M. Jean Monnet et son plan
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Si notre IVe République a éliminé de la scène parlementaire un grand nombre des hommes qui avaient joué un rôle dans les périodes d'avant-guerre, elle n'a, depuis la Libération, guère révélé de personnalités politiques nouvelles de premier plan. Ceux qui, ces dernières années, ont tenu au gouvernement des postes dirigeants avaient déjà à peu près tous figuré dans les assemblées de la vieille Troisième, ou au moins dans les cabinets des ministres au pouvoir.
Par contre, sur le terrain économique, a été découvert et lancé un personnage, M. Jean Monnet, qui, jusque-là ignoré du public, s'est vu attribuer, du jour au lendemain, avec le titre de commissaire général du plan de modernisation et d'équipement, une influence à beaucoup de points de vue dominante.
La fonction et l'homme à qui elle était confiée sont l'une et l'autre curieusement caractéristiques de nos temps actuels.
Au lendemain de la Libération deux problèmes essentiels s'étaient posés à ceux qui prenaient la charge de relever la France : refaire une constitution politique au pays ; et puis rétablir sa prospérité économique, lui construire un sain équilibre social propre à lui assurer, à l'intérieur la paix et la confiance, à l'extérieur l'indépendance et l'autorité.
En présence de ces deux problèmes on a adopté deux méthodes de travail paradoxalement contradictoires.
Pour rétablissement de la constitution politique on a multiplié les consultations populaires. On a élu successivement deux assemblées constituantes qui ont, l’une après l'autre, élaboré, discuté, voté publiquement, article par article, des textes pendant de longs mois. On a ensuite soumis le fruit de leurs longs labeurs à deux référendums de l'ensemble du corps électoral. Et tout cela, tant de scrupules, un tel souci de ne rien décider sans l'approbation des électeurs pour aboutir à nous donner une constitution qui ne diffère que par peu de traits de la vieille constitution de 1875.
L'élaboration d'un programme économique devait, semble-t-il, demander plus d'attentions, plus de consultations, plus d'avis encore. Il s'agissait, en effet, ici non de modifier dans les détails telle ou telle manière de voter, mais de décider quelle structure on allait donner au pays ; si, en face d'un monde bouleversé, on se proposait, pour relever la France, d'y développer de préférence l'industrie ou l'agriculture, ou encore le commerce ; si on souhaitait la rendre capable de se suffire à elle-même avec ses ressources continentales et coloniales, ou si, au contraire, on voulait développer ses échanges avec l'étranger ; si on voulait confier la direction de la production à des entreprises d'Etat ou encourager et soutenir les initiatives privées, développer la concentration industrielle ou provoquer une dispersion artisanale, augmenter ou limiter le chiffre de la population, provoquer l'immigration ou l’émigration, etc.
Plus que pour aucun autre problème toutes les catégories de citoyens, toutes les compétences devaient être appelées, semble-t-il, à discuter, à prendre position, avant toute décision gouvernementale.
Hé bien, on a procédé tout autrement. Sur un seul point, sur la nationalisation des bassins houillers, des compagnies d'assurance et des grandes banques de dépôt, on a demandé un vote parlementaire, sans d'ailleurs se soucier de faire rentrer ces nationalisations dans aucun système d'ensemble. Et puis, pour tout le reste, aussi bien pour la réparation des ruines de guerre que pour l'organisation de notre structure économique d'après-guerre, on a, sans consultation publique d'aucune sorte, par une simple décision du gouvernement provisoire du général de Gaulle, en janvier 1946, pris le parti de tout remettre aux soins d'une sorte de dictateur, aidé d'un trust de conseillers choisis par lui. Et c'est ainsi que M. Jean Monnet est entré dans la notoriété.
Pour ce rôle de dictateur au relèvement économique qui lui était confié, M. Monnet est fort curieusement choisi. Né en 1888, il a derrière lui une carrière pour le moins aventureuse. Fils d'un fabricant d'une petite marque de cognac en Charente, il avait débuté dans la vie comme agent commercial pour la vente aux Etats-Unis et au Canada du cognac familial, qui lui était payé pour partie en fourrures par l'intermédiaire d'une compagnie de trappeurs dépendant de la banque Lazard Brothers de Londres.
En 1914, âgé de 26 ans, au lieu de rejoindre les armées, il s'était, grâce à ses relations d'affaires, fait affecter à la direction du ravitaillement. En 1916, il était devenu le représentant de la France dans un comité interallié de ravitaillement et de transports, installé à Londres. De là, en 1916, à la signature de la paix, il était passé à la Société des Nations débutante, en qualité d'adjoint du secrétaire général, l'Anglais Sir Eric Drummond. Puis il avait démissionné en 1923. Il s'était, un moment, occupé, avec divers banquiers internationaux, de la stabilisation des monnaies autrichienne et polonaise. Il avait aussi travaillé à renflouer, grâce à ses attaches financières, l'entreprise de cognac de son père, alors menacé de faillite. On l'avait trouvé, par la suite, mêlé à un consortium électrique et minier franco-américain, le groupe Blair. Après quoi, le groupe Blair ayant été atteint sérieusement par la crise économique de 1930, il était allé opérer en Chine pour le compte d'une banque américaine, la banque Murnano, appuyée par la banque Walker, qui s'occupait, entre autres, de ventes de locomotives au gouvernement chinois, et dont il était devenu associé. Il avait aussi épousé, à Moscou, la fille d'un journaliste italien.
Il est vrai, qu'en outre, en 1943, il s'était rendu à Alger, où il avait figuré dans les conseils qui négocièrent la formation du gouvernement provisoire, au moment où était encore pendante la question de savoir qui l'emporterait du général Giraud et du général de Gaulle.
Bien entendu, par les liens qu'il avait noués à Londres avec les gaullistes c'est contre Giraud qu'il avait alors joué. Il fut de ceux à qui, après l'éviction de Giraud, de Gaulle, à Alger d'abord en 1943, à Paris ensuite après la Libération dut beaucoup.
Et puis, après Munich, il avait été envoyé par M. Daladier s'occuper de l'achat d'avions destinés à la France. Enfin, en 1939, à la déclaration de guerre, il avait été nommé président d'un comité de coordination franco-anglais, siégeant à Londres, pour l'organisation de l'effort d'armement des deux pays. En juin 1940, c'était lui qui à Londres, avait suggéré à Churchill, pour empêcher la France de signer l'armistice, l'étrange combinaison en vertu de laquelle la France et la Grande-Bretagne auraient conclu une « Union indissoluble » et auraient été administrés par un cabinet de guerre commun, sous le contrôle d'un parlement commun. Et tout naturellement, après la débâcle, resté en Angleterre, il avait continué, pour le compte des alliés, à opérer dans les affaires d'achat de matériel.
Bref, si M. Monnet s'était, depuis 35 ans, acquis une compétence et des relations d'affaires très étendues, c'était essentiellement une compétence d'intermédiaire, de commis voyageur international en marchandises diverses, personnellement très dépendant de quelques banquiers américains, avec toutes les déformations que ce genre de profession a pu entraîner dans un monde économiquement bouleversé par l'illusionnisme des gens de finances.
Et voilà la raison principale, une raison qui ne fut pas d'ordre économique, pour laquelle, en 1946, de Gaulle devenu chef du gouvernement provisoire, lui confia les fonctions de commissaire au plan.
Et maintenant il s'agit de savoir comment, et avec la collaboration de qui, Jean Monnet, une fois en place, organisa son affaire.
Aussitôt nommé il s'était associé comme adjoint un homme, M. Marjolin, à divers points de vue lui aussi assez curieux. Car, universitaire d'origine, M. Marjolin, pendant plusieurs années avant la guerre collaborateur actif du « Populaire » de Léon Blum, avait figuré pendant l'occupation dans l'entourage de M. Bouthillier, à Vichy, parmi les techniciens des équipes synarchiques, avant de se rendre en Amérique.
Et puis il avait créé une quinzaine de commissions de dix à vingt membres chacune, commission des houillères, de l'électricité, de la sidérurgie, des transports, de l'équipement rural, du textile, etc., où figuraient, en proportion d'ailleurs variable, de hauts fonctionnaires, quelques représentants, en petit nombre, de syndicats patronaux et ouvriers, et d'assez nombreux dirigeants de très puissantes entreprises industrielles, parmi lesquelles, entre autres, M. Eugène Roy, directeur général des aciéries de Longwy, M. Peugeot, M. Bô, directeur général de Rhône-Poulenc. M. Lesieur, des Huiles, désignés tous, sans règle d'aucune sorte, par le commissaire général et le gouvernement.
Ainsi constitué, le commissariat s'était mis au travail. Il avait commencé par établir un programme qu'il condensait dans un vaste rapport imprimé au début de 1947, accompagné de tableaux et de statistiques, et précédé d'une sorte de long exposé des motifs. Ledit exposé des motifs, pour peu qu'on l'analyse de près, révèle des points de vue étonnamment sommaires et arbitraires. Il n'abordait et ne discutait aucune des questions relatives aux réformes qu'il pouvait y avoir lieu d'envisager ; quant à la structure démographique et sociale du pays ; quant à la répartition souhaitable entre l'industrie et l'agriculture ; quant au peuplement colonial ; quant aux possibilités plus ou moins grandes qui pourraient ou non s'offrir à la France de réduire ses importations et de se suffire plus complètement à elle-même par la mise en valeur des ressources de la métropole et de ses possessions d'outre-mer ; quant aux avantages et aux inconvénients comparés de la concentration industrielle ou de la dispersion artisanale, tant au point de vue du rendement, de la concurrence et des prix qu'au point de vue de la santé générale du pays. Il dédaignait, en un mot, tout point de vue à proprement parler humain.
Il posait, en principe, qu'une seule réforme était à accomplir, celle de la modernisation de notre équipement de production industrielle et agricole. Car, assurait-il, comme une série d'axiomes indiscutables : 1° notre seul tort dans le passé avait été d'avoir une production insuffisante et trop coûteuse; 2° s'il en avait été ainsi, c'est seulement que notre équipement était inférieur à celui de nos concurrents, que nous n'avions ni machines assez perfectionnées, ni routes assez belles, ni ports aux quais assez spacieux, etc. ; 3° une fois que nous serions suffisamment équipés, nous pourrions exporter de quoi couvrir les importations dont nous avons besoin ; 4° pour obtenir ce résultat le but à atteindre était d'arriver, par un progrès méthodique, à porter en 1950 le volume global de la production française à un niveau supérieur de 25 % environ au maximum atteint dans la meilleure année d'avant-guerre, c'est-à-dire en 1929 ; 5° la seule condition nécessaire à la réussite du programme ainsi défini était que, dès l'année même, la stabilité des prix et de la monnaie fût assurée, et l'équilibre général des dépenses de l'Etat solidement établi.
De sang-froid, cette façon de raisonner apparaît d'un simplisme déconcertant, doublé de pas mal d'ignorances. On ne se souciait pas de rechercher comment les marchandises qu'on se proposait de produire pour l'exportation avaient des chances, de ne pas se heurter à des droits de douane protecteurs. On ne précisait pas dans quelles conditions, sur le marché intérieur comme sur le marché extérieur, pourrait être établi entre le prix de vente des marchandises et le pouvoir d'achat des clients éventuels un équilibre meilleur que celui qui, avant-guerre, avait provoqué des crises de sous-consommation de plus en plus catastrophiques. On oubliait qu'avant-guerre déjà l'ingéniosité des techniciens s'était dépensée à établir et à amorcer, sous des noms divers, des programmes d'équipement et de grands travaux très comparables à celui que l'on dessinait, et qui n'avaient, bien au contraire, pas empêché les crises et les troubles économiques de toutes sortes. On ne s'apercevait même pas que l'année 1929, qu'on prenait arbitrairement comme étalon, était justement celle où avait éclaté le plus grave déséquilibre entre production et pouvoir d'achat. Enfin, on n'indiquait, en aucune façon, comment on procéderait pour trouver les fonds nécessaires à un aussi vaste programme, tout en maintenant cet équilibre budgétaire que l'on reconnaissait indispensable.
On s'était contenté de fixer d'abord le plan des travaux d'équipement, routes, quais, barrages, transports d'électricité, installations minières, voire dans les campagnes abattoirs et frigorifiques perfectionnés, qui devaient, affirmait-on sans préciser sur quelles données on se basait, permettre, dans un délai de cinq ans, à un taux rémunérateur, une production d'un quart supérieure à celle de 1929. On avait ensuite calculé, avec des minuties de polytechniciens, les quantités et les prix des milliers de tonnes de matières premières, de machines et d'outillages que tous ces travaux allaient exiger. Et puis, on avait réclamé un crédit global correspondant à une première tranche annuelle de travaux.
Le gouvernement, sans permettre aux parlementaires de discuter ni le principe, ni les modalités du plan, et en leur promettant seulement qu'il les renseignerait par la suite, avait fait appel à l'emprunt pour fournir aux dirigeants du plan les sommes qu'ils réclamaient. Il avait fait inscrire ces sommes à un compte spécial extrabudgétaire, dans lequel on allait pouvoir puiser sans contrôle. Et puis on s'était mis à travailler et à dépenser.
Or, au bout de quelques mois à peine, sans que les parlementaires osassent demander des explications, on s'était aperçu que les prix montaient, que la monnaie se dévaluait, qu'une partie seulement des travaux prévus pour l'année était en voie d'exécution, que tout l'équilibre du système était déjà compromis.
Heureusement, dans l'intervalle, au cours de l'année 1947, les Etats-Unis, de leur côté, par la fameuse déclaration de M. Marshall, à Harward, prenaient l'initiative de proposer un plan d'aide américaine pour le relèvement économique de l'Europe.
Ce plan était conçu de la façon suivante. L'Amérique fournira à l'Europe des matières premières et des objets fabriqués qui seront payés aux producteurs américains, à fonds perdus, par le budget des Etats-Unis. Cependant, les bénéficiaires européens de ces produits ne les recevront pas gratuitement. Que ces bénéficiaires soient des entreprises privées ou des services d'Etat, ils devront en payer le prix, dans leur monnaie nationale, à leur propre gouvernement. Ledit gouvernement, de son côté, ne pourra pas disposer librement des sommes ainsi rassemblées. Elles seront versées dans une caisse à part, et ne pourront être débloquées que sur contrôle américain de l'utilité de leur emploi. Divers comités, tant américains qu'européens, régleront le fonctionnement du système.
Un tel mécanisme est certes ingénieux, et de nature à soulager les budgets des Etats d'Europe. Mais il leur ôte beaucoup de leur indépendance. En ce qui nous concerne en particulier, les vues américaines sur notre relèvement risquaient fort de ne pas coïncider avec celles des dirigeants du plan Monnet.
Cependant l'administration de notre plan avait été maintenue. Elle avait continué à dépenser des sommes de plus en plus considérables, qui maintenant allaient lui être fournies pour partie par les crédits du plan Marshall. Pour le budget de l’année 1949 elle réclamait une somme globale de 600 milliards.
Pour la première fois, devant l’énormité de ce chiffre, et devant les complications que risquait d'entraîner à présent le contrôle américain, le Parlement avait protesté. Deux rapports avaient été rédigés et discutés en séances publiques, l'un au mois de février dernier, de M. Pleven à l’Assemblée Nationale, l'autre, le plus intéressant, de M. Pellenc, au mois d'avril, au Conseil de la République.
De ces rapports et des débats auxquels ils donnaient lieu ressortait une série d'observations très curieuses.
1° Les parlementaires remarquaient que, si le gouvernement avait laissé une large autonomie aux dirigeants du plan Monnet, il s'était cependant engagé à soumettre, avant le 31 décembre 1948, leur travail aux Chambres, avec les modifications à lui apportées pour l'adapter au plan Marshall ; mais qu'il n'en avait rien fait.
2° Ils constataient que sur les sommes prévues aux budgets des deux années précédentes pour les premiers travaux de réparation et d'équipement prévus par le plan Monnet, une faible partie, un tiers seulement en 1947, avait reçu sa destination régulière ; le reste ayant été employé, grâce aux facilités que donnait l'absence de tout contrôle, à boucher les frais de gestion toujours grandissants de divers services nationalisés, ce qui avait bouleversé en fait tout le programme et toutes les prévisions, si minutieusement calculées, sur lesquelles le plan était bâti.
3° Pour se procurer les fonds réclamés par le plan, on n'avait cessé de recourir à des procédures d'emprunt, plus ou moins forcés qui, en vue des équipements futurs, pompaient les épargnants et les réserves de la masse des Français. C'est ainsi, en particulier que, par la loi du 7 janvier 1948, avaient été décidés un prélèvement dit « exceptionnel » et un emprunt amortissable de 3 % dont le produit avait été intégralement affecté aux besoins des travaux de reconstruction et d'équipement dirigés par l'administration du plan, et qui, par les troubles qu'ils entraînaient dans le train courant des affaires, avaient provoqué de nouvelles baisses de la monnaie.
4° Sur les quelque 600 milliards réclamés par l'administration du plan pour son budget de l'année 1949, et qui étaient divisés par elle en parts à peu près égales pour les travaux de reconstruction, d'une part, pour la modernisation, de l'autre, il se trouvait que presque tout était affecté aux besoins des services nationalisés, mines, électricité, chemins de fer, travaux publics. Très peu de choses était prévu pour les besoins des entreprises industrielles privées, et moins encore pour ceux de l'agriculture.
5° Si l'on regarde d'un peu plus près, il est vrai, il se trouve que les services nationalisés, aujourd'hui, ne travaillent pas eux-mêmes, avec leur personnel propre, pour leur équipement. Qu'il s'agisse, par exemple, de l’électrification des lignes de chemins de fer ou des installations de puits de mines, ou, mieux encore, des travaux publics de routes, de quais, etc., ils se contentent de traiter avec les quelques grandes sociétés privées de la sidérurgie, de la fabrication de matériel électrique, des produits chimiques, etc., qui effectuent les travaux à leur compte et fournissent machines et matières premières. En conséquence, par une incidence imprévue et que l'on se garde d'ordinaire de signaler au public, sous le couvert de la nationalisation, sous le couvert des crédits attribués aux entreprises nationalisées, ce sont, en fait, les grandes sociétés industrielles privées qui reçoivent les commandes et bénéficient des crédits.
Et sans doute certains seront tentés de dire que c'est là un résultat heureux, un moyen indirect d'augmenter la part, théoriquement si restreinte, faite à l'industrie privée dans la distribution des crédits du plan.
