection présidentielle » :« L'Union soviétique souhaite la stabilité de la politique extérieure française, car celle-ci sert ses intérêts », p. 8).
29. Déclaration publiée dans Europe Action, n° 35, novembre 1965, p. 16.
30. Fabrice Laroche, « Quatre semaines en France et dans le monde », Europe Action, n°45, septembre 1966, p. 16. Les italiques sont dans le texte original.
31. Marie-Pierre Rey, La tentation du rapprochement, France et URSS à l'heure de la détente (1964-1974), Publications de la Sorbonne, 1991, p. 40.
32. Marie-Pierre Rey, op. cit., pp. 310-311.
33. Nous nous fondons ici sur la contribution d'Olivier Duhamel et de Jean-Luc Parodi, « La dégradation de l'image de l'Union soviétique », Pouvoirs, n° 21, 1982, voir p. 170.
34. Exemple parmi d'autres, Jules Monnerot, qui, interrogé par les Cahiers universitaires en mai-juin 1966, livre son « jugement » sur le communisme (pp. 13-16).
35. Ce point est mentionné dans l'ordre de convocation.
36. Sont alors évoquées des manifestations organisées à Saint-Denis et Sarcelles et les activités d'Unité et Travail chez Renault.
37. Il s'agit d'un document dactylographié de six pages.
38. Cette liste est tirée du tract édité pour l'occasion par le comité.
39. Olivier Rony, in Jules Romains ou l'appel au monde, Robert Laffont, 1993, p. 627 relève la virulence de l'anticommunisme de Jules Romains en 1966 mais ne fait pas référence au comité précité.
40. Tract du CSDEA : « Le CSDEA a un an ».
41. FEN Presse en dresse un compte rendu très minutieux.
42. Nous nous permettons de renvoyer ici à notre article, « Jalons pour une histoire des étudiants nationalistes sous la Quatrième République », Historiens et Géographes, n° 358, septembre-octobre 1997, pp. 249-263.
43. Il faut de ce point de vue prendre en compte une chronologie fine car les années 1965 et surtout 1966 se traduisent, notamment sous l'impulsion d'Hilaire de Crémiers, par une remontée des monarchistes de la Restauration nationale (Patrick Louis, Histoire des royalistes de la Libération à nos jours, Jacques Grancher, 1994, pp. 141-143).
44. « Rien ne nous satisfait », Editorial d'Unité et Travail, n° 1, octobre 1963, p. 1.
45. Le n° 8 d'Unité et Travail (juin 1964) est intitulé « Allogènes, atouts du régime contre les travailleurs français ».
46. Une liste est fournie dans le n°2 (novembre 1963). Les mots sont soulignés dans le texte original.
47. Unité et Travail, n° 4, janvier 1964, p. 8.
48. Ce numéro ne comporte pas de date imprimée. Il peut cependant être daté du
printemps 1965.
49. Europe Action, juin 1966, p. 41.
50. Voir le récit de Roland Gaucher, La montée du Front, 1983-1997, Jean Picollec, 1997, pp. 13-15.
51. A la Une du n°6 de National Hebdo du 13 juin 1984 (qui vient alors d'être lancé et qui est le journal de campagne des européennes de la liste conduite par Jean-Marie Le Pen) on lit : « 17 juin, pour battre Marchais, votez Le Pen ».
Sources : COMMUNISME N°62-63, L’AGE D’HOMME - 2000
Solstice d’été 2020
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- Catégorie : Fêtes Païennes
Nous venons d’entrer dans le mois de juin et nous allons fêter dans quelques jours le solstice d’été. L’une des célébrations les plus importantes du calendrier païen. C’est le retour du soleil et de sa lumière de vie. Lumière qui nous réchauffe et qui nourrit à la fois le corps (récolte) et l’esprit (imaginaire/ connaissance/spiritualité).
Point culminant de l’année, le solstice d’été nous enseigne que tout ce qui croit doit décroître, et que tout ce qui décroit, doit croître. Loi des saisons, mais aussi loi intangible de la vie.
Les cultes saisonniers permettaient à la fois de s’inscrire dans le réel cyclique d’un « tout cosmique» tout en célébrant ce qui n’était pas perceptible par le touché, mais seulement par une sensibilité relevant du spirituel. En célébrant les anciens rituels, nous nous inscrivons dans cette même vision du monde qui ne dissocie pas l’Homme de son environnement, mais au contraire qui célèbre la composition d’un ensemble non étanche relié par le souffle de vie d’un univers à la fois multiple et unifié.
Célébrer la roue des saisons, c’est emprunter la même voie sacrée que ceux qui nous ont précédé. Festivités, rituels et symboles accompagnaient la vie quotidienne, non pas dans une chape de plomb dogmatique comme dans les monothéismes, mais dans un souci d’harmonie et de compréhension de ce qui échappe au regard profane.
A contrario, la société moderne nous a habitué à son lot d’escroqueries en tout genre L’illusion de l’acquisition de « l’inutile indispensable » est entretenue, le temps est atrophié au dépens du temps long, pourtant si nécessaire au développement de l’être. La vie n’est plus calquée sur les rythmes naturels, au contraire, elle doit obéir à des impératifs de « rentabilité », à des colonnes de chiffres, à des dogmes rédigés dans les salons feutrés de quelques think tank à la mode. Summum orwellien de la réduction des libertés, le crime par la pensée s’introduit doucement sous forme de servitude volontaire. La vie qui évolue dans un tel contexte est-elle encore naturelle ?
C’est donc loin de tout folklorisme désuet, et dans une cosmovision assumée et à contre-courant de la vaste contre initiation actuellement en cours que tout naturellement les hommes et les femmes véritablement libres retrouvent le chemin de la Tradition. Pour se faire, lors des jours précédant la cérémonie du solstice, l’introspection est de mise afin de préparer au mieux son esprit. Ce dernier agit à la fois sur notre propre corps mais également sur l’égrégore qu’il faudra créer avec les autres participants le jour du rituel. Cela est d’autant plus important que nous traversons actuellement une période difficile, rendue à la fois opaque et hystérique.
Llorenç Perrié Albanell
Fin de partie pour l'étude controversée du Lancet doutant de l'hydroxychloroquine
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Trois des quatre auteurs de l'étude sur l'utilisation de l'hydroxychloroquine contre le Covid-19 publiée dans la célèbre revue médicale se sont rétractés jeudi soir.
