Militant au Front national. Nostalgie...
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Né en 1970, Pierre Gillieth collabore à l'excellent magazine Réfléchir et agir, et a écrit deux romans dont un salué par Michel Déon et A.D.G., et plusieurs essais. Il nous propose une plongée dans ses années de jeunesse des plus tumultueuses. Ce roman autobiographique au titre bizarre (Western électrique), paru chez Auda Isarn, décrit le milieu ultra bourgeois dont il est issu (la famille Baudis, son grand-père Pierre et son oncle Dominique furent maires de Toulouse), aux antipodes de ses convictions et de son militantisme nauséabonds. Il milita, en effet, au Front national, certes pas dans la tendance « cages aux folles », et nous livre quelques pages roboratives et amusantes, mais aussi profondes. Notons que quelques paragraphes un peu lestes pourraient cependant choquer certains lecteurs.
Le début du livre évoque « cinq types (qui) jaillirent d'une vieille Talbot au rouge fatigué, des affiches à la main, avec un seau et des pinceaux dégoulinant d'une colle blanchâtre ». Les affiches, siglées du triangle du Front national de la jeunesse, représentent un avion au décollage, « Quand nous arriverons, ils partiront ! » Parmi les « colleurs », il y a bien sûr Bertrand qui n'est autre que le double de Pierre Gillieth. Bertrand, qui est huissier, s'ennuie prodigieusement dans son travail. Il y jouit cependant de quelques distractions, observant, tel un entomologiste, le fils de son patron qui est un peu attardé et sert de coursier: l'occasion pour l'auteur de dépeindre avec talent et cruauté le personnage en quelques lignes: « Un gnome d'à peine un mètre soixante, avec une tête disproportionnée par rapport à son corps malingre, des cheveux noirs courts et une paire de lunettes masquant mal les tics nerveux du personnage. Il marchait en levant alternativement bien haut les genoux, comme un soldat de plomb à la parade, d'un pas d'hoplite. Mais on ne le plaignait pas, généralement comme il sied à ce genre de malheureux, parce qu'il était teigneux, égoïste et sournois ». On constate dès l'introduction la haute empathie qu'éprouve l'auteur pour l'humanité souffrante...
Famille bourgeoise et bête immonde
« Rien ne m'avait prédestiné à rallier la bête immonde, raconte Bertrand, J'étais né dans une famille bourgeoise de centre-droit. Mes parents et leurs amis étaient hédonistes, bien dans l'air du temps post-68, tout un mode de vie fait d'aisance et de luxe décontracté ». Quand Bertrand apprit aux siens qu'il militait au Front national, ce fut la consternation. Il explique les raisons de son engagement: l'immigration, la mort du monde paysan, la mondialisation. Son père, qui vit dans une magnifique maison XVIIIème et dans un hôtel particulier, lui réplique: « On ne pouvait rien y faire ». Commentaire de Bertrand: « Là, forcément, le bruit et l'odeur chers à Chirac sont moins olfactifs et urticants. Oui, l'égoïsme est le maître mot de la bourgeoisie française qui ne vote qu'en fonction de sa feuille d'impôts ». Bertrand évoque aussi son arrière-grand-père Albert Baudis, dit Papé, un autre personnage. Il se prénommait en réalité Adolphe mais « changea son prénom quad le Grand Moustachu se fit un prénom dans les années trente ». Il racontait au petit Bertrand, pour son plus grand délice, d'horribles histoires de la Grande Guerre, les obus, les schnarpels, mais aussi les coups de grisou des mines qu'il dirigeait. L'enfant adorait et disait à sa mère effondrée: « Dis Maman, quand est-ce qu'il y aura une guerre ? » Commentaire douloureux de Pierre Gillieth: « Cet enfant était déjà perdu pour la démocratie et l'humanitaire. Les crimes contre l'humanité et le fascisme lui tendaient déjà les bras ». Et c'est ainsi que Bertrand devint assez tôt « le punk de la famille, un pied dans le rock, l'autre dans le fascisme ». Bertrand n'était cependant pas le seul de la famille Baudis, si bourgeoise, à flirter dangereusement avec l'excentricité. Il y avait son oncle Jean-Pierre qui avait quelques fixettes. Il détestait les anesthésistes qui, pour lui, étaient une bande de fainéants inutiles qui, une fois leur piqûre faite, se roulaient les pouces. Il s'emportait aussi contre les pilotes d'Air France qui faisaient grève et lui faisaient louper quelques jours à New-York, dans un palace. Sa solution, quelque peu radicale? « Il faut les fusiller. Tu comprends ? Tous ! » Commentaire de Bertrand: « Jean-Pierre m'amusait car il fusillait souvent ». Il ajoute: «Moi, j'ai toujours aimé les dingues. Leur poésie, leur fantaisie »...