Oui, sans doute ; mais les bénéficiaires de ces commandes ce ne sont que les sociétés les plus puissantes, celles qui ont des représentants dans les commissions du plan. De plus, comme ces derniers se trouvent à la fois conseillers et bénéficiaires, ils sont tout naturellement tentés de grossir les devis, de multiplier les travaux, même les moins utiles. Et le jeu leur est d'autant plus facile qu'ils ont toutes sortes de complicités dans les services nationalisés avec lesquels ils ont à traiter, et pour le compte desquels sont passées les commandes. A la tête des services nationalisés, en effet, il y a des ingénieurs, de hauts fonctionnaires, tous plus ou moins issus de polytechnique et de l'inspection des finances. Dans le haut état-major des grandes sociétés industrielles on trouve aussi des polytechniciens, des inspecteurs des finances, liés par toutes sortes de camaraderies à ceux qui, dans les services nationalisés, représentent l'Etat. Et d'ailleurs ces derniers, qui pratiquement ne sont responsables devant personne, n'ont et ne peuvent avoir un véritable souci du prix de revient.
Dans son rapport au Conseil de la République, M. Pellenc a fait, sur les méthodes employées pour rétablissement des devis et la fixation du programme de travaux des services nationalisés, des observations bien caractéristiques et bien troublantes. « Gaz et Electricité de France, dit-il tout d'abord, se voient attribuer pour leur compte 104 milliards. Dans quelles conditions ? Sur la présentation d'un simple catalogue qui comporte la désignation de 97 localités où des travaux sont engagés. Le prix des travaux n'est pas chiffré. Par conséquent, il est absolument impossible au Parlement d'en apprécier l'intérêt... ». « Aux houillères nationales, ajoute-t-il, le projet attribue 65 milliards. Je ne veux pas insister ; les justifications ne sont pas plus détaillées que pour les houillères ». « Quant à la Société Nationale des Chemins de Fer, enfin, précise-t-il, c'est vraiment l'ogre le plus insatiable qui se puisse rencontrer».
Par ailleurs, au mois de juin 1949, dans une grave revue très conservatrice, la « Revue Politique et Parlementaire », un digne économiste, M. Chalandon, parlant des travaux effectués par les sociétés privées pour le compte de l'Etat, au titre du plan Monnet, a pu écrire : « Beaucoup de ces travaux réalisés ou en cours d'exécution sont non seulement d'une utilité contestable, mais présentent souvent un caractère nettement somptuaire. Cela provient de ce que les programmes ont été établis en fonction de données techniques, par des techniciens qui, en l'absence de tout contrôle parlementaire, ont pratiquement eu toute liberté pour fixer le rythme et la nature des travaux qu'ils entreprenaient. Or, si techniquement il est souhaitable d'avoir de belles machines, il peut arriver que financièrement ce ne soit pas avantageux. La perfection technique peut être inutilement coûteuse, et la dépense qu'elle implique hors de proportion avec l'avantage qu'on en retire. »
Tout récemment, à l'appui de ces observations, s'est produit un fait bien curieusement caractéristique. Les comités américains, dont, nous l'avons vu, l'avis est nécessaire pour permettre l'utilisation des crédits Marshall, nécessaires au fonctionnement des travaux du plan Monnet, ont, à tort ou à raison, refusé leur aval à remploi d'une somme de 40 milliards prévue pour les travaux de la S.N.C.F. Cette mesure a provoqué une protestation générale de la confédération générale du patronat, c'est-à-dire de l'organisme qui rassemble les dirigeants de notre grande industrie privée, lesquels, dans un communiqué qu'ont reproduit beaucoup de journaux des 14 et 15 septembre dernier, se sont plaints non pour plaider l'utilité des travaux interrompus, mais pour dire que beaucoup de leurs usines ne travaillaient que pour la S.N.C.F., et allaient se voir obligées, si les crédits n'étaient pas rétablis, de mettre leur personnel en chômage.
Pendant longtemps on avait vu les organismes patronaux faire campagne contre les nationalisations, protester contre les gaspillages entraînés, disaient-ils, par l'étatisation. Aujourd'hui ce sont eux qui réclament des crédits, pour les services d'Etat, en avouant qu'ils n'ont, qu'ils ne cherchent à avoir d'autre client que l'Etat.
Or, tandis qu'ils se partagent, avec le personnel surabondant des services nationalisés, ces dépenses à tant de points de vue somptuaires, il se trouve que les travaux de réparation plus modestes, mais à beaucoup de points de vue plus urgents aux yeux des sinistrés, la simple reconstruction des maisons démolies, ne progresse qu'avec une infinie lenteur. Tandis que pour l'équipement des campagnes et des colonies on électrifie les lignes de chemins de fer, on construit des machines 'perfectionnées destinées à l'entretien des routes, on «bâtit ici et là des abattoirs ultra-modernes ; on munit de fort beaux quais les ports de nos territoires d'outre-mer ; on a même entrepris au Togo, où il n'y a pas mille Européens, la construction d'un superbe lycée ; par contre, aucun crédit n'est encore prévu ni pour fournir des fonds de départ et d'installation à des colons éventuels, ni pour faciliter le retour à la terre dans notre France continentale où, depuis quelque cinquante ans, une surface égale à celle de la Belgique a été abandonnée par la culture.
Tout cela, dira-t-on, viendra sans doute plus tard. Peut-être, mais en attendant, pour les commandes d'utilité souvent contestable passées aux puissants fournisseurs des services d'Etat, on dépense sans mesure et sans contrôle ; on se condamne à recourir aux crédits américains qui compromettent notre indépendance ; on provoque les dévaluations répétées de notre monnaie qui, en ruinant les épargnants, les prolétarisent de plus en plus, et tuent chez eux l'esprit et les moyens d'entreprendre.
Etrange et bien dangereuse méthode pour préparer le relèvement du pays. Mais était-il raisonnable d'attendre mieux après avoir eu l'étrange idée de confier une dictature économique sans contrôle à un homme qui, comme M. Jean Monnet, a passé l'essentiel de sa carrière en commis voyageur des grands fournisseurs de commandes d'Etat ?
L'article ci-dessus, ayant été écrit et publié en 1949, il nous paraît utile de le compléter par un bref résumé des événements qui ont, par la suite jalonné la carrière de M. Monnet.
Déjà, en 1949, le fonctionnement du plan Monnet s'était révélé fort coûteux et avait exigé le recours à des subventions américaines. L'année suivante, pour plaire aux Américains qui, afin de s'assurer un plus efficace contrôle sur les capitaux engagés par eux souhaitaient préparer ce qu'ils appelaient une union européenne, économique d'abord et, si possible, politique ensuite, le gouvernement français avait, sous l'instigation de M. Monnet, pris l'initiative de créer ce qu'on appela alors le pool européen du charbon et de l'acier, c'est-à-dire un accord international des industries métallurgiques et minières, destiné à préparer les voies d'une union économique plus générale. Ce fut Robert Schuman, alors ministre des Affaires Etrangères, qui présida en juin 1950, à la fondation du pool. Mais c'était M. Jean Monnet qui avait tout animé.
De fait, deux ans plus tard, quand le pool commença à fonctionner, ce fut M. Monnet qui en obtint la présidence.
En 1954, toutefois, des difficultés étaient survenues pour lui. A cette date, en effet, sous la pression des Américains, qui déjà, ne se contentant plus du pool charbon-acier, voulaient l'instituer ce qu'ils appelaient la communauté européenne de défense, c'est-à-dire un système d'armée européenne commune, nouvelle étape vers l'unité politique complète. M. Monnet avait pris position en faveur de ce projet d'armée commune. Mais ledit projet s'était heurté à une opposition décidée au parlement français. M. Monnet avait alors démissionné de sa présidence du pool, le 11 novembre 1954, en déclarant qu'il se retirait « afin de pouvoir participer avec une entière liberté d'action à la réalisation de l'unité européenne ».
En fait, au cours des années suivantes, il avait surtout continué à servir d'agent financier entre l'Amérique et le gouvernement français, toujours désireux, pour équilibrer ses budgets, de s'assurer de nouveaux prêts des Etats-Unis. C'est ainsi entre autres qu'en janvier 1958, il avait été nommé président d'une délégation chargée d'aller négocier un emprunt à Washington.
A cette occasion et en plusieurs autres, il avait été amené à appuyer les campagnes amorcées pour préparer les abandons coloniaux que les Américains réclamaient de nous en sous-main, afin de se payer de leurs générosités en s'assurant le contrôle de nos richesses d'outre-mer.
En conséquence de quoi, sans plus remplir depuis 1954 de fonctions officielles, M. Monnet a continué à être un des plus influents agents de la finance américaine, avec l'aide de certains de ses poulains, M. Marjolin entre autres, qui continue à jouer un grand rôle dans les organismes de la Communauté Européenne. Il est allé si loin dans cette voie qu'il s'est attiré parfois quelques ennuis. En 1963, notamment, après notre abandon total de l'Algérie, comme le général de Gaulle, peut-être inquiet pour son prestige d'avoir tant cédé, voulait chercher une sorte de revanche, en essayant de conclure avec le chancelier Adenauer un accord franco-allemand destiné, laissait-il entendre, à libérer partiellement au moins l'Europe du contrôle américain, M. Monnet avait pris position ouverte contre les projets du général. D'où un froid assez vif entre eux deux.
Mais les Américains n'ont pas, pour cela, renoncé, bien au contraire, à soutenir M. Monnet. Même, lors des discussions qui se sont ouvertes, dans le courant de 1963, sur le choix de l'éventuel Président de la République qui succéderait au général de Gaulle, certains organes de la presse américaine ont clairement laissé entendre que M. Jean Monnet serait, le cas échéant, un candidat qui ne déplairait pas aux Etats-Unis.
Tout cela étant, il est plus que jamais nécessaire de faire connaître aux Français comment s'est formé l’étrange aventurier dénationalisé qui ose avoir la prétention de se laisser pousser un jour à la présidence.
E. Beau de Loménie
Sources : Les Cahiers de la Cité, novembre 1949 et repris dans « les glorieux de la décadence » (1964)
L'ESPRIT DE LA DOUBLE HACHE
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A la fin d'un cycle, les ténèbres règnent, omniprésentes, omnipotentes. Chez quelques-uns seulement la lumière est encore présente. Lumière de l'Age d'Or, de l'Hyperborée, terre des Aryens lorsqu'ils étaient en contact direct avec Dieu ou les Dieux, lorsqu'ils ne faisaient qu'un avec le Cosmos, période qui, bien que très lointaine dans le temps, s'est gravée dans les esprits non complètement endormis ou décomposés, et qui correspond à une ère de félicité, de paix et de grande connaissance.
Puis vint la dégradation, l'involution, après la grande clarté ; l'obscurcissement, puis la nuit. Dans quelques rares endroits, autour d'un foyer, veillent les gardiens de la lumière, la milice céleste, attendant l'aurore, puis le grand soleil.
Avec la venue des ténèbres, les dieux polaires durent combattre, contenir ou repousser les forces inférieures de la matière, de la dissolution, de l1inconnaissance. Pour cela, ils empoignèrent les armes fournies par le Ciel. De sereine et pacifique, l'affirmation devint guerrière lorsque des brèches dans la « grande muraille » laissèrent passer les forces d’en-bas, les hordes des peuples de Gog et Magog, de Koka et Vikoka (1), qui tuent tout ce qui est élévation, entraînent les hommes vers les bas-fonds de l'Age Sombre, là où règne l'Antéchrist, Satan, justement désigné depuis quelques siècles : « Prince de ce monde ».
La plupart des armes célestes proviennent de la Foudre, éclat de lumière illuminant brusquement les ténèbres pour brûler, châtier, infliger une défaite - hélas ! limitée dans le temps - aux forces démoniaques et rétablir la justice, la paix et l'harmonie, jusqu'à ce que la perversion atteigne à nouveau l'esprit des hommes et provoque leur perte.
La double hache - aussi appelée bipenne et bicuspide - est l'une de ces armes symboliques brandies par les dieux hyperboréens (2) ou issus de l’Hyperborée pour affirmer leur race, participer à cette guerre sans fin, qui est aussi une guerre cosmique, entre la lumière et les ténèbres, le feu et la glace, la chaleur et le froid.
Les plus anciennes haches connues étaient fabriquées avec des « pierres de foudre » tombées du ciel (3). Certaines ont plus de 10000 ans ! Les plus vieilles ont été exhumées au Nord de l'Europe - Danemark, Sud de la Suède -, ce qui est bien antérieur à celles trouvées en Grèce ou au Proche-Orient. Pour René Guenon (4) et Julius Evola (5), l'origine polaire de la double hache ne fait aucun doute, en raison de son symbolisme et de sa diffusion dans l'espace et le temps.
A une époque plus proche de nous, la hache bipenne fut appelée « Hache d'Amazone » lorsqu'il y eut, par certaines femmes, une usurpation d'éléments masculins et une virilisation qui correspond à la « prise du pouvoir » par les druidesses, à la prééminence accordée au culte lunaire, au matriarcat, qui entraîna chez certains peuples d'importants remous, scissions, comme celle du légendaire Ram (6).
L'exemple type de cette appropriation, de ce détournement de symboles solaires par des civilisations lunaires, est la Crète antique, minoenne. L'opposition entre les deux formes de spiritualité est présente dans l'affrontement entre Thésée, héros solaire, et le Minotaure né de l'accouplement coupable de Pasiphaé, femme de Minos, et d'un taureau envoyé par Poséidon. La Crète recèle de nombreux symboles solaires annexés : doubles haches, swastikas, taureaux... Néanmoins, tout s'ordonne sous l'égide d'une « Magna Mater », d'une déesse suprême. Il dut y avoir une symbiose, une union entre deux spiritualités différentes, mais où le culte lunaire et chthonien domina quand même, signe d'une altération, à l'inverse de la mythologie nordique où les Ases prennent les deux premières fonctions et les Vanes la troisième.
D'autres armes dérivent du même principe ; ainsi le VAJRA (7), la foudre d'Indra, dont Guenon a écrit : « La hache (...) est tout spécialement un symbole de la foudre, donc, à cet égard, un strict équivalent du VAJRA ». En dérivent notamment : l'épée, la flèche, l'essieu... A remarquer la proche parenté établie avec l'essieu qui, par sa nature, figure l'axe reliant les pôles autour duquel s'ordonne le mouvement, le devenir (8), symbole de l'Age d'Or, principe de stabilité, de dimension verticale, de l'Etre (9). Au VAJRA est également associé le diamant, symbole d'indivisibilité, d'inaltérabilité, d'immutabilité, donc de la tradition polaire dont le noyau originel ne peut être affecté par les cycles et se trouve au-dessus du temps.
Le symbolisme de l'épée est relativement connu car cette arme est familière des légendes européennes. Ce « rayon céleste » dont A. K. Coomaraswamy, reprenant la tradition shintoïste, a écrit : « L'épée est dérivée d'un éclair archétype, dont elle est la descendante ou l'hypostase » (10). Cette hypostase, qui dans la légende du roi Arthur, sous le nom d'Excalibur, s'identifie au sceptre, donne la légitimité et symbolise la double royauté : spirituelle et temporelle. Dans le SHATAPATHA BRAHMANA, il est écrit : « Quand Indra lança la foudre sur Vrita, celle-ci, ainsi lancée, devint quadruple (...) Les brahmanes se servent de deux de ces quatre formes pendant le sacrifice, alors que les kshatriyas se servent des deux autres dans la bataille (...) Quand le sacrificateur brandit l'épée de bois, c'est la foudre qu'il lance contre l'ennemi ». Cela est également lié à la grande et petite guerre sainte, sur lesquelles nous reviendrons.
Les flèches servent à Apollon, dieu hyperboréen par excellence, pour tuer le serpent géant Python, mythe identique à celui d'Indra tuant le dragon Vrita (11).
La lance est une arme également dérivée de la foudre, ce qui se comprend aisément. Les exemples abondent : Gungnir, la lance d'Odin, dont le nom veut dire « La vibrante », qui a permis aux Ases de repousser les Vanes ; celle d'Athéna ; Sleg, dans la mythologie celtique, originaire de Gorias, ce qui signifie « Brûlures », ville légendaire du druide Esras – « passage » -, attribuée au dieu Lug « Lumineux » ; celle de saint Michel, de saint Georges...
Un symbolisme lié aussi à la hache et à la manifestation du divin est celui de la pierre. Tout comme la foudre, la pierre, d'après les anciens, provient du ciel et représente donc les divinités célestes. La plus célèbre est actuellement, sans conteste, la Ka'ba à La Mecque, que les musulmans nomment « La main droite de Dieu » - « Yamin Allah ». Dans la mythologie celtique, Lia Fail, la pierre de la souveraineté originaire, comme Sleg, des îles situées au Nord du monde, crie lorsque le prince légitime, qui doit accéder au trône, s'y assied (12). On retrouve cela dans la légende du Graal avec le fameux « treizième siège », le « siège polaire », où « est foudroyé quand s'y assied un indigne ou un non élu » (13).
Le Graal lui-même est, d'après Wolfram von Eschenbach, une pierre tombée du front de Lucifer et qu'aurait taillée un ange fidèle à Dieu. Au passage, notons l'importance de la lance et de l'épée dans cette légende, ainsi que de la curieuse épreuve qui consistait à retirer une épée fichée dans un roc.
La pierre sacrée, venue du ciel, est un OMPHALOS, un centre de la Tradition (par exemple, celle de Delphes). Elle détient la légitimité, l'autorité, la connaissance (14). La pierre est également synonyme de fertilité pour des raisons identiques à la fécondité attribuée à la hache que nous examinerons plus loin.
La mythologie celtique situe l'origine de ces différents symboles dans les « îles au Nord du Monde » : Lia Fail et Sleg, que nous avons évoquées ; Claidiub, le glaive ; Côiri, le chaudron de Dagda, symbole de l'abondance, de la régénération... Ils proviennent explicitement du Nord, de l'Hyperborée, sont rattachés à la première et à la deuxième fonctions et aux dieux suprêmes.
