Bernard Sergent, Les trois fonctions indo-européennes en Grèce ancienne. Tome 1: De Mycènes aux Tragiques :
les termes pour désigner le porc domestique nous apprennent beaucoup de choses sur notre lointaine antiquité. Dans la langue italienne, il y a trois substantifs pour désigner l’animal: «maiale», «porco» et «suino» (en français: suidé ; en néerlandais: zwijn; en allemand: Schwein et Sau). Le dernier de ces termes, en italien et en français, sert à désigner la sous famille dans la classification des zoologues. L’étymologie du premier de ces termes nous ramène à la déesse romaine Maia, à qui l’on sacrifiait généralement des cochons. L’étymologie du second de ces termes est clairement d’une origine indo-européenne commune: elle dérive de *porko(s) et désigne l’animal domestiqué (et encore jeune) en opposition à l’espèce demeurée sauvage et forestière; on retrouve les dérivées de cette racine dans le vieil irlandais orc, dans le vieil haut allemand farah (d’où le néerlandais varken et l’allemand Ferkel), dans le lituanien parsas et le vieux slavon prase, dans le latin porcus et l’ombrien purka (qui est du genre féminin). Ces dérivées se retrouvent également dans l’aire iranienne, avec *parsa en avestique, terme reconstitué par Emile Benveniste, avec purs en kurde et pasa en khotanais.
Quant au troisième terme, «suino», il provient de l’indo-européen commun *sus, dont la signification est plus vaste. La plage sémantique de ce terme englobe l’animal adulte mais aussi la truie ou la laie et le sanglier. Les dérivés de *sus abondent dans les langues indo-européennes: en latin, on les retrouve sous deux formes, sus et suinus; en gaulois, nous avons hwch ; en vieil haut allemand sus, en gothique swein (d’où l’allemand Schwein), en letton suvens, en vieux slavon svinu, en tokharien B suwo, en ombrien si, en grec hys, en albanais thi, en avestique hu et en sanskrit su(karas). Dans la langue vieille-norroise, Syr est un attribut de la déesse Freya et signifie «truie».
Comme l’a rappelé Adriano Romualdi, «le porc est un élément typique de la culture primitive des Indo-Européens et est lié à de très anciens rites, comme le suovetaurilium romain, ainsi que l’attestent des sites bien visibles encore aujourd’hui». Les Grecs aussi sacrifiaient le cochon, notamment dans le cadre des mystères d’Eleusis.
Chez les Celtes et aussi chez les Germains (notamment les Lombards), nous retrouvons la trace de ces sacrifices de suidés. Le porc domestique est de fait l’animal le plus typique de la première culture agro-pastorale des pays nordiques. Parmi d’autres auteurs, Walther Darré nous explique que cet animal avait une valeur sacrée chez les peuples indo-européens de la préhistoire et de la protohistoire: «ce n’est pas un hasard si la race nordique considérait comme sacré l’animal typique des sédentaires des forêts de caducifoliés de la zone froide tempérée (…) et ce n’est pas un hasard non plus si lors des confrontations entre Indo-Européens et peuples sémitiques du bassin oriental de la Méditerranée, la présence du porc a donné lieu à des querelles acerbes; le porc, en effet, est l’antipode animal des climats désertiques». Il nous paraît dès lors naturel que les patriciens des tribus indo-européennes, lors des cérémonies matrimoniales, continuaient à souligner les éléments agraires de leur culture, en sacrifiant un porc, qui devait être tué à l’aide d’une hache de pierre».
Nous avons donc affaire à un sens du sacré différent chez les Indo-Européens et chez les Sémites, qui considèrent les suidés comme impurs mais qui, rappelle Frazer, ne peuvent pas le tuer; «à l’origine, explique-t-il, les juifs vénéraient plutôt le porc qu’ils ne l’abhorraient. Cette explication de Frazer se confirme par le fait qu’à la fin des temps d’Isaïe, les juifs se réunissaient secrètement dans des jardins pour manger de la viande de suidés et de rongeurs selon les prescriptions d’un rite religieux. Ce type de rite est assurément très ancien. En somme, conclut Romualdi, «la familiarité de la présence de porcins est un des nombreux éléments qui nous obligent à voir les Indo-européens des origines comme un peuple des forêts du Nord».
Dans sa signification symbolique, le porc est associé à la fertilité et son sacrifice est lié à la vénération due aux dieux et à la conclusion des pactes et traités. Avec la prédominance du christianisme dans l’Europe postérieure à l’antiquité classique, le porc a progressivement hérité de significations que lui attribuaient les peuples sémitiques, notamment on a finit par faire de lui le symbole de l’impudicité, des passions charnelles, de la luxure, avant de l’assimiler au diable. Dans la Bible, en effet, le «gardien de cochons», image de l’Indo-Européen agropastoral des premiers temps, est une figure méprisée et déshonorante, comme le fils prodigue de la parabole, réduit à garder les porcs d’un étranger.
Alberto Lombardo
Sources : article paru dans «La Padania», 30 juillet 2000; traduction française: Robert Steuckers, décembre 2009.
Chacun entend assez qu'il est fort louable à un Prince de maintenir la foi et vivre en intégrité non pas avec ruse et tromperie. Néanmoins on voit par expérience de notre temps, que ces Princes se sont faits grands qui n'ont pas tenu grand compte de leur foi, et qu'ils ont su subtilement aveugler l'esprit des hommes lesquels à la fin ils ont gagné et surpassé ceux qui se sont fondés sur la loyauté.
Il faut donc savoir qu'il y a deux manières de combattre, l'une par les lois, l'autre par les armes : cette première sorte est humaine, la seconde est bestiale, mais d'autant que la première bien souvent ne suffit pas, il faut recourir à la seconde : parce qu'il est nécessaire aux Princes de savoir bien pratiquer la bête et l'homme. Cette règle fut enseignée aux Princes ouvertement par les anciens auteurs, qui écrivent comme Achille et, plusieurs autres fils de grands seigneurs du temps passé furent donnés à nourrir à Chiron Centaure pour les instruire en sa bonne doctrine. Ce qui ne signifie autre chose sinon qu'ils ont eu pour gouverneur une demi-bête et un demi-homme et qu'il faut qu'un Prince sache user l'une et l'autre nature et que l'une sans l'autre n'est pas durable. Puis donc qu'un Prince doit user de nature bestiale il en doit choisir le renard et le lion, car le lion ne se peut défendre des rats, le renard des loups : il faut donc être renard pour connaitre les filets et lion pour faire peur aux loups : car ceux qui simplement veulent faire les lions, ils n'y entendent rien. Pourtant le sage Seigneur ne peut garder sa foi si cette observance lui tourne à rebours et que les causes qui l'en induisent à promettre soient éteintes. D'autant que si les hommes étaient tous gens de bien mon précepte serait nul, mais pour ce qu'il y en a de méchants, qu'ils ne te le garderont pas, tu ne leur dois pas aussi tenir. Sur quoi jamais tu n'auras faute d'excuses suffisantes pour colorer cela que tu ne leur a pas tenu et sans pouvoir alléguer infinis exemples du temps présent, montrant combien de paix, combien de promesses ont été faites en vain, et mises à néant par l'infidélité des Princes, et qu'à celui qui a mieux su faire le renard il lui est mieux pris. Mais il est besoin de savoir bien cacher et couvrir cette nature, bien feindre et déguiser : car les hommes sont tant simples et obéissent si bien à la nécessité et aux affaires présentes, que celui qui veut abuser trouvera toujours quelqu'un qui se laissera tromper.