Au Front national
Le « Fasciste" se devait évidemment de se rendre, avec ses camarades, à une manif' nationale du Front à Carpentras, pour protester contre l'ignoble manipulation dans l'affaire du cimetière. Toute la classe politique, de gauche et de droite s'indignait et désignait l' « extrême droite ». L'auteur rappelle cette image de Pierre Joxe, le ministre de l'Intérieur, « la mine grave, son chapeau quasi-loubavitch », déclarant: « Il n'y a pas besoin d'enquête policière pour savoir quels sont les criminels ». « L'exagération, chez ces gens-là, est une habitude », commente Gillieth. Il rappelle que, curieusement, Simone Veil sut garder la tête froide, appelant à « ne pas imputer à quiconque, sans preuves, la responsabilité de Carpentras ». « Cet imbécile » de Louis Aliot, « avec sa gueule de plouc endimanché », a droit à un dézinguage en règle: « Louis Aliot était un grand type de notre âge, vingt-trois ans, une carrure de rugbyman, le genre agricole, mal déguisé en bourgeois. Il portait une chemise bleue et un blazer bleu-marine. Jusque-là, tout était parfait. Mais une chaîne terminée d'une médaille en or scintillait dans l'ouverture de sa chemise ». L'élégance cachère, sans doute... Un des comparses de Bertrand ironise au sujet de ces étudiants modérés (donc modérément courageux) que nous avons tous connus, qui se baladent en première année de droit avec un attaché-case de ministre et se la jouent futur énarque. « Ce que j'aime chez ces gens, c'est une certaine intelligence au sujet d'un idéal désintéressé. On sent que ces mecs-là auraient pu défendre le bunker du Führer à Berlin en 1945 », persifle le camarade de Bertrand qui en rajoute dans l'ironie: « Il y a chez eux un côté Malraux, Saint-Loup, Hemingway ou Brasillach ». Qu'il est méchant !
Nostalgie...
1er mai 1995, la « Jeanne d'Arc, notre Facho Pride à nous », se rappelle Bertrand. Jean-Marie Le Pen venait de faire 15% à la Présidentielle deux semaines auparavant. Les slogans d'une époque révolue: « Europe Jeunesse, Révolution », « Le Pen Président », « Deauville-Sentier, territoires occupés », « Immigrés dehors les Français d'abord ». « Nous avions alors foi et espoir dans le Front national. Qui nous décevra ensuite par sa dérive monégasque et la médiocrité de ses cadres, sa non-envie de montrer un visage radical mais également sérieux. Au lieu de cela, nous aurons tout un ramassis de médiocres ambitieux ». « Les gens étaient heureux, cela se voyait sur leur visage. Ils avaient repris espoir », constate Bertrand. Et puis, poursuit-il, « il y eut la dédiabolisation qui vida le RN de son contenu, en en faisant tout juste un clone du RPR des années 80. Une déception totale ». Bertrand se souvient aussi avec nostalgie de ces formidables BBR (Bleu, Blanc, Rouge) sur la Pelouse de Reuilly, cette fête inspirée de celle de l'Huma. De nombreux militants ou simples curieux étaient attablés dans les restaurants des diverses fédérations. Chacun proposait des spécialités de sa région. On pouvait aussi bien manger un cassoulet sur le stand de la Haute-Garonne qu’une fondue sur celui de la Savoie ou une choucroute sur celui de l'Alsace. L'ambiance était bon enfant, se souvient l'auteur. Et puis, « cela faisait du bien de pouvoir enfin dire le fond de notre pensée, sans être regardé d'un sale œil ou de risquer sa place au boulot ». Bertrand et ses camarades vont choisir une baraque à frites du stand du Nord pour se sustenter. Derrière le comptoir, « cinq ou six militants nordistes s'activaient aux fourneaux. Ca fumait, Ca crépitait, et les mains tournaient et retournaient les viandes et saucisses pleines de graisse ». On a l'impression d'y être... Et puis, on achetait quelques bouquins. De la bonne littérature: Brasillach, Rebatet, Saint-Loup, Drieu, Abel Bonnard, Benoist-Méchin et tant d'autres. « Nous étions heureux, le temps était enfin devenu léger, amical, fraternel même », se souvient avec nostalgie Bertrand.
Vive la liberté !
Bertrand en a marre de ce métier d’huissier de justice. Il décrit un constat d'adultère auquel il a participé. Et puis, ces descentes dans la banlieue, là où s'applique l'adage « Parabole au balcon, Arabe au salon ». Ces petites gens à qui on vient saisir le mobilier pour quelques dizaines d'euros dus au fisc. Bien sûr, il y a aussi ces gens gagnant le SMIC et achetant une télé valant deux fois leur salaire, avec home-cinéma et des enceintes de stade. Bertrand rencontre aussi de pauvres gens qui n'ont même pas de quoi s'acheter de quoi manger, chez qui il vient procéder à une saisie de leur mobilier. Mais après tout, de quoi se plaignent-ils? On leur laisse les chaises, la table et le lit... On était là, commente l'auteur, « dans ce que ce métier pouvait avoir de pire et d'injuste ». Et puis, il y a ce nouveau stagiaire qu'il ne supporte pas, avec qui il n'a rien de commun, « petit, sérieux, avec une tête de premier de classe». Il avait, raconte-t-il, « tous les tics du bourgeois sans imagination, ascendant plouc-nouveau riche: la rolex, le blazer avec un écusson bidon de collège anglais, des Churchs, une cravate club. » Non, décidément, ce destin de bourgeois minable, Bertrand n'en veut pas. Il est temps de changer d'horizon. C'était, dit l'auteur, « la fin des années heureuses, avant la gueule de bois des années 9O, la mondialisation, le politiquement correct qui se durcissait, l'arrivisme et le fric, la fin de la jeunesse et de l'insouciance, les premiers copains qui mouraient du sida et de la drogue. »
Voici Bertrand libre, en route pour de nouvelles aventures. Accompagnons-le avec cette magnifique chanson d'Hervé Christiani qui exalte la liberté: « Il est libre, Max, y'en a qui l'ont même vu voler ». Voici la première strophe: « Il met de la magie, mine de rien, dans tout ce qu’il fait / Il a le sourire facile, même pour les imbéciles / Il s’amuse bien, il n’tombe jamais dans les pièges / Il n’se laisse pas étourdir par les néons des manèges / Il vit sa vie sans s’occuper des grimaces / Que font autour de lui les poissons dans la nasse ».