Submergée de critiques de scientifiques du monde entier, l'étude du Lancet à l'origine d'un changement éphémère de politique de l'OMS sur l'hydroxychloroquine dans le traitement du Covid-19 a finalement sombré jeudi après la rétractation de trois de ses quatre auteurs. «Nous ne pouvons plus nous porter garants de la véracité des sources des données primaires», écrivent les trois auteurs au Lancet, mettant en cause le refus de la société les ayant collectées, dirigée par le quatrième auteur, de donner accès à la base de données.
Publiée le 22 mai dans la célèbre revue médicale, l'étude concluait que l'hydroxychloroquine n'était pas bénéfique aux malades du Covid-19 hospitalisés et pouvait même être néfaste. Alors que d'autres travaux à plus petite échelle étaient parvenus à la même conclusion qu'elle, sa parution avait eu un retentissement mondial et des répercussions spectaculaires, poussant notamment l'OMS (Organisation mondiale de la santé) à suspendre ses essais cliniques sur l'hydroxychloroquine contre le Covid-19.
La fiabilité des données en question
Mais les critiques n'ont pas tardé, en masse, venues des défenseurs de la controversée molécule comme le chercheur français Didier Raoult qualifiant l'étude de «foireuse», mais aussi de scientifiques sceptiques sur l'intérêt de ce médicament pour les malades contaminés par le nouveau coronavirus. Alors mercredi, l'OMS a finalement annoncé la reprise des essais cliniques avec l'hydroxychloroquineet l'étude européenne Discovery envisage de faire de même.
Les principales critiques portaient sur la fiabilité des données de cette étude (96.000 patients de 671 hôpitaux) collectées par Surgisphere, qui se présente comme une société d'analyse de données de santé et qui est dirigée par Sapan Desai, quatrième auteur de l'article. Les auteurs ont alors répondu en annonçant un audit «indépendant» sur leurs résultats et l'origine des données. Mais trois d'entre eux, dont le principal Mandeep Mehra, ont finalement jeté l'éponge.
Surgisphere ayant refusé de transférer la base de données en raison des accords de confidentialité avec ses clients, les experts missionnés «n'ont pas pu conduire une revue indépendante et nous ont informés de leur retrait du processus d'évaluation par les pairs», écrivent-ils dans le texte publié jeudi par le Lancet, présentant «leurs plus profondes excuses.
Dans son communiqué, Le Lancet, assurant prendre «très au sérieux les questions d'intégrité scientifique», estime «urgent» d'évaluer d'autres collaborations avec Surgisphere.
«Un immense scandale»
«Il y a encore des questions en suspens sur Surgisphere et les données prétendument intégrées dans cette étude», insiste la revue, qui avait déjà publié mardi soir un avertissement sous la forme d'une «expression of concern» («exprimant sa préoccupation»).
Le New England Journal of Medicine (NEJM), qui avait publié une étude de la même équipe réalisée avec les données de Surgisphere, sur le lien entre la mortalité due au Covid-19 et les maladies cardiaques, a lui aussi annoncé jeudi soir la rétractation de ces travaux. Le Dr Desai, qui a défendu depuis le début l'«intégrité» de ses données, a de son côté décliné tout commentaire jeudi, a indiqué à l'AFP l'agence assurant sa communication.
Dans une lettre ouverte publiée la semaine dernière, des dizaines de chercheurs du monde entier avaient dressé une longue liste des points problématiques de l'étude, d'incohérences dans les doses administrées dans certains pays à des questions éthiques sur la collecte des informations. Ces signataires jugent également que des essais cliniques rigoureux sont nécessaires pour évaluer les médicaments, alors que l'étude controversée n'est qu'une compilation de données préexistantes. L'étude en question soulignait d'ailleurs elle-aussi la nécessité de poursuivre les essais cliniques pour «confirmer» ses résultats.
D'autres résultats attendus
Mercredi, une autre étude menée aux Etats-Unis et au Canada publié dans le NEJM a conclu que la molécule est inefficace dans la prévention du Covid-19. Ces résultats étaient très attendus car il s'agissait d'un essai contrôlé randomisé, protocole considéré comme la référence pour l'étude des résultats cliniques. Mais elle est «trop petite pour être irréfutable», a insisté Martin Landray, épidémiologiste à l'université d'Oxford.
Après la reprise annoncée des essais par l'OMS, d'autres résultats devraient arriver. «Les résultats d'essais randomisés sont nécessaires pour tirer des conclusions fiables. Espérons que les résultats seront disponibles bientôt», a commenté jeudi Stephen Evans de la London School of Hygiene and Tropical Medicine. Dans le cas contraire, avec le ralentissement de l'épidémie qui rend plus difficile d'enrôler de nouveaux patients, le débat acharné entre défenseurs et détracteurs de la fameuse molécule risque de se poursuivre.
Quoi qu'il en soit, cette affaire autour de l'étude du Lancet «est un immense scandale très préjudiciable à la communauté scientifique», a souligné sur Twitter le Pr Gilbert Deray, de la Pitié-Salpêtrière à Paris.
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LE CANCER AMERICAIN : LA COLONISATION DE L'EUROPE (Toujours aussi actuelle !)
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- Catégorie : MONDIALISME
Les peuples européens, à Vincennes ou ailleurs, se disputent le privilège des vertus coloniales : l'Anglais depuis longtemps s'en targue, le Français en exhibe des marques plus récentes. Et l'Allemand y prétend d'autant plus qu'elles font partie du patrimoine que la guerre a mutilé. Bref, ce génie colonisateur qui, en dehors de l'héroïsme et du désintéressement fréquents chez les sous-ordres, n'est au fond devenu sous sa forme actuelle qu'un succédané de l'esprit du policier, du contremaître et du pirate, ce génie colonisateur, qui s'est mué en somme en un déchet de l'esprit d'invention et d'aventure et qui, à ce titre, devrait apparaître comme une tare, devient un objet d'envie et un motif de querelles.
