"INCIVILITÉS" ET EUPHÉMISATION DE LA FRANCE (vidéo)
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L'ORIGINE DES GÉNIES DOMESTIQUES
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1. LES GÉNIES ET LES DIEUX
Dans ce qui précède, nous avons pu découvrir qu'il existait un lien ténu entre certains génies et les anciennes divinités du paganisme. Si, dans quelques cas, les genii domestici semblent être les hypostases de dieux et de déesses du type de ceux que nous rencontrons dans l'Antiquité classique, dans d'autres cas les informations nous permettent de voir que les créatures étudiées peuvent être considérées comme les avatars de dieux, comme leur forme sécularisée. Au XIXe siècle, Hersart de La Villemarqué notait déjà (1) :
« A la fin de l'époque païenne, les génies domestiques semblaient avoir détrôné les dieux publics et généraux. La dévotion populaire, en se détournant de Teutatès, d'Heusus, de Belen, et de plusieurs autres habitants de l'Olympe celtique, s'était portée de préférence vers les divinités locales, moins haut placées et par cela même plus accessibles aux humains. »
Les traditions lituaniennes sont ici très révélatrices. Dans les anciens temps, le foyer était sacré et le centre d'un culte familial voué à Dimispatis. Les Annales des Jésuites notent, en 1604, que les habitants de ce pays « possèdent des dieux domestiques (deos domesticos) qu'ils appellent Dimispatis dans leur langue et sur lequel existent diverses opinions. Certains disent que c'est le dieu du feu et qu'il protège la maison de l'incendie, et ils lui offrent une poule [...]. D'autres déclarent qu'il s'agit de la mère de famille, et ils offrent aux mères un porc... ». Les génies liés au foyer et au feu procèdent donc certainement de Dimispatis dans ce pays.
Les barstucci et l’aitvaras sont, eux, considérés comme les serviteurs de Puscetus puis rapprochés des nains, mais « l'analyse contrastive de leur signification montre que les premiers sont liés à la terre et à l'eau, les seconds étant liés au feu et à l'air », note Jean Haudry (2).
Si nous englobons du regard les traditions mythologiques qui ont donné naissance aux croyances ou qui les ont influencées, à moins que ce ne soit l'inverse, nous voyons que chaque domaine possède sa ou ses divinités. En Lituanie, ce sont les Mères, Mère de la Forêt, du Vent, de la Neige, de la Nuit, etc. ; des esprits protecteurs comme les Laukasargai ou Zemespatis, le maître de la terre, veillent sur les champs ; — des divinités agraires, comme Ceroklis, protègent le blé, Useling (Using) s'occupe des chevaux, Tenisins veille sur les porcs... Un vieillard letton, interrogé par les Jésuites qui lui demandaient combien il y avait de dieux, répondit :
« II y a différents dieux, selon la diversité des gens, des lieux et des besoins. Nous avons un dieu qui règne sur les Cieux, nous en avons aussi un autre qui domine la Terre ; celui-ci, qui est le plus grand sur Terre, a sous ses ordres d'autres dieux de moindre importance. Nous avons un dieu qui donne le poisson ; un autre, le gibier ; nous avons un dieu pour le blé, pour les champs, pour les jardins, pour le bétail, c'est-à-dire pour les chevaux, les vaches et les autres animaux domestiques. Les sacrifices qu'on leur fait sont aussi différents : aux uns, des offrandes plus larges, à d'autres, des moindres, d'après la qualité de ces dieux, et toutes ces offrandes sont faites à certains arbres et à certains bois. Ces arbres sont dits sacrés. Au dieu des chevaux — que l'on appelle Deving Usching —, chacun offre deux sols et deux pains, et jette dans le feu un morceau de lard. A Moschel, le dieu des vaches, on offre le beurre, le lait, le fromage, etc., et, si une vache tombe malade, on fait vite une offrande aux arbres et elle va mieux. Au dieu des champs et des blés, le Deving Cerklicing, ils font dans les bois, à certains moments, le sacrifice d'un bœuf noir ou d'une poule noire, d'un porcelet noir, etc., et quelques tonneaux de bière, un peu plus ou un peu moins, selon la manière, et comme ce dieu Cerklicing les aura aidés (3). »
Ce témoignage très riche prouve qu'il n'existe pas de ligne de démarcation bien tranchée entre les dieux et les génies ; la nature des offrandes et l'endroit des sacrifices montrent comment les substitutions ont pu s'opérer ; l'exemple de la façon dont on obtient la guérison d'un animal malade est révélateur.
Bref, la nature est entièrement peuplée d'êtres surnaturels, tout domaine est confié à la garde de divinités ou de génies, et nous pouvons envisager une ligne d'évolution. Les besoins matériels des hommes et leur désir de se protéger contre les catastrophes menaçant leur survie — épizootie, calamités météorologiques, incendie, etc. — ont fait naître ces entités d'abord appelées dieux puis, lorsque la mythologie n'a plus correspondu au développement social et religieux d'un peuple, seule s'est conservée la fonction de ces créatures surnaturelles. Elles quittèrent donc le panthéon pour désormais résider chez les hommes, dans les lieux que nous avons vus plus haut. Les divinités des fruits de la terre sont entrées dans les granges et celles du bétail dans les bâtiments qui lui sont dévolus. En quelque sorte, les divinités se sont sédentarisées et attachées à des demeures précises. Il est difficile de savoir dans quelle mesure le culte des ancêtres a ici joué un rôle important, mais des indices parlent en faveur d'une interaction des deux sphères, celle des dieux et des morts, notamment les offrandes et sacrifices qui tombent à des dates où l'on vénère en même temps les défunts et les dieux (4). La question des repas sacrificiels organisés en hiver chez divers peuples d'Europe mériterait d'être creusée car elle permettrait sans doute de préciser les choses, ces repas étant souvent destinés à la fois aux bons morts et aux génies. Signalons un dernier indice de cette transformation des dieux en génies : il n'est pas rare de voir que le genius domesticus ne réside pas directement dans la maison mais dans le courtil, le clos, voire la haie qui délimite l'espace domestique, la ferme ou la demeure, ou encore dans un arbre ou une pierre se dressant dans la cour. Peut-être tenons-nous là l'étape intermédiaire précédant l'installation du génie au sein de la maison...
Les éléments lexicaux ne doivent pas non plus être négligés. Une lettre que Maeletius adresse à Georg Sabinus, recteur de l'Université de Königsberg, donne une liste de divinités parmi lesquelles nous trouvons un certain Piluitus, « dieu des richesses que les Latins appellent Plouton (5) ». Or ce Piluitus n'est pas un inconnu pour nous, c'est le Bilwiz des traditions allemandes, être assimilé aux nains et considéré tantôt comme un génie domestique, tantôt comme un démon du blé (6). Or Maeletius le place sur le même rang que de grandes divinités comme Patrimpas, Putscetus et Antrimpas ; du reste, il n'oublie pas les Barstucci dans son énumération, précisant que les Allemands les nomment erdmenle, c'est-à-dire « Subterranéens (7) », ce qui n'est pas tout à fait exact puisque les traditions populaires distinguent l'Hommuncule de la Terre des Subterranéens (Underjördiske, Unterersche, etc.). Quoi qu'il en soit, cet exemple permet de se faire une idée des glissements qui se sont opérés au cours de l'évolution historique.
L'étude lexicale et sémantique permet d'autres avancées. Dans le cas du Schrat, que Michael Beheim présente comme un genius catabuli au XVe siècle, elle met au jour la collusion entre génies et morts. Dans les gloses les plus anciennes, schrat est traduit par larva et monstrum, « mort, revenant », et par lares mali, « mauvais Lares ». Beheim déclare : « Bien des gens croient que chaque maison possède un petit schrat qui fait la fortune et accroît le prestige de qui l'honore », alors que Hans Vintler, qui vivait à la même époque, affirme : « Beaucoup croient que le schrat est un petit enfant aussi rapide que le vent, et une âme en peine (8). »
L'enchevêtrement des traditions populaires ne permet pas de conclusions péremptoires ; les indices relevés indiquent toutefois que, derrière les amalgames et superpositions, se cachent une logique et une évolution historique qui tendent à rapprocher les créatures surnaturelles des hommes.
2. L’ORIGINE SELON LES TRADITIONS POPULAIRES
Comment une habitation, simple demeure ou ferme, acquiert-elle un génie qui va la protéger ? À cette question sans cesse posée par les ethnologues au cours des grandes enquêtes de la première moitié du XXe siècle, les paysans interrogés ont répondu de diverses façons, toutes plus intéressantes les unes que les autres car une opinion fondamentale se dégage, qui lie le génie à un mort.
Les diverses traditions
L'enquête de Martti Haavio en Finlande donne un bon aperçu des explications fondamentales. Le génie est celui qui a allumé le feu pour la première fois dans la nouvelle maison, le fondateur de la ferme, celui qui est arrivé le premier sur le terrain de construction et l'a défriché, ou bien le premier habitant du lieu à avoir trépassé (9). En Ingermanie et dans d'autres régions des deux bords de la mer Baltique, ce peut être un génie topique que l'on a pour ainsi dire apprivoisé grâce au sacrifice de construction ou à un don, une offrande qui représente en fait le prix d'achat du terrain et donc l'exécution d'un contrat tacite entre l'homme qui s'installe et le génie (10). L'offrande est déposée sous le seuil, sous le plancher, dans un coin, entre deux poutres précises, etc., c'est-à-dire là où l'on estime que se tient le génie, celui-ci conservant apparemment ses droits de propriété et de gestion, étant nu-propriétaire, alors que le nouvel occupant n'est que l'usufruitier du lieu ; le génie réside où il veut dans la maison, en un ou plusieurs lieux dont le paysan n'a pas l'usufruit et, si on dort là, il vous réveille et vous contraint à changer de place (11), allant jusqu'à se transformer en cauchemar à forme de chat.