Robert Spieler – Rivarol 2021
Western électrique, de Pierre Gillieth, 153 pages, 16 euros, éditions Auda Isarn BP 90825 31008 Toulouse cedex 6
TOUT DESPROGES Par Eugène KRAMPON
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S’il existe une arme tout aussi redoutable que la bombe à neutron et la dialectique, c’est bien le rire. Il faut bien avouer que ce dernier demeure l’apanage de ceux qui malgré les épreuves parfois très rudes de la vie, considèrent que leur passage sur terre n’est pas une longue marche dans une vallée des larmes. Il est l’outil de ceux qui savent tirer le glaive du fourreau quand c’est nécessaire mais aussi se réunir entre camarades pour unir leur voix autour d’un verre de vin. Il est l’essence de ceux qui aiment la bonne chère et les femmes, l’amitié et la fête qui est païenne par essence.
COMIQUE SUBVERSIF
Nous estimons nous qu’il n’y a pas de tabous, que l’on peut rire de tout et de tous, surtout si la moquerie s’opère avec talent. Molière en son temps avait bien compris cela lui qui se permettait de railler les puissants, dont les gens d’Eglise et de brocarder les courtisans bien en vue de la Cours de Louis XIV. Ça n’est pas l’avis des comiques subventionnés par nos impôts, dont le seul fait d’être de gauche ou sépharade tient lieu de talent, et qui seuls sont habilités, avec la totale complicité des médias et de ceux qui les produisent, de nous dire avec qui nous avons le droit de rire et surtout quels en sont les frontières ! Un comique de grand talent comme Dieudonné, qui se définissait lui-même comme « comique subversif » l’a appris à ses dépends : procès, amendes, menaces d’emprisonnement, intimidations sur sa famille, contrôles fiscaux, interdiction d’antenne, de scènes…à tel point qu’il envisage désormais de s’exiler en Turquie, estimant qu’a Ankara, il serait plus libre qu’a Paris, phare culturel du monde et des droits de l’homme auto-proclamés !
LA RUPTURE DU 18 AVRIL 1988
Pierre Desproges est mort le 18 avril 1988. Depuis cette date, une véritable chape de plomb du politiquement correct s’est abattue sur la France au point qu’on se demande aujourd’hui ce qu’il est encore permis d’aborder et qui peut être mis en boite. On a l’impression qu’il existe désormais une grande catégorie d’intouchables, de véritables vaches sacrées (aussi encombrantes sur nos écrans qu’inutiles dans nos vies) et autres sujets tabous à un point tel que même un artiste classé à gauche et de talent comme Coluche serait réduit au silence en 2021. Pourrait-il encore dire sur scène que « le changement, c’est quand on prendra les Arabes en stop…Bah Il est pas arrivé le pauvre mec ! » Idem pour les Inconnus : « Quelle est la première ville arabe traversée par le rallye Paris-Dakar ? Marseille ! »
Desproges était inclassable politiquement et surtout pas de nos idées. Peu importe en vérité car contrairement aux gens de gauche, nous savons-nous reconnaitre du talent même à un de nos ennemis, la réciproque n’étant pas vrai. Avec un talent insurpassé depuis lors, Desproges n’a épargné personne et osait même s’aventurer sur des sujets avec un ton et des propos si acerbes qu’il serait de nos jours un client fétiche de la XVIIe Correctionnelle. De l’intégrale de ses écrits, chroniques radiophoniques et sketchs joués sur scène rassemblés dans une véritable somme de 1450 pages intitulé Tout Desproges, j’ai exhumé pour vous quelques pépites. 1988-2021, vous pourrez toucher du doigt la véritable descente aux enfers de la liberté d’expression en France, réduite comme peau de chagrin. A vous de sortir les mouchoirs pour en pleurer…ou en rire :
SUR LE PEN :
- - Il y a plus d’humanité dans l’œil d’un chien quand il remue la queue que dans la queue de Le Pen quant il remue son œil.
SUR LA HAINE :
- - Puisque la haine est le moteur de la guerre, apprenons à nous haïr entre nous. Ah certes, il est plus facile de haïr les Arabes et les Anglais dont les mœurs incroyablement primitives ont de quoi nous révulser. Est-ce que je mange du gigot à la menthe en me tournant vers La Mecque ?
- - L’ennemi n’est pas contagieux, il est héréditaire (tiens qu’en aurait pensé Carl Schmitt et le professeur Julien Freund ?)
SUR LES MOEURS NOUVELLES :
- - Pire que le mariage blanc, il n’y a pas. Sauf bien sûr le concubinage nègre, au sein duquel le sang d’un héros de 1789 se mêle au sang des cocotiers au risque d’aboutir à la venue au monde d’un être hideux, mi-homme mi-nègre.