Il y aurait cependant une façon de mettre sur ce point tous les Européens d'accord. Ce serait d'évoquer le rôle du dernier larron colonial, de ces anciennes colonies d'Amérique, qui semblent n'avoir conquis leur indépendance que pour menacer à leur tour, par des procédés coloniaux, celle des anciennes mères-patries. Grâce à l'Amérique, le colonialisme européen est retombé sur l'Europe ; mais ce retour s'est effectué avec une telle perfection, selon des méthodes qui marquent un tel progrès sur les procédés de nos pères, que les Européens souvent semblent ne pas l'avoir encore compris. Pourtant, au cours de la marche fatale qui pousse le cancer américain à proliférer en Europe, nous retrouvons les caractères essentiels de toute colonisation. Imposer au pays soumis des cadres de civilisation artificiels et rigides, développer arbitrairement son pouvoir de consommation pour augmenter les débouchés qu'il procure au risque de provoquer des crises, fonder quelques hôpitaux ou construire des bibliothèques, telles sont les lignes générales de toute colonisation, où l'on retrouve les bienfaits dont le Yankee nous qualifie. Colonial, le Yankee l’est dès l'origine et par destination ; il l'est par vocation et avec enthousiasme. II l'est aussi avec astuce ; car laissant à ses colonies une apparente indépendance, préférant en réalité à l'annexion pure et simple un protectorat déguisé, il dégage sa responsabilité lorsqu’il craint une catastrophe, mais il retrouve tous ses droits pour empocher les bénéfices. Combinant l'arrogance du parasite avec le sans-gêne du nouveau riche, infatigablement, sur son sol d'abord, sur les autres ensuite, par la force, tant qu'il était viril, aujourd'hui par l'or, le crédit ou la presse, l'Américain colonise.
Depuis le temps déjà lointain où, selon le mot du bon Tocqueville, les Yankees éliminaient philanthropiquement les Peaux-Rouges, l'Amérique a fait du chemin. Il semble même, au premier abord, que l'esprit de ses méthodes coloniales se soit complètement modifié ; de la colonisation concrète ayant un but matériel, voire territorial, elle est passée progressivement à ce que l'on pourrait appeler la colonisation abstraite, c'est-à-dire à la colonisation par le commerce, puis par le crédit, puis enfin par le prestige.
Mais d'abord il ne faudrait pas se tromper sur les effets de la colonisation par le prestige. Nous appelons ainsi cette forme de propagande psychologique par laquelle l'Américain prétend forcer même son adversaire à se conformer à ses méthodes, à descendre sur son propre terrain, c'est-à-dire celui du progrès technique et du succès quantitatif. Lorsque M. Dubreuil ou même M. Pomaret proposent de s'inspirer des méthodes américaines, le premier par admiration béate et avec la plate humilité du réformiste, le second au nom du réalisme, et prétendent endiguer ainsi la marée américaine, il ne faut pas que ces « grœculi », vassaux intellectuels du vainqueur, nous fassent croire qu'en agissant ainsi, l'Europe peut, même matériellement, sauver sa terre aux dépens de son esprit. Au sens le plus précis du mot, c'est l'esprit qui vivifie, et si la France ou l'Allemagne adopte la rationalisation à l'américaine et le mythe de la production, fût-ce contre l'Amérique, elle ne sauvera rien du tout, même pas ses frontières, même pas ses industries. Au fond Tardieu est plus franc, lorsque, sans même essayer de sauver la face, il lie la France à la Banque américaine et l'inonde d'œuvres philanthropiques yankees. Admettons même que l'Amérique, colonisant par son prestige, laisse aux peuples européens le temps de s'adapter à la rationalisation et d'en tirer ce qu'on est convenu d'appeler les bénéfices, elle conserve encore sur eux l'immense avantage de son sol aux matières premières presque neuves, et de l'avance qu'elle a prise sur toutes les autres nations. Elle reste toujours la plus forte, même en présence de pays qui ont cherché à l'imiter. Un exemple récent le montre : c'est celui de l'Allemagne qui, ayant voulu rationaliser à outrance à l'instar des États-Unis, dans l'espoir de se débarrasser plus vite et de l'obligation des traités, et de la mainmise de la finance étrangère, s'est trouvée acculée à une crise d'une gravité sans précédent, qui la contraint à appeler au secours cette même finance internationale et particulièrement américaine, de l'emprise de laquelle elle avait espéré se dégager, en s'équipant à sa manière.
D'ailleurs, en réalité, la colonisation par le prestige ne peut jamais être séparée de la colonisation brutale. La seule différence possible est que parfois elle la précède et d'autres fois elle la suive. Quand le prestige est le premier à coloniser un pays, il est le meilleur fourrier de la conquête matérielle : en effet ce sont les ressorts mêmes de toute résistance qui sont brisés par l'acceptation du prestige, et si parfois on lutte encore de façon instinctive, on ne sait plus pour quoi lutter. La colonisation brutale, lorsqu’au contraire elle apparaît la première, ne néglige d'ailleurs pas pour cela les facteurs de la propagande. Le colonisateur ne se réclame pas de la virtu du conquérant ; il condamne la violence, tout comme le préfet de police ; il s'appuie sur le médecin, comme sur le pasteur et le missionnaire ; et dans les pays où sa poigne est la plus brutale, il affecte de protéger toujours les parias, les femmes et les petits enfants, de préférence dégénérés ou incurables, contre les aristocraties viriles et contre les traditions guerrières. Autant que possible, il ne combat pas lui-même ; il cherche à gagner à sa cause une tribu plus vénale ou plus politicienne que les autres. Il corrompt par l'or et par la parole; et si parfois un soldat à son service tire l'épée comme pour la guerre de conquête, où à l'origine les adversaires combattaient sur le même plan, il est sévèrement blâmé pour cette erreur de tactique.
A bien considérer les choses, le colonisateur n'a aucun contact réel avec le colonisé: il domine dans tous les cas par un prestige abstrait, juridique, administratif, industriel. On pourrait, dès lors, aller jusqu'à dire que les invasions barbares apparaissent comme la rançon morale de la colonisation et la vengeance de la violence concrète sur la magie abstraite. Le jour où l'Europe spirituelle aurait fléchi devant la puissance d'abstraction américaine, il ne resterait contre le matérialisme envahissant que l'appel aux barbares, s'il y en a encore. Mais si, comme il le semble, pour la première fois dans l'histoire du monde, la raison dégénérée a atteint une puissance technique telle qu'aucune barbarie ne puisse directement la menacer, si par une confusion tragique et une dégradation de toutes valeurs, la barbarie moderne, c'est la raison sous sa forme américaine, alors on ne voit plus de force extérieure à notre civilisation qui puisse nous libérer d'elle en la combattant ou en la détruisant. Tout appel aux barbares est vain si les barbares ne sont pas armés à l'américaine, et si le barbare est yankee, il est doublement barbare. C'est donc à l'intérieur de notre monde que doit se jouer le drame décisif de l'histoire de l'humanité. L'esprit n'a pas le droit de reculer contre l'abstrait car, par son effort même, celui-ci a d'avance renversé toutes les barrières et éliminé les interventions possibles de forces humaines encore vierges. C'est donc maintenant que la bataille décisive est livrée, où il n'y a plus et ne peut plus y avoir, au moins avant fort longtemps et sauf écroulement imprévisible de toute la civilisation moderne, que deux adversaires en présence: l'esprit vivant et créateur et son émanation figée, matérialisée, en lutte ouverte contre lui-même. Lutte pour des valeurs spirituelles, qui montre bien, dans la colonisation de l'Europe, l'importance primordiale de la colonisation par prestige.