Je ne veux pas d'entre les exemples nouveaux en laisser passer un. Alexandre VI ne fit jamais rien que piper le monde et jamais ne pensa d'autres choses, trouvant sujet propre à ce faire, oncques homme n'eut plus grande efficacité pour assurer quelque cas, et qui affirmait avec plus grands serments mais qui moins l'observât : toutefois ces trôuffes lui vinrent toujours à souhait, d'autant qu'il entendait le point. Il n'est donc pas nécessaire à un Prince d'avoir toutes ces qualités dessus nommées, mais il faut bien qu'il fasse montre les avoir : encore osera-t-il bien dire cela que s'il les a, et s'il les observe toujours elles lui porteront dommage : mais faisant beau semblant les avoir, alors elles sont profitables, comme de sembler être pitoyable, fidèle, humain, vertueux et de l'être aussi, mais arrêter son esprit à cela que s'il le faut être, on le soit, et qu'on sache bien aussi user du contraire.
Faut aussi noter qu'un Prince même quand il est nouveau il ne peut bonnement garder toutes ces conditions par lesquelles on est estimé homme de bien : parce qu'il est souvent contraint pour maintenir les États de se gouverner autrement. Pourtant il faut qu'il ait l'entendement prêt à tourner selon que le vent et changement de fortune lui commandera (et comme j'ai déjà dit) faire toujours bien s'il peut, et entrer au mal par contrainte. Il doit aussi soigneusement prendre garde qu'il ne lui sorte de la bouche propos qui ne soient pleins des cinq qualités que j'ai dessus nommées, et qu'il ne semble à l'ouïr parler et voir autre chose que toute miséricorde, toute fidélité, toute bonté, toute débonnaireté : desquelles la plus nécessaire est la religion. Car les hommes jugent plutôt aux yeux qu'aux mains : d'autant que chacun peut voir facilement, mais connaître, bien peu : tout le monde voit bien ce que tu sembles par dehors, mais bien peu savent ce qu'il y a de' dedans, et ce peu-là n'osent contredire à l'opinion de plusieurs, qui ont de leur côté la majesté du royaume qui les soutient. Pour ce qu'aux actions et de tous les hommes et spécialement des Princes (desquels on ne peut appeler à autre juge) on regarde volontiers quelle a été l'issue. qu'un Prince donc se propose pour son but de vivre et maintenir ses états, les moyens seront toujours estimez honorables et louez de chacun. Pour ce que le vulgaire ne juge que de ce qu'il voit et de ce qui advient : or en ce monde il n'y a que le vulgaire : car le petit nombre a lieu quand le plus grand nombre n'a pas sur quoi s'appuyer et soutenir. Un Prince de notre temps, lequel n'est besoin de nommer, ne chante d'autre chose que de paix et de foi, lesquelles s'il eut bien gardées il eut souvent perdu les états et la réputation. (…)
(…) Mais touchant les qualités desquelles j'ai ci-dessus fait mention, parce que je n'ai parlé que des plus apparentes, je veux bien discourir aussi les autres brièvement, sous cette généralité : que le Prince doit penser (comme j'ai par devant dit) en partie de fuir les choses qui le font tomber en haine ou en mépris. Et tous et quantes fois qu'il ne faillira point en cet endroit il aura bien besogné et ne se trouvera en danger des autres infamies. Sur toutes choses ce qui le fait le plus haïr c'est de piller le biens et prendre à force les femmes de ses sujets : de quoi il doit s'abstenir. Car quand on n'ôte point aux hommes en général ni biens, ni honneurs ils vivent contents et n'y a plus à faire qu'à combattre l'ambition de peu de gens, laquelle facilement en plusieurs sortes on peut abattre. Mais d'être estimé variable, léger, efféminé, de peu de courage et sans résolution, le fait dépriser : c'est ce qu’un Prince doit fuir comme un écueil en mer, et s'efforcer qu'en ces faits on y reconnaisse une certaine grandeur, magnanimité, gravité, force : et envers les plus gros qui n'auront point de sujets vouloir sa sentence être irrévocable et se maintenir en telle opinion que personne ne pense le tromper ni abuser.
Le Prince qui donnera cette estime de sa personne, s'acquerra grande réputation, et contre celui qui est en telle réputation on ne se bande pas facilement, et ne l'assaut-on pas de léger, pour le moins si on connaît qu'il soit excellent et redouté des siens. Car un Prince doit avoir peur de deux côtés, l'un au dedans à cause de ses sujets, l'autre dehors, à raison des potentats étranges, desquels il se défendra par force d'armes et de ses bons amis — et s'il est puissant en armes il aura toujours bons amis — et les affaires des sujets seront assurées si celles des étrangers le sont, si d'aventure ils n'étaient troublés par quelque trahison : et quand bien les étrangers se voudraient remuer, s'il a ordonné son cas et vécu comme j'ai dit, il soutiendra toujours (s'il ne s'abandonne lui-même) tout le heurt et alarme, comme l'on raconte que fit Nabide de Sparte. Mais quant à ses sujets, si les affaires de dehors ne se remuent, il doit craindre qu'ils ne conjurent secrètement, de quoi un Prince s'assurera, s'il ne se fait point haïr ni mépriser et si le peuple se tient content de lui : tellement qu'il est force qu'il en advienne comme j'ai déduit une fois plus amplement. Or un des plus certains remèdes qu'ait le Prince contre les conjurations, c'est de n'être point haï, ni méprisé du populaire : parce que volontiers celui qui brasse la conspiration estime qu'il contentera le peuple par la mort du Prince : mais s'il pensait l'offenser il n'aurait pas le courage de l'entreprendre.
MACHIAVEL - Le Prince - Éd. HELLEU et SERGENT.
Après les eaux, la forêt est le grand repaire ou refuge des génies du terroir. C'est un lieu hanté, un espace excentrique plein de violence, un lieu d'exclusion, un refuge des bannis et des proscrits ainsi que des croyances païennes, un lieu de merveilles et de périls, un espace marginal, sauvage, redoutable, et aussi un foyer de la mémoire paysanne. C'est là que, bien souvent, se rencontrent ces fontaines et ces sources dont nous avons fait connaissance : la fée Ninienne, ou Viviane, aime se tenir au bord d'une fontaine de la forêt de Briosques, et Mélusine et ses sœurs près de celle de la forêt de Coulombiers... Là court le sanglier mythique, li blans pors, que chassent les chevaliers du roi Arthur, là passent la Mesnie Hellequin et la cohorte de Diane et Hérodiade.