Dans les Alpes françaises, le génie est né d'un œuf de coq couvé dans du crottin de cheval ou d'un placenta qu'a mangé un chat ; on dit aussi qu'il s'agit d'un esprit errant qui n'a pas été baptisé, des âmes des enfants morts sans baptême mais une autre explication affirme qu'on peut l'acheter ou l'obtenir du diable : « Pour se procurer un diablotin, il faut se rendre avec une poule noire à la croisée de cinq chemins, dire une prière spéciale et se donner au diable pendant un an (12). » « Diablotin » n'est qu'un des multiples noms du génie en Isère. On dit la même chose en Lettonie à propos du pukis : il faut vendre son âme au diable ou le double — alter ego, âme externe — d'une personne maléfique (13). Dans la région de Riga, on affirme l'obtenir contre espèces sonnantes et trébuchantes. Le Servan alpin s'achète, se vend ou se transmet, et la même idée se retrouve partout outre-Rhin où l'on dit aussi qu'il faut l'inviter rituellement : « Dans la Marsch de Hattsted (Schleswig-Holstein), près d'une digue, habitait un paysan, un Frison appelé Harro Harrsen... C'était un esprit avisé qui savait se tirer de tout. En voyant une cavité dans un pilier de bois de chêne, il se dit qu'elle ferait un bon logis pour un petit Niskepuk. Quand sa maison fut édifiée, il cloua sous la cavité une planche large d'une main, comme une bordure, y posa une écuelle avec du gruau beurré à souhait et lança gentiment : "Venez donc, gentils Niskepuk !" Ils ne se firent pas attendre et arrivèrent pour examiner la nouvelle bâtisse. Ils la traversèrent en dansant et l'un d'eux, haut de trois pouces, y resta et s'établit dans la cavité du pilier (14). »
Chez les Sames, le Halde est souvent héréditaire dans certaines familles, mais on peut aussi en faire l'acquisition (15).
En Ingermanie, voici comment on décrit la « naissance » du génie domestique : « Quand on commence à édifier une maison, on élève une croix de bois, alors naît l'esprit ; la croix est debout jusqu'à ce que les murs soient dressés ; alors on la retire et on en fait du petit bois (16). » En Russie, chaque maison habitée possède un esprit appelé Domovoj, qui est souvent la première personne décédée.
Les traditions allemandes, fort bien étudiées par Erika Lindig(17), nous livrent des détails à ne pas négliger. Souvent, les génies s'engent auprès du maître de maison, exactement comme le ferait un valet de ferme ou un journalier, mais la méfiance des hommes les oblige parfois à recourir à la ruse. Pour entrer dans la maison, ils se transforment en un objet anodin et se placent au bord du chemin en attendant qu'on les ramasse et emporte. Cette tradition nous révèle donc qu’ils ne peuvent à priori investir une demeure sans y avoir été invités ou amenés, ce qui prouve bien que la demeure est un espace sacré qui s'oppose à l'irruption des êtres surnaturels. Il convient ici d’être prudent et de ne pas penser que cette conception est ancienne ; à notre sens, elle témoigne plutôt d'une diabolisation de tous ces petits démons qui sont privés d'une partie de leurs pouvoirs.
Le génie entre aussi dans l'habitation avec le bois de construction, et l'explication canonique est la suivante : un esprit a été banni, par un prêtre ou un sorcier, dans un arbre ; quand on abat celui-ci pour en faire une poutre, il y réside toujours et, une fois la nouvelle bâtisse édifiée, il entame une nouvelle vie, cette fois comme génie de celle-ci. Cette tradition soulève un problème que nous ne pouvons résoudre dans l'état de nos recherches mais qu'il convient de signaler. En norrois, la poutre se dit àns et dvergr, c'est-à-dire « Ase » nom d'une famille de dieux, et « nain » : cette pièce de bois de construction aurait-elle été ainsi nommée parce qu'elle était censée être le séjour d'un être surnaturel ou, tout simplement, parce qu'elle était sacrée, tout comme la poutre centrale soutenant le toit (gusitora) que les Goldes de l'Amour identifient au génie domestique (18) ?
Les génies et les morts
« Le premier habitant mort peut se transformer en génie domestique », note M. Haavio pour la Finlande. H.-F. Feilberg le confirme pour les pays Scandinaves, mais L. Honko constate que ce n'est jamais le cas en Ingermanie (19). Eugène Rolland cite un témoignage du Finistère qui dit : « Les lutins des écuries sont d'anciens valets de ferme. De leur vivant ils négligeaient les chevaux qui leur étaient confiés ; après leur mort, ils sont condamnés à en prendre soin(20). » Tout au long de notre enquête, nous avons sans cesse été confrontés à des indices qui impliquent un lien étroit entre le génie domestique et la mort, ce qui finit par forcer l'attention et soulever des interrogations. Voyons un peu quelles sont les traces significatives.
Chez les Valaques, le zimt est la fête des dieux domestiques, — chaque foyer en possède un — et des ancêtres. La maison est nettoyée, la table est dressée, on invite ses amis et on célèbre en même temps la mémoire des aïeux disparus, que l'on convie à la table où des places vides leur sont réservées(21).
En Bulgarie, à la fête des Morts, on déposait des offrandes dans le foyer en disant : « Réjouis-toi, maître de la maison (22). » En Allemagne, les âmes des ancêtres se tiennent volontiers près du fourneau, résidence habituelle des génies et, en Suisse, les traditions recueillies dans le canton d'Uri par Josef Mùller, au début du XXe siècle, nous disent que les âmes en peine séjournaient devant, derrière ou dans le poêle (23). Les défunts demeuraient aussi dans les portes (24) et dans le bloc de bois qui forme le seuil, et on affirmait ceci : « Celui qui abat une vieille maison dans le Schächental (Uri) et en construit une nouvelle ne doit jamais emporter le bloc de seuil qui doit être troué, sinon les esprits et le malheur de la demeure abattue entreraient dans la nouvelle (25). »
En Estonie, « on dépose pour les morts des nourritures sur le plancher d'une pièce », nous apprend J. Grimm (26) ; « le maître de maison y entre tard le soir avec une longue torche et incite les défunts à manger en les appelant par leur nom. Quelque temps après, quand il croit qu'ils se sont rassasiés, il leur ordonne, en brisant sa torche sur le seuil, de retourner là d'où ils sont venus et de se garder de marcher sur leur robe en chemin ; si la récolte était mauvaise, on l'attribuait à une mauvaise hospitalité des âmes », or ce rite recoupe celui destiné à se propitier les esprits domestiques. Un peu partout, le génie se comporte comme une dame blanche (banshee) et annonce la mort du maître des lieux (27). Il se confond souvent aussi avec l'esprit frappeur (Poltergeist) qui est la plupart du temps un défunt qui manifeste sa présence par des bruits divers (28).
Au XVIe siècle, la Chronique de Zimmern dit, parlant des erdemenle et des wichtenmendle : « Beaucoup croient qu'il s'agit d'hommes qui furent maudits autrefois et qui espèrent être rédimés par les humains, c'est pourquoi ils s'engagent et s'activent si gentiment chez les personnes pieuses et honorables (29). » Dans les Légendes allemandes, Grimm note à propos d'un lutin domestique, nommé Kurt Chimgen ou Heinzchen (30) :
« On pense que ce sont de véritables hommes sous la figure de petits enfants, vêtus d'une robe bariolée. Si l'on en croit certaines personnes, les uns auraient un couteau planté dans le dos, les autres un autre objet ; tous porteraient des marques plus ou moins hideuses, selon qu'ils auraient été tués autrefois de telle ou telle manière, avec tel ou tel instrument. Je dis tués car on les tient pour les âmes de ceux qui ont été anciennement assassinés dans la maison.