- - Comment reconnait-on un homosexuel ? Lorsqu’on lui sert une banane flambée. S’il regarde la banane flambée sans piper, c’est un hétéro. Mais s’il regarde la banane flambée en lui disant « comment tu t’appelles ? » c’est une autre paire de manches !
SUR LES FEMINISTES :
- - Je n’aime pas les racistes, mais j’aime encore moins les nègres. Je mets dans le même panier les connards phallocrates et les connasses MLF.
- - On ne saurait me taxer d’antiféminisme primaire. Je le jure, pour moi la femme est beaucoup plus qu’un objet sexuel. C’est un être pensant comme Julio Iglesias.
- - Dépourvue d’âme, la femme est dans l’incapacité de s’élever vers Dieu. En revanche, elle est en général pourvue d’un escabeau qui lui permet de s’élever vers le plafond pour faire les carreaux. C’est tout ce qu’on lui demande.
SUR LA RELIGION :
- - Jésus-Christ, un autonomiste palestinien, Hitler un autonomiste allemand mort en 1945 avant moi.
- - Au moment de l’Eucharistie, Dieu fond dans la bouche, pas dans la main.
- - Maudit soit le Sémite et autre bigote de bénitier qui branlotte du chapelet en chevrotant sans trêve les bondieuseries incantatoires et dérisoires de sa foi égoïste d’aborigène.
SUR LES IDEOLOGIES :
- - La compagnie d’un stalinien pratiquant me met rarement en joie. Près d’un terroriste hystérique, je pouffe à peine de sa présence. Être à coté d’un militant d’extrême-droite assombrit couramment ma jovialité monacale.
SUR LES ARABES :
- - Les Arabes forment un peuple fier et orgueilleux avec tapes sur l’épaule. Ils envahirent la France bien avant le mildiou, mais furent arrêtés à moitié dans le Poitou…Au Nord, l’Afrique est peuplée de chèvres, appelées biques et d’Arabes, également appelés biques mais plus susceptibles.
SUR LA SHOAH :
- - On ne peut pas être au four et au moulin disait Himmler quittant Auschwitz pour la Hollande.
- - Mieux vaut rire d’Auschwitz avec un Juif que de jouer au scrabble avec Klaus Barbie.
SUR LES JUIFS :
- - Pour bien gagner sa vie dans la Collaboration, fallait dénoncer les Juifs. C’est pas très joli, comme occupation, pour gagner sa vie, de dénoncer les Juifs. Oui mais dans la Résistance, on ne dénonçait pas les Juifs mais fallait vivre avec !
- - Les Arabes, c’est comme les Juifs, ça s’attrape par la mère.
- - On me dit que des Juifs se sont glissés dans la salle ? Vous pouvez rester. N’empêche qu’on ne m’ôtera pas de l’idée que pendant la dernière guerre mondiale, de nombreux Juifs ont eu une attitude carrément hostile à l’égard du régime nazi.
- - Je suis fier d’être citoyen de ce beau pays de France ou les Juifs courent toujours.
- - Je sais faire la part des choses. Je me méfie des rumeurs malveillantes. Quand on me dit que si les Juifs allaient en si grand nombre à Auschwitz, c’est parce que c’était gratuit, je pouffe.
Allez, une petite dernière, pour la route :
- - Le Juif assimilé a perdu son âme en même temps que son identité. Il bouffe du cochon pas casher en regardant Il est infoutu de reconnaitre le Mur de Berlin du Mur des lamentations. J’en connais. J’en ai plein mes soirées. Ils sont la honte des synagogues. Ils n’auront même pas la consolation d’être reconnus par les nazis lors de la prochaine. Le Juif-juif c’est différent. Le Juif-juif se sent plus Juif que fourreur. Il renâcle à l’idée de se mélanger aux gens du peuple non-élu en dehors des heures d’ouverture de son magasin.
Monsieur Desproges, je ne sais ou vous êtes aujourd’hui. Peut être détestiez-vous ce que je pense et ce que j’écris. Mais sachez qu’avec mes camarades, nous étouffons en ce monde devenu triste à mourir. Bordel Pierre, reviens ! Ou plutôt attend-nous là-haut. Qu’au moins on s’explique, on s’engueule et qu’on finisse comme toujours en Gaule, autour d’un verre de vin. Toi tu étais plutôt Saint Emilion, moi Aloxe Corton. En se marrant, on devrait bien trouver un terrain d’entente…
Eugène KRAMPON
I-Média n°344 – Notre-Dame : l’enquête patine, les médias enfument
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La diffusion des runes par H. Rekkirsson - 5
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L'histoire du futhark fait partie du bagage nécessaire à la connaissance des runes. Cette étude explique (en partie) pourquoi des inscriptions runiques ont été découvertes dans toute l'Europe. La période de Grandes Migration est constitutive de l'Asatrù, des cultures et des langues germaniques, de la religion et des runes. Cette vidéo est donc une présentation d'une part importante de notre histoire, de notre longue mémoire.