Siège de phénomènes étranges qui sont autant de théophanies, la forêt est omniprésente dans les littératures médiévales, Le grand Lancelot en prose cite des forêts qui portent des noms évocateurs : Forest Aventureuse, Estrange, Perdue, Périlleuse, Desvoiable (impraticable) et Malaventurose. Tous les textes soulignent son caractère inquiétant par des adjectifs qui sont toujours les mêmes : os cure, sostaine, ténébreuse, estrange, salvage. En outre, la forêt est presque toujours longue et large (longue, lee) et elle est très ancienne (des tens ancienor). Le roman de Claris et Laris dit de l’une d'elles :
Trop est la forest fiere et grande 3292
et plaine de trop grant merveille [...]
les fées i ont lor estage 3317
en un des biaus lieus du boscage...
De Brocéliande, le poète anglo-normand Wace écrit dans le Roman de Rou (v. 6387 sqq.) :
La seut l'en les fées veeir,
se li Breton nos dient veir,
et altres mer(e)veilles plusors.
Bref, la forêt est un véritable conservatoire du paganisme, et c'est pour cette raison que s'y ébattent mille créatures surnaturelles qui s'y sont réfugiées, après avoir été chassées de leur territoire par l'avancée des hommes. En outre, dans toute l'aire allemande, elle s'étend souvent sur des contreforts montagneux, allie donc le caractère mythique de ces deux lieux.
Le problème majeur que rencontre le chercheur est le suivant : dans quelle mesure les nains, géants, dragons et hommes sauvages qu'on y trouve sont-ils la vision romanesque d'anciens génies du terroir ? Pour répondre à cette question, il faut s'appuyer sur les constantes dégagées à partir d'autres sites : personnage veillant jalousement sur sa terre et interdisant qu'on y pénètre ou qu'on y tue du gibier, individu (monstrueux ou non, ou encore remplacé par un monstre) imposant un tribut aux hommes ses voisins, paganisme marqué...
Dans un récit du XIIIe siècle, Virginal, dont nous possédons plusieurs rédactions, la dame qui porte ce nom règne sur un peuple de nains, dans les montagnes boisées du Tyrol, et possède un terrible voisin. Orkîse, qui exige d'elle une jeune fille comme tribut annuel. Qui est ce personnage dont le nom indique clairement qu'il est tenu pour un ogre (orco) ? Sans doute l'avatar littéraire ou légendaire du génie de ces forêts. Je signale que, dans une légende berrichonne, il est dit que les jeunes filles d'Ennordes tiraient au sort, chaque année, pour savoir laquelle irait trouver un monstre qui l'attendait au milieu de la forêt... Plutôt que de me livrer à un jeu de devinettes avec tous les risques que cela comporte, je préfère me tourner vers trois personnages qui entretiennent des rapports particuliers avec la sylve : Merlin, Auberon et Zephir.
Fils d'un démon incube, diable angélisé, protecteur de la chevalerie, Merlin est un personnage complexe et syncrétique dans lequel demeurent encore bien des zones d'ombre malgré les nombreuses études qui lui ont été consacrées. De son géniteur il tient ses dons d'ubiquité, de métamorphose, de connaissance du passé, mais de Dieu, son don de prédiction. Selon le Perlesvaus, lorsqu'il mourut il fut impossible de l'inhumer dans une chapelle et son cercueil est vide, car lorsqu’on l'y eut placé, le corps disparut, en porté de par Dieu, o par l’anemi. A sa naissance, il est couvert de poils, et une fois qu'il a grandi, il est grand, fort, maigre, brun, velu. Geoffroy de Monmouth nous le montre, pris de démence, vivant comme un homme sauvage (Vita Merlini, v. 1-112) et retournant dans les forêts dès qu'on l’en arrache. Il nous le présente parcourant la forêt à cheval sur un cerf (ibid., v. 451 sqq.) et menant un troupeau de cerfs, de daims et de chèvres sauvages, car il sait se faire obéir des animaux, comme le vilain de l’Yvain de Chrétien de Troyes. Dans le Merlin-Vulgate (1) il est appelé « homme sauvage » et se donne ce nom à lui-même. Il prend aussi parfois l'apparence d'un cerf blanc. Dans le Livre d'Artus (2), il apparaît comme le maître de la fontaine aux tempêtes et il s'abrite dans un chêne creux, et il déclare : « Je veux que tu saches que ma coutume est telle que j'aime à demeurer dans les bois de par la nature de celui qui m'a engendré. » Geoffroy de Monmouth nous dit que lorsque le roi Aurèle envoie chercher Merlin, on le trouve dans un coin de forêt mystérieux, près de la fontaine de Galabes, au pays des Gewisséens. Le Merlin de Robert de Boron (3) souligne aussi le lien étroit qui l'unit à la forêt : Je voil que vos sachiez qu'il me covient par fine force de nature estre par foies eschis [à l'écart] de la gent (p. 149).
Retenons bien les traits qui permettent de voir que le Merlin romanesque remonte sans doute à un génie de la forêt, aspect que les rédacteurs ont largement occulté en faisant du devin le fils d'un incube, histoire d'expliquer ses pouvoirs. Merlin est le maître des animaux, il peut prendre à volonté la forme qui lui plaît. Or nous savons que c'est le propre des génies qui ne prennent forme que pour se montrer aux hommes. Il commande aux éléments, et il y a surtout ce motif récurrent : il ne peut longtemps s'éloigner de ce que nous devons considérer comme son élément naturel. Ce détail n'est pas sans rappeler les légendes mélusiniennes où les fées, qui épousent des mortels, sont contraintes de s'isoler pour se baigner une fois par semaine, parfois sous la forme d'un serpent qui est celle habituelle des génies des eaux.
Par le biais de la croyance aux incubes qui jouit d'une large diffusion à partir du XIIe siècle, le personnage de Merlin est intégré à l’univers humain et au monde romanesque, et les seuls indices qui le rattachent encore à son origine réelle sont ceux cités précédemment. Edmond Faral signale un poème du XIIIe siècle, le Dit de Merlin Merlot, qui présente Merlin comme une sorte de génie des bois, et il ajoute : « Le personnage du sylvain qu'il met en scène, si différent du type que peignent les romans français du cycle arthurien, répondait peut-être à quelques superstitions anciennes, indépendantes des traditions proprement bretonnes (4).» L'intuition de Faral est remarquable car il ne disposait pas encore des études réalisées depuis qui montrent que deux personnages différents se sont fondus pour donner la figure romanesque que tout le monde connaît.
Si nous nous tournons vers Auberon, qui surgit dans Huon de Bordeaux (5) (vers 1220), les déductions faites à propos de Merlin se confirment car nous retrouvons un certain nombre d'éléments communs. Auberon, présenté comme un nain car sa petite taille est due à la malédiction d'une fée à sa naissance, habite « [...] une forêt très vaste et très redoutable [...]. Nul ne peut, une fois entré dans ce bois, lui échapper, si jamais il lui adresse la parole, et dès qu'il aura passé un instant auprès de lui, il ne pourra plus le quitter de toute sa vie », ce qui équivaut à un emprisonnement dans l'autre monde.