L'ARME CELESTE
La forme de la double hache se rapproche de la lettre T (15). Aussi n'est-il pas étonnant de la retrouver chez beaucoup de dieux indo-européens de la foudre, du tonnerre, dont le nom comporte la lettre T, qui leur donne toute sa force. Ainsi, Thor, personnification de l'orage, réside à « Bilskirnir », ce qui signifie –« Qui brille un moment », allusion évidente à l'éclair. Teshoub, le dieu hittite des orages et de la guerre. Taranis, le Jupiter gaulois, dont le nom veut dire « Tonnerre » et qui est parfois associé à Dis Pater, « le maître des combats et le plus grand des dieux du ciel » (16). Très proche est Tarhunnas, le « dieu victorieux » hittite. D'autres rapprochements sont possibles : dans le Mazdéisme, Atar, le feu, est fils d'Ormuzd, le ciel. Dans l'Hindouisme, Atharva, l'éclair, est fils de Varuna, le ciel. Dans la mythologie grecque, Athéna, fille de Zeus, naquit tout armée à la suite d'un coup de hache d'Héphaïstos qui fendit le crâne de Zeus ; elle personnalise l'intelligence, la guerre et la lumière ; son animal est la chouette, qui a la possibilité de voir la nuit.
L'aspect souverain - ou attribut du souverain - du T se retrouve dans les Thuata Dé Danan, la race divine venue du Nord qui a colonisé l'Irlande. En gaélique, « Thuath » veut dire « Tribu », « Peuple ». En germain ancien, « Thiudans » a le sens de « Roi », le verbe « Thiudanôn » signifie « Régner, être Roi ».
Cela se rapproche aussi du dieu nordique Tyr, également appelé Tiwas, Tiu, Tiuth. Il personnifie l'aspect à la fois juridique et guerrier de la première fonction. A noter que la rune de Tyr - une flèche orientée vers le haut - se rapporte au symbolisme évoqué plus haut. De plus, sa forme est assez proche du T. En effet, dans la rune, les barres du T sont juste repliées. Celle-ci est le symbole du marteau de Thor. Elle veut également dire : éveil, commencement, ce qui, d'une certaine manière, se rapporte au Nord, a l'origine (18).
Toutefois, tous les dieux du tonnerre n'ont pas de T. Ainsi, Sucellos, le dieu au maillet gaulois, souvent identifié à Jupiter et dont le nom signifie « Celui qui frappe bien » ou encore « Tape-dur ». L'équivalent insulaire celtique de Taranis et de Sucellos est Dagda, dont la massue peut aussi bien donner la vie que la mort. De même, Perkunas, dieu suprême des Lituaniens et des Lettons, identifié au tonnerre, père des hommes. Son homologue ukrainien Perun possède les mêmes caractéristiques. Le dieu du tonnerre babylonien, Hadad, se rapproche davantage de la hache telle qu'elle fut comprise par les civilisations méditerranéennes. Dans l'alphabet crétois, la hache bipenne correspond à la lettre A (il faut comprendre : origine). Il est à remarquer que la plupart des grands dieux des religions méditerranéennes antiques ont un nom qui débute par A : Aton, Ammon, Atoum, Anu ; dans une certaine mesure, Ptah, Baal ; également Adam, le premier homme d'après la Bible. En sumérien AN signifie « en-haut » ce qui se rapporte directement à ce sur quoi nous allons nous pencher maintenant.
« Les dieux indo-européens se nomment deywos, « ceux du ciel diurne », désignation qui remonte à une époque où le ciel diurne dyéw-pHtér était le premier de tous les dieux » indique Jean Haudry (19). Sont issus de cette étymologie : Zeus (Dyaus), Jupiter (Dyaus-Pitar), Dis Pater pour les Gaulois, Tyr (Tiu) équivalent du Dius Fidius romain, Sius (dieu hittite de la première fonction). A ces dieux occupant la plupart du temps le trône et régentant les autres dieux correspondent : la lumière, le Soleil, la grande clarté - sauf Dis Pater, lié à la nuit, aux morts, mais aussi à l'origine -ce qui peut s'expliquer par la nostalgie de l'Hyperborée, à la fois terre des ancêtres, des morts, des protecteurs. Les mots : Dieu, divin, etc., dérivent de la même racine ; en sanskrit, DYAUH est le ciel. A tous ces dieux la foudre est liée comme arme et manifestation divine. La foudre, donc la hache. En Carie (Turquie), un culte était rendu à Zeus Labrandeus - Zeus à la double hache.
Ce rôle d'instrument des forces ouraniennes contre les ténèbres est développé dans toutes les mythologies influencées par l'Hyperborée. Thor se sert sans cesse de son marteau pour combattre les forces obscures et destructrices : Jormungand, les géants, ainsi que toutes les « forces élémentaires ». En Inde, Paraçu-Rama, Rama à la double hache, extermine les MLECCHAS, « race de titans, caste guerrière dégradée, qui avait tenté d'usurper la suprême autorité spirituelle » (20). Similaire est le combat que livre Zeus pour vaincre les titans et géants qui essaient d'envahir l'Olympe, ou Typhon qui apporte le chaos sur terre, avec l'aide de la foudre.
BIPOLARITE SACREE
Eu égard à sa forme, la hache bipenne symbolise également un des grands principes traditionnels : la bipolarité nécessaire pour toute manifestation. Les deux tranchants sont reliés par un axe. Symbole d'une trinité : deux côtés, un axe qui les ordonne et les maintient. Ces deux parties ne s'opposent pas, leur tranchant est tourné vers l'extérieur. Sur un plan horizontal, elles sont côte à côte, chacune orientée dans une direction opposée à l'autre. En revanche, sur un plan vertical, les deux parties se rejoignent par le centre et ne font plus qu'un, unité transcendante. Ainsi que le remarque Guido de Giorgio : « Le spirituel et le temporel se greffent sur un tronc unique qui est l'unité traditionnelle dont elles constituent deux expressions nécessairement opposées, mais non antagonistes, l'une commençant où l'autre finit, en une succession hiérarchique dont les points d'arrivée sont respectivement le paradis terrestre et le paradis céleste » (21).
Bipolarité qui se retrouve aussi bien dans ces oppositions/complémentarités : masculin/ féminin, spirituel/temporel, ciel/terre, divin/humain, vie/mort, action/contemplation.
Deux aspects de cette bipolarité se rapportent directement à la hache bicuspide : Janus, le dieu à deux visages ; la grande et la petite guerre sainte, l'action sur soi-même et l'action sur le monde.
Janus est l'un des dieux les plus mystérieux de la Rome antique. On sait peu de chose sur lui. D'après certaines légendes, il était présent à Rome lorsque Saturne/Cronos y arriva et il l'accueillit. Ses symboles sont : la porte, la clef, la barque. Il ouvre et ferme les cycles. A ce titre, il est au-dessus du temps. D'où son double visage, un qui regarde devant, vers l'avenir, l'autre derrière, vers le passé. Par les clefs, il ouvre les portes des mondes supérieurs et préside aux différentes initiations. Il dirige l'ouverture et la fermeture des portes solsticiales : Janus Coeli (Solstice d'hiver) et Janus Inferni (Solstice d'été).
Il est parfois représenté tenant une clef d'un côté, figuration du pouvoir sacerdotal, un sceptre de l'autre, représentation du pouvoir temporel. Il réunit ces deux pouvoirs. La phrase du Christ qui fut parfois représenté en Janus, « Je suis l'alpha et l'oméga », se rapporte à cette symbolique. Autre symbole proche : l'aigle bicéphale, figuration du pouvoir suprême, à la fois temporel et spirituel.
Par ses deux côtés, ces deux têtes, la hache bipenne exprime également ce symbolisme. Elle lie ces deux aspects, à la fois opposés et complémentaires. Comme Janus elle se trouve au passage, au début et à la fin des cycles, au carrefour de la vie et de la mort.
Dans le domaine de l'action, tant spirituelle que temporelle, cela est exprimé dans la notion de grande guerre sainte et de petite guerre sainte. La première est une guerre spirituelle, qui se livre principalement en soi-même, pour sa propre transcendance, pour son illumination, sa réalisation. La seconde est plus « physique » : « La petite guerre sainte (...) correspond à la guerre extérieure, à la guerre sanglante qui se fait avec des armes matérielles contre l'ennemi, contre le « barbare », contre une race inférieure devant laquelle on revendique un droit supérieur ou, enfin, quand l'entreprise est dirigée par une motivation religieuse, contre « l'infidèle » (22).
L'une et l'autre sont nécessaires. La grande guerre sainte sans la petite guerre sainte est un inachèvement tant que l'on reste dans le monde ; la petite guerre sainte sans la grande guerre, une usurpation, une parodie. Les deux côtés de la hache bipenne sont orientés l'un vers le plan humain - petite guerre - l'autre vers le divin - grande guerre.
SYMBOLE DU RENOUVEAU
La hache n'est pas un symbole statique : elle représente la lumière divine qui s'incarne dans notre monde pour indiquer des voies supérieures, pour en permettre l'accès. L'éclair est un signe des dieux en direction des hommes ; tout comme l'arc-en-ciel, il relie. Symbole de la manifestation divine, de sa toute-puissance, repris par les héros solaires qui veulent parvenir à l'Hyperborée, à la connaissance et à la plénitude de l'Age d'Or, qui défient la bassesse, l'inanité de notre époque, pour le triomphe et la gloire de la plus grande clarté. Tout comme Thésée qui tua le minotaure avec une hache - ou une épée, suivant les versions -, après avoir surmonté l'épreuve du labyrinthe ; comme Héraklès qui, à la suite de ses travaux/épreuves, accéda à l'Olympe ; comme les Einherjar, morts l'épée, la hache, la lance, à la main, vont au Walhalla et sont reçus par Odin comme des pairs.
Si la hache tue, extermine, tout ce qu'animent les forces ténébreuses de la dissolution, de l'Age Sombre, elle apporte la vie, en revanche, à celui qui a choisi d'emprunter la « voie du Soleil », à l'homme « contre le temps » qui quitte le monde moderne, ce dernier monde perclus d'infirmités, de maladies, de plaies, pour parvenir à conquérir le « Graal ».
Originaire du ciel, manifestation de sa puissance, de son éclat, la hache est également un symbole de fécondité. Elle s'identifie au Yang, au pôle masculin, fécond, généreux, dont la personnification dans la mythologie grecque est Ouranos le Ciel, dont les fréquents accouplements avec Gaia, la Terre, sont à l'origine de tout ce qui est sur notre planète. Dans l'Antiquité, on trouve la hache souvent associée au Taureau, symbole de fécondité (23).
Les dieux utilisant les dérivés de la foudre sont réputés très féconds et ont des épouses au symbolisme chthonien, yin. Ainsi, Tho a pour épouse Sif, incarnation féminine de la végétation. Sucellos a pour compagne Nantosuelta, déesse des rivières. Il tient souvent en main une corne d'abondance dont le sens de la fécondité est évident. Nous n'évoquerons pas Zeus ou Odin dont la fécondité est vantée en long et en large dans les mythologies grecque et nordique, de même pour les différentes divinités masculines hindouistes dont les représentations plastiques de leur ardeur amoureuse choquèrent et étonnèrent souvent les Occidentaux (24).
La hache, en tant que jet du ciel, représente le principe mâle. Sans lui, la terre privée des forces d'en-haut, des dieux, devient stérile et meurt peu à peu ; épouse délaissée, elle ne conçoit plus. C'est pour cela que la hache ou le marteau participent souvent aux rites de mariage, de semence, des civilisations traditionnelles.
Par son pouvoir de délier, de fendre, de trancher, la hache permet à celui qui suit une initiation de franchir les obstacles, d'ouvrir les portes. Chez les Esséniens, une petite hache était remise à chaque novice. La massue de Dagda donnait, par l'un des côtés, la vie, par l'autre, la mort. Tout cela se réfère de façon explicite à l'initiation qui est mort et vie à la fois. Mort à la condition antérieure d’inconnaissance, de non-réalisation spirituelle. Début d'une autre vie, « seconde naissance » à un monde supérieur. La hache, en donnant la mort, clôture un cycle, mais, par ce fait même, en inaugure un autre. Voilà qui nous ramène à Janus, lui aussi symbole de l'initiation : il détient les clefs et, de plus, préside aux passages. Pour cette raison également - nous ouvrons ici une parenthèse -, la hache est un symbole adéquat à notre monde crépusculaire, notre fin de cycle. Elle permettra de passer d'un cycle à l'autre.
Par sa forme trinitaire, par son origine (le feu céleste), par sa fonction (dissiper les ténèbres, rétablir la clarté divine), la hache bipenne est un symbole royal et de l'Age d'Or, donc du printemps, de la prospérité, des « jours heureux ». Elle était l'emblème des souverains Scandinaves, tout comme la foudre est l'emblème des dieux suprêmes. Par son double aspect spirituel et temporel, elle est un attribut du « Pontifex », de celui qui guide un peuple - le roi, étymologiquement, est celui qui montre et emprunte le droit chemin -et qui se trouve à la jonction de ce monde et du supra-monde en étant le plus haut dans la hiérarchie humaine et le plus bas dans la hiérarchie céleste (25).
La hache permet au héros de vaincre. La rune de Tyr, flèche orientée vers le ciel, indiquant la bonne direction à suivre, engageant à l'élévation, symbolise également l'éveil, le commencement, le début. Thor incarne le printemps. Indra, en tuant Vritra, permet aux « Forces-de-vie » que retenait le dragon de se répandre à nouveau sur la Terre. Le RIG-VEDA a d'ailleurs, à la suite de la mort du dragon et de la résurgence des eaux fécondantes, une expression qui peut paraître curieuse au premier abord : « La révolution est faite »! (26).
Janus, passage d'un état à l'autre, la foudre associée aussi à la fécondité du ciel envers la terre, l'Hyperborée et l'Age d'Or, le printemps, la « seconde naissance », la victoire de la lumière sur la nuit.,, tous ces éléments font de la hache un symbole du Renouveau, de la régénération.
Nous terminerons par trois citations extraites d'un article signé Roderik, paru dans HEIMDAL (27), et qui résument bien cet aperçu du symbolisme de la hache : « (...) Le sens caché que, chez les peuples indo-européens, revêt la hache : le pouvoir de trancher les liens enserrant l'individu dans sa petitesse et libérer ainsi la grande lumière des puissances (...) Alors le monde fulgure et le dieu surgit en l'homme (...) Brandir la hache c'est libérer un potentiel héroïque, une combativité salvatrice conférant le pouvoir de « trancher », de séparer de soi tout ce qui procède de l'enténèbrement vorace du monde, et, de la sorte, faire qu'à nouveau jaillisse l'éclair, jonction fulgurante entre les hommes et les Ases . »
Christophe LEVALOIS
Notes:
(1) A ce sujet, lire « Les fissures dans la grande muraille » de René Guenon, dans LE REGNE DE LA QUANTITE ET LES SIGNES DES TEMPS, Gailimard.
(2) Sur l'Hyperborée, lire notre article :
« A la recherche de l'Hyperborée », L'AGE D'OR n. 3.
(3) Dans la plupart des mythologies et textes sacrés, il est mentionné des chutes de
pierres, sans doute des aérolithes, des comètes qui seraient passées à proximité de la terre, provoquant maints cataclysmes. Nous renvoyons le lecteur à l'Exode, au LIVRE DE JOSUE, au VISUDDHI-MAGGA, texte bouddhique, aux ANNALES DE CUAUHTITLAN, texte mexicain, au KALEVALA finnois, aux hymnes védiques concernant les « Marouts », au combat de Zeus contre Typhon, à la castration d'Ouranos par Cronos qui fit couler des gouttes de sang du Ciel (Ouranos) sur Terre, à la terrible Sekhmet dans la mythologie égyptienne, aux Gaulois qui craignaient que le ciel ne leur tombe sur la tête...
(4) Cf. « Quelques armes symboliques », dans SYMBOLES FONDAMENTAUX DE LA SCIENCE SACREE, Gallimard.
(5) Cf. « La hache », dans SYMBOLES ET MYTHES DE LA TRADITION OCCIDENTALE, Arche.
(6) Schuré, dans LES GRANDS INITIES, a écrit quelques pages sur ce conflit. A lire également : DU REGNE DE LA MERE AU PATRIARCAT de Bachofen ; d'Evola : METAPHYSIQUE DU SEXE, Certains chapitres de REVOLTE CONTRE LE MONDE MODERNE. Dans la mythologie grecque, Héraklès, héros olympien, affronte les Amazones. Achille tue Penthésilée, reine des amazones et fille d'Ares, dieu de la guerre.
(7) L'équivalent tibétain du VAJRA est le
DORJE, l'un des principaux insignes des dignitaires du lamaïsme. Le BUDAE ou BUMAE est la pierre de foudre, emblème de la vocation et de la puissance shamanique.
(8) D'où la phrase de Lao Tseu dans le TAO TO KING : « Trente rayons convergent au moyeu. Mais c'est le vide médian Qui fait marcher le char ».
(9) Cf. René Guenon : « L'arbre et le Vajra », dans SYMBOLES FONDAMENTAUX DE LA SCIENCE SACREE.
(10) Dans « Le symbolisme de l'épée » ETUDES TRADITIONNELLES, janvier 1938.
(11) A ce propos, lire COSMOGONIES VEDIQUES de Jean Varenne, Les Belles Lettres/Arche.
(12) Dans la mythologie celtique, cette pierre provient de la ville de Falias, située au Nord du monde. Le druide qui dirige la cité est « Morfesas », ce qui signifie « Grande connaissance ».
(13) Julius Evola, LE MYSTERE DU GRAAL ET L'IDEE IMPERIALE GIBELINE, Editions Traditionnelles.
(14) La pierre peut être aussi maléfique par l'inversion symbolique fréquente dans la Tradition. Dans le RIG-VEDA, Indra doit détruire les forteresses de pierres de Vritra. Dans d'autres passages, il perce une montagne pour
délivrer les eaux régénératrices.
(15) Paul Le Cour, dans ATLANTIS n. 285, remarque que chez de nombreux peuples la hache
porte un nom identique : « En sanskrit takshani et tanka, dérivé de tak ou tacksh, en persan tash, en Zend Tasha, en grec tukos, en polonais tasak (...) » L'importance phonétique du T est évidente.
(16) LES DIEUX DE LA GAULE de Paul-Marie Duval, Petite bibliothèque Payot.
(17) Cf. Jean-Paul Allard : « La royauté wotanique des germains », dans ETUDES INDO-EUROPEENNES n° 1.
(18) Sur les runes, lire « Magie des runes », dans L'EUROPE PAÏENNE, Seghers.
(19) LES INDO-EUROPEENS, Que sais-je ?, PUF.
(20) Julius Evola, SYMBOLES ET MYTHES DE LA TRADITION OCCIDENTALE, Arche.
(21) Guido de Giorgio, LA TRADIZIONE ROMANA, Flamen.