Si parfois il arrive que la servante soit curieuse de voir son petit valet, son Kurt Chimgen ou Heinzchen, noms qu'elle donne au lutin [...], l'esprit lui indique le lieu où elle pourra le voir, mais il lui recommande en même temps de porter un seau rempli d'eau froide. Là, elle le voit d'ordinaire étendu nu sur un petit coussin, avec un grand coutelas dans le dos. Plusieurs sont tellement effrayées à cette vue qu'elles tombent inanimées ; alors le lutin se lève aussitôt, leur verse le seau d'eau sur le corps et elles reviennent à elles, mais elles n'ont plus envie de voir le lutin. »
Le thème de la mort est tellement récurrent que les chercheurs ont admis qu'il était l'une des racines de la croyance aux génies domestiques — l'autre étant celle aux genii loci —, qui représenteraient même « l'âme collective » d'une famille (31) et relèveraient du culte des ancêtres. Leander Petzold remarque à ce propos que « le fondement de la représentation des génies domestiques est à chercher dans les Mânes, Lares et Pénates des Romains, auxquels on apportait des offrandes (de nourriture) dans le coin de l'âtre. L'âtre est consacré aux ancêtres dont on doit attirer la bienveillance par des sacrifices, et ils exercent une fonction tutélaire sur la maisonnée (32) ». En faveur de cette déduction, les érudits soulignent que les génies domestiques possèdent souvent l'aspect de personnes décédées, qu'ils sont largement anthropomorphes, que leur caractère est celui des hommes et qu'ils reçoivent les mêmes offrandes et témoignages de respect que les défunts aïeux. En outre, les uns et les autres se tiennent aux mêmes endroits dans la maison. Lorsqu'ils ont une forme animale, elle correspond souvent à celle des figurations de l'âme dans les croyances, à savoir serpent ou volatile. Enfin, il est remarquable que les génies entretiennent des relations précises avec les enfants : ils viennent les bercer la nuit et les nourrissent par exemple, et quand ils ont une forme ophidienne, ils mangent dans la même écuelle que les petits et jouent avec eux. Souvenons-nous que le sajbija bulgare est aussi un ancêtre décédé (33) et que, chez les Grecs, se rencontre la même conception (34).
Morts et génies sont donc censés se tenir dans les mêmes endroits au sein de la maison. Dans l'Antiquité classique, le nouveau-né était posé sur le foyer pour être présenté aux ancêtres et aux génies domestiques (35), et la survivance de ce rite se relève dans la Mark, la Poméranie et dans la région de Lubeck.
3. LES NOMS DES GÉNIES DOMESTIQUES
Les génies portent une foule de noms selon les pays et leur lieu de résidence. Ces noms sont parlants et méritent l'attention. Au Moyen Âge, les attestations sont déroutantes car la plupart des témoignages proviennent de clercs qui déforment tout en substituant aux dénominations locales des équivalents latins. Tous les noms des anciennes petites divinités romaines peuvent ainsi recouvrir des personnages des croyances locales, ce qui ne facilite guère l'enquête, et seul le contexte permet de voir ce qui se dissimule derrière les vocables issus d'une autre culture et déformés par la vision chrétienne des choses. Nous avons pu voir que des termes comme faunus, satyrus, portunus et pilosus qui, chez les Romains, désignent des divinités champêtres et sylvicoles, équivalaient à des génies domestiques chez Burchard de Worms et Gervais de Tilbury. Dans la littérature de divertissement, ces mêmes génies sont assimilés à des nains la plupart du temps et même à des cauchemars. Outre-Rhin, le Moyen Âge les appelle zwerc, schrat ou mâr. Là encore, seul leur mode d'action permet de les reconnaître car leur habillement est celui que l'on prête aux nains.
Pour le haut Moyen Âge, l'information est des plus succinctes, hormis celles que délivrent quelques rares textes en latin. Outre-Rhin, Notker l'Allemand (950-1022), moine de Saint-Gall, traduit pénates et Lares par ingoumo et ingesid, « Quelque chose que l'on perçoit dans la maison, que l'on doit respecter » et « cohabitants », ce qui n'est pas un nom mais plutôt une périphrase destinée à rendre l'idée d'une puissance numineuse (numinosum). Dans les croyances populaires auxquelles Notker se réfère, on se garde de citer le nom de l'être surnaturel de peur de le faire apparaître, ce que confirme une autre dénomination, wiht, qui signifie à peu près « créature » et qui sert, dans la suite des temps, à former Wichtelmännchen qui désigne des nains et des génies. Les recueils de gloses antérieures à l'an mille donnent « dieu du lieu » (stetigot) pour genius ou encore « dieu domestique » (hûsgot) (36) et même « Habitant » (husing), que nous retrouvons chez les Lettons où Ûsins (37) est le génie protecteur des chevaux — en 1606, les Annales des Jésuites parlent d'un deo equorum, quem vocant Dewing Uschinge — qui est peu à peu assimilé à saint Georges (St. Jürgen) au dire de J. Lange, en 1777. À partir du XIIe siècle se rencontre kobold, c'est-à-dire « celui qui règne sur la pièce », et qui, dans les gloses en vieil anglais, apparaît sous la forme plurielle cofgodas, « les dieux de la pièce », « pièce » englobant toutes les parties de la maison, cellier, salle principale, etc., ou bien désignant le « poêle », c'est-à-dire l'unique pièce chauffée des anciennes habitations, la Stube allemande. Dans la suite des temps, kobold supplante tous les autres noms, ou bien nous rencontrons des termes vagues comme getwas, « esprit, nain ». Au XIIIe siècle, Rodolphe de Silésie cite le stetewaldiu, « celui qui règne, sur le lieu ; celui qui dirige la maison », le vocable désignant donc une fonction, et Conrad de Wurtzbourg donne taterman comme synonyme de « kobold ».
Au XVIe siècle, les génies domestiques reçoivent dans les Vosges le nom de sottrels ou de soteretz et sont tenus pour des démons incubes qui recherchent la compagnie charnelle des femmes qu'ils suivent (38). Dans son discours des spectres paru en 1586, Pierre Le Loyer cite plusieurs esprits hantant les demeures et, parmi eux, le gobelin :
« Quelquefois aussi es maisons particulières, on ouit des bruits et tintamarres qu'y font les Rabbats, Lutins ou Esprits follets. Ce n'est point une fable ce qu'on dit de ces follets [...] car je dirai à Lucian et à ses semblables, aussi incrédules que lui, qu'il se trouve assez de maisons lesquelles ces Esprits et Gobelins hantent et ne cessent de troubler le repos de ceux qui y habitent ; car tantôt ils remueront et renverseront les ustensiles, vaisseaux, tables, tréteaux, plats, écuelles, tantôt ils tireront de l'eau d'un puits ou feront crier la poulie, casseront les verres, feront rouler par les degrés je ne sais quoi de pesant, feront tomber les ardoises et tuiles du toit, jetteront des pierres, entreront dans ès chambres, contreferont tantôt un chat, tantôt une souris, tantôt d'autres animaux [...], fouleront les personnes couchées en leur lit, tireront les rideaux ou la couverture et feront mille singeries. Et n'apportent ces Follets d'autre nuisance ou incommodité aux personnes qu'en les inquiétant, foulant ou empêchant de dormir ; car les vaisseaux de la maison qu'ils semblent avoir tous rompus et brisés se trouvent le lendemain en leur entier (39). »
Le gobelin, dont le nom se rencontre pour la première fois dans la Vie de saint Taurin (XIe siècle), apparaît ici avec tous les traits des génies domestiques que nous rencontrons quelques siècles plus tard. Il est espiègle et farceur, sème le désordre et agit comme un cauchemar. Dans l'Aubrac, on l'appelle drac.
Outre-Rhin, on appelle ce type de génie Hommelet de la Terre (Erdmännlein), ce qui est aussi l'appellation de nains indéterminés, et la Chronique du comte Froben de Zimmern (mort en 1567) fait de ces êtres des anges déchus dont la faute fut moindre que celle des compagnons de Lucifer. « Ils ont reçu un corpus solidum de la terre et ne sont pas éthérés comme les autres esprits [...]. Ils ont l'espoir de rentrer en grâce et d'être rédimés », ce qui explique « qu'ils se livrent à de bonnes actions et visitent les gens honorables et leur rendent service dans leurs affaires justes et honnêtes (40) ». Jean Wier confirme leur nom : « Bien des êtres de la famille des Lares et des Larves [...] sont appelés Hommelets de la Terre par le commun », et il donne les précisions suivantes : « II en existe deux sortes. Certains sont très doux, débonnaires et dociles, c'est pourquoi on les appelle Lares familiares à juste titre, c'est-à-dire petites divinités domestiques. Ils déambulent dans les maisons, surtout la nuit et se font entendre [...] comme s'ils étaient très affairés, descendant les marches, ouvrant les portes, allumant le feu, tirant de l'eau, cuisinant et expédiant ce qui relève du ménage quotidien, mais ils ne font pas tout cela pour de vrai (41) ... » La seconde catégorie comprend des individus « méchants et violents qui troublent la maisonnée ou, à tout le moins, l'effraient ». Pour le jésuite Pierre Thyraeus, professeur de théologie, ce sont des homoncules (homunciones) et des génies domestiques (Lares domestici) que les hommes appellent des « Jeannots » (Hensemenle) et que les païens avaient coutume de vénérer comme des idoles (42). Il est intéressant de noter que Thyraeus pense que certains génies ne sont que des « âmes humaines condamnées aux tourments de l'enfer et d'autres devant être purifiées par les peines du purgatoire (43) ». Les avis se partagent entre une interprétation des génies comme diables — l'influence de Luther est indéniable (44) —, comme êtres surnaturels et comme défunts.
Au XVIIe siècle, ces opinions se maintiennent et les termes latins qui reviennent sans cesse sous la plume de savants comme J. Clodius et J.-C. Rudinger sont Lares domestici, Lares familiares, mais cette dernière dénomination renvoie plutôt à l'esprit familier (spiritus familiaris) que l'on conserve dans une fiole de cristal ou dans un autre récipient (45). Jean Praetorius nous apprend que le peuple pense qu'il s'agit des âmes de personnes ayant été assassinées dans la maison (46).