JEAN CAU CONTRE LA DÉCADENCE
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« Que l'on ne compte pas sur moi pour subventionner, avec l'argent du contribuable, les expressions dites artistiques qui n'ont d'autre but que de détruire les assises de notre société. Les gens qui viennent à la porte de ce ministère avec une sébile dans la main et un cocktail Molotov dans l'autre devront choisir. »
En prononçant ces mots, début mai, à Paris, M. Maurice Druon, nouveau ministre des Affaires Culturelles, n'énonçait que des vérités d'évidence. L'intelligentsia en a fait un « scandale ». Cela s'est traduit de la façon habituelle : pétitions, défilés.
Une voix s'est alors élevée pour remettre les choses à leur place. En les traitant au passé, et avec beaucoup d'ironie :
« En 1973, M. Maurice Druon mit les pieds dans le plat et déclara à peu près que l’État démocratique en avait ras le bol de jouer le vieux beau entretenant une cocotte qui passe son temps à l'injurier, à lui promettre la tombe et à se pâmer d'amour, de l'autre côté de la cloison, entre les bras d'un gigolo dont le foulard rouge possède l'étrange vertu de tomber toutes ces dames. M. Druon, de son fauteuil, s'écria qu'il en avait marre d'être le producteur d'une pièce où il jouait inlassablement le rôle du cocu ».
C'était Jean Cau, dans « Paris-Match ».
Il ajoutait aussitôt, redevenant sérieux : « Ouvrons les yeux. Cessons de rêver. Nous sommes bel et bien en 1973. Les cris de « Haro sur Druon ! » m'ont réveillé. Le Landerneau intellectuel est en folie et on a beau le doucher d'évidences, il ne s'en trémousse que de plus belle sous le jet. Nous sommes en 1973 et nous vivons, à la lueur des plus fabuleuses impostures, l'écroulement d'un monde. C'est ça la question. Toute la question. Hébétée, une société assiste, en ce XXe siècle démographiquement, industriellement et urbanistiquement déchaîné, à son laminage et à sa massification. Pétrifiée, les yeux agrandis de terreur, elle contemple ce phénomène colossal qu'est la fin du christianisme et s'interroge en bégayant sur l'impossibilité de vivre la liberté de l'homme si celle-ci est désaccrochée de toute transcendance. Alors ses artistes grimacent et se convulsent, ses comédiens se dénudent, ses intellectuels filent en grappes se mettre en orbite autour de la planète Utopie ».
Jean Cau, 48 ans, blouson, cheveux courts. Le regard venu de loin des gens qui savent de quoi ils parlent. Il a suivi le chemin classique de bien des intellectuels d'aujourd'hui. Mais, pour une fois, en sens inverse. Début des années soixante. Jean Cau est l'un des plus sûrs espoirs de l'« intelligentsia progressiste». Proche collaborateur de Jean-Paul Sartre, il écrit dans « Les Temps modernes » et « France-Observateur ». A « L'Express », il publie des entretiens fracassants qu'on apprécie et qu'on redoute. Robert Lazurick, Alain de Lacoste-Lareymondie, quelques jeunes parachutistes : sous ses questions, les interviewés hennissent comme des chevaux qu'on claque. Les lecteurs frémissent. C'est l'époque où l'on reconnaît son talent sans mauvaise grâce. Il reçoit le prix Goncourt en 1961 pour un roman, « La pitié de Dieu ».
Je le rencontrai en février 1963, au café de Flore. Il avait le cheveu long et le foulard autour du cou. Il s'agaçait déjà des « fausses audaces » de la gauche, et s'en prenait au « révolutionnarisme de salon ». On parlait alors beaucoup de « socialisme moderne » et de « néocapitalisme ». Jean Cau reprochait à ses amis de ne pas s'adapter : — Autrefois, le capitalisme, c'était les enfants dans les mines. Aujourd'hui, c'est la scolarité obligatoire jusqu'à seize ans. C'était les taudis, la semaine de soixante heures sans un jour de congé. Maintenant, c'est le Club Méditerranée. Il faut que la gauche comprenne...
La gauche ne comprend pas, et Jean Cau s'éloigne. Un voyage qu'il fait en Algérie lui ouvre les yeux sur l'indépendance. Le reportage dans lequel il décrit ce qu'il a vu lui vaut des critiques amères.
Deux ans plus tard, il publie « Le meurtre d'un enfant ». C'est un récit en forme d'autobiographie, où il commence à mettre ses idées en ordre. C'est aussi une épuration intérieure : « Qu'est-ce qu'un adulte, sinon l'héritier d'une enfance ? Qu'est-ce qu'un adulte, sinon le traître et le meurtrier d'un enfant ? »
II y a beaucoup d'images dans ce livre. Un œuf et un galet. Le galet, c'est dur, c'est précis. C'est fidèle : de la fidélité des pierres. L'œuf, « c'est comme l'amour : pourri, ça ne pue que lorsqu'on le brise ».
Jean Cau commence à casser les œufs de son passé. La guerre, la Libération. Il se sent aussi bien juif que « nazi », c'est-à-dire différent : « Quel adolescent de ma génération, écrit-il, n'a pas rêvé, d'un rêve bref et honteux, d'être ce jeune SS de vingt ans qui, adossé à son tank, étalait avec son poignard du beurre sur une tranche de pain ? »
II juge un certain type d'intellectuels : « J'indique une recette infaillible, de nos jours, à qui veut réussir dans la littérature ou le cinématographe : qu'il écrive un livre ou qu'il fabrique un film dans lequel les hommes sont réduits à l'état de loques, de zombies, de créatures invertébrées, veules et molles, et où les femmes, en revanche, régnent d'absolue manière sur ces virilités en lambeaux. Le succès est garanti ».