(22) Julius Evola, METAPHYSIQUE DE LA GUERRE, Arche.
(23) Cf. J. Duchaussoy, LE BESTIAIRE DIVIN, Le courrier du livre.
(24) Sur tout cela, lire METAPHYSIQUE DU SEXE, d'Evola, la revue REBIS.
(25) C'est pour cela que la papauté a pris aux empereurs romains des symboles de Janus :
la barque et surtout la clef.
(26) Cf. l'article de Jean Varenne, « La révolution est faite », dans ETUDES INDO-EUROPEENNES n ° 1.
(27) N. 34, hiver 1981, intitulé « Le temps des haches et des loups ».
Sources : TOTALITE – N°20 – Automne 1984.
Racket. Les propriétaires de Linky vont devoir le rembourser
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- Catégorie : ACTUALITE
Acceptez quelque chose de l’Etat français et des sociétés qui travaillent pour lui (et s’enrichissent grâce à lui) et il y aura toujours une contrepartie. Ains, pour les compteurs Linky, tant vantés par Enedis, et dont l’ancien ministre de l’Industrie et de l’Energie, Eric Besson, avait déclaré qu’il ne coûterait pas un centime aux particuliers, il semblerait que les Français doivent passer bientôt à la caisse.
Le détail, c’est le journalLe Parisienqui l’a donné lundi 31 mai. Le coûte des installations de Linky (souvent par des sous traitants, sur lesquels il serait bon un jour que des journalistes d’investigation se penchent eu égard des compétences diverses et variées que l’on retrouve chez ces installateurs) est de 5,7 milliards d’euros, selon la Cour des comptes, soit 130 euros par appareil. Une somme que les particuliers devront commencer à rembourser dès 2022, en raison du mécanisme de « différé tarifaire » mis en place par Enedis. Selon le Parisien, le taux d’intérêt appliqué au remboursement sera de 4,6 % soit pour Enedis une marge de 2,8 % soit un demi-milliard d’euros d’intérêts supplémentaires que paieront les consommateurs.
Plusieurs centaines de millions d’euros devraient être prélevés chaque année, ce qui représentera un total de deux milliards d’euros en 2030.
Pourtant, Enedis avait annoncé prendre à sa charge 5,39 milliards d’euros : 10% provenant de ses fonds propres et le reste grâce à un emprunt auprès de la Banque européenne d’investissement (BEI) à un taux avantageux de 0,77 %. Mais au final, c’est bien le consommateur qui remboursera le coût du compteur Linky, et sans bénéficier du très avantageux taux de la BEI. Dans son rapport, la Cour des comptes l’a estimé à 4,6%. Ce qui représentera un demi-milliard d’euros d’intérêts supplémentaires pour Enedis, détaille Le Parisien.
Reste 3,7 milliards d’euros à régler. Enedis parle d’économies générées grâce au compteur, notamment du fait des relevés à distance. Les associations de consommateurs elles, n’y croient pas une seconde. 32 millions de compteurs Linky sont installés aujourd’hui sur le territoire. 90 % des foyers sont équipés.
Un nouveau scandale en perspective, et des responsables politiques et économiques qui ont menti à la population, et qui ne seront nullement inquiétés…
: Sources: Breizh-info.com, 2021,
Censure de la loi Molac, victoire des anywhere !
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- Catégorie : Régions d'Europe
Le vendredi 21 mai 2021 le Conseil constitutionnel, saisi par une soixantaine de parlementaires suite à l’adoption le 8 avril 2021 de la la loi Molac relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion, à rendu sa décision (n°2021-818 DC 21 mai 2021).
Le Conseil constitutionnel a décidé de rendre non conforme à la Constitution les articles 4 et 9 de la loi Molac, portant respectivement sur le caractère immersif de l’enseignement dans les établissements du service public ou associés, et l’utilisation des signes diacritiques des langues régionales pour les actes administratifs.
L’article principalement utilisé par les Sages est le premier alinéa de l’article 2 de la Constitution « La langue de la République est le français ». Par une pirouette juridico-jacobine le Conseil constitutionnel a su utiliser à bon escient pour sa démonstration l’article 75-1 de la Constitution « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ». Ce dernier en effet ne revêt aucun caractère contraignant, ce qui a l’avantage de muséifier les dites langues tout en donnant l’illusion de faire quelque chose . L’observateur sagace notera que si la langue de la République est le français, les langues régionales, en revanche, ne sont que des langues du patrimoine de la France. Existe t-il une hiérarchie entre la République et la France ? Ou alors une dichotomie entre le pays légal et le pays réel? Les deux à la fois certainement. En tout cas il est certain que les langues régionales n’appartiennent pas au patrimoine de la République.
Nous pouvons voir qu’un réel problème politique se pose devant nous. Une loi votée par le Parlement est ainsi censurée par le Conseil Constitutionnel, la procédure est évidemment autorisée par la Constitution (Art. 61). Nous sommes loin de la célèbre phrase du général de Gaulle « En France, la cours suprême, c’est le peuple ». Que reste t-il donc du vox populi dont la souveraineté (existe-elle encore?) est déléguée à la représentation nationale, le Parlement ?
La question se pose doublement. Faisons un peu d’anticipation électorale en cas d’un bouleversement de grande ampleur lors des prochaines présidentielles, même si cet hypothétique futur Gouvernement dispose des outils du parlementarisme rationalisé (en cas de tentative de déstabilisation ou d’obstruction parlementaire, faute de majorité), il devrait faire face à la fois au Conseil constitutionnel et au droit communautaire.
Revenons à la question des langues régionales. Une solution s’esquisse, mais difficilement réalisable, non pas techniquement, mais politiquement. Une révision des articles 2 et 75-1 de la Constitution. Tout d’abord donner un caractère contraignant à l’article 75-1, et ensuite insérer la réalité plurielle des langues régionales autochtones dans l’article 2. En effet, la République a parfaitement réalisé la francisation généralisée des régions, un retour en arrière est impossible, s’acharner de la sorte se résume à tirer sur un cadavre refroidi depuis bien longtemps, les langues régionales, elles, ne représentent aucun danger pour l’unité de la France. Invoquer les cas de sécession en Europe relève de l’épouvantail et du fanatisme jacobin. La France doit donc assumer, juridiquement, non seulement l’enseignement mais aussi la promotion des langues régionales sous peine de perdre le peu de vitalité identitaire qui lui reste encore. C’est un chemin ardu, car pour en arriver à une telle procédure, il faut un Gouvernement d’enracinés, ce qui pour l’heure n’est pas le cas. En effet, aucune proposition de loi constitutionnelle n’a abouti jusqu’à présent, seuls les projets de lois constitutionnelles aboutissent, car ils émanent de l’exécutif.
Nous pouvons dire que pour l’heure ce sont les anywhere (ceux de partout) qui ont remporté la partie contre les somewhere (ceux de quelque part). En effet, la soixantaine de parlementaires nomades qui a saisi le Conseil constitutionnel restera dans l’histoire comme celle qui aura porté atteinte à plus de quarante années de lutte , de construction, d’expérimentation, de résultats et de travail sérieux pour maintenir et transmettre les langues vernaculaires d’un pays laminé par la mondialisation, après avoir été son laboratoire idéologique.
Llorenç Perrié Albanell
La jeunesse fasciste italienne
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Les éditions Reconquista Press nous proposent la réédition d'un livre paru sous la plume de Blandine Ollivier, arrière-petite-fille du grand compositeur Franz Liszt, aux éditions Gallimard en 1934. Son titre: Jeunesse fasciste.
Le Popolo d'Italia en fit l'éloge suivant: « C'est un livre complet, qui épuise le sujet. Tout ce que la Révolution fasciste a accompli y est exposé avec un diligent souci de documentation. » S'agit-il d'une hagiographie ? Par moments c'est certainement le cas, mais l'auteur a une vraie démarche de journaliste, et décrit, raconte, interprète avec, certes, des sentiments d'admiration et de sympathie, tout en exprimant certaines réserves sur le caractère et la « tonalité » de l'éducation fasciste des jeunes. La conclusion de cet ouvrage est troublante et, nous le verrons plus loin, pose de vraies questions quant à ce que serait devenu le fascisme s'il avait « réussi ».
Mussolini, le Chef
Voici comment Blandine Ollivier décrit le Duce: « La voix est sourde, grave, les paroles sont concises. » Elle découvre « cette rude figure d'ouvrier obstiné dont on comprend dès l'abord qu'il prétendra conformer l'univers à sa volonté et non pas plier sa volonté à l'univers. La beauté sévère du regard chargé de force et de tristesse, les yeux étrangement ronds, la bouche âpre, la mâchoire brutale, la matérialité méditative du front, le masque tourmenté au sourire apaisé s'enfoncent dans l'ombre. Il y a, dans l'atmosphère, de l'âpreté, de la violence: c'est ici le lieu d'un terrible effort; l'être le plus vainqueur au monde y réside. Un homme sculpte une race, la hausse jusqu'à la plus intense exaltation. » Cette jeunesse, écrit l'auteur, est « drue, saine, dynamique ». « Chemisettes blanches, jupes courtes et noires, cheveux noirs et courts, élancées sous le béret sombre, des "Petites italiennes" défilent au pas cadencé ». Un chant éclate: « Giovinezza ». « Ces enfants, ce ciel sont beaux matériellement, crûment, brutalement », écrit la journaliste, émerveillée par Rome où « les cyprès romantiques du Palatin dessinent leur géométrie mystique sur le sol rose cuivré; l'odeur sucrée, trouble des jasmins et des tubéreuses flotte dans l'air léger. Les cloches sonnent: l'harmonie chrétienne entre dans le décor païen, l'antithèse se résout en accord dans cette Rome où le Christ lui-même devient romain ». Le guide de Blandine Ollivier commente avec passion les grands travaux entrepris par le Duce: Dans les seuls Marais pontins, 25.000 hectares ont été assainis, 140 kilomètres de routes ou de voies ferrées tracés, 11 villages et la ville neuve de Litteria édifiés. Une activité de pionniers: on défriche, on draine, on sème, on laboure. Partout, dit le guide, règne l'enthousiasme et le dépassement de soi. Le fasciste, déclare Mussolini, « méprise la vie commode, les tièdes et les sceptiques sont mis au rancart, la troisième Rome est une création héroïque de l'esprit ».
Priorité à la natalité
Le fascisme n'a certes pas encore réussi à éradiquer la misère, mais s'y attelle avec détermination. Il y a encore à Rome la « Garbatella », un quartier mal famé, dont « les ruelles populaires sont épaisses comme un minestrone, encombrées d'une foule matinale d'ouvriers, de marchands ambulants, de terrassiers et de clochards ». On y a construit une cité refuge pour les chômeurs, les sans-abri et les besogneux, et aussi une maternité et un hôpital pour enfants, un outil forgé par Mussolini pour la défense de la race en 1925. Car il faut gagner la bataille de la natalité, sujet primordial. Les enfants de filles-mères y sont accueillis. On les appelle les « fils de la Madone ». Pour le fascisme, « la vie, le plus haut don de Dieu aux hommes, doit être exaltée, respectée et ennoblie. Elle ne peut être supprimée impunément ». L'instigation et l'aide au suicide, les délits qui touchent à la suppression de la vie humaine: manoeuvres préventives, avortement, infanticide, sont sévèrement punis. La première tâche de la femme reste l'enfantement. La formule du fascisme: « Massimo di natalita, minimo de mortalita ». Mais l'auteur reconnaît que, malgré tous les moyens de propagande employés, les résultats dans ce domaine ne correspondent pas aux espoirs. Les villes ne suivent pas l'exemple des campagnes. L'égoïsme des milieux bourgeois, comme le pense Mussolini? L'explication est peut-être courte.
L'éducation fasciste
L'éducation joue un rôle primordial dans l'Italie fasciste car, « la solidité du Régime dépend des enfants d'aujourd'hui qui seront les hommes de demain ». Le Duce a voulu, pour la nouvelle Italie, un « type d'homme fort, résolu, tenace, discipliné, parlant peu, attaché et dévoué passionnément à la chose publique ». L'éducation prend dès lors, l'allure d'une croisade. Le régime renie le matérialisme. Cette base spirituelle, sous l'égide de la romanité, est ce que le fascisme possède de plus original. La romanité, explique son guide à Blandine Ollivier, "c'est la résistance humaine à un monde inhumain. Or, la vieille lutte de Rome et de Carthage dure encore; les marchands puniques s'efforcent toujours d'établir une identité entre l'argent et la valeur de la vie. Le fascisme est « la lutte au nom des valeurs idéales contre les valeurs mercantiles »: « sens religieux et liturgique de la vie, aspiration au grand, au monumental, au solide, au durable; culte de l'enfance, de la famille et de la terre ». Blandine Ollivier conclut par cette belle formule: « C'est dans ce sens que le fascisme est la quatrième guerre punique ». Le maître d'école se doit d'être « un artiste, un créateur d'âme ». Pas question de montrer le fascisme sous l'aspect de briseur de grève. C'est la grève,cette fête mouvementée, dit curieusement (et sans doute fort pertinemment) le guide de l'auteur, qui est sympathique à l'enfant, et non pas celui qui ramène l'ordre.
Le fascisme est révolution. Les enfants veulent des héros
« Nous lui montrons Mussolini révolutionnaire. Le fascisme est révolution et qui dit éducation fasciste, dit éducation révolutionnaire », c'est à dire goût du risque, oubli de soi au profit des autres, désir de fonder un ordre meilleur ». L'enfant, poursuit-il, aime spontanément la révolution parce qu'elle est mythe, poésie, légende, désir du paradis. Elle est le monde enchanté des contes de fée. Les enfants demandent un héros, ils veulent plus qu'un Roi, et nous leur donnons une Révolution et un Chef. La visite d'une école fait dire à l'auteur (avec amusement?) : « le Régime aime avec passion les planchers et les meubles bien cirés ». De belles cartes de géographie « offrent les océans et les terres lointaines au vagabondage des rêves enfantins ». Les enfants sont décrits « bien en chair, petits paysans rudes et trapus », le maître « militant et rural, sorte de paysan au grand cœur » qui expose « le nouvel évangile fasciste ». D'abord la "nativité", ce 29 juillet 1883 où Mussolini naquit, « un jour de grand soleil », où « le grain était mûr et les cigales stridaient (une faute, les cigales 'chantent') dans les intervalles de silence que laissaient les cloches ». L'auteur, dit-elle, « assiste à la création d'un mythe », avec l' « atmosphère naïve et tendre des récits bibliques ». Pas un mot de l'activité socialiste du Duce, ni de sa vie hasardeuse. Ce sera pour plus tard, quand ils passeront de la légende à une réalité plus orthodoxe.
Le contenu de l'enseignement scolaire
L'enseignement scolaire dure jusqu'à la quatorzième année. Curieusement, la Religion vient en tête des programmes élémentaires, suivi de l’Enseignement artistique. La religion que d'autres régimes combattent ou ignorent, le fascisme trouve plus adroit de l'annexer et de la diriger. L'auteur a cette formule: « le fascisme gardera les vivants, l'Eglise recueillera les morts. La religion sera fasciste ou elle ne sera pas ». Notons que les parents, s'ils le désirent, peuvent faire exempter leurs enfants de l'enseignement religieux. Mais le fait est rare. Les méthodes d'enseignement dérivent du modèle Montessori (très efficace, pédagogie fondée sur les lois naturelles et les besoins de l’enfant, encourageant sa créativité et son autonomie. Il existe aujourd'hui de nombreuses écoles Montessori en France, qu'il ne faut pas confondre avec les écoles Steiner.) L'enseignement de la langue italienne occupe, entre autres sujets, dont l'arithmétique, bien sûr une place importante, mais on a aussi accordé une place de choix à l'étude du folklore et du dialecte. L'histoire insiste sur la Grande Guerre et les souvenirs de la grandeur romaine dont l'enseignement est « cependant exempt, au contraire de certains pays (on se demande lesquels...), de toute tendance purement agressive et chauvine ». Les filles ont droit à l'enseignement des travaux féminins, couture, broderie, soins du ménage, cuisine, hygiène infantile, « qui doivent apporter le calme et l'apaisement aux périodes troublées de l'adolescence ». Pas sûr que les féministes contemporaines apprécieraient totalement le sujet...
Les organisations de jeunesse
A l'âge de six ans, les enfants sont pris en main par des organisations officielles, et d'abord par les Ballilas pour les garçons et les Piccole Italiane (petites italiennes) pour les filles, jusqu'à l'âge de quatorze ans. Ils seront Avangardisti ou Giovane Italiane (Jeunes italiennes) de quatorze à dix-huit ans, et Jeunes fascistes jusqu'à leur service militaire. Les unités de Ballilas et d'Avanguardistes sont encadrées militairement. Il s'agit de « tremper à la romaine l'âme de la jeunesse » et « le corps sera la porte dérobée de l'âme ». Les Ballilas de douze à quatorze ans sont astreints au maniement du mousqueton. Ils ont droit à des armes de modèle réduit. Tout fonctionne « pour de vrai », de la poudre aux balles qui portent à 50 mètres ! L'objectif des organisations féminines est évidemment différent. Il s'agit de « préparer dignement à la vie la future mère de famille, en faire une parfaite maîtresse du foyer, dans l'affirmation d'un esprit profondément fasciste », en aidant « l'élan de la jeune fille vers le charme et la beauté ». Le but final de cette oeuvre éducative est de créer une femme italienne, « fasciste et croyante, forte et sereine, digne et sensible ». Vaste programme, aurait dit De Gaulle ! Reconnaissons que certaines pages hagiographiques prêtent quelque peu à sourire. Ainsi la description de l'infirmerie de l'Académie féminine sportive où règne « tout un luxe clinique, où l'on se mire en passant dans les nickels ». Une seule malade l'habite. « Cette jeune ascète du Fascisme s'est foulé le pied », raconte l'auteur. A ses côtés, une rose trop lourde trempe dans un verre devant une photo: celle du Chef. Blandine Ollivier l'interroge: « Je guérirai plus vite sous son regard », lui dit-elle. Mais après tout, pourquoi pas. Les rois de France soignaient bien les écrouelles en les touchant...