Certes, il n'y a pas lieu de méconnaître, quoiqu'elles ne viennent qu'au second rang, l'importance des autres formes de colonisation, par le commerce ou par le crédit. Presque tout le monde a oublié que la colonisation de l'Europe a failli se faire dès le lendemain de l'armistice grâce à certain mémorandum Wilson du 1er décembre 1918 aux gouvernements alliés. Dans ce mémorandum, Wilson proposait sérieusement d'organiser, à l'instar du commandement unique, une direction générale du ravitaillement dont le champ d'action embrasserait toutes les régions, alliées ou ennemies, touchées par la guerre. Le Directeur général devait naturellement être un Américain. On voit que déjà l'Europe était menacée d'une dictature économique américaine, qui, par une curieuse coïncidence, aurait peut-être été dès ce moment une dictature Hoover. Mais ce n'était là qu'une tentative globale encore prématurée. De nombreux ouvrages, malheureusement depuis trop peu de temps, ont montré le développement des affaires américaines en Europe que la crise de 1929, bien loin d'arrêter, n'a fait que précipiter. Il faut en effet, non seulement, que les Américains angoissés par le krach découvrent des marchés neufs qui leur permettent de rendre à leurs usines une production en rapport avec leur outillage et leur capacité énormes, actuellement bien loin d'être en rapport avec les besoins d'un marché intérieur singulièrement déprimé. Il faut aussi faire face au danger du chômage, plus grave encore que celui de la perte de l'outillage. Il faut enfin écouler les stocks, stocks de matières premières tels que blé et coton, stocks de produits fabriqués, tels qu'automobiles ou films... L'Amérique est ainsi acculée à la nécessité d'un dumping dont l'Europe n'a jusqu'ici été préservée qu'à cause des prétentions américaines à fermer les yeux devant la réalité. Les Américains en effet, qui savent bien que leur énergie due à l'autosuggestion, n'a pas le ressort d'une énergie spontanée et créatrice, ne veulent à aucun prix abandonner le mythe de la prospérité ; ils ne veulent par conséquent pas consentir à écouler leurs stocks à perte, mais ils y seront bien obligés. Peut-être, avant d'en arriver à cette extrémité, utiliseront-ils la détresse des États européens aux prises eux aussi avec la crise, pour leur vendre ces stocks à crédit, substituant ainsi la vente à crédit à la vente à perte : dumping, à peine camouflé. L'Allemagne semble s'offrir tout naturellement à une combinaison de ce genre, du moins pour certains produits agricoles.
Quoi qu'il en soit, les progrès du capitalisme américain en Europe s'affirment de jour en jour; les ouvrages de MM. Pomaret et Laurat, pour ne citer que les plus récents, donnent à ce sujet des renseignements précis, sur une situation qui, du reste, évolue très rapidement. Nous n'avons pas ici le dessein de déterminer où en est actuellement l'aspect technique de la question. Qu'il suffise de rappeler que la pénétration américaine peut se produire de plusieurs manières:
la première sous forme d'emprunt de l'État, des municipalités ou d'un établissement public autonome; tel est le cas du Reich, de divers autres États, tels que la Pologne et même, ce qu'on oublie trop, de la France, au moins pour ses chemins de fer et ses régions libérées (notamment Soissons)l. Un exemple typique de la puissance de l'arme financière vient d'être fourni tout récemment par l'Angleterre elle-même. Le chef du parti travailliste, Mac Donald, acculé à une situation sans issue autre que révolutionnaire, passe délibérément sans quitter le pouvoir du service du socialisme au service de l'Amérique sous la pression de la Banque d'Angleterre, elle-même entièrement dominée par la banque américaine seule capable de sauver la Livre menacée par la débâcle allemande, trahison qui s'est révélée vaine. Ici la méthode financière de colonisation apparaît cyniquement si l'on se souvient qu'à l'origine de la débâcle allemande se trouvait l'échec de la rationalisation financée avec des crédits yankees.
La seconde méthode de colonisation est celle de la pénétration d'une industrie ou d'une firme américaine sur le territoire européen ; par exemple la mainmise de la General Motors sur Opel, de la General Electric sur le Consortium allemand de l'A.E.G. ; ou encore les tentatives directes faites par Ford pour supplanter Citroën et Renault. En dehors de la lutte entre Ford et la General Motors qui, comme le dit M. Pomaret, se disputent la clientèle sur le dos de l'Europe, le premier, généralement sous son nom, la seconde, plutôt sous le nom des firmes qu'elle achète en Europe, deux exemples de cette manière de coloniser sont particulièrement frappants : le premier est celui du groupe Harriman en Pologne, qui accaparant la majeure partie de la production minière de ce pays, faillit récemment, en créant à son profit le monopole de la force motrice, dominer entièrement la vie économique. L'autre exemple, le plus éclatant de cette manière de faire, semble avoir été l'espèce de chantage opéré par la General Electric sur tout notre système téléphonique, radiotéléphonique, etc., juste au moment où le plan d'Owen Young était présenté en Europe comme une concession généreuse de l'Amérique. Sans insister davantage, rappelons qu'en Allemagne et en France, la majeure partie de l'industrie du cinéma est d'ores et déjà sous le contrôle américain, qu'il en est de même pour l'électricité, pour les matières colorantes, etc. Si les firmes britanniques pétrolifères et les firmes françaises automobiles se défendent jusqu'ici utilement, il ne faut pas oublier néanmoins qu'une grande partie du pétrole exploité par les firmes anglaises vient d'Amérique et que l'industrie automobile française pour lutter contre Ford et la General Motors, tend à américaniser peu à peu ses méthodes, rendant ainsi plus facile, au cas d'une crise, la conquête américaine dont le public et l'ouvrier ne s'apercevront même pas.