Auberon possède de grands pouvoirs : quand il est furieux, il fait pleuvoir et venter, briser les arbres enfin. C'est le maître des prestiges et il est capable de faire apparaître une rivière large. En outre, comme tout bon être féerique, il est en possession d'objets magiques et se rend en un clin d'œil là où il le désire.
Il est présenté comme un chrétien, mais un détail montre qu'il appartient en fait à un autrefois préchrétien : il est né avant le Christ lui-même. Il connaît aussi le passé et n'ignore rien de la vie du jeune Huon. Si les pouvoirs de Merlin sont attribués à sa conception particulière, ceux d'Auberon le sont à des fées, nous restons dans le même registre, mais dans le premier cas il est diabolique, dans le second, simplement merveilleux.
Dernier détail d'importance pour notre enquête, c'est le maître des animaux : « Tous les oiseaux, bêtes ou sangliers, si farouches et si sauvages qu'ils soient, viennent à moi de bon gré dès que je leur fais signe de la main. » En étudiant naguère les strates qui se superposent dans ce personnage, j'ai montré, avec quelque vraisemblance je crois, qu'Auberon n'était pas un nain mais un elfe, mais cela n'exclut pas son caractère de génie sylvestre car, au Moyen Age, toutes ces créatures sont confondues les unes avec les autres, et leurs attributs et leur nature se mêlent pour les besoins romanesques (6). Dans Huon de Bordeaux, le génie est interprété et présenté in bonam partem et devient en quelque sorte l’ange gardien de Huon, mais ses facultés surnaturelles, qui se manifestent essentiellement dans la forêt, je le souligne, sont celles du génie du lieu.
Avec le Roman de Perceforest, c'est un autre personnage extraordinaire qui surgit, Zephir, présenté comme un lutin malicieux et farceur. Alors qu'Estonné chevauche dans la Selve Carbonnière, son cheval s'arrête soudain et le démon qui est en lui, Zephir, se présente comme un ange déchu. C'est un démon assez haut placé dans la hiérarchie des esprits, il a le don de se métamorphoser à volonté, ce qu'il fait pour, dit-il, cacher sa laideur :
Et pour ce me convient il transmuer en autre forme pour couvrir ma laideur, quant je veuil estre familier a une personne (II, 97v°).
Il prend donc en général l'aspect d'un vieillard vêtu d'une cape de bure, ce qui rappelle les « génies encapuchonnés » (genii cucullati). Il possède un corps dont la substance semble être l'air, le souffle auquel renvoie son nom : Tu n'as néant plus pouvoir de toy vengier sur moy, déclare-t-il à Estonné, que tu auroiez ci ung fort vent s'il te hurtoit a ung fossé (II, 96v°). De plus, il se transporte à son gré là où il le souhaite. Il rend de grands services à son protégé et à d'autres chevaliers et, lorsque les Romains veulent envahir la Grande Bretagne, il les tourmente et les empêche de débarquer, acte qui le rapproche très exactement d'un genius loci, d'un landvaettr.
Chez les trois personnages dont nous venons de faire connaissance, les points communs et les différences sont révélateurs. Tous trois ont une origine surnaturelle, diabolique ou féerique ; tous aiment le séjour des forêts et viennent en aide aux élus de leur choix ; tous disposent de pouvoirs merveilleux, mais c'est chez Merlin, « le salvage », que les traits anciens, voire païens, sont les mieux conservés, A partir des informations recueillies, on peut tenter de dresser une typologie du génie de la forêt, tel qu'il apparaît dans les romans :
1. C'est un marginal qui ne reste jamais bien longtemps dans le monde des hommes.
2. Il existait bien avant le christianisme, mais il est réintégré dans l'univers médiéval chrétien par le biais de légendes religieuses - mythe des anges déchus -, de croyances savantes et cléricales - pouvoir générateur des incubes -, en l'existence des fées - origine d'Auberon, fils de Jules César et de la fée Morgue selon certains textes.
3. Les actes bénéfiques de ces personnages contredisent leur origine et sont le reflet de leur intégration au monde courtois, de leur mise en conformité avec la civilisation d'une époque. On peut aussi y voir, dans le cas de Merlin et de Zephir, une sorte de rachat de leur tare originelle.
4. Le génie de la forêt est en même temps le maître des animaux et il a pouvoir sur le temps qu'il fait.
5. Il est aussi bien zoomorphe qu'anthropomorphe.
Bref, s'il est apprivoisé, il reste néanmoins une créature ambiguë, inquiétante, qui conserve un soupçon de diablerie : Zephir adore jouer des tours, Merlin aime mystifier ceux qu'il sert, Auberon est prompt à s'encolérer et se laisserait aller au pire quand on le contrarie, s'il ne se trouvait quelqu'un de ses vassaux pour le tempérer. Au-delà de leur transformation littéraire, parallèle du reste à celle des fées, ces personnages témoignent de la persistance des croyances anciennes, même si les romans ont tendance à faire de l’un ou l'autre d'entre eux une sorte de deus ex machina ou un élément burlesque.
Claude Lecouteux
Notes :
Sources : Démons et génies du terroir au Moyen Age - Ed. IMAGO, 1995.
Le 19 juillet 711, à l'issue d'une bataille de sept jours, les troupes du roi wisigoth Roderic (Rodrigue) sont défaites, sur le Rio Guadalete, par les Maures arrivés du Maghreb sous le commandement du Berbère Tariq (qui a laissé son nom au Djebel Tariq-Gibraltar).
Pendant deux siècles le royaume wisigothique s'était avéré le plus brillant des Etats germaniques nés sur les ruines de l'empire romain, dont il avait repris intelligemment à son compte et intégré l'héritage culturel. Mais, au début du VIIIe siècle, ce royaume était fragilisé par une crise profonde. La famine et des épidémies de peste sapaient le moral des populations, tandis que les luttes entre clans nobiliaires rivaux créaient une dangereuse instabilité politique. Le roi Witiza avait voulu, au cours de son règne, apaiser les tensions en indemnisant les aristocrates victimes, au cours du règne précédent, de l'exil ou de la confiscation de leurs biens. Mais à sa mort ses frères, voyant le Senatus (assemblée des plus grands personnages laïcs et ecclésiastiques du royaume) désigner comme nouveau roi le duc de la Bétique, Rodrigue, firent reconnaître comme souverain, par l’aristocratie du nord-est de la Péninsule, leur neveu Agila. L'un des chefs du parti qui soutenait Agila, le comte Julien, prit contact avec les musulmans du Maroc pour leur demander leur appui. Gouverneur de Ceuta, il savait que le chef du Maghreb, Musa ben Nusayr, convoitait l'Espagne depuis longtemps (on est alors au cœur de la période qui marque la seconde vague des conquêtes musulmanes, sous le califat d'al-Walid). Des chroniques des IXe et Xe siècles assurent que Julien voulait se venger du roi Rodrigue, qui aurait déshonoré sa fille...