Croisières, voyages à l'étranger
Blandine Ollivier raconte aussi les croisières, les voyages à l'étranger organisés par les organisations de jeunesse fasciste. En Allemagne, notamment, où elles sont accueillies par le Führer en personne. On lit dans le livre cette description curieuse qui ne respire pas vraiment l'enthousiasme: « Dans Berlin, longs défilés brou de noix, sous les tilleuls vert sale, d'Hitler-Mädchen aux grands pieds, aux joues honnêtes sans poudre et sans fards; parades aryennes et blondes; cortèges de petits Prussiens binoclés sous un ciel lui-même menaçant ». Conclusion de l'auteur: « Ces promenades collectives et surveillées confirment le jeune italien dans un sentiment violent et confortable de sa propre supériorité, lui inculpant une fierté de peuple élu ». Rien que ça... Sept ans plus tard, quand l'armée allemande devra se précipiter à la rescousse de Mussolini, qui s'était aventuré à envahir la Grèce, de façon parfaitement inconséquente, le ton aura bien changé...
Et si le fascisme avait « réussi » ?
La conclusion du livre est vraiment curieuse et pose de vraies questions. Le fascisme a échoué, mais qu'en eût-il été s'il avait réussi ? A l'époque où Blandine Ollivier écrivait ce livre, la réussite était une quasi-certitude. Elle ose cependant cette réflexion: « Un jour viendra pourtant où l'oeuvre sera terminée ; à supposer même qu'elle n'ait pas été entravée plus tôt par les circonstances adverses ». On connaît la suite, avec la décision catastrophique de Mussolini, d'entraîner l'Italie dans la guerre aux côtés d'Hitler. Mais comment aurait évolué l'Italie fasciste si elle avait réussi ? L'auteur évoque un curieux paradoxe auquel risquait d'aboutir le Régime. Une nouvelle catégorie de chômeurs, les « chômeurs de l'exaltation et du mysticisme », ne menaçait-t-elle pas d'apparaître ? Entraînés à vivre au-dessus d'eux-mêmes (en surrégime pourrait-on dire) et d'avance insurgés contre la monotonie des labeurs quotidiens, ne vont-ils pas un jour, héros déclassés, se tourner vers d'autres dieux ? Ne risquent-ils pas de se « réfugier dans un culte exclusif du moi, dans un 'barrésisme' stérile, séduisant passe-temps d'intellectuels en mal de raffinement, mais dangereux poison pour un peuple intoxiqué de grands désirs ? » Conclusion de Blandine Ollivier: « L'éducation fasciste porterait ainsi, dans l'excès même de ses vertus, son propre danger... »
Robert Spieler - RIVAROL
« Jeunesse fasciste » de Blandine Ollivier, 154 pages, 13 euros, Editions Reconquista Press, (www.reconquistapress.com).
Histoire secrète de la Rome antique : LES LIVRES SIBYLLINS par J. EVOLA
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A quiconque se propose de scruter l'histoire secrète de la romanité antique, en considérant aussi les influences raciales, l'examen des dits Livres Sibyllins présentera une importance particulière. Pour s'en rendre compte, il faudra toutefois disposer de principes adéquats et, surtout, se convaincre de l'idée que la romanité ne représenta pas quelque chose d'homogène : des forces opposées s'y croisèrent et s'y heurtèrent. Se dégageant énigmatiquement d'un substrat de races et de civilisations dont la composante méditerranéenne non-aryenne était importante, Rome en viendra à manifester un principe opposé. Avec Rome, l'élément viril, apollinien et solaire s'oppose, sous des formes variées, au principe d'une civilisation de promiscuité, panthéiste, « lunaire » et chthonienne, une civilisation de couches ethniques plus anciennes qui avait réussi à altérer et à renverser l'Hellade olympienne et héroïque elle-même.
Seul cet encadrement général nous fait comprendre le sens profond des bouleversements les plus importants de l'histoire de l'ancienne civilisation romaine. Ce que Rome eut de spécifiquement romain et « aryen » se constitua à travers une lutte incessante du principe viril et solaire de l'Imperium contre cet obscur substrat d'éléments ethniques, religieux et même mystiques dans lequel la présence d'une forte composante sémitico-pélasgique est incontestable, et où le culte chthonien et lunaire des grandes Mères de la nature eut une part très importante. Cette lutte connut des hauts et des bas. L'élément pré-romain, soumis dans un premier temps, passa ensuite à la rescousse, au moyen d'influences plus subtiles et en rapport étroit avec des formes de vie et des cultes précisément asiatiques et méridionaux. C'est dans cet ensemble qu'il faut étudier l'influence des Livres Sibyllins dans la Rome antique, ils représentèrent une base très importante pour une action souterraine de corrosion et de dénaturation de la romanité aryenne, dans la dernière phase de laquelle — c'est-à-dire au moment où la contre-offensive se sentait près du but ardemment convoité — nous voyons entrer en jeu, de façon significative et sans masque, non seulement le ferment général de décomposition asiatico-sémitique, mais aussi le ferment consciemment et proprement judaïque.
La tradition rapporte l'origine des Livres Sibyllins à une figure féminine et à un roi de la dynastie étrangère : il s'agirait d'une partie des textes offerts par une vieille femme mystérieuse à Tarquin le Superbe, qui fut le dernier roi de la période ancienne descendant de la race pré-romaine et pélasgique des Etrusques. Ces livres furent acceptés dans le temple de Jupiter capitolin lui-même. Confiés à un collège spécial — les duumvirs, qui devinrent ensuite les quindecimviri sacris faciundis — ils évoluèrent vers une sorte d'oracle auquel le Sénat demandait les réponses. En 83, ils furent détruits dans l'incendie qui ravagea Campidoglio. On chercha à les reconstituer en faisant des recherches dans les sanctuaires les plus célèbres de la religion sibylline et le nouveau texte fit l'objet de révisions successives. Naturellement, dans cette nouvelle phase, étant donné le caractère plus ou moins impur du matériel recueilli, les infiltrations devaient être très faciles. Ces textes étaient d'ailleurs entourés d'un très grand secret.
Abstraction faite des textes sibyllins appelés précisément juifs (Orac. SibylI, III, IV, V), on ne sait pas grand-chose de précis sur ces textes : on ne connaît que leurs effets, ce qui peut déjà fournir l'essentiel. En effet, la base matérielle d'un « oracle » est ce qui importe le moins : elle a seulement le sens d'un appui et d'un instrument qui, en des circonstances spéciales, permet à certaines « influences » de se manifester — tout comme font sur un autre plan, les médiums, quand ils favorisent, par leur état de transe, différents phénomènes. Par conséquent, au sujet des premiers Livres Sibyllins, le fait de savoir quelles furent les formules et les sentences qu'ils contenaient ne nous intéresse pas ; au contraire, ce qui nous intéresse, c'est la « ligne » qui se trahit à travers la série de réponses auxquelles ils donnèrent lieu par des interprétations variées, cas pas cas, des textes eux-mêmes. C'est cette ligne qui nous fait connaître avec exactitude la vraie nature des « influences » agissant à travers l'oracle.
Alix sénator
Or nous voyons que cet oracle, presque toujours, fit en sorte que Rome s'éloignât de ses traditions, qu'elle introduisît des cultes exotiques qui agissaient subversivement surtout dans la plèbe, c'est-à-dire dans l'élément qui, à Rome, maintenait une inconsciente relation raciale et spirituelle avec les précédentes civilisations italico-pélasgiques, opposées au noyau « solaire » et aryen. Utilisés surtout dans les moments de danger, de calamité et d'incertitude pour calmer le peuple romain, les Livres Sibyllins devaient, par leur réponses, indiquer les moyens les plus aptes à assurer la bienveillance et le concours de forces supérieures, divines. Eh bien, jamais les réponses n'eurent pour conséquence de renforcer le peuple romain dans ses antiques traditions et dans les cultes qui caractérisaient le plus son patriciat sacral et guerrier ; toujours elles servirent à introduire ou à adopter des divinités exotiques, dont la relation avec le cycle de la civilisation pré- et antiromaine des Mères est, dans la très grande majorité des cas, on ne peut plus visible.
Le contenu d'une des plus anciennes réponses sibyllines, donnée en 399 à l'occasion d'une peste, est bien expressif par toute la dénaturation qui devait s'opérer graduellement par la suite. L'oracle voulut que Rome introduisît le lectisterne (1) et la supplicatio qui s'y rapportait. La supplicatio consistait dans le fait de s'agenouiller et de se prostrer face aux divinités, pour en embrasser et en baiser les genoux et les pieds. Autant ce rite peut sembler naturel ou, du moins, à peine exagéré à celui qui est accoutumé aux formes de culte qui succédèrent au paganisme antique, autant cet usage était étranger aux mœurs et au « style » des premiers Romains : lesquels ne connaissaient pas la servilité sémitique face au divin et qui, virilement, debout, priaient, invoquaient, sacrifiaient. C'est déjà l'indice d'une transformation profonde, l'indice du passage d'un type de mentalité à un autre.
En 258, Demeter fut introduite à Rome par les Livres Sibyllins, et avec elle Dionysos et Koré. C'est la première grande phase d'une offensive spirituelle : elle fait pénétrer les deux grandes déesses chthoniennes de la nature avec leur compagnon orgiaque, symbole de tout mysticisme confus et antiviril, à l'intérieur d'un monde que l'ancienne romanité avait bâti en détruisant par les armes des races et des centres de puissance qui avaient déjà eu en propre des formes analogues, mêlées, de spiritualité. En 249, toujours par la volonté des Livres Sibyllins, entrent à Rome Dispater et Proserpine, c'est-à-dire carrément les divinités « infernales », personnifications de tout ce qu'il y a de plus opposé aux idéaux olympiens et apolliniens ; en 217 c'est le tour d'une divinité aphrodisienne, la Venus Ericina et, enfin, en 205, au moment le plus critique des guerres puniques, entre pour ainsi dire la Souveraine de tout ce cycle, celle qu'on peut appeler la personnification de tout l'esprit asiatico-pélasgique préromain et pré-aryen, Cybèle, la Magna Mater. Toutes ces divinités étaient complètement ignorées des Romains : et si la plèbe, galvanisée dans son substrat le plus impur, se donnait à elles dans un enthousiasme souvent frénétique, le sénat et le patriciat ne manquèrent pas, dans un premier temps, de manifester leur répugnance et leur conscience du danger. D'où l'étrange incohérence propre au fait que Rome, d'un coté alla prendre, avec toutes sortes de magnificences, !e simulacre de Cybèle à Pessimunte, mais interdit aussi aux citoyens romains de prendre part aux cérémonies et aux fêtes orgiaques présidées par les prêtres phrygiens eunuques de cette Déesse. Mais, naturellement, cette résistance fut de courte durée. Elle connut le même sort que l'interdiction du dionysisme et du pythagorisme. Et de nouveau, en 140, les Livres Sibyllins introduisent encore une figure du cycle féminin et chthonien, la Venus Verticordia ou Aphrodite Apostropha.
Tout ce que cela eut comme conséquence dans la transformation de l'esprit romain, Livius le notait déjà qui, en se référant aux environs de l'an 213, écrivit textuellement (XXV, I) : « Des formes religieuses, en grande partie venues du dehors, agitaient tellement la population que soit les hommes, soit les dieux parurent d'un seul coup différents. Les rites romains étaient désormais abolis, non seulement sous leurs formes secrètes ou dans le culte domestique, mais aussi en public ; et sur le forum capitolin il y avait une tourbe de femelles qui ne sacrifiaient plus ni ne priaient selon la tradition des pères ». C'est ainsi que plus s'étendait la puissance politique romaine, et plus les forces mêmes qu'elle avait vaincues à l'extérieur se développaient sur un plan moins visible, à travers cette œuvre de dénaturation : une seconde guerre où elles remportaient des succès toujours plus sensibles et brillants.
On arrive ainsi à la période des dits Livres Sibyllins Juifs, qui semblent avoir été compilés entre le premier et le troisième siècle, et dont une bonne partie nous est connue. A ce sujet, Schührer utilise l'expression : « Propagande juive sous un masque païen » — jüdische Propaganda unter heidnischer Maske ; opinion partagée par un savant juif italien, Alberto Pincherle, qui reconnaît dans les textes en question l'explosion de la haine judaïque contre les races italiques et contre Rome. Sous une forme plus tangible, on répète ici une manœuvre mystificatrice, déjà tentée avec succès, par une association indue de l'ancien oracle sibyllin et d'Apollon, le dieu solaire nordico-aryen : ceci à cause de la relation des Sibylles avec ce dieu. Au moyen de cette relation, rien moins que limpide et simple, du culte apollinien avec la religion sibylline, les oracles introduits à Rome par le roi étrusque cherchaient déjà à s'assurer une autorité supérieure en choyant, pour ainsi dire, la vocation « apollinienne » de la race de Rome : et cela jusqu'à Auguste qui, se sentant l'initiateur d'une nouvelle ère apollinienne et solaire sous le signe de l'Empire, ordonna une révision des textes sibyllins pour en éloigner les apports impurs. Naturellement, les choses se passèrent autrement et on reconnut l'arbre à ses fruits : c'est exactement la collection des divinités les plus antisolaires et anti-apolliniennes qui furent introduites à Rome par cet oracle. Un alibi semblable fut utilisé par les nouveaux Livres Sibyllins : ici, c'est le judaïsme pur qui pare ses idées de façon à les faire apparaître comme l'authentique prophétie d'une très ancienne sibylle païenne, pour obtenir ainsi à Rome un crédit correspondant. On vérifia donc un paradoxe unique en son genre : beaucoup de milieux romains considérèrent comme l'expression d'un savoir de leur propre tradition des images apocalyptiques désordonnées, qui n'étaient que des manifestations de la haine judaïque contre Rome et contre les peuples italiques.
En effet, ces oracles se présentent à nous comme un fac-similé exact de l'Apocalypse johannite. Mais l'Apocalypse a été interprétée par la foi chrétienne sur un plan symbolique, universaliste et théologique, si bien que la thèse judaïque, qui en représentait originellement le centre, a été presqu'entièrement effacée. Dans les Oracles sibyllins au contraire, elle subsiste à l'état originaire. La prophétie de la pseudo-sibylle se tourne contre les races des Gentils : elle prédit la vengeance que l'Asie tirera de Rome et la punition — plus sévère que la loi du talion — qui frappera la ville maîtresse du monde. Cela vaut la peine de reproduire quelques extraits caractéristiques par leur haine antiromaine :
« Autant de richesses Rome a reçues de l'Asie tributaire, autant et trois fois plus l'Asie en recevra de Rome et lui fera payer les conséquences des violences commises ; et autant d'hommes d'Asie devinrent esclaves dans la résidence des italiques, autant et vingt fois plus d'Italiques misérables travailleront en Asie et chacun sera débiteur pour des dizaines » (III, 350) ; « O Italie, à toi aucun Mars étranger ne viendra (pour te secourir), le sang si mauvais et si dur pour détruire de ton propre peuple te dévastera, célèbre et impudente. Et toi, gisant sur les cendres encore chaudes, imprévoyante dans l'âme, tu te donneras la mort. Tu seras la mère d'hommes sans bonté, nourricière de bêtes sauvages » (III, 460-470). Et suit ici tout un film de malheurs et de catastrophes, décrits avec une sadique complaisance. Les références au judaïsme sont toujours plus tangibles vers la fin du Ille livre et au début du IVe. La prophétie devient histoire au livre IV, 115 : « Même à Jérusalem il y aura une mauvaise tempête de guerre venue d'Italie et elle détruira le grand temple de Dieu ». Mais à cause de ces catastrophes en tout genre, « ils devront connaître la colère du Dieu céleste, parce qu'il détruisirent l'innocent peuple de Dieu ». Que la Babylone dont on décrit ici l'écroulement avec des teintes grand-guignolesques semblables à celles de l'Apocalypse johannite, parce qu'elle aussi — tout comme l'Italie — fit périr d'entre les Juifs beaucoup de « saints fidèles » et le « peuple véridique » (c'est-à-dire Israël) — que cette Babylone soit Rome fut parfaitement clair aussi pour les Anciens. Lactance écrit par exemple (Inst divin., VII, 15,18) : « Sibyllae tamen aperte interituram esse Romam loquuntur et quidem iudicio dei quod nomen eius habuerit invisum et inimica iustitiae alumnnum veritatis populum trucidarit » (2). Au livre IV, 167 et suivants, on lit encore : « O ville toute impure de la terre latine, ménade qui aime les vipères, veuve tu t'assiéras sur les hauteurs et le fleuve Tevere te pleurera, toi sa compagne, qui a !e cœur homicide et l'âme impure. Ne sais-tu pas ce qui est au pouvoir de Dieu et ce qu'il te prépare ? Mais tu dis : Je suis seule et personne ne me détruira. Mais voilà que c'est le Dieu impérissable qui te détruira, toi et les tiens, et il n'y aura plus trace de toi sur cette terre, comme avant, quand le grand Dieu inventa tes gloires. Reste seule, ô inique ; immergée dans le feu flamboyant, habite ton inique région tartaréenne de l'Hadès ». Face à Rome et à la terre italique condamnées se trouve la « race divine des célestes Juifs bienheureux » (248). Au livre III (703-705), on répète : « mais les hommes du grand Dieu (les Juifs) vivront autour du Temple, se réjouissant de ces choses que leur donnera le créateur, seul juge souverain... et toutes les villes s'exclameront : « Comme tu aimes ces hommes, toi l'Immortel ! ». Les passages 779 et suivants reproduisent presque à la lettre les célèbres prophéties d'Isaïe, et en eux prend forme le rêve judaïque, messianique et impérialiste, qui a pour centre le Temple : les « prophètes du grand Dieu », après le cycle des catastrophes et des destructions, tireront l’épée et seront rois et justiciers des peuples. Ces nouveaux prophètes, tous descendants d'Israël, sont destinés à être « guide de vie pour tout le genre humain » (580).
Un singulier contraste est propre au fait que d'un côté — ainsi que nous y avons fait allusion — les auteurs de ces écrits utilisent l'alibi païen, c'est-à-dire veulent revêtir leurs expressions prophétiques de l'autorité provenant de l'ancienne tradition sibylline italique, mais que de l'autre, au livre IV, ils découvrent entièrement leurs vraies positions. Dans ce passage les Livres Sibyllins développent en effet une vive polémique contre les sibylles païennes rivales, et cette sibylle à laquelle on fait prononcer les paroles de haine et de vengeance espérée du peuple élu, va jusqu'à déclarer ne pas être prophétesse du « menteur Phébus » — de la divinité apollinienne — « que des hommes sots prennent pour un dieu et appellent, à tort, prophète », mais de ce dieu qui n'admet pas les images : c'est-à-dire, évidemment, de Jehova, du Dieu du mosaïsme juif.