Enfin une troisième méthode de colonisation est celle de la colonisation financière par le contrôle progressif d'un plus grand nombre de banques d'affaires européennes. Cette méthode, qui est la plus redoutable de toutes, est applicable presque impunément en régime capitaliste. Il suffit que la tranche d'actions d'une affaire que possède telle ou telle banque choisie par la firme pour soutenir sa valeur en Bourse, passe entre les mains du groupe Morgan ou de tout autre. Comme les parlementaires ou les ministres qui pourraient protester, ont eux-mêmes tout intérêt à ménager leurs amis américains, qu'enfin la presse dépend d'agences de publicité ou de firmes susceptibles de se trouver dans le même cas, on est prévenu quand l'opération est faite. Cette méthode est d'ailleurs infiniment souple ; il semble même qu'un capitalisme d'État puisse en être victime comme les autres.
La constatation la plus intéressante qui se dégage d'une étude de cette colonisation américaine de l'Europe est évidemment que plus elle devient dangereuse, moins elle est apparente. Et ici se confirme une fois de plus le caractère profondément abstrait de cette colonisation. C'est sur le terrain financier et particulièrement celui du crédit que cette constatation se montre la plus éclatante. A ce titre, et bien qu'il soit bousculé par les événements, le plan Young demeure un objet d'études particulièrement révélateur: son importance subsiste entière et 1929 apparaît comme une étape particulièrement grave dans la colonisation de l'Europe par l'Amérique. Pour la première fois, au moyen d'un organisme bancaire, un protectorat secret sur l'ancien monde était établi de façon assez discrète, pour que nul ne s'en aperçût. Machine admirablement montée, mais encore mieux camouflée, et sur laquelle il faut nous arrêter quelque peu. Véritable charte du colonialisme américain !
Le plan Young succédant au plan Dawes, reconnu impraticable, avait pour origine le rapport des experts qui dans son chapitre III exposait les données du problème : D'une part liquider la question des réparations de façon à contenter tant bien que mal les États créanciers.
D'autre part, permettre à l'Allemagne, État débiteur, de s'acquitter de ses obligations sans ruiner sa situation économique.
L'obstacle essentiel contre lequel s'était brisé le plan Dawes et qu'il s'agissait cette fois de tourner était le transfert aux États créanciers des sommes dues par l'Allemagne.
Ces sommes étaient d'une telle importance que leur seul déplacement massif d'un pays aux autres pouvait ébranler le crédit international et ruiner le crédit allemand.
Pour en finir avec cette difficulté sans cesse renaissante, qui risquait d'assurer au plan Young, le même sort qu'au plan Dawes, le chapitre V du nouveau plan prévoyait une seule chance de salut : la commercialisation des obligations allemandes, substituée au transfert direct des sommes en question. Ainsi naquit, et devait naître par la force même des choses, le projet d'une Banque de Règlements Internationaux, une Banque, étant par définition le seul organisme capable de garantir au créancier le remboursement de son dû, sans exiger du débiteur qu'il acquitte dans les mêmes délais sa dette.
Mais il est aussi dans la nature d'une Banque de ne pouvoir se limiter à un ordre précis d'activité et la Banque des Règlements Internationaux devait fatalement dépasser son but primitif. En effet dès le chapitre suivant du plan (chapitre VI) nous vîmes les experts déclarer que la Banque ne serait pas « seulement, voire même principalement, consacrée au règlement des réparations, mais fournirait en outre au commerce mondial et à la finance internationale d'importantes facilités qui manquaient jusqu'à présent ».
Il était difficile d'être plus clair, et de montrer plus cyniquement que le règlement des réparations n'était que le prétexte à une sorte d'hégémonie sur les échanges internationaux. Quels devaient en être les bénéficiaires ? Ici le cynisme faisait place à l'hypocrisie. En apparence toutes les nations, débitrices ou créancières, riches ou pauvres, étaient sur un pied d'égalité au Conseil d'Administration de la Banque. Mais en fait, que ce fût pour le placement des obligations ou pour stimuler les échanges, la Banque, même en s'en tenant à sa fonction primitive d'escompter à l'avance le paiement des annuités, devait avoir besoin d'argent frais et de larges ouvertures de crédit, et devait imposer la suprématie de qui pouvait lui en fournir.
Ainsi le plan Young, conçu en principe pour libérer l'Europe des suites financières de la guerre, l'asservissait bien plutôt de façon définitive, en les aggravant et les consolidant à jamais.
Surtout le plan Young marquait un progrès dans l'abstrait sur le plan Dawes. Dans ce dernier, en effet, la monnaie restait marchandise, puisqu'à son propos se posait le problème du transfert ; et les nations participantes restaient indépendantes de l'organisme de transfert. Dans le plan Young au contraire tout se trouvait réduit en facteurs abstraits, dont il semblait qu'on pût changer l'ordre. Le moteur n'est plus chez tel créancier ou tel débiteur particulier. Il est tout entier à la Banque. Nous entrons par conséquent dans le domaine de la finance pure, dans le paradis des techniciens. Tous ceux qui ne l'étaient pas ne cachaient pas leur malaise. Gardant le besoin périmé de connaître les responsables, ils voulaient savoir à qui s'en prendre : États-Unis ou Angleterre ? Morgan ou Poincaré ? Mais devant eux tous les guichets se fermaient. Comment trouver des personnages là où il n'y a plus de choses ni de pays, où il n'y a que des rapports ?
Les techniciens, bien au contraire, les rhéteurs de la pure finance, ne cachaient pas leur enthousiasme pour le plan Young. C'était pour eux le but du jeu, la machine-outil idéale. Sous l'égide du plan Young s'organisaient scientifiquement production et surproduction. Alors que dans toute nation rationalisée, du temps de son indépendance, le chômage menaçait l'optimisme des rationalisateurs, le plan Young ouvrait de nouvelles sources de travail. On pouvait espérer voir se constituer sous la direction d'une B.R.I., devenue une véritable filiale des Fédéral Reserve Banks, des États-Unis d'Europe dans le prolongement pratique et idéologique des États-Unis d'Amérique. La porte était ouverte sur la grande prospérité. Rêves grandioses et abstraits, qui survivent au plan Young.
Mais ce qui subsiste du plan Young, c'est sa leçon d'hypocrisie ; son magistral tour de passe-passe, c'est qu'il rompait d'un seul coup et sans que le public pût s'en apercevoir tous les contacts avec le réel.