Dans la nuit du 27 au 28 avril 711, Tariq ben Ziyad, gouverneur de Tanger, fait passer le détroit à une troupe de 7 000 hommes, essentiellement des Berbères (les Arabes ne sont qu'une centaine dans cette première armée d'invasion). Rodrigue, qui combattait dans le Nord une révolte de Basques et de Cantabres, accourt pour faire face aux envahisseurs. Mais, au cours de la bataille décisive, le 19 juillet, il est trahi par les fils de Witiza, qui passent à l'ennemi avec leur clientèle et leur armée d'esclaves. Tué, son corps ne fut pas retrouvé et seuls son cheval blanc et son manteau brodé d'or, symboles de la royauté, tombèrent aux mains des Maures. Il restait à récupérer le trésor royal conservé à Tolède, qui se rendit sans résister (l'archevêque Oppas collabora, ouvertement et immédiatement, avec les musulmans).
Les Maures étendirent en quelques années leur domination sur la plus grande partie de l'Espagne, semant au passage destructions, rapines, meurtres et viols. Mais leur conquête fut facilitée par la collaboration que leur fournit une partie de la population. Pour conserver leurs biens, beaucoup de nobles ont choisi d'être des renégats. Ainsi, contre leur renonciation formelle à toute prétention au trône, les fils de Witiza, Akhila, Ardabast et Olmund ont pu conserver le patrimoine foncier considérable des anciens rois wisigoths. De même leurs partisans ont choisi de profiter de l'occasion pour s'emparer des biens des fidèles de Rodrigue. Le comte Cassius, un hispano-romain qui gouvernait les régions de Borja et de Tarazona, se convertit à l'islam et fut ainsi à l’origine de la lignée des Banu Quasi, qui devaient gouverner pendant plusieurs siècles le bassin de l'Ebre. Quant au comte wisigoth Théodemir, gouverneur de la Murcie, il put conserver son poste en se soumettant aux envahisseurs et en leur payant tribut. Un autre précieux concours fut apporté aux Maures par les communautés juives, qui gardaient une forte rancune à l'égard d'un royaume wisigoth qui avait pris, dans le cadre des conciles de Tolède, des mesures drastiques à leur égard (entre autres, le VIIIe concile, convoqué en 653 par le roi Receswinthe, rappela que le souverain devait défendre la foi catholique contre « la perfidie des juifs», tandis que le XIIe concile, convoqué en 681 par le roi Ervige, déclarait avoir pour but « d'extirper la peste judaïque, qui renaît sans cesse »).
Une fois le royaume wisigoth disparu, son souvenir nourrit dans les esprits de la population européenne de l'Espagne la nostalgie d'un ordre conforme à ses traditions. Mais aussi l'espérance d'une Reconquista qui, partie des bastions d'une résistance tenace basée dans le nord de la péninsule, devait finalement rejeter les Maures en Afrique. Au prix de luttes qui durèrent presque huit siècles...
Pierre VIAL
Sources : Rivarol 30 juillet 2010
Le monde de la Formule 1 post-Covid ressemble beaucoup au précédent, avec son lot de controverses et de polémiques, alors que la saison raccourcie par la crise sanitaire n’a même pas encore commencé, pas tout à fait en tout cas. Ce dimanche, c’est le pilote Romain Grosjean qui a fait une sortie qui pourrait faire grincer des dents chez Mercedes, surtout dans la bouche du Britannique Lewis Hamilton, directement visé par la déclaration du Français.
"Personnellement je trouve inadmissible que Lewis Hamilton gagne plus de 40 millions de dollars (35 millions d'euros) par an, et d'autres pilotes 150.000 euros, pour faire le même travail", a tonné Romain Grosjean en qualité de président de l’association des pilotes de Grand Prix de Formule 1 (GPDA), en marge des essais du Grand Prix d’Autriche. Lewis Hamilton gagne 40 millions de dollars par an (plus de 35 millions d’euros) et réclame une augmentation de salaire pour 2021. Alors qu’il est déjà très loin devant les autres pilotes (3e, Ricciardo touche moitié moins d’argent), Hamilton voudrait percevoir un salaire annuel de 44 millions de dollars (39 millions d’euros).
La requête du sextuple champion du monde britannique n’a pas été très bien accueillie par ses pairs, dont une partie réclame l’instauration d’un salary cap visant à plafonner la masse salariale d’une équipe. "C'est une discussion qui a eu lieu au sein de l'association des pilotes, il y avait des pour et des contres, a renseigné Grosjean. Le problème qui a été posé est que si on impose un salary cap pour les pilotes, on risque de casser la filière du sport automobile. Car quel manager ou constructeur va investir dans un jeune pilote, financer le début de sa carrière si plus tard il ne peut pas récupérer de l'argent en touchant un pourcentage des salaires élevés en F1?"
Un homme de 53 ans a été condamné à 24 mois d'emprisonnement, dont six avec sursis, pour avoir volé, frappé et déféqué sur un homme de 85 ans qu'il venait cambrioler en mai au Croisic. Il a également injurié et menacé de mort les policiers municipaux venus l'interpeller. Il était jugé ce jeudi.
Les faits remontent au 29 mai dernier. En plein après-midi, parce qu'il a vu une fenêtre ouverte et qu'il n'avait pas d'argent, le prévenu entre dans la maison de l'octogénaire au Croisic. Il y dérobe des vêtements, un téléphone et trois couteaux. Il s'en va mais revient car il a oublié ses chaussures. Entre-temps, le retraité a appelé la gendarmerie. L'ancien responsable du cinéma du Croisic essaie alors de coincer le cambrioleur avec son déambulateur, lui attrape le bras. Mais le quinquagénaire le fait chuter.
Le retraité essuie de nombreux coups, notamment à la tête. Des coups que conteste le prévenu sans convaincre le tribunal correctionnel de Saint-Nazaire qui le juge ce jeudi. Puis quand le vieil homme est au sol, il défèque sur lui et lui macule la tête avec ses excréments. "Il a été souillé littéralement" insiste l'avocat de la victime Me Frignat qui estime qu'il "n'a dû son salut qu'à l'arrivée de la police municipale".
Les agents se font copieusement insulter, menacer de mort et de carnage. A plusieurs reprises, le cambrioleur crie "Allah Akbar, je vais revenir avec une voiture, tout défoncer, faire un carnage". Le prévenu a déjà été condamné à 19 reprises, dont une fois pour assassinat. Et quand le procureur dénonce son "comportement odieux", il préfère se boucher les oreilles.
Le tribunal correctionnel de Saint-Nazaire a condamné le prévenu à 24 mois d'emprisonnement dont six mois avec sursis et mise à l'épreuve pendant deux ans. Il est maintenu en détention et a interdiction de rencontrer la victime et de se rendre au Croisic à sa sortie de prison.
« II faut créer une force nouvelle. »
Drieu La Rochelle («Socialisme fasciste» — 1934)
D’abord, qu'est-ce que le fascisme ?