Mais par là même le maquillage de toute cette « tradition » se donne à connaître pour ce qu'il est. La divinité apollinienne elle-même, sur laquelle la première religion sibylline appuyait son crédit, est maintenant discréditée et vilipendée. Seulement, la vérité est que le « menteur Phébus », que le Dieu d'Israël veut supplanter, mais que les premiers textes veulent avoir pour maître, est un faux Apollon ; nous voulons dire que si la religion sibylline eut des rapports avec le culte d'Apollon, il ne s'agissait pas ici de la pure divinité de la lumière, du symbole du culte solaire d'origine hyperboréenne (nordico-aryenne), mais bien de l'Apollon influencé par Dionysos et associé de l'élément féminin et même chthonien, tel qu'il apparut dans certains résidus dégénérescents de la civilisation méditerranéenne archaïque. C'est à cet Apollon que nous pourrions rapporter les formes les plus anciennes du sibyllisme, en rapport avec la mise en relief de certains aspects de la civilisation pélasgico-matriarcale.
Ainsi donc, en définitive, on peut constater la continuité d'une influence antiromaine et anti-aryenne, qui se précise peu à peu et qui, dans la période comprise entre le 1er et le lIIe siècle, va incontestablement être dirigée ou, du moins, faire cause commune avec l'élément sémitico-judaïque, par le moyen duquel elle prend les formes les plus extrémistes et révèle pour ainsi dire son terminus ad quem, le but final de toute cette source d'inspiration prophétique : « O ville toute impure de la terre latine, ménade qui aime les vipères, immergée dans le feu flamboyant rejoins ton inique région tartaréenne de i'Hadès ».
Julius EVOLA
(traduit de l'italien par Eric HOULLEFORT)
Sources : TOTALITE – Numéro 5, juin-juillet-août 1978
Notes :
(1) Cérémonie propitiatoire consistant à dresser des tables et des lits de parade où l'on plaçait les images des dieux pour leur servir un festin (N. D. L. R.).
(2) « Toutefois les Sibylles proclament ouvertement que Rome doit être détruite et son nom sera maudit par le jugement de Dieu parce que l'ennemie de la justice aura assassiné le peuple enfant de la vérité »
Article publié à l'origine dans La Difesa délia Razza (vol. IV, n° 7, 5 février 1941, pp. 20-27) et republié dans La Tradizione di Borna, Ed. di Ar, Padova, 1977).
L'ÉTUDE COMPARÉE DES RELIGIONS INDO-EUROPÉENNES
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I. — Les Indo-Européens.
Au cours du troisième et du second millénaires avant Jésus-Christ se produisit l'événement le plus important de l'histoire temporelle récente de l'humanité : d'une région qu'on semble pouvoir situer entre la plaine hongroise et la Baltique, par vagues successives, partirent en tous sens des troupes conquérantes qui parlaient sensiblement la même langue. Que s'était-il passé? Désagrégation d'empires préhistoriques? Difficultés alimentaires ou climatériques? Impérialisme inné, appel confus du destin, maturation plantureuse d'un groupe humain privilégié? Nous n'en saurons jamais rien. Mais le fait est là : des courses centrifuges, en quelques siècles, asservissent à ces hardis cavaliers toute l'Europe du Nord, de l'Ouest, du Sud et du Sud-Est; les anciens habitants disparaissent, s'assimilent ou forment des îlots qui se résorbent lentement et dont il ne subsiste aujourd'hui que le « témoin » basque, au bout des Pyrénées, et, dans le Caucase, de petits peuples très originaux. En Asie centrale, quelques-uns poussent jusqu'au Turkestan, où leurs royaumes tiendront encore près de dix siècles après le début de notre ère, malgré la pression chinoise, malgré les remous des Turcs et des Mongols. Certains, très tôt, et d'autres après eux, se ruent sur l'Asie antérieure; d'autres occupent l'Iran, cheminent jusqu'à l'Inde : mille ans avant Jésus-Christ, ils sont dans le Pendjab et déjà regardent le Gange où les Grecs du temps d'Alexandre les trouveront installés.
Par référence à l'aire ainsi couverte, le peuple inconnu d'où se sont détachés tant de rameaux a reçu des savants modernes un nom composé, purement symbolique, qui parle à l'esprit plus qu'à l'imagination : ce sont les Indo~ Européens.
Leurs chevauchées victorieuses n'échappent pas complètement à l'observation, du moins vers leurs points d'arrivée : dans tout le Proche Orient, les nouveaux venus côtoient, heurtent et parfois soumettent de vieilles sociétés très civilisées, qui tenaient depuis longtemps leurs annales et dont les inscriptions signalent l'ouragan. Les conquérants eux-mêmes adoptent en partie les usages et les commodités des vaincus ou des voisins et se mettent à graver : entre la mer Noire et la Syrie, nous connaissons maintenant et nous lisons les archives cunéiformes des rois hittites, maîtres d'un de ces empires du second millénaire avant notre ère. Mais un fait domine tout le détail : partout où on les voit s'installer, ces armées ont perdu la liaison avec les corps qui opèrent dans d'autres régions, même proches. A plus forte raison ne reconnaissent-elles pas pour parents ceux qui, par une randonnée antérieure, ont déjà foulé le sol où elles se fixent. Les langues se différencient. L'histoire, les mythes, les cultes se localisent. Les mœurs évoluent. Bref, nul sentiment ne survit de la communauté d'origine et les envahisseurs successifs bousculent indifféremment leurs plus intimes cousins et les autochtones les plus étranges. Plus tard, ça et là, quand les philosophes athéniens ou les grammairiens de Rome réfléchiront, ils admireront bien, par exemple, que le chien et l'eau portent presque le même nom en phrygien et en grec, ou que tant de mots latins sonnent si près des mots grecs de même sens : ils n'en concluront rien, sinon à l'emprunt ou à la constance de la machine humaine.
Et le jeu continue, cette fois en pleine lumière : les Germains submergent l'empire romain et donnent à l'Europe une nouvelle figure. Des flottes vont soumettre l'Afrique et l'Inde, les nouveaux mondes de l'Orient et de l'Occident, les îles des mers lointaines. Des colons sans scrupule dépeuplent en hâte et repeuplent une partie des Amériques, toute l'Australie. Après des succès éphémères, les concurrents arabes et turco-mongols sont éliminés : Alger, Le Caire, Bagdad tombent en vassalité, la Sibérie s'exprime en russe. Hormis quelques rares allogènes — Finnois, Hongrois, Turcs ottomans — qui ont su se faire admettre et comme naturaliser sans perdre leur langue, l'Europe « parle indo-européen » et, par ses émigrants, fait « parler indo-européen » à tout ce qui compte dans trois autres continents et dans la moitié du quatrième. Aujourd'hui, au delà de luttes fratricides qui sont peut-être le dur enfantement d'un ordre stable, on ne voit sur la planète qu'un coin de terre où pût grandir un appelant contre ce triomphe. Mais sans doute arriverait-il trop tard.
Pour toutes sortes de raisons qui tiennent aux conditions internes et externes du développement de la science, ce n'est qu'au début du XIXe siècle que les grammairiens occidentaux découvrirent ce fait capital que le sanscrit de l'Inde et les langues de l'Iran, le grec, le latin, les langues germaniques, les langues celtiques, les langues slaves et baltiques, ne sont que des formes prises, au cours d'évolutions divergentes, par un seul et même parler préhistorique qui se définit par rapport à elles comme le latin par rapport à l'italien, au français, à l'espagnol, au portugais, etc. La notion de « langues indo-européennes » était née. Un siècle d'admirable travail, auquel toutes les universités d'Europe ont collaboré, a permis de la préciser et de la nuancer, et l'on s,e fait aujourd'hui une idée nette de ce qu'était « l'indo-européen commun », au moment des grandes migrations qui l'ont brisé. Les recherches les plus récentes font même entrevoir par quelle évolution antérieure la langue commune avait atteint cet état final dont nos langues modernes sont des modifications diverses.
II— La religion des Indo-Européens.
L'unité de langue ne suppose pas forcément l'unité politique; elle suppose en tout cas une sensible unité de civilisation : qu'on songe à la Grèce d'avant Alexandre, qui n'a jamais formé un Etat, mais qui, malgré les différences de dialectes et de mœurs, a eu constamment conscience et volonté de « parler grec », de « vivre grec ». Il est certain que les hommes qui s'exprimaient dans la langue indoeuropéenne avaient en commun un minimum de civilisation matérielle et morale. Il est légitime, en particulier, de parler de « la religion indo-européenne », étant bien entendu que cette unité n'impliquait pas l'uniformité et que chaque canton, comme plus tard chaque vallée grecque, chaque cité du Latium, chaque fjord norvégien, colorait à sa façon le bien commun.
Vers le milieu du XIXe siècle, avec un bel enthousiasme, les savants s'efforcèrent donc de reconstituer comparativement, en même temps que la langue, la religion des Indo-Européens et surtout ce qu'on regardait alors comme la partie essentielle de toute religion, la mythologie. L'entreprise était prématurée et elle a échoué. Les philologues et les linguistes qui s'y dévouaient ne disposaient pas encore de cette nouvelle connaissance de l'homme, de cet humanisme élargi et rajeuni qu'a constitué, lentement d'abord puis à un rythme et à un débit vertigineux, l'exploration méthodique des diverses branches de notre espèce. La situation est bien meilleure aujourd'hui : l'ethnographie et l'anthropologie ont permis d'observer, toutes vives, les formes que revêt la religion dans des sociétés de civilisation comparable, pour le niveau et pour les éléments, à celle des Indo-Européens; d'autre part, la psychologie et la sociologie ont éclairé le mécanisme interne de ces paganismes, leurs conditions d'équilibre, les fonctions qu'ils assurent, les évolutions qui les attendent. On s'est donc remis au travail depuis une vingtaine d'années, en France et en Allemagne surtout, et aussi en Suède, en Hollande, en Belgique, mais en se gardant des deux illusions du début. On ne croit plus que les Indo-Européens aient été des « primitifs »; on sait que ni leur civilisation ni leur langue ne permettent d'atteindre un « début », un zéro absolu; que l'une et l'autre portent au contraire la marque, la charge et le fruit d'un riche passé dans lequel notre vue ne peut guère remonter. D'autre part, on ne croit plus que les mythes soient d'ingénieux et vains symboles imaginés de toutes pièces par des chantres pour exprimer leur admiration devant les spectacles de la nature, ni les jeux de mots plus ou moins conscients de philologues préhistoriques; aux mythes solaires, aux mythes d'orage, aux « épithètes personnifiées » et autres produits des « maladies du langage», on fait aujourd'hui leur juste part, qui n'est pas grande; on sait qu'une religion suppose, exprime, règle et coordonne des besoins et des efforts bien plus complexes.
III. — Mythes, rites, religion, société.
Réservant à la philosophie l'origine et l'essence des religions, et à s'en tenir à l'observation extérieure, on peut poser comme acquis les définitions et les principes suivants :
1° Un mythe est un récit que les usagers sentent dans un rapport habituel, d'ailleurs quelconque, avec une observance positive ou négative ou un comportement régulier ou une conception directrice de la vie religieuse d'une société. Loin donc d'être des inventions désintéressées, ou même des inventions libres de l'imagination, les mythes ne sont pas séparables de l'ensemble de la vie sociale : ils expliquent, illustrent, et protègent contre la négligence ou l'hostilité, des liturgies, des techniques, des institutions, des classifications, des hiérarchies, des spécialisations du travail commun, du maintien desquelles sont censés dépendre le bien-être, Tordre, la puissance de la collectivité et de ses membres. Il est donc impossible d'étudier les mythes sans étudier les formes de l'activité magico-religieuse, politico-religieuse, économico-religieuse, etc., des sociétés considérées. En particulier, chaque fois qu'un récit apparaîtra en liaison constante avec un rituel, on devra examiner si cette liaison n'est pas essentielle : elle l'est le plus souvent, et du même coup on saura quel était, pour les usagers, le sens principal de ce récit, de ce mythe.
Le mythe reste donc, autrement qu'on ne le croyait il y a un siècle, le phénomène religieux supérieur, qui donne aux autres signification et efficace, et la « mythologie comparée », en ce sens, garde sa primauté; on peut même, par piété pour les premiers chercheurs, maintenir ce nom pour désigner la nouvelle forme d'étude comparée des religions indo-européennes. Mais la « mythologie comparée » moderne n'est possible qu'à condition d'incorporer à tous les étages de sa structure tous les phénomènes en relation avec les mythes, c'est-à-dire pratiquement toute la sociologie. On comprend mieux dès lors l'intérêt de ces études : s'il s'agit de groupes humains historiques, c'est leur physiologie et leur anatomie tout entières qui s'exposent dans les mythes, schématisées parfois ou idéalisées, mais plus nettes, plus saisissables, plus philosophiques qu'elles ne le sont lorsqu'on les considère seulement dans les accidents de l'histoire. Et s'il s'agit de groupes humains préhistoriques, l'analyse ainsi comprise des mythes reconstitués par comparaison donne le seul moyen de connaissance objective.
2° Dans la vie d'une société, il est peu de « moments rituels » importants qui n'aient qu'une fonction, qu'un seul sens : un geste sacré tend à être aussi puissant, aussi fécond que possible, tend à être total. Il est certes légitime de parler, par exemple, de « rites purificatoires », mais on ne doit pas oublier que les usagers tâchent en même temps, et par ces mêmes rites, de faire prospérer leurs champs et leurs troupeaux, d'obtenir longue vie, de nuire à leurs ennemis, etc. II en est de même pour les mythes, avec la circonstance supplémentaire que les jeux naturels de l'imagination et de l'association des idées les enrichissent plus facilement encore. Aussi est-il rare qu'un mythe n'ait qu'un sens. Et c'est ici que, très souvent, il est légitime de restituer une part accessoire aux anciennes interprétations naturalistes : l'indien Indra n'est pas l'orage personnifié, certes; il est la projection divine de la classe des guerriers; cela n'empêche pas que ses combats célestes ont été certainement assimilés aux phénomènes atmosphériques où interviennent le nuage, l'orage, la pluie. Les mythologies de l'Amérique et de l'Afrique montrent constamment, à nu, sans qu'il soit besoin d'interpréter, ces mouvements simultanés, ces harmoniques de l'imagination sur des plans divers.
3° Suivant le génie des peuples, les mythes, solidaires des rites, sont orientés vers le merveilleux ou vers le vraisemblable, supposent un monde différent du nôtre ou se présentent comme des histoires, comme de l'histoire ancienne ou même récente. Ici le récit fait intervenir des dieux, des héros fabuleux, des monstres; là simplement des personnages qu'on croit « historiques » : héros nationaux, ennemis de type humain. Dans les deux cas, pourtant, ils répondent aux mêmes besoins et méritent le même nom. Sur le domaine indo-européen, Rome, abstraction faite des influences grecques facilement décelables, représente à l'extrême ce type de mythologie à forme historique. Qu'on feuillette ce livre infiniment précieux, ce véritable traité de sociologie religieuse, sans équivalent dans l'antiquité classique, que sont les Fastes d'Ovide : chaque fête, chaque geste rituel y est justifié par un, deux, trois récits qui se présentent presque tous comme de l'histoire; ce sont pourtant des mythes, au même titre que ceux qu'on lit, malheureusement coupés de tout support rituel, dans la Théogonie d'Hésiode ou dans les « poèmes divins » de l’Edda.
4° Les mythes ne meurent pas toujours en même temps que disparaissent, sous des influences diverses, les formes de vie politique ou économique, les rites religieux qu'ils avaient d'abord contribué à maintenir. La mythologie irlandaise a ainsi survécu à la christianisation. Mais elle s'est tournée tantôt en légendes (liées à des noms historiques ou géographiques), tantôt en contes (anonymes), et si elle n'avait pas été, dès les premiers siècles de sa déchéance, consignée en lettres par des clercs heureusement attachés aux traditions, elle ne nous serait parvenue qu'éro-dée, banalisée, envahie aux trois quarts par les lieux communs du folklore international. C'est une grosse question de savoir si les thèmes des contes sont nés dans des temps très anciens de mythes dégénérés ou si, pour l'essentiel, ils représentent un genre de production imaginative qui a toujours été autonome. Mais à coup sûr cette vivace forme de littérature populaire, sous tous les climats, envahit sans délai, défigure et dévore les mythes dont une fonction sociale précise ne défend plus l'originalité. Le mythologue ne doit pas perdre de vue cette évolution; souvent, en effet, un texte lui livre un mythe déjà désaffecté mais dont la dégénérescence folklorique n'est qu'à un stade précoce.
5° Ce n'est que tardivement, littérairement, chez des peuples déjà pourvus de philologues ou bien dans les religions à dogmes impératifs, que l'on voit apparaître des corpus mythologiques, « une mythologie », où l'ensemble des mythes s'organise sans contradictions au prix de retouches et de compromis. Encore ces efforts restent-ils peu efficaces sur la religion vécue. Pourtant, et dans les milieux les plus arriérés, même en Australie, on est en droit de superposer la notion de « mythologie » à la pluralité des mythes : quelque contradictoires qu'ils soient en effet, ces derniers n'en restent pas moins solidaires; des êtres surnaturels de même groupe, de même type y apparaissent, les mêmes noms propres (de lieux, d'êtres, etc.) font la liaison d'un récit à l'autre, les mêmes institutions sociales et cosmiques, explicitement ou en filigrane orientent tous les récits; si les usagers ont confiance dans l'efficacité d'un mythe particulier, c'est, pour beaucoup, parce qu'ils sentent, parce qu'ils savent qu'il n'est pas isolé : une cohérence mouvante mais suffisante est maintenue d'autant plus facilement que, en chaque occasion, c'est un seul mythe qui a de l'importance, qui se récite avec détail, la masse de tous les autres composant en sourdine une orchestration utile mais nécessairement confuse. Ce sentiment de « choses du même genre, apparentées », suffit à constituer, au-dessus des mythes, une mythologie, un organisme dont on ne doit isoler les fragments qu'avec précaution.
IV. — Point de départ : religions des Indo-Iraniens, des Celtes et des Italiotes.
L'unité de langue, disions-nous, suppose un minimum commun de civilisation, en particulier de religion. La matière de notre étude n'est donc pas illusoire : par la confrontation des équilibres religieux attestés dans les diverses sociétés parlant des langues indo-européennes, on peut espérer reconstituer au moins des fragments de l'ancienne religion commune, de la même manière que les linguistes, par la confrontation des grammaires et des vocabulaires du sanscrit, du grec, du latin, etc., reconstituent une bonne partie de l'indo-européen commun.