Est-il question qu'en échange de nos dettes on parle de prendre une colonie ? L'opinion s'insurge à grands cris. Nos allumettes sont sacrées : notre tabac devient soudain une parcelle essentielle du patrimoine national. Demander des crédits à l'Amérique, c'est même, pour quelques-uns, trahir.
Le plan Young, bien plus habile, sans sembler vouloir d'annexions, sans citer de gages tangibles, ouvrait toutes les écluses du crédit ; il aboutissait sans esclandre à l'achat global du continent européen par la finance et le colonialisme anglo-saxon. Celui-ci ne pouvait être esquivé, soit que nous nous organisions spontanément à l'américaine, soit que nous nous laissions administrer par des banquiers américains.
Dans l'ordre de l'économique, qui n'est déjà qu'une abstraction, le domaine financier est de loin le plus abstrait. Partout ailleurs il y a une marchandise, qui n'est pas une pure valeur d'échange, qui a une valeur concrète. Au contraire la monnaie n'est qu'un signe. Mais l'organisation moderne du crédit (papier de change, chèque, virement...) renchérit sur l'abstraction du signe. Le plan Young introduisait donc dans l'ordre économique international le règne de la pure abstraction mathématique.
De ce point de vue, même après son échec, il marquait l'aboutissement du cancer américain, qui met l'abstrait au-dessus du concret, l'homme politique et surtout économique au-dessus de l'individu vivant, et qui procède d'une hypocrisie d'un genre nouveau en substituant à l'impérialisme par l'autorité, l'impérialisme par la suggestion. Le colonialisme ne s'appelle plus colonialisme, mais rationalisation.
Il fallait donc rompre en visière avec la société moderne ou bien accepter le plan Young, révolution ou adhésion. Nul, dans aucun Parlement, hormis sans doute les communistes, n'a su poser ce dilemme. Et ceux qui sentant le scandale ont cherché à y pallier par des réserves de détail se sont contredits et trahis, ou bien ont donné la preuve de leur incompréhension foncière.
En effet si aujourd'hui le plan Young semble avoir échoué, ce n'est aucunement en raison de l'opposition de ceux qu'il devait asservir; c'est en raison d'une défaillance des Américains eux-mêmes. Mais, tel que,il reste le chef-d'œuvre que nul n'a osé critiquer, et le modèle que l'on s'apprête à reproduire. Son échec apparent provient de ce que l'Amérique, prise de peur, n'a pas osé se servir de la B.R.I. qu'elle avait créée, de même que douze ans auparavant, reniant les fameux quatorze points, elle n'avait pas osé confirmer le programme wilsonien de colonisation évangélique. Qu'on ne s'y trompe pas, toutefois, si le plan Hoover supplante le plan Young, c'est peut-être que la peur américaine a de nouveau changé de cause : mais les ambitions sont les mêmes : le colonialisme n'a pas renoncé. La nouvelle conférence de Bâle, qui réunit de nouveaux experts, fait de nouveau appel, pour arbitrer ses débats, à un banquier américain. Celui-ci est contraint à jouer le rôle de Tartuffe pacifiste, c'est-à-dire à exciter les haines internationales en prétendant les calmer. La Paix par l'Argent, qu'il prétend apporter, prépare en réalité la guerre de toutes les manières : d'abord parce qu'elle irrite, et, pour une fois, de manière légitime, les nationalistes des pays qu'on livre à la Banque Internationale, d'autre part parce qu'en servant d'intermédiaire isolant entre les anciens ennemis, elle les empêche d'envisager ensemble les nouvelles difficultés qui leur étant communes, pourraient les unir ; enfin et surtout, parce qu'elle perpétue le mythe absurde de la prospérité, cause de surproduction et de chômage, et introduit la rationalisation dans les régions qui en étaient encore indemnes.
De tous côtés, partout où s'exerce la contagion de l'esprit yankee, où s'instaure, à l'instar de l'Amérique, un régime abstrait de prospérité, ce sont mêmes menaces de guerre.
Et l'Amérique pourrait à bon droit, reprenant un mot célèbre, déclarer: « Nous n'avons pas voulu cela ». En réalité, elle ne veut rien, ni paix ni guerre. La question d'ailleurs aujourd'hui n'est plus de savoir si l'on veut la paix ou la guerre, mais de déterminer les conditions dans lesquelles, pris par un mécanisme tout puissant, il nous sera possible de vouloir quelque chose. Déterminisme ou liberté. La question se pose en matière politique.
Le but profond des États-Unis en Europe comme en Amérique est d'éviter un renversement du mythe de la production capitaliste, c'est-à-dire l'explosion psychologique révolutionnaire. Puisqu'ils mènent aujourd'hui la danse capitaliste, tout ce qui s'oppose à leur action doit être brisé par la corruption si c'est possible, par la force, si cela devient indispensable. Les réactions des gouvernements français et allemand à des exigences d'origine ou de forme américaine annoncent celles qui tôt ou tard déclencheront la guerre ou les guerres nécessitées par le processus en cours.
On ne soumet pas impunément la conscience d'une époque à des nécessités inhumaines, industrielles ou financières. Quand ils s'exercent chez l'individu les mécanismes destructeurs ont une issue commode, la mort. Il n'en est pas de même pour les sociétés ; l'humanité ne peut mourir ni se suicider. Mais elle peut passer par des crises, où toutes ses valeurs morales et ses valeurs spirituelles seront bafouées et ébranlées. Ces crises approchent, si elles ne sont déjà là.
Contre l'esprit américain, ce cancer du monde moderne, il n'est aujourd'hui qu'un remède. Pour échapper à l'engloutissement dont nous menacent les déterminismes matérialiste et bancaire, c'est avant tout le mythe de la production, qu'il faut attaquer et détruire : c'est avant tout une révolution spirituelle qu'il est de notre devoir de susciter.
Sources : le cancer américain – R. Aron et A. Dandieu – Réédition l’Age d’Homme 2008
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G. SOREL et le BLANQUISME
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(…) Ne convient-il pas de juger le blanquisme favorablement ? Les blanquistes n'ont-ils pas toujours combattu de toute leur ardeur les politiciens réformistes et tous les socialistes d'Etat ? L'affirmation énergique et sans aucune réserve de la lutte des classes ne constitue-t-elle pas le premier et principal article de leur credo politique ? N'est-ce pas le ressort de toute leur action socialiste ? Et, en toutes circonstances, ne se comportent-ils .pas comme de très authentiques révolutionnaires ? Adversaires déterminés de toute doctrine de paix sociale, c'est non pas grâce au simple jeu des Institutions démocratiques, mais en instituant la dictature prolétarienne, qu'ils veulent déterminer la catastrophe et .réaliser le socialisme.