Les traditions populaires nous livrent un très grand nombre de dénominations qui se distribuent en six familles :
— La créature reste vague et indéterminée ; on l'appelle « monstre inquiétant » (Umg'hyri), « fantôme » (Gespenst) ou « hantise » (Spuk).
— On la nomme d'après son aspect physique : « Jeune » (Junge), « Petit Gaillard » (Kerlchen), « Hommelet » (Mannchen), « Femmelette » (Weiblein), « Femme » (Frau), « Demoiselle » (Fraulein), tous ces termes renvoyant à des créatures anthropomorphes. Nous avons aussi « Poucet » (Däumling) et des vocables qui connotent l'idée de malformation (Grieske, Schrättli). Mais les noms qui renvoient à des objets ne sont pas rares : Puk (Pug, Butz, Popele) signifie ainsi « bout de bois, billot, tesson de poterie », ce qui nous apprend que ces êtres sont amorphes à l'origine, qu'on leur a peu à peu donné des traits humains, et que ce furent certainement des idoles.
— C'est leur couleur qui est déterminante, et les noms cités ci-dessus sont associés aux adjectifs gris, blanc, rouge, — ou l'âge attribué à la créature : elle est vieille.
— Ces êtres doivent aussi leur nom à leur lieu de résidence ou d’action : Hommelet de la Cure (Pfarrmännel), de la Cave (Kellermännchen), ou encore à leur travail : Hommelet du Fourrage (Futtermännchen), et à leur préoccupation, tel l'Hommelet du Feu (Feuermännchen) ou du poêle (Ofenmännchen). En Scandinavie,
l'esprit du feu s'appelle Lokke et aarevetti (esprit du foyer).
— Ils sont nommés en fonction de la façon dont ils se manifestent et le bruit prédomine ici : Frappeur (Klopfer, Klopferle), Bruiteur (Schlapper), Gargouilleur (Rumpele), etc.
— L'habillement joue un rôle important ; on en retient un trait marquant et nous avons ainsi : Chapelet ou Capuchon (Hütchen, Hödeken), Botté (Stiefel), Robe verte (Grünrock), Culotte bleue (Blauhösler), etc. Dans certaines régions prédomine une forme : en Saxe-Anhalt, c'est celle du monachus, et ces génies s'appellent « Moine » tout simplement, et évoquent le Monaciello italien.
On retiendra que plus de la moitié de ces génies est de sexe masculin et que les noms sont très souvent des diminutifs, ce qui suggère l'idée de la petitesse des individus ou bien celle de la familiarité, de l'affection, ce qui ressort particulièrement des prénoms humains qui fournissent environ 5% des appellatifs : Jeannot (Hänschen, Jokele), Bartel, diminutif de Barthélémy, Chimeken (47) (Petit Joachim), etc.
En marge de ces dénominations, nous rencontrons des noms qui désignent à la fois des génies, des esprits et des morts. En Suisse par exemple, dans le canton d'Uri, Umghyr, « monstre, revenant », et Gspängst, « fantôme, esprit », s'appliquent à toutes sortes de manifestations surnaturelles au sein des demeures. Umghyr correspond à Unhür en Allemagne du Nord, qui désigne un mort malfaisant qui revient et possède parfois les traits d'un vampire. Dans les Alpes valaisannes, Coqwergi désigne le servan qui naît d'un œuf de coq, ou d'une poule noire, couvé par l'homme...
Nous pouvons recouper toutes ces informations en provenance d'Allemagne par celles originaires d'autres pays. En Russie, le génie domestique s'appelle domovoj, « le Maître de Maison » et O.A. Cerepanova note en parlant de ce pays : « Une autre composante de cet univers fantastique est la représentation des êtres transcendants, des esprits et des patrons de divers lieux et domaines. Leur présence dans la maison et dans la cour, aux champs, dans les forêts et dans l'eau est un axiome pour beaucoup d'habitants du Nord encore de nos jours (48). » Le domovoj protège surtout les poules, et les Vots l'ont emprunté sous la forme domovikka (tomavoi, damavoi). En Bulgarie, stopan, « le Protecteur » ou talasum, « l'Esprit de la Maison » désignent le bon génie, mais sajbija, emprunté au turc et signifiant « Maître de la Demeure » n'est attesté qu'au nord-ouest du pays. Nous relèverons au passage que sajbija désigne aussi l'homme que l'on a emmuré dans les fondations ou un membre défunt de la famille qui, en raison de ses œuvres, a laissé un bon souvenir (49).
En France, les traditions populaires recueillies par les ethnologues sont tout aussi riches. Dans les Alpes, on connaît le Servan, qui vient du latin sylvanus, le Chaufaton, le Familier, le Follet (follaton, foulât), le Farfollet et le Matagot, alors que, dans les Pyrénées, Galtxagorri, Mamarro, qui vit dans le foyer, Osencame et Sarricachau, « Dent d'isard », sont préposés à la bonne marche des maisons. Au Pays basque, le génie appelé Maide a même été christianisé pour donner saint Maide ! Le sotré ou satré lorrain est un petit homme laid, difforme et aux pieds fourchus ; il aide la nuit aux travaux domestiques et aime s'occuper des enfants.
En Navarre, le génie domestique porte pour nom « Maître du Logis » (Etxajaun) et, chez les Ossètes, Binat(i)xicau a le même sens ; en Aragon, se rencontre Menos et, en Catalogne, les Minairons. En Grèce actuelle, le töpakas, c'est-à-dire le « Protecteur de la demeure », est étymologiquement lié à topos, « le lieu, la place ».
Les pays du Nord sont particulièrement riches en attestation de la croyance aux génies domestiques. Chez les Finnois, Haltia est le nom le plus répandu et il signifie « le Maître », sous-entendu du lieu (50), et chez les Sames Scandinaves, communément appelés Lapons, les Haldes (hal’de, forgé sur haltia) sont des esprits gardiens anthropomorphiques. En Ingermanie, se rencontrent de nombreux mots composés avec haltia (51), dont Huoneenhaltia, « l'esprit de la salle de séjour ». En Lituanie, Dimispatis est, selon le rapport d'un jésuite daté de 1604, préposé au feu et protège la maison de l'incendie (domos ab igné custodit) (52), alors que Causas Mate, « la Mère de la Prospérité », veille sur la nourriture et que divers génies du foyer sont attestés : les pukys, aitvarai et kaukai. L'Estonie connaît essentiellement le Majavaim, « l'Esprit de la maison », le Majahaldas, « l'Esprit tuté-laire de la demeure », et le Majahoidja, « le Gardien de l'Habitation ». Les Lettons portent un culte au Maître de la Demeure (Mâjas kungs) dont la résidence est le foyer. Pour sa part, la Scandinavie offre cinq séries de dénominations.
La première est forgée sur tomte, « terrain de construction » et associée à des termes signifiant « homme, habitant, esprit », et le terme est passé en Finlande (53) ;
la seconde est formée de tufte, « lieu où l'on va édifier une maison », auquel s'adjoint un déterminant identique à ceux que nous venons de citer ou signifiant « gardien » (vord) ;
la troisième a pour base tun, « ferme, lieu construit » ;
la quatrième gard de même signification (54), la dernière est ra, « maître, souverain », seul ou en composé. Les Votyaks sibériens connaissent le « Maître de l’étable » (gid-kuzo), « du Sauna » (munt'so-kuzo) et « l'Homme du Séchoir à Grains » (obin-murt) (55).
Il faut aussi noter qu'une maison possède un ou plusieurs génies. Quand ils sont nombreux, il s'agit la plupart du temps d'une famille, mais cette conception semble due à une contamination avec les nains. « En général », dit-on du Puk au Schleswig-Holstein, « un seul a l'habitude de résider dans l'habitation, et on l'appelle Nes Puk (56) », et un autre témoignage de Frise nous livre ce qui suit :
« Un pauvre paysan finit par se construire une demeure grâce aux dons de ses voisins et pour assurer son bonheur, il invite les Puke. Ils vinrent bientôt examiner la nouvelle maison, y dansèrent, et l'un d'eux, haut de trois pouces, y resta et choisit de résider dans un trou du poteau. »
Nous soulignerons toutefois qu'il est fréquent que chaque bâtiment d'une exploitation possède son propre génie, ce qui se dégage de la pluralité des noms attestés dans une même aire géographique. Les Lettons connaissent toutefois l'idée de familles de génies domestiques, et Andrejs Johansons cite le cas d'une famille de Lives qui fait des offrandes au père et à la mère de la demeure ainsi qu'à leurs enfants (57).
De cette présentation de l'onomastique des génies nous retiendrons essentiellement les notions de « maître », de « gardien » et de « protecteur ». Le génie domestique est avant tout un esprit tutélaire, serviable et bienveillant, et la majorité des noms en reflète l'anthropomorphisme. Mais à quoi ressemble-t-il exactement ? Comment se manifeste-t-il ?
Claude lecouteux
Notes :
1. Myrdinn ou Venchanteur Merlin, p. 7 ; cité par Laisnel de la Salle, Croyances et Légendes du cœur de la France, 2 vol., 1875, réimpression Paris, 1994, t. 2, p. 111.