Il se pourrait cependant que cette matière fût inaccessible, et l'étude impossible; il se pourrait qu'en évoluant au sein des sociétés issues par fractionnement de la société préhistorique, l'ancien équilibre eût tellement changé que les traces du passé fussent imperceptibles ou méconnaissables; une langue étant moins sujette aux révolutions, aux réformes et refontes radicales qu'une religion, il se pourrait que, tout en continuant à parler deux formes encore fraternelles de l'indo-européen, les Indiens védiques et les Latins de Rome par exemple eussent entièrement renouvelé leurs systèmes de rites et de mythes, au point de ne pas laisser de prise à la comparaison.
De fait le « minimum initial de civilisation commune » s'est partout considérablement altéré lorsque les tribus indo-européennes, se dispersant aux quatre points cardinaux, de l'Atlantique au Turkestan, de la Scandinavie à la Crète et à l'Indus, se sont superposées ou mêlées à des allogènes dont la civilisation — nous pensons au monde égéen, à l'Asie antérieure, à Mohendjo Daro — les a conquises dans le temps même où, conquérantes, elles imposaient l'essentiel de leur langue.
Nulle part donc, nous pouvons en être certains, les religions historiquement attestées ne sont issues par simple et linéaire évolution de la religion indo-européenne. Partout nous nous trouvons vraiment en présence d'équilibres nouveaux, quelques-uns constitués pour la plus grande part de matériaux non indo-européens; les faits hérités de la préhistoire commune n'y sont plus que des survivances réduites ou déformées selon les nécessités de la perspective nouvelle. Découvrir ces faits dans leurs cachettes et sous leurs déguisements, n'est-ce pas un problème insoluble et même inabordable?
Ce n'est qu'un problème difficile. Et voici la circonstance particulière qui donne un moyen de l'aborder.
Entre l'unité indo-européenne préhistorique et les histoires, séparées, des Indiens, des Perses, des Scythes, des Grecs, des Latins, des Gaulois, des Irlandais, etc., l'examen des faits linguistiques a permis d'établir qu'il y a eu, en cours de migration et parfois jusque près du point d'arrivée, des unités partielles intermédiaires : il y a eu, par exemple, jusqu'à l'extrême Est, une unité indo-iranienne; jusqu'à l'extrême Ouest, une unité plus lâche rapprochant les futurs Celtes et les futurs Italiotes. Cela est capital : ce qu'on sait par l'archéologie de l'ancienne Europe non méditerranéenne et du sud de l'actuelle Russie donne à penser que, entre l'unité indo-européenne et ces unités partielles, les peuples en migration n'ont pas rencontré de « grande civilisation », ni donc de grands systèmes religieux comme il est arrivé ensuite plus au sud; il est donc probable que « la religion indo-européenne » n'a pas été, durant cette période, complètement bouleversée. Comme d'autre part ces unités partielles sont plus récentes, relativement proches même des premiers documents « séparés », il est probable que, en dépit des bouleversements qui ont suivi, les survivances observables du dernier état commun, les souvenirs, au moins quant au vocabulaire religieux, seront encore abondants et groupés, de sorte que l'ancien équilibre se laissera peut-être entrevoir sous le nouveau. C'est en particulier ce qui s'est vérifié pour l'unité partielle indo-iranienne : la religion de l’Avesta n'est pas celle des Veda; les correspondances de vocabulaire religieux (noms d'êtres divins, d'hommes, d'objets et d'actes sacrés, formules même) y sont pourtant très nombreuses et éclatantes. Or il est évident, quelle que soit la méthode de nos études, qu'un rôle très important y sera joué par le recensement et le classement des correspondances de vocabulaire. Le fait qu'on puisse atteindre, et presque sans effort, un vocabulaire religieux indo-iranien considérable est rassurant.
Il y a mieux. Une des chances, la meilleure chance peut-être de nos études est le fait, remarqué d'abord par M. Kretschmer puis mis en pleine valeur par M. Vendryes (Mémoires de la Société de Linguistique de Paris, XX, 1918, pp. 265-285), que d'assez nombreux mots relatifs à la religion apparaissent à la fois chez les Italiotes, chez les Celtes, et dans le groupe indo-iranien, et n'apparaissent que là. Des termes mystiques comme ceux qui désignent la « foi » dans l'efficacité de l'acte sacré, la pureté rituelle et morale, l'exactitude rituelle, l'offrande au dieu et l'agrément du dieu, la protection divine, la prospérité, le mot signifiant la récitation des formules, des noms d'hommes chargés de fonctions sacrées ne se rencontrent ainsi que sur les bords opposés du vaste domaine recouvert par les langues indo-européennes. Cette singulière distribution s'explique, ainsi que l'a indiqué M. Vendryes, par une concordance non plus linguistique mais sociologique ; alors que chez les autres peuples de la famille les prêtres n'ont dans la société qu'un rôle mineur, un rôle « d'ouvriers » parmi les autres, les brahmanes indiens, les mages iraniens, les druides celtiques, le collège pontifical (flamines et pontifes) à Rome constituent autant de puissants corps sacerdotaux, dépositaires intéressés des traditions; qu'on pense au vaste effort de mémoire requis des jeunes brahmanes et des élèves druides.
Cette circonstance assure que des survivances de la plus vieille unité existent, qu'elles sont directement connaissables. Elle met le linguiste en état de signaler au sociologue des notions qui, désignées ici et là par les mêmes mots anciens, ont chance de contenir encore en partie la même ancienne matière.
V. — Le problème des cadres sociaux et religieux.
Appuyée à ce point fixe, la nouvelle mythologie comparée a fait depuis vingt ans ses premières prospections. D'abord incertaines et maladroites, elle les a rectifiées, assurées et réunies dans une synthèse déjà vaste où les vues particulières se contrôlent réciproquement et qui ne paraît pas artificielle à de bons esprits.
Les faits les plus apparents, ceux qui ont vite concentré sur eux la recherche, sont relatifs à la « Souveraineté ». Nous entendons par là l'ensemble des rites et des mythes relatifs à l'administration magique et juridique du monde et de la société, aux grands dieux célestes et aux rois leurs représentants, ainsi qu'aux ministres mythiques et aux prêtres ou magistrats terrestres qui assistent les Souverains dans leur office. Il semble en effet que les divers peuples indo-européens, du moins ceux chez qui ont survécu de grands corps sacerdotaux, aient gardé avec une fidélité particulière ce qui, dans la religion, concernait ces fonctions présidentielles et directrices (1).
Mais il ne faut pas oublier qu'une religion — et ces deux mots se sont déjà rencontrés plusieurs fois dans l'exposé qui précède — est un système, un équilibre. Elle n'est pas faite de pièces et de morceaux assemblés au hasard, avec des lacunes, des redondances et des disproportions scandaleuses. Si nous osions risquer après tant d'autres une définition, toujours extérieure, nous dirions qu'une religion est une explication générale et cohérente de l'univers soutenant et animant la vie de la société et des individus. Si donc on ne veut pas se méprendre grossièrement sur la forme, l'ampleur et la fonction propre de tel ou tel d'entre les rouages d'une religion, il est urgent de le situer avec précision par rapport à l'ensemble. Quitte à retoucher ensuite cette première image, il faut dessiner d'abord les lignes maîtresses de toute l'architecture religieuse qu'on étudie ou qu'on reconstitue. Sinon, n'importe quel dieu étant plus ou moins amené à s'occuper de toutes les provinces de la vie humaine, on risque d'attribuer essentiellement à celui, quel qu'il soit, qu'on étudiera ce qui ne lui appartient qu'accidentellement; on le centrera sur la marge de son domaine ou même au delà et l'on méconnaîtra au contraire sa destination fondamentale. Bref, contrairement à une illusion fréquente, contrairement à un précepte de fausse prudence fort révéré, les monographies ne peuvent être constituées avec quelque assurance que lorsque l’ordre d'ensemble a été reconnu. Ou, si l’on préfère une formule plus modérée, il faut pousser parallèlement, l’une corrigeant sans cesse et améliorant l'autre, l'étude du cadre et celle des détails, l'étude de l'organisme et celle des tissus.
Nous avons senti vivement cette nécessité en plus d'un point de nos études sur les dieux souverains, et aussi à la lecture d'excellents livres récemment publiés en Allemagne et en Suède sur la même question (2). Faute de situer exactement le « Souverain » parmi les rouages politiques et parmi les représentations religieuses des Indo-Européens, nous nous sommes sentis portés, et nous avons vu les autres portés à élargir indéfiniment son domaine propre, ce qui n'est certes pas entièrement illégitime puisque le dieu souverain, en dernière analyse, a regard et entrée partout, mais ce qui fausse la juste perspective puisque, à partir de certaines limites, dans certaines zones, il n'agit qu'en interférence ou en collaboration avec d'autres spécialistes divins plus immédiatement intéressés, alors que, dans sa zone centrale, il opère directement. Dans le temps même où nous traitions de Varuna comme dieu souverain, on a pu écrire ailleurs un gros traité sur les activités agraires et économiques du même personnage; et l'on n'avait pas tort; mais où est le centre propre de Varuna? Est-ce dans la souveraineté ou dans la fécondité qui, elle, ne manque pas de représentants divins qualifiés? Chez les Germains, Odhinn semble patronner à la fois les magiciens, la royauté, une partie des activités guerrières, et plusieurs auteurs ont insisté davantage sur son affinité avec l'agriculture : derechef, où est son centre. Inversement, n'importe quel dieu spécialiste, dans certaines circonstances, sort de son domaine, prend même des airs de dieu souverain : c'est ainsi que Mars bellator, s'occupe aussi des champs et du bétail au point que quelques historiens de la religion romaine font de l'élevage et de l'agriculture sa fonction primaire, tandis que d'autres, se fondant sur des faits considérables, voient en lui, en Mars Pater, le plus ancien « grand dieu » italique dont Jupiter n'aurait que tardivement usurpé quelques activités : ici encore, où est le centre.
Ces incertitudes et beaucoup d'autres analogues nous ont conduit à essayer de fixer, avant toute nouvelle enquête de détail, les cadres généraux et les grandes articulations de la religion indo-européenne. Et comme, chez les demi-civilisés, la conception du monde et celle de la société, la hiérarchie des dieux et celle des hommes sont le plus souvent parallèles, cette recherche revient à définir, à la fois et indifféremment, comment les Indo-Européens concevaient la division et l'harmonie de leur corps social et comment ils ajustaient les provinces de leurs principaux dieux.
GEORGES DUMÉZIL
Notes :
(1) Voir nos essais Ouranos-Varuna, 1934 (A. Maisonneuve); Flamen-Brahman, 1935 (Geuthner); Mitra-Varuna, essai sur deux représentations indo-européennes de la Souveraineté, 1940 (Leroux); Jupiter, Mars, Quirinus, essai sur la conception indo-européenne de la Société et sur les origines de Rome, 1941 (Editions de la N. R. F.)-
(2) H. Güntert, Der arische Weltkönig und Heiland, Halle, 1923; H. Lommel, Die alten Arier, von Art und Adel ihrer Gôtter, Frankfurt a. M., 1935; G. Widengren, Hochgottglaube im alten Iran, Upsal et Leipzig, 1938.
Sources : La Nouvelle Revue Française – 1er octobre 1941
La géopolitique des sectes
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Il y a une trentaine d'années, en publiant dans la collection de l'Institut des relations internationales et stratégiques de Paris une étude sur les aspects géopolitiques du christianisme orthodoxe [1], François Thual utilisait le cas exemplaire de l'orthodoxie pour montrer l'importance du facteur religieux comme paramètre fondamental de la géopolitique.
C'est ainsi qu'est née la « géopolitique des religions », que Thual a ensuite traitée dans d'autres essais, tant sur des sujets spécifiques que généraux [2]. Acceptant la leçon de Thual, Eurasia a donné naissance en 2014 à un numéro intitulé Géopolitique des religions [3], dans lequel les implications géopolitiques de diverses religions dans différentes régions du monde ont été examinées. Eurasia a également accordé une attention particulière à ce thème, comme en témoignent par exemple des dossiers tels que L'islamismo contro l'Islam ? [4], Luoghi santi e « Stato Islamico » [5], La guerra civile islamica [6], Geopolitica dell'Ortodossia [7], Cattolici, ortodossi, evangelici, Islam [8].
Si le facteur religieux fait partie de ceux que la géopolitique s'efforce d'identifier et de comprendre pour ses investigations, pourquoi ne pas considérer également le facteur constitué par les sectes? Eurasia a tenté de le faire en consacrant un récent « doxaire » aux Sectes de l'Occident [9], dans lequel sont examinés certains phénomènes sectaires qui, ces derniers temps, ont joui d'une certaine célébrité. Aussi limitée soit-elle, la vue d'ensemble offerte au lecteur révèle un fait d'une importance considérable, à savoir l'extraordinaire familiarité des Etats-Unis avec la réalité multiforme de l'univers sectaire. En fait, il a été souligné « que la plupart des groupes qui portent le nom de "sectes" ou de "nouveaux mouvements religieux" sont nés aux États-Unis, comme dans le cas des Témoins de Jéhovah, des Mormons, de la Science chrétienne, de la Scientologie[10] » ; que l'expansion de nombreuses sectes qui ont vu le jour en dehors des États-Unis commence souvent par le transfert de leur leader ou « maître » aux États-Unis; que les États-Unis d'Amérique eux-mêmes ont à leur origine l'action d'une secte, la puritaine ; que l'actuel président Joe R. Biden est lié par un lien ancien avec les puritains. Biden est lié par une vieille relation à la secte juive Chabad Lubavitch.
Mais les Loubavitchs, qui en 2008 soutenaient déjà Biden pour ses positions pro-sionistes [11], ne sont que l'aspect le plus pittoresque de cette « coalition informelle d'organisations et d'individus travaillant à orienter la politique étrangère américaine dans une direction pro-Israël » [12], c'est-à-dire de ce groupe de pression qui, défini par le terme anglais de lobby [13], se configure comme « le Lobby » par excellence, c'est-à-dire comme une véritable « supersecte ».
En effet, si près de soixante-dix pour cent de la judaité mondiale est concentrée aux Etats-Unis [14] et en Palestine [15], c'est aux Etats-Unis qu'elle « dispose d'un certain nombre de grandes associations qui défendent ses thèses et ses intérêts, tant auprès des gouvernements nationaux que des organisations intergouvernementales » [16]. Il s'agit d'un « déploiement impressionnant d'organisations, dont la plus puissante et la plus connue est l'AIPAC » [17] (American Israel Public Affairs Committee), dont le positionnement super partes par rapport aux partis politiques est démontré par ses conférences annuelles, auxquelles participent aussi bien des démocrates que des républicains, comme par exemple, en 2016, Hillary Clinton et Donald Trump (qui a prononcé un discours écrit par son gendre Jared Kushner, qui est lui-même un juif orthodoxe).
« La conférence annuelle de l'AIPAC », explique un journaliste américain, « a lieu à Washington chaque printemps et constitue un événement important de la saison politique (...). Le discours d'ouverture est généralement prononcé par le président des États-Unis, le vice-président ou le secrétaire d'État. (...) Comme un hommage au pouvoir du lobbying, environ la moitié des membres du Congrès participent à la conférence, y compris les whips démocrates et républicains des deux chambres. Il est évident que leurs discours reflètent leur allégeance personnelle et le soutien inconditionnel de l'Amérique à Israël. Les noms des membres du Congrès qui empruntent la passerelle sont publiés sur le site web de l'AIPAC, ce qui augmente leurs chances d'obtenir des contributions de grands donateurs juifs. Tout aussi importants, mais rarement médiatisés, sont les dîners et déjeuners régionaux de l'AIPAC dans tout le pays, événements auxquels sont invités les dirigeants politiques locaux (...). A l'issue de ces événements, les personnes invitées reçoivent comme prix des voyages tous frais payés en Israël, offerts par les Conseils communautaires juifs locaux, les Fédérations ou d'autres organisations juives. En Israël, ils sont reçus par le Premier ministre, le ministre de la Défense et le chef d'état-major de l'armée, on leur fait visiter Israël et les colonies de Cisjordanie, et enfin on les emmène au musée de l'Holocauste de Yad Vashem » [18]. Les membres du Lobby sont tous juifs.
Le Lobby comprend non seulement des Juifs, mais aussi des personnalités éminentes de l'Église évangélique et d'autres « dénominations »; en particulier, il comprend les « sionistes chrétiens », « une secte au sein du groupe plus large et politiquement orienté de la droite chrétienne (...) une sorte de "partenaire junior" des divers groupes pro-Israël de la communauté juive américaine ». La secte des sionistes chrétiens est issue du « dispensationalisme » [20], un courant théologique d'origine anglo-saxonne particulièrement répandu dans les églises évangéliques.
Avant de venir aux Etats-Unis, ce courant avait eu une certaine diffusion en Angleterre, où il a probablement contribué « à rendre le ministre anglais des Affaires étrangères Arthur Balfour particulièrement sensible à l'idée de créer un foyer pour les Juifs en Palestine »[21]. Selon la théologie « prémillénariste » de la secte, les juifs régneront sur la « terre d'Israël » pendant mille ans après que Jésus-Christ aura « enlevé » les chrétiens pour les emmener au paradis; après le millénaire, le nouveau ciel et la nouvelle terre annoncés par l'Apocalypse de Jean apparaîtront. Les « dispensationalistes », et avec eux la secte des sionistes chrétiens, sont donc certains que le prétendu « retour » [22] des Juifs en Palestine est un événement fondamental de ce processus eschatologique qui culminera avec le second avènement de Jésus; ils croient donc que les États-Unis doivent soutenir de toutes leurs forces le régime sioniste de Tel Aviv et se préparer à combattre à ses côtés dans la bataille finale d'Armageddon. La diffusion des thèses « dispensationalistes » est également due à une très heureuse activité littéraire à thème « apocalyptique », dont il suffit de mentionner quelques cas. Le premier est représenté par le théologien et animateur de télévision Harold (Hal) Lindsey (né en 1929), connu pour sa campagne en faveur d'une attaque nucléaire contre la République islamique d'Iran, « le seul choix logique possible pour Israël ». Lindsey est l'auteur de The Late, Great Planet Earth (28 millions d'exemplaires depuis 1990), dont a été tiré un film avec Orson Welles. Le second cas est celui de Timothy (Tim) LaHaye (1926-2016), conférencier spécialisé dans les prophéties bibliques et auteur d'une série de seize romans (Left Behind, Tribulation Force, Soul Harvest, Nicolae, etc.) qui se sont vendus à ce jour à plus de 60 millions d'exemplaires et ont inspiré plusieurs films.