Les milieux de gauche accueillent le livre avec un sourire un peu gêné. «L'enfant terrible» a le goût du paradoxe. Il commence à lasser. Mais il inquiète aussi.
Jean Cau confesse l'influence qu'eut sur lui le général De Gaulle : « J'avoue qu'il aida à mon éveil. Enfin, le grand homme était parmi nous, aux chausses duquel aboyaient les partis de la démocratie égalitariste à bout de souffle. Enfin, le maître admirable était en tête de la horde ! »
Ce n'est pas la politique du général qui le séduit, mais les dimensions du personnage. De Gaulle lui apparaît comme l'un des survivants de la génération des chefs : Staline, Mussolini, Roosevelt, Churchill, Hitler, Mao. Il oppose ces chefs d'État aux « petits gestionnaires ».
« Regardez-les ! Mais regardez-les ! Regardez les affreuses gueules molles toujours souriantes (« Keep smiling » !) de nos hommes politiques. Des têtes courtisanes de chefs de rayon. De vrai, ils vendent puisque la puissance des nations se mesure à leur activité mercantile. Dans leurs yeux, la lueur humide de soumission à la foule, à la masse, au nombre. Où est donc le visage exemplaire ? La voix sévère et exemplaire ? La parole dure qui, dans la foule, fait que se rassemblent les meilleurs, et que cette foule, domptée, est hantée par un vouloir, au lieu d'être agitée par des fièvres maussades ? » « Le meurtre d'un enfant » s'achevait sur un défi : « J'ai été membre des sections d'assaut de l'intelligentsia de gauche, mais j'y ai tiré mes années de service dans un état de scepticisme permanent, de contemplation souvent narquoise. Cette attitude m'a été imputée à crime... Eh bien, à moi mon crime!»
Interrogé aujourd'hui sur ses anciennes amitiés, il se tait. Les hommes de bien ne rompent qu'à l'intérieur d'eux-mêmes. Nietzsche citait Mirabeau, qui n'avait pas la mémoire des insultes ni celle des infamies commises à son encontre. On ne retient que ce que l'on prend au sérieux. Et pour Nietzsche, le « grand sérieux », c'est celui que « l'enfant met au jeu ».
Jean Cau joue et oublie. Dès lors, il écrit au marteau. Il aligne les idées comme elles viennent, en une suite de pamphlets : désordre parfois baroque, d'où émergent des aphorismes.
En 1967, dans sa « Lettre ouverte aux têtes de chien occidentaux », il exprime son opinion sur l'idée de « différence » : homme-femme, blanc-noir, etc.
En 1968, dans « Le pape est mort », il analyse le binôme autorité-liberté : « A ce jour, socialisme et liberté n'ont pas encore fait la preuve qu'ils peuvent être mariés ensemble sans que l'un — couic ! — étrangle l'autre ». Le livre est écrit en juin 1968. A la Sorbonne, les anarchistes badigeonnent des inscriptions : « Plus on fait l'amour, plus on fait la Révolution ».
Jean Cau est perplexe : « Qu'en pensez-vous, ô Robespierre, Lénine et Mao Tsé-toung?». Il s'indigne d'avoir entendu les amis de Daniel Cohn-Bendit crier « Nous sommes tous des Juifs allemands » et « CRS — SS » ! « Si demain, écrit-il, se refermaient les portes de vrais camps de concentration sur des cortèges de vrais Juifs, vous n'iriez pas en manif et drapeau noir en tête crier qu'on vous ouvre les portes. Je suis effrayé, ô étudiants, de vous entendre jouer avec des slogans si graves. CRS — SS ! Ou bien souhaitez-vous si fort que les CRS deviennent vraiment des SS ? Demandez-vous plutôt si, à force de définir l'Autre comme ce qu'il n'est pas, vous ne l'obligerez pas tôt ou tard à devenir ce que vous clamez qu'il est ».
Dans « L'agonie de la vieille » (1969), Jean Cau s'installe au chevet de la démocratie et y compose un chant funèbre. « Je ne sais (comme on le dit d'une mayonnaise en train de tourner) comment il est encore possible de « rattraper » la démocratie. Chaque jour, dans le parc occidental, je la vois qui s'éteint à petit feu comme une lampe qui manque d'huile et qui fume ».
« Trois catholicismes s'effondrent, ajoute-t-il, le catholicisme de Rome, celui de Washington et celui de Moscou, et sur leurs ruines pousse sourdement l'ivraie du nationalisme. Suprême dérision : si un sentiment international naît demain, il trouvera ses pulsions et son ciment dans la menace que représenteront un milliard de Chinois nationalistes, xénophobes et armés jusqu'aux dents ».
Un dernier pas est franchi avec « Le temps des esclaves » (1971) : « II m'aura fallu des années de réflexion et de lucidité avant d'oser mettre en question et en questions l'égalitarisme sacro-saint qui fut mon miel et mon lait jusqu'à de récentes années ».