2. Cité par Jouet, Religion et Mythologie des Baltes. Une tradition indo-européenne, Milan, Paris, 1989, p. 130.
3. Cité par A. Gieysztor, « Les Divinités lettones », in : P. Grimai (éd.), Mythologie des peuples lointains ou barbares, Paris, 1963, p. 105.
4. Cf. M. Eliade, Traité d'histoire des religions, Paris, 1949, pp. 297-299. Les morts ont toujours été mis en relation avec la germination et la fertilité.
5. Piluitum, deum divitiarum, quem latini Plutum vacant. Cité d'après Jouet, Religion et Mythologie des Baltes..., op. cit., p. 66.
6. C. Lecouteux, « Der Bilwiz : überlegungen zur Entstehungs-und Entwicklungsgeschichte » Euphorion 82 (1988), pp. 238-250.
7. Barstuccas, quos Germani erdmenlen, hoc est subterraneos, uocant.
8. Cf. C. Lecouteux, Les Nains et les Elfes au Moyen Age, Paris, 1972, pp. 182-184.
9. Haavio, Suomalaiset..., op. cit., pp. 39-71.
10. Ibid., p. 194.
11. Ibid, p. 235 sq.
12. Témoignage recueilli en Isère en 1960 ; cf. Abry, Joisten, « Croyance au diable...op. cit., p. 69. Bon aperçu des génies domestiques aux pages 59-90.
13. Johansons, Der Schirmherr..., op. cit., p. 121.
14. Cité par Lindig, Hausgeister..., op. cit., p. 78.
15. A. Labba, Anta, Mémoires d'un Lapon, Paris, 1989, p. 473.
16. Honko, Geisterglaube..., op. cit., p. 194.
17. Pour ce qui suit, cf. Lindig, Hausgeister..., op. cit., pp. 74-79.
18. Paulson, « Hausgeister... », art. cit., p. 129.
19. Honko, Geisterglaube..., op. cit., p. 193.
20. E. Rolland, Faune populaire de la France, t. 4, Paris, 1967, p. 199.
21. Cf. A. et A. Schott, Contes roumains, Paris, 1982, p. 258.
22. HDA4, 1271.
23. J. Mùller, Sagen ans Un, 3 vol., Baie, 1929-1945, n° 997 ; 998 ; 1059.
24. Ibid., n° 1021 ; 1162 C et D, mais d'autres esprits s'y trouvent aussi, cf. n° 1021 ; 1044 A; 1087.
25. lbid., n° 1162 G.
26. Grimm, Mythologie, op. cit., n° 42.
27. Pour la Franconie, cf. Linhart, Hausgeister..., op. cit., p. 370 sq. ; 382 ; 400 sq.
28. Cf. C. Lecouteux, « Ces bruits de l'au-delà », Revue des Langues romanes 101 (1997), pp. 113-124.
29. Barack, Zimmersche Chronik, 1564-1566, 4 vol., Stuttgart, 1869, t. 4, p. 228.
30. J. et W. Grimm, Deutsche Sagen, éd. H. Rolleke, Francfort, 1994 (Bibliothek deutscher Klassiker, 116), p. 126 sq. (N° 75).
31. État des recherches chez Lindig, Hausgeister, op. cit., p. 154 sq.
32. L. Petzold, Kleines Lexikon der Damonen und der Elementargeister, Munich, 1990, p. 91.
33. Arnaudov, art. cit., p. 131. Cf. aussi D.-A. Rabuzzi, « Some notes on thé household spirit in Norway », Scandinavian Yearbook of Folklore 38 (1982), pp. 87-101, ici p. 97. Rabuzzi n'hésite pas à parler du gardvord comme « personnification du rudkall ou stamfader qui peuvent servir de point de ralliement à la communauté ».
34. Arnaudov, art. cit., p. 132.
35. Diederich, Mutter Erde, p. 9 sq. ; autres traces chez Reginon de Priim et Burchard de Worms, cf. Grimm, Mythologie 3, 410, op. cit.
36. E. von Steinmeyer, E, Sievers, Die althochdeutschen Glossen, 5 vol., Berlin, 1879-1922, II, 468, 18 passim ; II, 361, 4 passim.
37. Cf. Johansons, Der Schirmherr..., op. cit., pp. 201-207.
38. Ce qui a entraîné une étymologie erronée qui dérive sottrel du verbe « sauter » (saltare) alors que le terme vient du latin satyrus.
39. Discours des spectres IV, 18 ; cité par Ph. Walter, Le Bel Inconnu de Renaut de Beaujeu. Rite, mythe et roman, Paris, 1996, p. 205.
40. Zimmerische Chronik, éd. K. Barack, 4 vol., Fribourg, 1881-1882, t IV, p. 132.
41. J. Weier, De praestigiis daemonum. Von Teiiffelsgespenst, Zauberern und Gifftbereytern, Francfort, 1586, p. 63.
42. P. Thyraeus, Loca infesta : hoc est : De infestis, ob molestantes daemoniorum et defunctorum hominum spiritus..., Cologne, 1598 ; pp. 327-343.
43. Ibid., p. 17.
44. Luther, « Tischreden », in : Luthers Werke, 6 vol., Weimar, 1912-1921, t 3, p. 634 sq.
45. Ibid., p.63
46. Prätorius, Neue Welt-Beschreibung von allerley wunderbarlichen Menschen..., Magdebourg, 1666, p. 314 sq.
47. Sur ce personnage célèbre en Allemagne, cf. J.-D.-H. Temme, Die Volkssagen von Pommern und Riïgen, Berlin, 1840, n° 214.
48. O.A. Cerepanova, « La Profondeur de la mémoire. Etudes ethnolinguistiques », Cahiers slaves 2 (1999), pp. 156-168, ici p. 156.
49. Cf. M. Arnaudov, « Der Familienschutzgeist im Volksglauben der Bulgaren »,
Zeitschrift fur Balkanologie 5 (1967), pp. 127-137. Sur le stopan, cf. aussi Johansons, Der Schirmherr..., op. cit., p. 89 sq.
50. Reidar Th. Christiansen, « Gârdvette og markavette », Maal og M inné 1943, pp. 137-160, p. 140 sqq.
51. Kotihaltia, Talonhaltia, Tuvanhaltia, par exemple,
52. Cf. Johansons, Der Schirmherr..., op. cit., p. 127.
53. Cf. riihitonttu et tonîti. Riihija, ou rehi etelurehi, désigne toutes les pièces de l'exploitation situées sous un même toit et placées sous la tutelle d'un Protecteur (rehehaldjas), souvent démonisé en fantôme (rehetont) et en diable noir (must), cf. Paulson, « Die Hausgeister... », op. cit., p. 107 sq.
54. Tomtegubbe, tomtekall, tomtevette ; tuftebonde, tuftevette ; tunkall, tunvord ; gârdbo, gardsbonde, gardsrà, gârdbo, gârdbonisse, gardvord. Sur ce dernier, cf. la bonne petite synthèse de T. À. Bringsvserd, Phantoms and Faines from Norwegian folklore, Oslo, 1979, p. 89 sqq.
55. Paulson, « Hausgeister... », art. cit., p. 144.
56. Lindig, Hausgeister..., op. cit., p. 49.
57. Johansons, Der Schirmherr..., op. cit., p. 158 et 171.
Sources : C. Lecouteux, La maison et ses génies, croyances d’hier et d’aujourd’hui – Ed. IMAGO, 2000.
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Je suis né il y a bientôt un quart de siècle au cœur du Pays thionvillois et j'ai vécu heureux les premières années de ma vie entre mes parents et mes grands-parents. Tout naturellement ils m'avaient transmis leur langue, cette langue que leur avaient transmis leurs propres parents et grands-parents, cette langue transmise ainsi de bouche à oreille, de parent à enfant dans une chaîne ininterrompue depuis l'aube de l'humanité. Leurs ancêtres les francs, mes ancêtres avaient vécu il y a deux mille ans dans les plaines du nord de l'Allemagne, parlant une langue germanique, la transformant en la parlant pour lui donner peu à peu son aspect, sa sonorité, sa syntaxe actuelle, la polissant comme une pierre précieuse pour la livrer toujours plus belle à la génération suivante. Il y a 1400 ans, poussés par d'autres peuplades germaniques, ils se sont répandus sur les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg, la Rhénanie et la moitié nord de la France. En France et dans une partie de la Belgique ils étaient en faible nombre et ont été submergés par la population autochtone de langue romane. Dans l'autre partie de la Belgique et en Hollande leur langue a évolué jusqu'au néerlandais actuel. Dans une grande partie de l'Allemagne, elle a contribué à l'élaboration de l'allemand moderne. Mais chez nous, à Thionville, à Luxembourg, à Arlon, à Bitburg ou une partie du peuple franc s'est établi, leur langue a évolué en une langue originale: la langue francique qui conserve dans son nom le souvenir de l'ancien peuple.
C'est dans cette langue à l'antiquité et à la noblesse incontestable que mes parents m'ont parlé, penchés autour de mon berceau, c'est elle qui m'a ouvert au monde et c'est grâce à elle que se sont forgées dans ma tête mes premières pensées d’amour de crainte ou de tendresse. A travers elle, j'ai découvert le monde extérieur, j'ai exploré mon âme. C'est dans cette langue que j'ai prononcé mes premiers mots, mes premières phrases. Elle m'a permis de devenir un être humain, de m'inventer un univers, de rêver de mille choses.