Pour le blanquisme, G. Sorel, en bien des textes, se montre sévère et même souvent très dur. Il arrive toutefois que cette sévérité s'adoucisse. Et, d'ailleurs, tout bien examiné, n'est-ce pas un mouvement blanquiste que cette révolution bolcheviste qui, dans les dernières années de sa vie, provoqua son admiration et même son enthousiasme ?
Mais, tout d'abord, qu'est le blanquisme ?
La vraie pensée de Louis-Auguste Blanqui n’est pas ici en cause. Et il convient de maintenir aux termes de blanquisme et de blanquiste la signification qu'ils ont fini par prendre et que, dans les milieux socialistes, on leur donnait couramment à la fin du siècle dernier et dans les premières années du nôtre (XXe).
Le blanquisme, ce fut, en premier lieu, la pensée du coup de main contre le régime établi, du coup de force pour s'emparer du pouvoir. On le symbolisait par les «journées» révolutionnaires, l'appel aux armes, les barricades, les combats de rue. Mais, remarque G. Sorel, les hommes dont l'idée dominante et même exclusive était que, pour réaliser le socialisme, la conquête de l'Etat est nécessaire et suffisante, ont fini par s'apercevoir qu'un tel but peut être atteint autrement que par une descente dans la rue. Si, par la voie électorale, on parvient à désarmer suffisamment le pouvoir pour rendre facile toute action contre lui, pourquoi ne pas recourir à cette méthode ? Pourquoi ne pas lutter de toute son énergie et de toute son habileté sur le terrain électoral? Et d'autant plus que des administrateurs comme Haussmann multiplient, dans les grandes villes, à la place des ruelles tortueuses si favorable aux barricades, les larges avenues toutes droites où sont utilisées avec un grand rendement des armes de plus en plus puissantes que seuls les Etats sont capables de se procurer et de mettre en service !
Pour le blanquisme contemporain, la conquête de l'Etat exige l’emploi de multiples moyens. Mais le principal, c'est la constitution d'un parti bien commandé, strictement discipliné, avec des cadres solides, une organisation minutieuse, et tel qu'il soit apte à profiter de toutes les circonstances favorables et à faire face à toutes les situations. Parti qui restera lui-même, gardera jalousement son autonomie, ne pactisera pas avec les partis bourgeois. II faut bien dire le Parti, et non la classe. Lorsque les blanquistes parlent de luttes de classes (et c'est à chaque instant !), ils en reviennent toujours à une notion de la classe antérieure à celle que Marx avait réussi à préciser grâce à ses observations sur des mouvements ouvriers qui étaient contemporains non plus du précapitalisme, du capitalisme usurier, mais du vrai capitalisme industriel, producteur et hardiment conquérant. Pour les blanquistes, le problème à résoudre c'est d'amener au parti baptisé parti de classe tous ceux qui, pour une raison ou pour une autre sont hostiles au régime bourgeois tous les mécontents quels qu'ils soient et d'où qu’ils viennent. Et ainsi grâce aux efforts quotidiens et sous la direction méthodique et ferme de l’état-major du parti, pourra être organisée et disciplinée une masse de plus en plus imposante de partisans et de sympathisants, tous hostiles aux gouvernants et au régime établi, et prêts à obéir à tous les mots d'ordre de l'état-major, soit dans les luttes électorales, soit, au besoin, dans d'autres luttes. Au nom de l'intérêt de ce Parti, qu'il prétend identifier à l’intérêt même de la classe ouvrière, l'état-major blanquiste s'emploie à subordonner au Parti toutes les organisations ouvrières, syndicales et coopératives, et à utiliser, pour ses fins propres, des mouvements ouvriers, soit qu'ils naissent spontanément, soit qu'il réussisse à les provoquer.
Encore une fois, ces blanquistes accordent au vote une importance exceptionnelle. Nous nous rappelons avoir entendu Jules Guesde qui, s'adressant à des ouvriers, leur disait : « Vous vous plaignez de l'oppression capitaliste et de toutes les injustices qui naissent du régime bourgeois. Mais vous possédez, avec le bulletin de vote, le moyen de le faire cesser immédiatement. Vous êtes de beaucoup les plus nombreux. Votez pour votre, parti de classe. Et la révolution est faite ! » D'ailleurs, ces « votards », comme les appelaient les anarchistes, comme devaient les appeler les syndicalistes révolutionnaires, conservaient pieusement le culte de la Commune, et le défilé annuel au mur des Fédérés au Père-Lachaise, était, pour eux du moins, bien autre chose qu’une manifestation obligatoire, mais vide de sens !
QUALITÉS DU BLANQUISME
La pensée et les paroles de ces blanquistes comportent ainsi un accent révolutionnaire parfois fort accusé; leurs attitudes et gestes témoignent, dans certains cas, d'un véritable élan révolutionnaire. Il arrive même que le mouvement blanquiste soit dirigé par des ouvriers désintéressés, pénétrés jusqu'aux moelles de l'idée prolétarienne, acceptant avec ferveur tous leurs devoirs et toutes leurs responsabilités de prolétaires et s'appliquant à maintenir leurs pensées et leurs actions dans le sens des aspirations les plus profondes et des intérêts les plus incontestables de la classe ouvrière. Tel est un Allemane ! Tel le vieux parti révolutionnaire français qu'avait fondé Allemane après s'être séparé de Paul Brousse. A un pareil blanquisme G. Sorel, jusque vers 1898, marque toute sa sympathie et, autant qu'il lui était possible, donne son adhésion. L’idée blanquiste, sous sa forme la plus pure, la moins entachée d'utopie et de diplomatie électorale, paraît bien avoir été la première forme de son socialisme. Après 1898 même quand il compare ce blanquisme-là à toutes les sortes de réformisme et de socialisme d'Etat, ces sympathies anciennes, dans une certaine mesure, réapparaissent. Entre les deux attitudes, son choix est fait.
VICES DU BLANQUISME
Pourtant, si nous nous plaçons entre 1898 et 1911, le blanquisme, et même ce blanquisme-là, n'échappe pas aux critiques les plus acérées de G. Sorel; car il souffre, lui aussi, de vices rédhibitoires.