Jean Cau dit que les hommes ne sont pas égaux et s'en prend à la faiblesse des masses : « Parlons dur et clair. Avec mille tendances, vous n'aurez jamais une volonté. Avec mille courants, vous n'aurez pas un fleuve, mais un lacis de ruisseaux aux directions affolées. Je vous le dis : avec mille hérésies vous n'aurez pas une Église. Avec mille désirs, vous n'aurez pas un amour. Que ferez-vous de mille soldats sans capitaine ? D'enfants sans pères et sans maîtres ? Et que valent des millions de mots sans l'ordonnance d'un style ? Des millions d'hommes s'ils ne sont pas un peuple ? Appelez ça un magma ».
« Le temps des esclaves » est un livre important, dont on a peu parlé. — De l'insuccès de ce livre, dit Jean Cau, je n'ai éprouvé nulle amertume, puisque j'ai choisi de décaper ma réflexion des crasses de l'époque et des modes et conformismes en cour. On ne peut pas hurler contre les loups et faire partie de la horde. J'ai choisi, et j'accepte de payer le prix de silence ou d'hostilité qui entoure certains de mes écrits.
Pour faire mieux comprendre l'importance qu'il attache à ce texte, Jean Cau publie, début 1973, « Les écuries de l'Occident ». A la première partie, qui reprend « Le temps des esclaves », s'en ajoute une seconde, entièrement nouvelle. Le style étincelle. Les formules se succèdent, précises et tranchantes comme des lames.
Tableau d'une déchéance : le déclin de l'Occident. « Le siècle est fou. Fou de lâchetés, de démissions, de mensonges, d'impostures et de laideurs, et ce qu'on y appelle « crise de civilisation » n'est en réalité que le refus apeuré de toute hauteur ».
On peut seulement témoigner et prendre date. « Car il faut tout de même, lorsqu'un temps à venir s'étonnera de nos débâcles, que nos petits-neveux sachent que quelques soldats refusèrent de jeter les armes et de lever les bras ». « Les écuries », comme « Le temps des esclaves », sont dédiées à l'écrivain japonais Mishima, lieutenant de l'Armée impériale, qui se fit publiquement hara-kiri le 25 novembre 1970, parce qu'il ne pouvait plus vivre dans un pays où l'idée de patrie ne représentait plus rien.
« Visière noire. Sans regard. Le lieutenant dégaine le sabre de samouraï dont la lame jette un calme éclair avant qu'il ne l'enveloppe d'un papier de soie blanc.
Seule, hors de ce nouveau fourreau, apparaît, à peu près longue de quatre doigts, l'extrémité de cette lame. A deux mains, à même le papier de soie, il étreint le sabre et s'enfonce l’extrémité découverte de celui-ci dans le ventre, au niveau de l’aine gauche. Puis, lentement, il s'éventre ».
Alexis Carrel disait que « la qualité de la vie est plus importante que la vie elle-même» («L'homme, cet inconnu»). Jean Cau précise : « Ce qui vaut, ce n'est pas la vie mais ce qu'on fait d'elle ». « Il y a quelques destins ajoute-t-il, le reste n'est que vies sans aucun intérêt. Des romans à l'usage des femmes. Des potins. Des crépitements de bulles qui montent de la vase de l'étang remuée. Des histoires de cinématographe ».
Sur la peine de mort : « — Je suis contre la peine de mort ! — Tu es donc pour l'emprisonnement à vie de l'assassin de cinq ou six enfants. Tu oublies que la vie de cet homme en cage sera pire qu'une mort puisqu'il ne sera plus libre. Vaut-il pas mieux mourir qu'être esclave ? Non, répond le chien ».
Jean Cau voit deux tendances s'affronter dans le monde : une tendance de vie, qui va vers la différence, et une tendance de mort, qui va vers l'égalité : « Faisons l'amour et pas la guerre. Mais faisons l'amour où ? Dans la mer des Sargasses. Et comment ? En un triste mélange de partouzes psychédéliques. C'est oublier que l'amour et la guerre n'ont pas toujours été ennemis ».
Dans un monde sans ennemis, il n'y a pas d'amis : on aime dans la mesure où l'on sait aussi ne pas aimer. Et lorsque tout vaut tout, rien ne vaut rien.
« La guerre tuait des jeunes gens. Certes. La paix continuée tue et vide la jeunesse. Et puis la guerre désigne l’Autre. L'ennemi. Je ne suis un individu que si l'autre existe et mon être s'exaspère d'autant plus fort et d'autant plus haut que cet autre à moi s'oppose et se refuse. L'ennemi m'est nécessaire : il me tient dans mes définitions, m'oblige à me vouloir, me force à dessiner le trait qui me cerne et à l'intérieur duquel vit, d'une vraie vie, ma différence ».
Dans « Ma misogynie », Jean Cau évoque la différence entre l'homme et la femme. Il exalte le vrai pouvoir de création, la maternité : « Chaque mère qui se délivre d'une vie croit qu'elle met un roi au monde. Chaque père qui contemple son enfant croit qu'il sera le Seigneur de la Terre. Voilà qui est très beau et très bien. Voilà qui est très fort et tendre. Et voilà qui n'est pas démocrate. Mère indigne et masochiste, la démocratie veut que ses enfants soient égaux, fût-ce au prix de leur nullité. Si l'un d'eux s'arrache et se hisse hors de celle-ci, la marâtre gronde et dit : Ressemble à tes frères! Sois leur égal! »
L'Église, dernier recours, est elle aussi en triste état. Elle « a commencé à mourir le jour où elle n'a plus construit de cathédrales ».