Le Fascisme originel est la doctrine du parti fondé à Milan le 23 mars 1919 par Benito Mussolini, ex-socialiste révolutionnaire, ex-directeur — avec Pietro Nenni — de « l’Avanti ». Il a quitté ce journal pour faire paraître, le 14 novembre 1914, un autre quotidien socialiste : « II Popolo d'Italia ». Au-dessous du titre, on lit :
Qui a du fer a du pain. Blanqui.
La Révolution est une idée qui a trouvé des baïonnettes. Napoléon.
Le premier article de Mussolini, intitulé « Audacia », commence ainsi :
« Je m'adresse à tous ceux que le destin a chargés de faire l'Histoire. » Il s'agit donc de faire l'Histoire. Comment ?
« L'homme n'est ce qu'il est, écrit Mussolini, qu'en fonction du processus spirituel auquel il concourt, dans le groupe familial et social, dans la nation et au sein d'une Histoire à laquelle collaborent toutes les nations. D'où les hautes valeurs de la tradition dans les mémoires, la langue, les mœurs et les lois de la vie sociale. En dehors de l'Histoire, l'homme n'est rien. C'est pourquoi le Fascisme est contraire à toutes les abstractions individualistes à base matérialiste à la mode au XIXème siècle ; c'est pourquoi il est aussi contraire aux utopies et innovations jacobines... Il repousse les conceptions selon lesquelles, à un certain moment de l'Histoire, le genre humain parviendrait à un stade d'organisation définitive. Une telle doctrine est contraire à l'Histoire réelle et à la vie, qui est mouvement incessant et perpétuel devenir. »
Le Fascisme se distingue essentiellement du Capitalisme, du Conservatisme, du Socialisme marxiste et du Communisme soviétique par un contenu spirituel, une progression systématique, et la possibilité d'un renouvellement idéologique constant dans le temps et dans l'espace.
Lorsque l'Italie entre en guerre, Mussolini s'engage. Blessé gravement en 1917, le caporal des bersaglieri revient à Milan et reprend la lutte au « Popolo ». Face à la vague rouge, il fonde les « Fasci di Combattimento ». En novembre 1919, arrive à Moscou une délégation de socialistes italiens qui est reçue par Lénine : « Pourquoi avez-vous laissé partir le camarade Mussolini ? interroge-t-il immédiatement. En Italie, c'est le seul homme capable de faire une révolution. A présent, il est contre nous ».
Mussolini a choisi deux modèles. D'abord le révolutionnaire Blanqui, socialiste national. Condamné à mort par Gambetta, il passa trente-sept années en prison. Et Napoléon. Choix symbolique. Le symbole du faisceau n'est pas moins clair.
Les faisceaux des licteurs — qui précédaient consuls et dictateurs — étaient des fascines de verges liées, d'où émergeait un fer de hache. Mussolini utilisait ainsi un symbole d'union, de « forces liées », directement tiré de l'histoire romaine. Unir était le premier mot d'ordre du parti fasciste. La notion de droite ou de gauche est ici inexistante.
Il est étrange de constater que le Faisceau figure toujours en bonne place dans les armoiries de cette République Française dont on oublie le numéro.
Nos bons « antifascistes » oublient que le socialiste Albert Thomas, secrétaire général du Bureau International du Travail de Genève, reconnaissait que les lois sociales fascistes étaient « les plus hardies d'Europe » : il lui eût été difficile de ne pas le reconnaître. N'oublions pas, non plus, que Toscanini et F.T. Marinetti, fondateur du « Futurisme », étaient colistiers de Benito Mussolini aux élections de Milan, en 1920.
Nous savons qu'au moment de la Marche sur Rome, en 1922, Mussolini hésite : il veut proclamer une République fasciste, ce qu'il fera en 1943 : vingt et un ans trop tard. La Maison de Savoie ne cesse jamais d'être antifasciste. Victor-Emmanuel en 1945 envoie à Staline le Grand Collier de l’Annonciade : le dictateur soviétique devient ainsi cousin du roi ! Le 2 juin, la République italienne est proclamée, grâce aux voix fascistes. En l'occurrence, le Fascisme, c'est la Gauche.
Le 24 janvier 1920, Hitler présente, dans la grande salle d'une brasserie munichoise, le Hofbräuhaus, « le Parti Ouvrier allemand national-socialiste ». La volonté de synthèse est ici plus évidente encore, d'autant que Hitler exige « l'abolition de l'esclavage des intérêts bancaires, la nationalisation des trusts et la participation directe des travailleurs aux bénéfices de leurs entreprises ».
Le putsch national-socialiste qui échoue à Munich en novembre 1923 — exactement le 18 Brumaire - est dirigé contre le Commissaire d'Etat bavarois von Kahr, le général von Seeckt, chef de la Reichswehr, et son adjoint politique von Schleicher, le général von Lossow, soutenus par le prince Rupprecht de Bavière et la hiérarchie de l'Eglise catholique : toute la Droite conservatrice, toute la Réaction. C'est encore un von qui oblige Roehm et ses SA à mettre bas les armes au ministère de la Guerre : Epp.
L'action de Hitler et Mussolini est inexplicable si l'on oublie que l'écroulement de trois empires, celui des Romanov, celui des Hohenzollern et celui des Habsbourg, avait permis au communisme de guerre d'avancer résolument au cœur de l'Europe. En Allemagne, les Spartakistes, les Conseils (Soviets) de Marins, d'Ouvriers et de Soldats avaient pris le pouvoir à Kiel, Brème, Halle, Leipzig, Magdebourg, Essen, Berlin.
L'Armée Rouge avait été arrêtée dans les Pays Baltes par un Corps de Volontaires allemands, le Baltikum, et devant Varsovie, grâce à l'intervention directe de la France et à l'habileté manœuvrière du général Weygand.
Le communiste Kurt Eisner avait proclamé une « République socialiste bavaroise », en plein accord avec un envoyé de Trotsky, Lewien. Un autre communiste, Bêla Kun, de sinistre mémoire, avait pris le pouvoir en Hongrie. L'Europe danubienne était à feu et à sang.
C'est ce qui explique d'abord l'apparition de mouvements de synthèse du national et du social, de la révolution nécessaire et des plus glorieuses traditions. En France, la première association de ce genre fut fondée le 11 novembre 1925 par un dissident de l’Action Française, Georges Valois, qui venait du reste de l'extrême-gauche. C'était le Faisceau, qui disparut pratiquement trois ans plus tard.
Donner à un parti national le nom d'un mouvement étranger constituait une incroyable bévue qui fut souvent commise, et d'abord par le fondateur de l’Union des Fascistes Britanniques, Sir Oswald Mosley, qui du reste reconnut cette erreur dans ses Mémoires. Plus tard, en 1934, un Parti Fasciste suisse, créé par le fils du colonel Fonjallaz, ne connut qu'un succès médiocre ; Christian Message, ancien séminariste, fonda, en 1940, un Parti national-socialiste français, qui n'en eut aucun.