Il est un étatisme. Il tend à assurer à un état-major de politiciens qui ne peuvent pas tous être des ouvriers désintéressés comme un Allemane, la possession paisible d'un pouvoir politique absolu. En fait, il aboutirait, triomphant, à une véritable dictature du « prolétariat intellectuel », de ce prolétariat intellectuel qui poursuit des fins propres, qui veut commander et jouir, sans travailler, sans aucun souci des intérêts réels des ouvriers, sans la moindre aspiration à la civilisation du travail. Prolétariat intellectuel que possède la passion et qui pratique le culte de l'immoralité. Ennemi du travail, ennemi de la famille, sans noblesse, sans grandeur, il est plus bas encore qu'une bourgeoisie en pleine décadence, et moins apte qu'elle encore, s'il se peut, à promouvoir la vraie société des travailleurs libres, associés dans la pratique de la morale humaine et du droit. Les blanquistes, dans ces conditions, ne travaillent guère à l'émancipation des travailleurs. Ils ne les incitent presque jamais, ils ne cherchent pas à les former à la pratique du « self-government ». Tout au contraire, ils font obstacle soit inconsciemment, soit de propos délibéré, à tout mouvement autonome d'une classe ouvrière qu'ils cherchent à incliner avant tout vers l'action purement électorale et que, dans la mesure où elle les suit, ils associent, qu'ils le veuillent ou non, à tous les vices et à toutes les tares d'une telle action !
Nous voici donc conduits à cette conclusion que, selon G. Sorel, il ne peut exister aucune action proprement socialiste en dehors de la vie et du mouvement d'une classe ouvrière consciente d'elle-même, soucieuse de ses responsabilités et pratiquant une pleine autonomie. Telle fut bien, en effet, entre 1898 et 1911, la pensée fondamentale de G. Sorel.
Fernand Rossignol
Sources : F. Rossignol – Pour connaitre la pensée de G. Sorel – Ed. Bordas.
Une date, un événement : 6 mai 1085, reconquête de Tolède
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- Catégorie : HISTOIRE
Le royaume wisigoth, en Espagne, était l'un des plus puissants royaumes germaniques établis, au début du Moyen Age, sur les ruines de l'empire romain d'Occident. Le roi Athanagild (554-567) fit de Tolède sa capitale. Ne subsistent de la Tolède wisigothique que quelques éléments de fortifications, alors que la ville fut un phare de la vie politique et religieuse, en particulier grâce aux nombreux conciles qui s'y tinrent. Ces onze conciles nationaux, entre 589 et 711, convoqués le plus souvent par le roi et présidés par le métropolitain de Tolède, traitaient aussi bien de questions politiques que de questions religieuses. Ce qui illustrait la place prépondérante, dans la vie du royaume, prise par l'Eglise depuis la conversion (en 586) au catholicisme du roi Reccared (ses prédécesseurs étaient ariens). Le roi, censé être élu par l'assemblée générale des guerriers, l'est en fait par les aristocrates laïcs et ecclésiastiques, ces derniers apportant au pouvoir royal une caution déterminante puisque le métier de roi est défini par eux comme un office sacré.
Les conciles de Tolède se préoccupent souvent de la communauté juive, soupçonnée de faire un prosélytisme nuisible à l'unité spirituelle du royaume. D'où des mesures de coercition dont donnent l'exemple certains des Actes du quatrième concile de Tolède, tenu en 633 et animé par le célèbre Isidore de Séville. Ces mesures sont comparables à celles que prend, au même moment, l'empereur byzantin Héraclius. Sont visés spécialement les « juifs chrétiens depuis un certain temps et revenus ensuite à leur premier rite » : en effet malgré le baptême forcé des Juifs ordonné par le roi Sisebut (612-620), beaucoup de « convertis » sont accusés de clandestinement « pratiquer les rites du judaïsme, blasphémant le Christ, mais encore ont l'audace de pratiquer d'abominables circoncisions ». Le concile ordonne donc « que les transgresseurs de cette sorte, guéris par l'autorité pontificale soient ramenés au culte du dogme chrétien », au besoin par la contrainte. De plus les Juifs ne doivent ni exercer de fonctions publiques ni posséder d'esclaves chrétiens.
On comprend mieux, ainsi, l'appui apporté par les Juifs aux envahisseurs lors de l'invasion de l'Espagne par les musulmans en 711. Ils avaient un compte à régler.
En 711, après la défaite infligée au roi Rodrigue par le chef des envahisseurs musulmans, Tariq ibn Ziyad, Tolède tombe entre les mains de ceux-ci, qui prennent le contrôle de l'Espagne, hormis les bastions de résistance wisigothique établis dans les montagnes du nord de la péninsule ibérique.
Si le long effort (huit siècles !) de la Reconquista commence dès 722 par la symbolique victoire de Covadonga, la longue marche est rythmée par une alternance de succès et de revers. Cependant s'impose l'idée qu'il faut reconstituer le royaume wisigothique, sous la houlette des rois appuyés sur leur bastion des Asturies et avec l'aide de saint Jacques (Santiago Matamores, c'est-à-dire « le tueur de Maures »). La victoire de Polvoraria remportée par le roi Alphonse III (877), la fondation de Burgos par le comte de Castille (884), l'édification des forteresses de Zamora, Toro, Simancas (893) sont autant de jalons dans la progression des forces chrétiennes et permettent le repeuplement européen des terres reconquises. Des épisodes comme la prise de Clunia (1007) par Abd al-Malik, qui fait massacrer la garnison qui s'est rendue, ne font que renforcer la détermination des Espagnols.
A la fin du XIe siècle, tandis que se renforcent le comté de Barcelone et le jeune royaume d'Aragon, l'initiative de l'offensive appartient à la Castille dont le roi Alphonse VI vient mettre le siège devant Tolède à l'été 1081. La ville tombe le 6 mai 1085. Les habitants musulmans peuvent partir en emportant leurs biens. Tolède sera la capitale du royaume de Castille, puis d'Espagne, jusqu'en 1561. Alphonse VI y a fait élever une forteresse, l'Alcazar, dont le premier gouverneur fut le Cid Campeador et qui est devenue au XXe siècle un puissant symbole grâce à l'héroïque résistance des Cadets face aux Rouges en 1936 (voir Henri Massis et Robert Brasillach, Les Cadets de l'Alcazar, Pion, 1936).
Pierre VIAL
SOURCES : Rivarol du 20/05/2011
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