* * *
Quel est le poids du Lobby dans les deux dernières administrations américaines?
Donald Trump, en plus de confier le poste de « conseiller principal » à son gendre Jared Kushner et à sa fille Ivanka (tous deux juifs orthodoxes), a puisé dans les rangs du Lobby au moins une vingtaine de collaborateurs, dont: Stephen Miller (conseiller politique), Steven Mnuchin (secrétaire au Trésor), David Friedman (ambassadeur en Israël), Jason Greenblatt (assistant du président et représentant spécial pour les négociations internationales), Elliot Abrams (représentant spécial pour le Venezuela, puis l'Iran), Anne Neuberger (conseillère adjointe à la sécurité nationale et responsable de la cybersécurité), Gary Cohn (conseiller économique, puis président d'IBM), Lawrence (Larry) Kudlow (directeur du Conseil économique national), etc.
Quant à l'administration actuelle, le 8 décembre 2020, Nathan Posner a annoncé triomphalement dans Atlanta Jewish Times que le gouvernement de Joe Biden serait "historiquement juif" [23]. Un mois plus tard, en fait, le Lobby a placé ses hommes (et ses femmes) dans la nouvelle administration.
Antony (Tony) John Blinken, ancien conseiller adjoint à la sécurité intérieure sous l'ère Barack Obama, a succédé à Mike Pompeo au poste de secrétaire d'État le 26 janvier. « L'histoire de sa vie se lit comme une fiction sur la haute société juive », a écrit le Washington Post, rappelant que Blinken « a eu voix au chapitre dans tous les débats sur la sécurité nationale et la politique étrangère de l'administration du président Obama » [24]. Un article du Wall Street Journal a notamment rappelé que « la grande attention portée par l'administration Obama à la Syrie était due à Blinken, dont les recommandations avaient tendance à suivre la ligne dure » [25].
Le jour même du début du mandat de Blinken, le poste de secrétaire au Trésor a été confié à Janet Louise Yellen, issue d'une famille juive de Brooklyn. Ancienne vice-présidente puis présidente de la Réserve fédérale, Yellen s'est classée en 2014 à la deuxième place de la liste des 100 femmes les plus puissantes du monde, selon Forbes [26].
La direction de la Central Intelligence Agency (CIA) a également été reprise par une israélite [27], Avril Danica Haines, anciennement directrice adjointe de la CIA de 2013 à 2015 et conseillère adjointe à la sécurité nationale (en remplacement de Blinken) de 2015 à 2017.
Le poste de secrétaire à la sécurité intérieure est revenu à Alejandro Nicholas Mayorkas, anciennement secrétaire adjoint du même département de 2013 à 2016; Mayorkas est né à La Havane de parents juifs qui ont quitté Cuba après la révolution et se sont installés à Miami.
L'économiste Jared Bernstein, collaborateur du New York Times et du Washington Post, devient le conseiller économique de M. Biden. Le fait que Bernstein, pour célébrer sa nomination au Council of Economic Advisers, ait eu recours au lexique yiddish lui a donné une importance particulière [28].
Le chef de cabinet de la Maison Blanche depuis le 20 janvier est Ronald (Ron) Alan Klain, ancien chef de cabinet de deux vice-présidents: Al Gore (1995-1999) et Joe Biden (2009-2011). M. Klain, cinquième membre du Lobby à devenir le chef de cabinet du président, a célébré sa bar-mitsva dans une synagogue d'Indianapolis affiliée au « judaïsme reconstructionniste ». En avril 2020, lors d'une conversation télévisée avec le rabbin Dennis Sasso, M. Klain a démontré son expertise en matière d'exégèse biblique en comparant l'épidémie de Covid-19 à la dixième plaie d'Égypte, lorsque « il y eut de grandes lamentations en Égypte, car il n'y avait pas une maison où il n'y avait pas un mort » [29]. Et « les Israélites (...) firent donner par les Égyptiens des objets d'argent et d'or et des vêtements. (...) Ils dépouillèrent donc les Égyptiens » [30].
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Celui qui veut retracer les origines historiques de la « supersecte » américaine, doit remonter à la naissance de la loge maçonnique initialement appelée Bundesbrüder,qui a été fondée le 13 octobre 1843 au café d'Aaron Sinsheimer à Wall Street, New York, par douze Juifs d'Allemagne. Le groupe, qui prend bientôt le nom d'Independent Order of B'nai B'rith, se propose, selon l'article 2 de sa charte, d'« unir les Juifs pour la promotion de leurs intérêts les plus élevés et le bien de l'humanité », le « peuple d'Israël » étant le médiateur nécessaire entre Dieu et l'humanité. En 1851, le B'nai B'rith comptait douze loges et un peu plus d'un millier d'affiliés ; mais, étant donné l'augmentation continue de la population juive américaine (un million en 1900, 5.200.000 en 1945), en septembre 1945, les membres de l'Ordre s'élevaient déjà à 160.000 hommes et plus de 70.000 femmes. Ayant entre-temps acquis le caractère d'une véritable organisation internationale, le B'nai B'rith peut compter sur un réseau mondial de 250.000 affiliés et se servir des activités de l'Anti-Defamation League of B'nai B'rith, qu'il a fondée en octobre 1913.
L'ADL, dont le siège est à New York et qui compte actuellement une trentaine de branches aux États-Unis, ainsi que quelques bureaux à l'étranger, ne fait pas mystère de ses activités d'espionnage. Abraham (Abe) H. Foxman [31], directeur national de l'ADL, a explicitement déclaré: « Notre mission est de surveiller et de détecter ceux qui sont antijuifs, racistes, antidémocratiques (...). Comme les organisations extrémistes sont enclines au secret, l'ADL ne peut parfois apprendre leurs activités qu'en utilisant des moyens secrets » [32]. Bien entendu, le procès intenté en 1993 contre l'ADL par douze groupes de défense des droits civils, dirigés par l'American-Arab Anti-Discrimination Committee et la National Lawyers Guild, n'a pas servi à grand-chose. (En ce qui concerne l'influence de l'ADL en Italie en particulier, il convient de rappeler qu'en août 1994, le chef du gouvernement, Silvio Berlusconi, a été contraint de présenter ses excuses à Abe Foxman pour une déclaration du ministre du travail, Clemente Mastella, qui avait insinué que la chute de la lire sur le marché international avait été provoquée par le lobby juif américain. Devenu ministre de la justice dans le gouvernement Prodi (2006-2008), Mastella a expié sa culpabilité en présentant un projet de loi visant à punir les « idées antisémites » et en finançant un programme international d'éducation sur l'Holocauste.
De retour au B'nai B'rith, il s'installe en septembre 1957 dans son nouveau siège à Washington, DC, qui est inauguré par le président Richard Nixon. « Depuis lors, les différents présidents américains, les plus hautes personnalités de l'Etat et de nombreux chefs d'Etat étrangers n'ont cessé de suivre et de soutenir l'Ordre du B'nai B'rith (...) Les campagnes présidentielles passent désormais inévitablement par les assemblées du B'nai B'rith, où les candidats, tant démocrates que républicains, viennent apporter leurs messages de soutien à Israël (accusant toujours leurs adversaires de tiédeur envers la cause sioniste) (...). En 1963 (...) l'invité d'honneur était le président John Kennedy. (...) Quelques mois plus tard, c'était le tour du nouveau président Lyndon Johnson » [33]. L'Ordre entretenait de très bonnes relations avec les sionistes.
L'Ordre a entretenu d'excellentes relations avec tous les présidents américains, exhortant chacun d'entre eux à engager les énergies du pays dans la défense du régime sioniste et de ses intérêts au Proche et au Moyen-Orient. Immédiatement après l'élection de Donald Trump, le président Gary P. Saltzman et le vice-président exécutif Daniel S. Mariaschin ont envoyé le message suivant au président nouvellement élu: « Le B'nai B'rith applaudit votre engagement déclaré en faveur de la sécurité d'Israël et votre engagement à faire tout ce qui est en votre pouvoir pour empêcher l'Iran d'obtenir une arme nucléaire. Nous reconnaissons que le leadership américain - et le partenariat crucial de l'Amérique avec son allié démocratique Israël - sont essentiels à notre objectif commun d'un Moyen-Orient pacifique et stable. Nous sommes donc grandement rassurés de savoir qu'Israël, la seule démocratie du Moyen-Orient, un pays qui a combattu le terrorisme et l'agression depuis son indépendance, aura un allié fidèle en la personne du président des Etats-Unis » [34]. Nous sommes également rassurés de savoir qu'Israël est la seule démocratie du Moyen-Orient, un pays qui a combattu le terrorisme et l'agression depuis son indépendance.
Le message envoyé par le président et le vice-président de l'Ordre au président nouvellement élu, Joe Biden, n'est pas très différent sur le fond: « Le moment est venu pour la nation de resserrer ses rangs, unie dans la guérison et unie face aux défis les plus graves. En tant qu'organisation humanitaire juive mondiale, nous nous concentrons sur les droits de l'homme, sur la sécurité et la défense d'Israël et du peuple juif, sur les questions touchant les anciens, la tolérance et la diversité. Nous nous réjouissons de travailler avec la nouvelle administration et le Congrès sur des questions cruciales pour les États-Unis et Israël. » [35].
NOTES
[1] François Thual, Géopolitique de l’Orthodoxie, Dunod, Paris 1993. Trad. it. La geopolitica dell’Ortodossia, SEB, Milano 1995. Di Thual si veda inoltre: Il mondo fatto a pezzi, Edizioni all’insegna del Veltro, Parma 2008.
[2] Géopolitique du Chiisme, Arléa, Paris 1995; Géopolitique du Bouddhisme, Éditions des Syrtes, Genève 2002; Géopolitique des religions. Le Dieu fragmenté, Ellipses, Paris 2004.
[3] “Eurasia”, a. XI, n. 3.
[4] “Eurasia”, a. IX, n. 4.
[5] “Eurasia”, a. XI, n. 4.
[6] “Eurasia”, a. XII, n. 3.
[7] “Eurasia”, a. XIII, n. 3.
[8] “Eurasia”, a. XVI, n. 1.
[9] “Eurasia”, a. XVIII, n. 2.
[10] Massimo Introvigne, Le sètte cristiane. Dai Testimoni di Geova al Reverendo Moon, Oscar Mondadori, Milano 1990, p. 19.
[11] David Margules, président du Chabad Lubavitch au Delaware, a déclaré à proposdeBiden : “He has developed the reputation for being a strong supporter of Israel”.
[12] John J. Mearsheimer – Stephen M. Walt, La Israel lobby e la politica estera americana, Mondadori, Milano 2007, p. 14.
[13] Dulatin tardif laubia, qui est à l’origine du terme italien loggia.
[14] D’après une étude publiée par la démographe Ira Sheskin et parle sociologue Arnold Dashefsky en 2015 la population juive aux Etats-Unis serait de 6.829.930 individus.
[15] D’après les données fournies par la ‘’Berman Jewish Data Bank’’, en 2018 la population juive de l’Etat totalisait 6.960.000 individus.
[16] Jean Meynaud, Les groupes de pression internationaux, Études de Science politique, Lausanne 1961, pp. 95.
[17] John Mearsheimer – Stephen Walt, La lobby israeliana e la politica estera degli Stati Uniti, in: AA. VV., Lobby israeliana e politica statunitense, Effepi, Genova 2007, p. 18.
[18] Jeffrey Blankfort, L’influenza di Israele e della sua lobby in America sulla politica americana in Medio Oriente, in AA. VV., Lobby israeliana e politica statunitense, cit., pp. 68-69.
[19] John J. Mearsheimer – Stephen M. Walt, La Israel lobby e la politica estera americana, cit., pp. 164-165. Cfr. Marco Zenesini, Ritorni: il sionismo cristiano, “Eurasia”, 2/2021, pp. 123-127.
[20] Ce nom dérive du terme anglais dispensation, qui, dans la version autorisée de la Bible du Roi Jacques traduit le terme οἰϰονομία, “administration’’. L’apôtre, en fait, ‘’administre’’ l’annonce faite dans l’Evangile et ‘’dispense’’ la Grâce.
[21] John J. Mearsheimer – Stephen M. Walt, La Israel lobby e la politica estera americana, cit., p. 165.
[22] Il est difficile, sinon impossible, de soutenir que lers Juifsactuels, auxquels les thèses sionistes attribuebt un ‘’droit au retour’’en Palestine, descendent desHébreuxdes douze tribus, parce qu’à l’ethnogénèse juive d’autres éléments ethniques de provenances très diverses ont contribués, car acquises via le prosélytisme. Sur ce thème, je renvoie à mon essai Chi sono gli antenati degli Ebrei?, “Eurasia” 2/2009, republié sous le titre de Gli Ebrei sono semiti? en appendice à: Goffredo Coppola, Trenta danari, Edizioni all’insegna del Veltro, Parma 2020.
[23] Nathan Posner, Biden’s Jewish Leadership, atlantajewishtimes.timesofisrael.com
[24] Alison Weir, L’ex vice consigliere per la sicurezza nazionale Tony Blinken rivela come Obama e Biden hanno contribuito al massacro israeliano di Gaza nel 2014, bocchescucite.org, 4 luglio 2020.
[25] Ibidem.
[26] Ecco le donne più potenti del mondo secondo Forbes, www.liberoquotidiano.it, 29 maggio 2014.
Claudio Mutti
Ex : https://www.eurasia-rivista.com/
Dante Alighieri: une nouvelle victime de la cancel culture
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- Catégorie : Littérature
Le 21 mai 1265, Dante Alighieri naquit en Italie, mais en Occident, cette date n'est plus célébrée.
Aujourd'hui, ce serait tout simplement dangereux de la célébrer. Comment cela se fait-il, me direz-vous? Dante est le symbole de la poésie occidentale, un classique mondialement connu. C'est vrai. Mais ce génie médiéval italien n'a pas non plus été épargné par la guillotine du politiquement correct.
Lorsque la Divine Comédie est tombée entre les mains de défenseurs des droits de l'homme, de libéraux et de mondialistes enragés, ils ont jugé l'œuvre de Dante ‘’politiquement incorrecte’’. Et c'est tout. Pas de Dante. Il est devenu une autre victime de la nouvelle culture politique. Désormais, ses œuvres ne peuvent être imprimées qu'avec des coupures et avec la mention que leur contenu est non politiquement correct.
Techniquement, Dante a fait placer le fondateur de l'Islam dans une partie pas très agréable de l'espace sacré. Et les libéraux, qui ne se soucient généralement pas de l'Islam, ni d'aucune religion traditionnelle d'ailleurs, ont soudainement décidé qu'une telle lecture pourrait avoir un effet négatif sur le psychisme des migrants originaires de pays islamiques. Et qu'ils doivent en être protégés afin de ne pas provoquer des accès d'agressivité imprévisibles.
Cela semble absurde, mais dans notre monde, presque tout semble absurde. Il est temps de s'y habituer.
Ici, tous les protagonistes de cette censure sont dans la position de l’idiot complet :
- Les censeurs eux-mêmes (tout d'abord, on peut imaginer le vieux Soros accompagné de la petite Greta Thunberg feuilletantLa Divine Comédie, soulignant les endroits suspects) ;
- et les Européens, qui doivent maintenant se repentir non seulement du colonialisme et du meurtre du junkie Floyd, mais aussi de Dante ;
- et les musulmans eux-mêmes, qui semblent si faibles d'esprit qu'ils sont incapables d'apprécier la distance qui sépare le Moyen Âge chrétien de l'Europe moderne, et prennent tout au pied de la lettre et réagissent immédiatement de manière brutale - comme des maniaques incontrôlables.
Mais il est clair que la localisation de Mahomet dans l’œuvre de Dante n'est qu'une excuse. Dante est l'encyclopédie du Moyen Âge européen, le grand monument de la théologie, de la philosophie, de la poésie, de la culture. Dante est l'apogée de l'esprit chrétien de l'Europe occidentale du moyen-âge, le chantre solennel de l'Empire, de la religion et de l'amour chevaleresque. De nombreuses générations d'Européens se sont inspirées de Dante pour former leur personnalité. Selon les modèles posés par Dante, les héros de l’Europe ont construit leur destin et leur vie.Fideli d'amore - Fidèles d'Amour. Dante a exprimé les idéaux de cette société courtisane chevaleresque de l'élite aristocratique chrétienne.
C'est pour cela que Dante est exécuté aujourd'hui. Il est le porteur d'une autre Europe - une Europe de l'esprit et de l'idée, de la foi et de l'honneur, du service et du grand Amour. Les gouvernants modernes de l'Europe détestent tout cela farouchement. C'est pourquoi ils interdisent Dante, le retirent des programmes d'enseignement, l'accusent de manquer de tolérance et le soumettent à la honte.
L'Europe détruit ses fondations, érode ses piédestaux, jette hors de leurs tombes les reliques impérissables des génies.
Nous ne devons en aucun cas nous engager dans cette voie. Il s'agit de protéger non seulement nos génies russes, mais aussi les grands penseurs, artistes et poètes d'Europe. La Russie n'a jamais été un pays européen, mais nous avons toujours été capables d'apprécier la grandeur européenne - la pensée, l'art et le génie. Même si les Européens ne nous comprenaient pas, nous les comprenions. Et nous avons respecté ce qui était admirable chez eux. Aujourd'hui, alors que les Européens jettent le grand Dante à la poubelle de leur civilisation effondrée, il est grand temps de l'élever et de l’inscrire sur notre bannière.
Dante est à nous. Nous le connaissons, l'honorons, le lisons, l'enseignons et le comprenons. Sans le vouloir, la Russie se retrouve dans le rôle de gardien et de protecteur des valeurs européennes, mais des valeurs, et non des résultats de la décadence européenne, de la décadence et de la dégénérescence. Le libéralisme et la mondialisation ne sont pas encore le lot de toute l'Europe. De plus, c'est l'Anti-Europe. Par conséquent, en les adoptant, l’Europe renonce à ses racines. Nous n'abandonnons pas les nôtres. Et les génies européens sont proches de nous.
L'amor che move il sole e l'altre stelle
Nous devons être des Fidèles d'Amour.
Et si l'Amour s'épuise, qu'est-ce qui fera bouger le soleil et les étoiles ?
Alexandre Douguine
Ex : https://katehon.com/ru/article/dante-aligeri-novaya-zhert...
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