Mais bien vite j'ai appris qu'il existait à l'extérieur de notre cercle familial une autre langue que mes parents utilisaient à l'occasion avec d'autres personnes du village et surtout quand nous allions en ville. Ce langage étranger m'intriguait beaucoup, d'autant plus que je ne le comprenais pas vu qu'on ne le parlait jamais à la maison. De plus seuls mes parents semblaient le connaître, mes grands-parents ne l'employaient jamais. Quel était donc ce parler aux consonances si étranges, si différent de notre langue mélodieuse que j'entendais de temps en temps autours de moi? Au fur et à mesure que les années s'écoulaient, ce parler s'insinua de plus en plus dans notre famille. Mes parents se mirent à le parler de plus en plus et m'apprirent qu'on l'appelait la langue française et qu'un jour ils m'amèneraient dans une école ou moi aussi je pourrai alors l'apprendre.
C'est à l'âge de 7 ans que je suis entré à l'école du village, ne parlant que la langue francique et comprenant au hasard quelques mots de français dans une conversation. Mais n’était-ce pas le cas de tous les garçons de mon âge au village? C'est là que se déclencha en moi la lutte entre ma langue maternelle que je portais dans chaque fibre de mon être et le français qu'on m'imposait de l'extérieur. Notre instituteur qui venait de la ville était un homme fier et distingué. Sa tenue contrastait vivement avec celle des gens du village et naturellement il ne savait pas le « Platt ». Quel contact pouvait s'établir entre cet homme qui ne savait rien de notre langue et nous qui ne savions rien de la sienne? Je me souviens que le premier jour il interrogea l'un de mes camarades d'un ton sec: « Jean-Pierre debout! » Le dit Jean-Pierre qui ne s'était jamais entendu appeler autrement que Jhempi resta naturellement assis. Et l'instituteur d'en conclure qu'il devait être sourd ou arriéré mental et de le reléguer au fond de la classe avec une feuille de dessin et des crayons de couleur pour ne pas avoir à s'occuper de cet être si primaire.
Il a voulu tuer en nous la langue de nos parents et la remplacer par la sienne qu'il nous enseigna pendant 7 ans sous la contrainte du bâton. Notre langue qu'il appelait « le patois » était interdite dans l'enceinte de l'école aussi bien en classe qu'à la récréation. Et gare à celui qui osait en prononcer un mot! Il se voyait confier un objet qu'il devait remettre à l'un de ses camarades qu'il surprenait à parler aussi « patois ». Celui qui avait l'objet à la fin de la récréation recevait une punition (nettoyer la classe ou encore les W.C.). C'est ainsi qu'on a voulu faire de notre langue à nos yeux un objet de dérision, vulgaire, qui méritait une punition et qu’il fallait abandonner pour être bon en classe. L'instituteur en rencontrant nos parents dans le village les invitait de façon véhémente à parler français avec nous à la maison pour continuer son travail. Il disait que notre avenir était en jeu et que tant que nous parlerions « patois » nous ne pourrions jamais espérer faire de bonnes études, que le « patois » était un obstacle pour apprendre le français et avoir une bonne orthographe.
Il a voulu détruire ma façon de penser, ma poésie intérieure, il a voulu tuer mon âme. Il a voulu remplacer dans mon cœur Mamm par mère, Papp par père, il a voulu remplacer dans mes yeux Bam par arbre, Sonn par soleil, il a voulu remplacer au plus profond de mon être Dram par rêve. Mais comment aurait-il pu comprendre le monde merveilleux que je m'étais forgé au plus profond de moi-même dès ma plus tendre enfance, dans ma langue; un monde intraduisible en français, entièrement basé sur des correspondances phoniques entre les mots. C'est ainsi qu'en moi Mamm évoquait la douceur par la répétition du phonème « m ». C'est le mot le plus facilement prononçable pour un enfant. Les phonèmes « m » et « a » sont les premiers prononcés par le bébé car ils sont exhalés naturellement lors de la respiration en expirant par la bouche. On aboutit ainsi au son nmal puis au son Mamm avec refermeture de la bouche. C'est sans doute le premier mot que j'ai prononcé. Puis en faisant exploser davantage le premier « M » j’ai prononcé le son Bam (l'arbre) et dans mon esprit s’est tissé alors une correspondance phonique entre Mamm et Bam, correspondance conceptuelle aussi entre la mère source de la vie et l'arbre, source de tant de bienfaits pour l'homme (fruits, chauffage, ombre) et qui est pour ainsi dire une seconde mère. De Bam nait une correspondance phonique avec le mot Sam (la semence) autre source de vie et de nourriture pour l'homme. Ainsi en francique ces trois mots: Mamm, Bam, Sam ont en commun à la fois des sons semblables d'où nait un lien poétique entre eux, mais aussi des significations qui rentrent en correspondance et qui créent entre eux un lien sémantique. Sur un autre axe de correspondance Bam amène en moi le mot Dram car la grandeur de l’arbre qui s'élève vers le ciel permet à l'homme le rêve vers l’infini.
Quand l'instituteur du village a voulu remplacer chez moi Mamm par mère, Bam par arbre, Sam par semence et Dram par rêve, il a essayé de tuer toutes les correspondances et les liens étroits qui relient en moi ces quatre mots. Si je dis: « Main Dram as e Bam, je peux créer par la ressemblance phonique qui existe entre Dram et Bam un monde poétique qui est détruit si cette phrase devient: « mon rêve est un arbre ».
On voit donc qu'une langue n'est pas seulement un dictionnaire et une grammaire. Passer d'une langue à une autre n'est pas seulement employer certains mots à la place d'autres, c’est passer d'un monde à un autre, d'une manière de penser à une autre. Une langue véhicule en elle une façon d'appréhender le monde et elle modèle l'âme de celui qui la parle puisqu'il va exprimer toutes ses pensées conscientes par le moyen de cette langue. Imposer à un enfant une langue autre que sa langue maternelle c'est détruire toute sa façon de concevoir le monde et la remplacer par une autre à laquelle son esprit n’est pas adapté et qu'il ne pourra jamais assimiler entièrement, c'est donc arracher une parcelle de son âme sans lui donner de contrepartie valable. De ce fait cet enfant ne saura plus parfaitement sa langue maternelle et ne saura jamais parfaitement la langue imposée. Il sera culturellement dévalorisé. Il aura des connaissances des deux langues mais possédera les deux de façon imparfaite. Il ne saura jamais apprécier l'une ou l'autre langue dans toute son étendue. Il saura beaucoup moins bien sa langue que ses parents parce qu'il aura cessé de la parler et saura aussi moins bien le français que le parisien qui l'a toujours parlé.
Combien de jeunes aujourd'hui se trouvent dans ce cas? Des centaines de milliers. La perte de nos langues maternelles propres (francique, breton, basque etc...) est une déculturation massive de l'homme, un recul de la civilisation, une catastrophe pour l'humanité.
Si moi je n'ai pas perdu ma langue à cette époque et si je peux encore la parler aujourd'hui alors que tout était mis en place pour me la faire oublier (école, radio, télévision), c'est que j’ai pris conscience au moment où je la perdais que ma langue était mon bien le plus précieux. Beaucoup d'autres avant moi ont déjà brandi l'étendard de la révolte. Demain, d’autres suivront, ils refuseront de perdre leur langue au profit d'une qui ne pourrait jamais la remplacer sans nous amoindrir culturellement. Tous ceux qui l'ont perdu se lèveront aussi, conscients du bien inestimable qu'ils ont laissé perdre et tous ensembles des Flandres à la Catalogne, de la Bretagne à l'Alsace nous serons assez forts pour exiger que nos langues soient enfin respectées et officialisées, que chaque enfant puisse être instruit et alphabétisé dans la langue de ses ancêtres, comme c'est le cas dans presque tous les pays du monde à l’heure actuelle.
Pour ma part je suis décidé à mener la lutte jusqu'à ce que notre langue soit enseignée à l'école à tous les niveaux, jusqu'à ce qu'elle ait sa place à la radio et à la télévision, c'est à dire jusqu'à ce que tout ce qui l'opprimait devienne pour elle un moyen de propagation, jusqu'à ce qu'on nous accorde ce qu'on a déjà accordé à la Catalogne, au Pays Basque, au Val d'Aoste et à tant d'autres entités ethniques: un statut d'autonomie.
S.H.
Sources : Hémechtsland a sprooch - N°14, 1978.
Un ancien des services de renseignements israéliens à la tête de la rédaction de Libération
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- Catégorie : ACTUALITE
Le mercredi 16 septembre, les salariés du journal Libération ont élu leur nouveau directeur de rédaction : l’israélien Dov Alfon.
Fondé par Jean-Paul Sartre et Serge July, Libération, quotidien de gauche dont l’histoire retiendra qu’il fut un défenseur de pédophiles dans l’héritage de la pensée soixante-huitarde, vient de faire un choix qui n’est pas anodin. Libération devait remplacer Laurent Joffrin, parti cet été créer son mouvement politique, Les Engagé.e.s.
C’est donc Dov Alfon, 59 ans, qui dirigera la rédaction du quotidien Libération. Dov Alfon est présenté comme un ancien journaliste d’Haaretz, quotidien de la gauche israélienne.