Au contraire, le Parti National Réformateur de Mustapha Kemal permit l'édification de la République Turque, dont le général fut élu président en 1923. De même, la Légion portugaise du Dr. Salazar et la Phalange espagnole jouèrent un rôle de premier plan dans l'édification d'Etats où le national-corporatisme et le national-syndicalisme entreprirent des révolutions qui restent inachevées. La Garde de Fer en Roumanie, Rex de Léon Degrelle en Belgique, les Croix Fléchées en Hongrie furent, avant-guerre, des partis d'opposition, de même que le Parti National-Socialiste hollandais d'Anton Mussert qui, aux élections de 1935, obtint 300.000 voix. Mussert, comme le Dr. Clausen, chef du Parti National-Socialiste danois - qui s'affirmait « chrétien » — et Quisling, plus tard chef du Nasjonal Samling norvégien, se considéraient comme appartenant à l'ethnie germanique. C'est une conception qui coûta très cher aux chefs et aux adhérents de ces mouvements après la défaite du IIIe Reich.
En France, un des principaux dirigeants du Parti Communiste, Jacques Doriot, député-maire de Saint-Denis, avait définitivement rompu avec Moscou en 1934 et fondé, en 1936, le Parti Populaire Français. Le style de ce Mouvement ressemblait assez peu à celui des Ligues qui avaient succédé au Faisceau de Georges Valois : Jeunesses Patriotes, Parti National Populaire, Croix de Feu et Volontaires Nationaux, Solidarité Française, Les Francistes de Coston et Le Francisme de Bucard, etc...
En 1936, au moment de la grande folie du Front Populaire, Doriot avait proposé au Parti Social Français, rassemblement issu des Croix de Feu et présidé par le colonel de La Rocque, de mener une action commune contre le gouvernement de Léon Blum au sein d'un Front de la Liberté. La Rocque, pour des raisons obscures, avait refusé.
Le Front de la Liberté n'en réunit pas moins, avec le PP.F., des amis du légendaire aviateur Jean Mermoz, vice-président du P.S.F. qui disparut mystérieusement dans l'Atlantique sud à la fin de 1936, et le Parti Radical Français d'André Grisoni, Milles-Lacroix et Gaston-Gérard, le Parti Agraire et Paysan Français de Paul Antier, les Comités de Défense paysanne de Dorgères (Haut les Fourches !), le Parti Républicain National et Social de Taittinger, de nombreux éléments de la Fédération Nationale Catholique, l'Action Française, ainsi que des syndicats indépendants et des mouvements de défense de l'armée, comme l'Union Militaire Française. La tactique du Front était retournée contre les marxistes et grâce à de solides noyaux ouvriers, paysans, syndicalistes, une synthèse des forces françaises actives, réelles, se trouvait réalisée.
Avec Doriot, des orateurs fameux : Philippe Henriot, Xavier Vallat, Léon Daudet, Pierre Taittinger, Delest, Dorgères, s'exprimèrent devant de vastes auditoires, à Paris et en province, de 1936 à 1939. Il s'agissait, expliquait Doriot,
1)De juguler le parti de Staline qui, en France, poussait à la guerre, tout en préparant la défaite ;
2) D'empêcher une guerre qui nous ferait tout perdre et rien gagner ;
3) De refaire de la France une grande nation européenne ayant des rapports normaux avec l'Allemagne et l'Italie ;
4) De substituer aux Traités de Versailles, Saint-Germain, Trianon, des accords réalistes, permettant la création d'une véritable Entente européenne ;
5) De créer, avec tous les peuples de notre Empire, de nouveaux rapports moraux, sociaux, économiques, dans le respect absolu de leurs valeurs, croyances, traditions et possibilités réelles. Ces peuples devaient décider très librement de la nature des liens les unissant à la métropole.
Nous reparlerons du P.P.F., toujours désigné comme « essentiellement fasciste ».
Ce n'est pas la Gauche qui chassa du pouvoir en 1935 Juan-Domingo Perón, chef des Descamisados et du Justicialisme, mais la Réaction la plus méprisable. Lorsque Perón reprit le pouvoir en 1973 et rentra d'exil, il n'était plus que l'ombre de lui-même. Agé de 77 ans, déjà gravement malade, il retrouva un pays ruiné, en proie à l'inflation galopante, aux factions et à la terreur. Le Justicialisme est mort avec lui. Il renaîtra, espérons-le, sous une autre forme.
Tous ces Mouvements luttaient à la fois contre le communisme, le socialisme marxiste, les forces de la Réaction, les oligarchies financières et « la puissance coercitive du capitalisme international ».
Au sein de chaque nation, ces mouvements combattaient pour donner un nouveau sens à l'Histoire et c'est bien ce qu'il faut faire aujourd'hui. C'était la première étape d'une union des peuples occidentaux, menacés de mort, contre le bolchevisme, secret allié du capitalisme international.
Chaque nation devait faire son salut à sa manière. Pourtant, lorsqu'on relit les programmes de ces Mouvements, on constate qu'ils préconisaient, dans chaque pays, une révolution intellectuelle, morale, sociale et politique, beaucoup plus profonde que celles qui sont encore proposées par les vieux doctrinaires des IIe, IIIe et IVe internationales. La notion de Droite ou de Gauche est ici dépassée.
Lorsque José Antonio Primo de Rivera, fils de général, donna lecture, le 29 octobre 1933, au théâtre de la Comédie à Madrid, du programme de la Phalange, ce fut, parmi les auditeurs appartenant à la Droite, la stupeur et bientôt l'indignation.
José Antonio déclarait d'abord :
« L'Espagne est une unité de destin dans l'universel ».
Il affirmait ensuite que l'Etat national-syndicaliste protégerait la propriété privée, la propriété familiale, la propriété communale, et qu'il instaurerait la propriété syndicale. D'où création d'une propriété communautaire, en harmonie avec les intérêts de la nation.
Cela supposait, selon José Antonio, trois grandes réformes :
1) Nationalisation des services du crédit,
2) Révision radicale des formes de métayage en vigueur, afin que les grandes propriétés fussent exploitées au juste bénéfice des travailleurs de la terre et au profit de la collectivité
3) Participation réelle du travailleur aux bénéfices et à la plus-value des entreprises industrielles. Le syndicat vertical n'est pas représentatif, mais légalement participatif : c'est lui qui détermine la politique économique du pays.
Un pionnier, une « Vieille chemise » de la Phalange, Fernandez Cuesta, me dit qu'une bonne partie des assistants quitta le théâtre atterrée.