Il n’est pourtant pas que cela. C’est un ancien de l’Unité 8200, unité de renseignement de Tsahal. Cette unité spécialisée dans le renseignement d’origine électromagnétique et le décryptage de codes se situe au même niveau que la NSA pour les Etats-Unis. Plusieurs anciens membres de cette Unité 8200 ont ensuite pris des fonctions dans des entreprises de technologies de l’information dans différents pays.
L’Unité 8200 gère la base d’Urim SIGIT, dans le désert du Neguev, capable d’intercepter des appels téléphoniques, des courriels et d’autres types de communication à travers le monde.
Dov Alfon fit son service militaire dans cette Unité 8200 et y fut rapidement nommé chef de section.
Arno Breker parle, une interview de Jean-Louis BRASSAC. (Seconde partie)
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LES VAINCUS ONT TOUJOURS TORT!
— Quelles ont été vos impressions lors du déclenchement des hostilités entre la France et l'Allemagne?
— Entre 1934, c'est-à-dire l'époque où j'ai quitté Paris pour Berlin, et la visite avec Hitler en 1941, je ne suis venu qu'une fois à Paris. C'était en 1937, lors de l'Exposition internationale; je faisais partie du jury. Je crois qu'à cette époque les rapports entre nos deux pays, nos deux peuples s'amélioraient... Je sentais que certains Français, las des troubles et du désordre, souhaitaient chez eux un régime analogue au nôtre. L'idée d'une guerre avec la France me semblait absurde... Je fus d'autant plus étonné quand la France nous déclara la guerre... On dit toujours que c'est l'Allemagne qui a déclaré la guerre à la France en 1940, en 1914, en 1870... C'est faux! On dit que c'est l'Allemagne qui porte toutes les responsabilités de la dernière guerre. C'est faux! On disait aussi cela de la précédente... A cette époque l'Allemagne était comme encerclée. Le pacte franco-soviétique, ratifié en février 1936 avait causé une grande émotion en Allemagne. On ne voulait pas, certaines puissances ne voulaient pas d'une Allemagne forte et indépendante. Hitler ou Monsieur «Schmidt», cela n'avait pas d'importance et le résultat aurait été le même... On avait toujours poussé la Pologne contre nous. Et pourtant tout était possible, on pouvait tout éviter. N'est-ce pas Churchill qui a dit dans ses Mémoires: «La seconde guerre mondiale était la plus facile à éviter de toutes les guerres.» Seulement, le redressement de l'Allemagne, quelques aspects de la politique de Hitler déplaisaient à certains milieux. Je me souviens en avoir discuté avec le ministre Chautemps. Il m'apprit, en particulier, que les Anglais, ou plutôt leur gouvernement, avait versé des sommes énormes pour stimuler le courant d'opinion anti-allemand en France! D'ailleurs, notez-le bien: Hitler n'a pas déclenché tout de suite les opérations militaires contre la France, après la déclaration de guerre. C'est qu'il espérait toujours aboutir à un arrangement, un compromis.
Qu'avons-nous gagné à cette guerre? Nous, Européens! Tant de millions de morts! Pourquoi cette Croisade! Aujourd'hui, vingt-cinq ans plus tard, des hommes s'entretuent toujours, des minorités sont toujours persécutées. Ce qui me réconforte, c'est qu'entre nos deux pays, il n'y a plus de guerre possible! Alors pourquoi revenir sans cesse sur le passé et vouloir déformer l'histoire par tant de mensonges! On dit: «L'Allemagne est coupable! L'Allemagne est la seule coupable!» Et tout le monde le croit! La presse et les moyens d'information déforment les faits: «L'Allemagne a toujours tort.» Bien sûr, le vainqueur a toujours raison! Il peut raconter ce qu'il veut! Tenez voici un petit exemple qui me concerne personnellement.
Arno Breker se lève, se rend dans la pièce voisine. Un instant plus tard, il revient, brandissant un journal.
Voyez ce journal littéraire français si respectable! Je viens d'y lire un article sur le général Lammering, responsable de sanglantes représailles à Tulle. Et bien, j'ai ainsi appris que j'étais «un ami intime de ce général» et que je buvais «avec lui d'énormes chopes de bière» (!) Or, c'est absolument faux: je n'ai jamais rencontré cet homme et je ne le connais pas! Pourquoi écrire de tels mensonges? C'est le règne de l'imposture! Voici maintenant que l'on évoque Oradour à mon sujet, et je ne peux me défendre! On essaie à tout prix de nous enfoncer dans le crâne un sentiment de culpabilité!
A la fin de la guerre, j'ai été convoqué par un des responsables du C. I. G. (organisme américain de «dénazification»). Il m'a dit, en un allemand fort correct: «Ecoutez, il faut absolument dire que vous regrettez d'avoir travaillé pour Hitler...» J'étais abasourdi... « Mais comment? dites-moi ce que je dois répéter! Est-ce que je dois dire que je regrette infiniment d'avoir trop bien travaillé!» Finalement lui-même ne trouvait pas de formule, alors il a fini par comprendre l'absurde de la situation...
Or bien, qui dérangerait Volkswagem, la plus grande affaire allemande, création de Hitler (la voiture du peuple)! Qui reprocherait à Mercedes d'avoir contribué pendant toute la guerre à la construction des chars d'assaut? Bon nombre de ses voitures roulent en France et ailleurs. Ces firmes sont en dehors de la question ! En revanche, les artistes, les intellectuels, les journalistes sont jugés coupables pour avoir travaillé dans leur spécialité et pour avoir accepté le régime choisi par leur pays!
Et quand je pense que Rudolf Hess est toujours dans la forteresse de Spandau, enfermé, à l'âge de soixante-seize ans!... Les Anglais savent très bien pourquoi ils ne le libèrent pas. Vingt-cinq ans après, ils redoutent toujours certaines vérités. Hitler ne voulait à aucun prix d'une guerre avec l'Angleterre, car il avait un profond respect pour le peuple anglais et son histoire.
— Est-il exact que par deux fois Staline vous ait fait proposer de venir entreprendre des travaux monumentaux en URSS?
— Absolument! Je sais que Staline se faisait envoyer par courrier diplomatique toutes les photographies de mes travaux. Il était ainsi au courant de mon travail du commencement jusqu'à la fin. Il avait chargé Molotov de m'inviter à Moscou. Quand celui-ci vint à Berlin pour la signature du pacte germano-soviétique, il me laissa entrevoir de gigantesques commandes. Les travaux de Berlin me suffisaient déjà amplement. J'entends encore Molotov: «Nous avons des bas-reliefs qui vous attendent, de cent mètres de long sur quatre mètres de haut. Les pierres sont prêtes, mais nous n'avons pas de sculpteurs en URSS...» La deuxième fois, c'était en 1945, et par l'intermédiaire de deux officiers américains, Je sortais justement de clinique. J'étais anéanti, moralement et physiquement. Ce n'était pas le moment, c'est le moins qu'on puisse dire !
— C'est à cette époque que votre atelier et l'ensemble de votre œuvre d'artiste ont été détruits, n'est-ce pas?
— Totalement détruits ! Les Américains ont détruit mon atelier. Complètement! La guerre était terminée! Mon atelier était très grand, c'était la perfection même. Il n'avait pas du tout souffert de la guerre.
Les Américains sont donc arrivés, ils cherchaient un dépôt, c'est mon atelier qu'ils ont choisi! Ils ont tout vidé! Ils ont tout cassé! Tout! Vous comprenez!
Arno Breker élève la voix en prononçant ces derniers mots. Je comprends ce qu'il ressent en ce moment.
HITLER ET PARIS
— Parlez-nous de votre exposition à Paris, en 1942 ?
— Quand on m'a invité pour cette exposition, j'ai d'abord refusé. Je ne voulais pas, en tant que «vieux Parisien», faire une exposition dans de telles conditions. Mais entre-temps on avait arrêté mon fondeur, Rudier, qui avait fondu l'œuvre de Rodin et de Maillol, parce qu'il avait refusé aux autorités d'occupation de fabriquer des pièces de guerre.
Rudier était en prison à Fresnes. Il put heureusement faire sortir un petit mot qui arriva jusqu'à moi à Berlin. Aussitôt, j'allai chez Speer. Je lui dis: «Ecoute, je vais faire cette exposition à Paris, à la condition que Rudier fasse des fontes pour moi. Speer me dit tout de suite: —Qu'est-ce que tu veux? De combien as-tu besoin?
— Trente tonnes de bronze», lui ai-je répondu. Il me fallait aussi du coke. J'ai tout obtenu et Rudier a travaillé jusqu'à la fin de la guerre pour moi. Sa fonderie fut sauvée.
Et il n'a pas travaillé seulement pour moi, mais aussi pour beaucoup de sculpteurs français. Voilà pourquoi j'ai fait cette exposition à l'Orangerie, qui a d'ailleurs été un succès. Je le dis, parce qu'on me le reproche encore aujourd'hui.
D'ailleurs, aussitôt que les troupes françaises entrèrent en Allemagne, il y eut aussi des expositions d'artistes français, à Baden-Baden et ailleurs...
— Qu'avez-vous fait pour le rapprochement artistique franco-allemand?