Trois ans plus tard, d'autres invités sortirent du Théâtre municipal de Saint-Denis non moins angoissés. Le P.P.F. de Jacques Doriot y célébrait son premier congrès national et le député-maire de Saint-Denis, élu contre Duclos, avait déclaré :
« Au Capital, sa place, mais rien que sa place,
Au Travail, sa place, mais toute sa place. »
Et encore :
« Entre les communistes et les Deux Cents familles, il y a du monde en France ! »
Enfin — rue de Belleville — en 1937 :
« Messieurs les communistes qui êtes dans la salle, vous savez qu’une fois de plus j'ai publiquement invité le camarade Maurice Thorez à cette réunion. Malheureusement, il n’est pas venu et il ne viendra pas sur cette estrade m'apporter la contradiction. Je vous prie donc de lui répéter ce que je vais vous dire : si vous croyez que le camarade Staline s'intéresse à vos augmentations de salaires, vous vous trompez beaucoup. Je le connais mieux que vous ; vos salaires, il s'en moque, et je vais vous dire ce qui l'intéresse: que nous nous battions à mort contre Hitler, afin qu'il puisse tirer les marrons du feu. »
Qu'ils fussent revêtus de chemises noires, brunes, vertes ou bleues, les hommes — et les femmes - désignés comme « fascistes » étaient tenus en suspicion par la Droite, le Centre, toutes les organisations et institutions du conservatisme social et politique. Le plus souvent, on les considérait comme des « communistes camouflés » et des agitateurs de la pire espèce.
La Droite classique et traditionnelle comprit trop tard le sens du drame. La Droite de l'argent et des « intérêts créés » subventionnait l'extrême-gauche et bientôt décernait aux Bolcheviks des brevets de patriotisme. Nous voulions faire l'Europe. Nous fîmes la guerre.
Tout ce qui constituait l'armature de l'Europe réelle fut sacrifié, fusillé, emprisonné, calomnié, isolé, finalement engagé dans des aventures sans issue et facilement rejeté dans le ghetto d'une Droite caricaturale et besogneuse.
Cependant, aujourd'hui même, la seule solution n'est ni à gauche, ni à droite. Elle est dans la synthèse des deux.
Communistes, marxistes, conservateurs aveugles et sourds, anti-Boches - il y en a toujours - redoutent plus que tout de voir surgir un Mouvement au sein duquel ouvriers, techniciens, patrons, employés, paysans, enseignants, intellectuels, seraient fraternellement unis. C'est pourquoi « le combat antifasciste » reste la base essentielle des propagandistes et agitateurs des diverses formations marxistes. C'est pourquoi tout ce qui contrarie la marche en avant des Marxistes est considéré comme « fasciste ».
Le « spectre qui hante le monde » n'est plus le communisme. C'est le « fascisme ». L'image du bolchevik des années 1925-28, de « l'Homme au couteau entre les dents », a été remplacée par celle du féroce SS - qui était du reste un SD - , gardien des camps de concentration... il y a plus de trente ans !
Peu importe que ces camps aient existé bien avant que Hitler ne prît le pouvoir. D'après Soljénitsyne, Martchenko, le Dr. de Toth, Sakharov, et d'autres témoins, la population des camps de concentration soviétiques peut être actuellement évaluée entre un million et demi et deux millions d'êtres humains. Peu importe que la terreur règne toujours derrière le rideau de fer, que les communistes triomphants massacrent et torturent en Indochine et en Afrique des dizaines de milliers d'innocents. C'est autour de quelques centaines de terroristes et activistes communistes, arrêtés et condamnés en Espagne ou au Chili, que l'on agite « l'opinion mondiale ».
En 1976, il n'y a pas au monde la moindre trace d'un pouvoir fasciste ou national-socialiste. Depuis 1945, il y a eu et il y a toujours d'innombrables dictatures militaires, policières, tribales, etc... Tout porte à croire que ce n'est pas fini. Mais enfin, on a pris l'habitude de désigner comme « fascistes » tous ceux qui gênent les exercices des communistes et autres gauchistes. Nous pouvons lire tous les jours que MM. Giscard, Chirac, Poniatowski, Lecanuet sont « fascistes », et j'ai lu que Jules Moch, Ramadier, Guy Mollet, De Gaulle, Pompidou l'étaient aussi.
Je lis qu'on nous prépare une « France soviétisée ». Elle l'est déjà plus qu'à demi ! La société de production-consommation est sous-soviétisée. Trop peu d'entreprises sont saines. La plupart sont directement menacées de l'intérieur : quatre ou cinq associations, dites syndicales, antagonistes y organisent un combat incessant. Chacune a pour but de défendre les intérêts de ses adhérents, au lieu de veiller à un intérêt commun, qui est bien évidemment celui de l'entreprise. Il n'y a plus de production cohérente possible.
Les splendides réussites économiques italienne et allemande d'avant la guerre ne peuvent être niées. Elles étaient dues à la solidarité populaire ouvriers-techniciens-patrons.
En France, il fallut attendre le 1er Mai 1941 pour qu'un chef d'Etat, enfin convaincu, parce que vaincu, le maréchal Pétain, commençât ainsi un certain discours, à Saint-Etienne :
« Ouvriers, techniciens, patrons... »
Encore était-ce parce qu'on avait pris la peine de lui expliquer le problème.
Aujourd'hui, le chef de l'Etat français veut que « progressent la rationalité et la justice dans le fonctionnement de l'économie mondiale ». Comment atteindre ce but, comment créer « un nouvel ordre économique mondial », alors qu'un sabotage systématique de l'utilisation des matières premières est organisé à la base, dans chaque nation, par une armée étrangère qui campe en Occident : communistes, marxistes et Cie ?
Tous les mouvements que nous avons évoqués ont lutté pour défendre l'entreprise à la base, à la fois contre un insupportable paternalisme et un pseudo-syndicalisme politisé. Avant de descendre dans la rue, c'est sur le Front du Travail que ces partis de synthèse ont livré bataille.
Avec De Gaulle et le mythe de « la participation », certains eurent l'illusion qu'une espèce de fascisme était au pouvoir. Pitoyable illusion que les Hexagonaux ont payée fort cher. Aujourd'hui, ce que l’on voit à la télévision, ce qu'on peut lire dans des journaux qui, le plus souvent, sont des bulletins publicitaires, prouve que la nation est incapable d'un effort collectif pour se sauver. Cependant Mussolini, Mustapha Kemal, Salazar, Antonio, d'autres encore, réussirent à tirer de l'abîme des peuples qui s'abandonnaient. Et maintenant ?
« Gauche, Droite... Ces mots n'ont pas de sens ! » nous disait en 1937 Drieu La Rochelle. De nos jours, la société occidentale telle qu'elle est conçue, telle qu'elle fonctionne, est indéfendable. Quand elle n'est pas criminelle, elle est absurde ou corrompue : seuls des individus de beaucoup de présomption et de peu de capacité prétendent le contraire. Depuis 1945, la fausse intelligence et l'imposture ont partout triomphé. Le nihilisme ne trouve pas devant lui des volontés, mais quelques bonnes volontés, des hommes las avant la bataille. Aucune doctrine hardie, cohérente. Aucune organisation politique, intellectuelle, spirituelle sérieuse. Un simulacre de Religion et l'Armée elle-même, deux fois décimée, ridiculisée par de fausses victoires, sont impuissantes ou complices. Le Bolchevisme va donner le dernier assaut. L'issue du combat ne semble pas douteuse. Lorsque, tout à coup...
SAINT-PAULIEN
Sources : Item « l’ordre » - mars avril 1976
Page 653 sur 790