— Comme vous le savez, j'ai travaillé pour le rapprochement de la France et de l'Allemagne dès la fin de la première guerre mondiale. Comme mon ami Benoit-Méchin en France. A mon grand étonnement, je me rendis compte, lors de la visite de Paris, que Hitler était un grand admirateur de la culture française, ce que personne n'avait jamais soupçonné. Je percevais tout le parti que je pouvais tirer de cette constatation.
Je lui demandais s'il était possible que des artistes français participent aux grands travaux de Berlin. Alors Hitler commanda une fontaine à Maillol et une grande mosaïque à Derain. Il était sans parti-pris. Voulant avant tout préserver un climat d'entente mutuelle, malgré les événements. Je tentais de faire libérer les artistes français prisonniers, ils étaient environ vingt-cinq-mille. Malheureusement, après l'évasion du général Giraud, Hitler ne voulut plus entendre parler de ce projet.
— Vous avez accompagné Hitler lors de sa visite de Paris?
— Je ne puis vous faire sentir à quel point j'étais ému de retourner à Paris dans de telles conditions. Nous sommes passés par Bruly, à la frontière belge, puis de là nous avons pris l'avion jusqu'au Bourget.
Le 23 juin, à l'aube, nous sommes donc rentrés dans un Paris vide. C'était impressionnant. Nous étions entrés par la porte de la Villette, puis nous avions pris la rue de Flandres, et la rue de Lafayette. Nous arrivâmes enfin à l'Opéra. Hitler attachait particulièrement d'importance à la visite de l'Opéra, car il rêvait d'en faire construire un à Berlin ou à Munich. Il connaissait à fond l'œuvre de Garnier; mais il n'avait jamais eu l'occasion de visiter l'Opéra. Il le fit de fond en comble, ce jour-là. Puis, la Madeleine, les Champs-Elysées, la place de l'Etoile et l'Arc de Triomphe, le Trocadéro, la Tour Eiffel... Hitler était fasciné. L'Ecole militaire, les Invalides, la Chambre des Députés, le boulevard Saint-Germain, Saint-Sulpice, le palais du Luxembourg, l'Odéon, le boulevard Saint-Michel, le Panthéon... Nous fîmes demi-tour à la hauteur de «la Closerie des lilas».
Hitler voulut pousser jusqu'à Montmartre où j'avais travaillé... Le Palais de Justice, la Sainte Chapelle, Notre-Dame, l'Hôtel de Ville, la place des Vosges, le Marais, le Louvre, la place Vendôme, l'Opéra de nouveau, la rue de la Chaussée d'Antin, la place Clichy, la place Pigalle, le Sacré Cœur... Nous quittâmes ensuite Paris et reprîmes l'avion au Bourget. Hitler pria le pilote de tourner un moment au-dessus de Paris, à faible altitude. Peut-être des Parisiens se souviennent-ils d'avoir vu cet avion? J'étais fort étonné de constater que Hitler était mieux préparé que moi à cette visite, et pourtant comme «vieux Parigot», je connaissais beaucoup de choses. Mais lui savait tout: les dates historiques, les mesures, les emplacements des monuments... Il était très ému, presque bouleversé. Au sommet de la colline de Montmartre, je me souviens que Hitler me dit : «II fallait absolument préserver cette merveille de la culture occidentale, épanouie devant nous. Il fallait la garder intacte pour la postérité. Nous y avons réussi».
Après la visite de Paris, je n'oublierai jamais cet instant où devant moi, juste en face de moi, Hitler perdit contenance, tant il était troublé par les souvenirs de cette journée.
Cet orateur exceptionnel cherchait ses mots, balbutiait... Finalement, je l'entendis murmurer: «Ce fut une lourde responsabilité:» II était visiblement en proie à une grande émotion en prononçant cette phrase, en évoquant le déclenchement des hostilités entre la France et l'Allemagne. Peut-être entrevoyait-il que l'affrontement entre nos deux pays conduirait à l'effondrement de notre civilisation.
Quand on a entendu de telles phrases, quand on a assisté à de telles scènes, quand on a visité Paris avec Hitler, on ne peut croire au fameux: «Paris brûle-t-il?» Un homme qui avait donné l'ordre aux troupes de contourner Paris et d'éviter tout combat dans sa périphérie pouvait-il, quatre ans plus tard, ordonner la destruction de cette même ville?!...
«LA CONDAMNATION DES VAINQUEURS»...
Arno Breker me parle alors de ses amis français: Maillol, Despiau, Cocteau Derain, Vlaminck, Pascin, Cortot, Guitry, Benoit-Méchin...
— Le premier que j'ai connu, ce fut Jean Cocteau. Il m'a laissé une très grande impression. Je me souviens, une fois, j'étais allé au «Bœuf sur le toit» avec un ami allemand; nous étions toute une bande: Cocteau le fils de Renoir, Léger... Mon ami parlait très fort. A un moment, le chef d'orchestre fit arrêter la musique et s'adressa au public: «Tant qu'il y aura des boches ici, la musique ne reprendra pas!» Nous avons été forcés de partir. Cocteau était scandalisé. C'était, lui aussi, un ardent partisan de la réconciliation franco-allemande.
Le téléphone sonne. C'est Maurice Bardèche qui veut complimenter Arno Breker sur son livre. Ceci nous amène à parler de Robert Brasillach.
J'ai bien connu Brasillach. C'était un homme courageux, et aussi un très grand écrivain. Vous connaissez son Anthologie de la poésie grecque! Brasillach a toujours été touché par la culture germanique, comme moi par la culture française. Nous avons travaillé dans le même but. Brasillach, un traître! Il a eu le malheur d'être arrêté parmi les premiers. Un homme comme Cocteau, par exemple, s'il avait été arrêté à la même époque aurait probablement subi le même sort.
Il y a une chose que je voudrais dire et qui me tient beaucoup à cœur: Tous mes amis français se sont toujours comportés en français! Ils ne faisaient pas de courbettes à l'occupant! au contraire! Je n'ai jamais vu d'hommes aussi courageux que la plupart de ces «collaborateurs»... Leur position était si délicate à soutenir. Cela m'a toujours touché énormément! Ils allaient même souvent trop loin dans leur courage. Il faut le dire aujourd'hui. C'est absolument nécessaire à la défense de la vérité.
— En dehors de la sculpture,, avez-vous été attiré par d'autres moyens d'expression artistique?
— Oui, bien sûr! A l'Ecole des Beaux-Arts, je poursuivais parallèlement des études de sculpture et d'architecture. J'ai d'ailleurs hésité assez longtemps avant de me décider. La lithographie m'a aussi tenté, mais je n'ai jamais eu le temps. Maintenant j'ai le temps, mais c'est l'argent qui manque !
— Comment voyez-vous l'avenir de votre pays?
— C'est une question très grave que vous me posez là. Je ne cache pas que je suis extrêmement pessimiste. Il y a une certaine analogie entre ma situation personnelle et celle de mon pays. De la même façon que je suis toujours coupable, mon pays est toujours coupable! Il faut se méfier de la prospérité de l'Allemagne actuelle. En cas de difficultés, nous pouvons en quelques mois être complètement par terre. Quelles seraient alors les conséquences politiques? En face de cela, je ne vois pas pour l'instant une ouverture quelconque. Je désirerais enfin assister à la création d'une véritable Europe libre, idéal pour lequel je lutte depuis 1918.
Mais aujourd'hui où en sommes-nous? En Allemagne, il n'y a plus d'opposition! La propagande des Alliés après la guerre a fait du bon travail: On a appris aux enfants à douter de leurs parents. Les pères étaient fautifs. On a brisé les familles! Néanmoins, certaines valeurs sont indestructibles. Et on ne peut être éternellement coupable! Ainsi, je ne peux pas exposer, parce que je suis Coupable! Je ne peux pas travailler comme je le voudrais, parce que je suis coupable! Et si quelqu'un me salit, m'injurie, dans la presse ou ailleurs, je ne peux me défendre, car je ne trouverais pas un juge assez courageux pour me rendre justice. Je suis inexistant! J'ai toujours tort! Comme le vaincu! Je suis un vaincu, c'est tout!
Mais Arno Breker ne ressemble pas à un vaincu. Il pense sans doute avec nostalgie à ces statues de marbre et de bronze qui s'élevaient au fronton d'un monde de gloire qui s'est écroulé sous les coups de boutoir des croisés de la Démocratie. Mais l'artiste est toujours debout, car il est fort.
Non! Arno Breker n'est pas un vaincu. Car il sait qu'au-dessus des haines et des préjugés passagers et imbéciles, il y a une civilisation commune, la civilisation de l'Occident, à laquelle il peut être fier d'avoir apporté, en tant qu'artiste et en tant qu'homme, sa large contribution.
Au moment de quitter cet homme, je ne puis m'empêcher de songer à cette phrase de l'écrivain portugais Ramalho Ortigâo, si souvent citée dans Découvertes: «Combien, ô combien de fois, à travers les immanentes justices de l'Histoire, la défaite des vaincus n'a-t-elle pas été la condamnation des vainqueurs!...».
Il n'existe qu'un seul péché:
Tout le reste n'est qu'ignorance.
Et c'est pourquoi prions, si nous devons prier:
Préservez-nous, Seigneur, de toute lâcheté!
BALDUR VON SCHIRACH
Sources : Découvertes – Décembre 1970.
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