Jean Cau daube sur le christianisme, où il voit une « religion d'esclaves, marquée à jamais par ses origines ». « Un curé maoïste ? Quoi de plus naturel! La recette est fort simple : prenez un prêtre, ôtez-lui la foi, que reste-t-il ? Un démocrate égalitariste en diable ! Le plus ardent de tous. Ne nous étonnons pas que tant de leaders communistes, Staline en tête, aient été d'anciens séminaristes (...). Le message égalitariste du christianisme est en train de se réaliser et, pour cette raison, l'Église se meurt ».
L'Occident est donc « en panne de foi ». « Nous sommes des hommes de foi sans foi. Vers qui aller et dire et mendier : « Donnez-nous à croire, nous vous en supplions » ? Tant et tant nous avons envie de dire « oui » Mais à qui ? A quoi ? Car nous ne demandons pas au prêtre, au chef, au maître de « dialoguer » avec nous, de nous comprendre, de jouer en somme un rôle d'assistante sociale, mais d'être là, debout, très sévère ou très bon ».
Le reproche que Jean Cau fait à une certaine conception de la morale est de « prêcher la culpabilité des forts et l'innocence des faibles ». Dans « Le meurtre d'un enfant », il écrivait déjà : « Oui, vraiment, quand la victime crie : — Vas-y! Cogne! Je m'en fous? le bourreau est bien embêté. D'autant plus embêté qu'il arrive que le bourreau ait tout à fait raison et que la victime soit chargée du tort absolu ».
Dans « Les écuries de l'Occident », la parabole du Maître et de l'esclave est longuement développée. L'Esclave a persuadé le Maître que sa domination, c'est-à-dire le fait d'être le Maître, le rendait lui-même malheureux. Le Maître a fini par le croire. Et, depuis, « l'Esclave fraternel passe un anneau dans les naseaux du Maître ». « II est par définition impossible, écrit Jean Cau, de s'égaler par le haut, et cela explique que les sociétés égalitaires soient d'ennui ou de désespoir. L'amour suppose le Maître. Quand il n'y a plus de vrais Maîtres, toute la société est d'esclaves. Mais d'esclaves tristes et vides. Le bourgeois n'y est que l'esclave promu et honteux ».
Pour Spengler, « Marx était un bourgeois frustré. D'où sa haine de la bourgeoisie ». Pour Jean Cau, le « bourgeois » est un « esclave promu », désireux d'oublier ses origines, et qui croit que la seule possession des biens confère la patrie.
C'est moins une question de classes sociales que de « classes de valeurs » : « La bourgeoisie vend tout. C'est elle la vraie canaille marchande. Et la démocratie, c'est la bourgeoisie. Le peuple, lui, peut reconnaître la hauteur, même s'il aspire aux bassesses. La bourgeoisie démocrate : jamais ».
Le passage d'une aristocratie enracinée dans le peuple à une bourgeoisie essentiellement marchande correspondrait ainsi au passage de la « grande politique » à la « petite politique » : « Qu'est-ce que cela signifie, politique ? Gouverner les hommes ? J'écris que là n'est pas la question et qu'il s'agit de leur donner des raisons de vivre et de mourir. Des oublis de soi. Et ces raisons de vivre sont, depuis toujours, exactement les mêmes que les raisons de mourir. Otez les unes, s'effritent les autres ».
Jean Cau se souvient qu'il est né dans l'Aude, en 1925, d'une longue lignée paysanne. « Les écuries de l'Occident » s'achèvent sur l'hommage qu'il rend à ses parents : « J'appartiens de par mes origines au peuple. Mes ancêtres sont paysans depuis la nuit des temps, et c'est la noblesse de ma lignée et de ma race que nous n'ayons jamais rien acheté et rien vendu. Notre dur travail, oui ; car notre sang, nous le donnons ».
Tout au long des ouvrages de Jean Cau court une philosophie que l'on identifie sans peine. « Avec Nietzsche et Marx, écrit-il, s'est ouvert le formidable débat des temps nouveaux ». Fin 1968, André Malraux confiait à la revue « Encounter » : « Au XIXe siècle, l'idée prévalait que le XXe siècle serait internationaliste. Mais les faits nous démontrent que ce n'est pas Marx, mais Nietzsche, qui avait raison ». Nietzsche avait sous-titré son « Zarathoustra » : « Un livre pour tous et pour personne ». Des « Écuries de l'Occident », Jean Cau dit qu'il s'agit d'un « traité de morale » : il « appartient à celui qu'il inquiétera». Nietzsche écrivait : « L'air léger et pur, le danger tout près, l'esprit plein d'une joyeuse méchanceté, voilà qui s'accorde bien ! ».
Jean Cau poursuit : « Où suis-je ? Là où il me plaît, et en ce lieu où je m'éprouve libre et nu dans un air vif qui me baigne et me fortifie d'évidences dures et, partant, parfaitement inactuelles ». Air libre, considérations inactuelles : Nietzsche n'apparaît pas ici qu'en filigrane. Dans cette œuvre émaillée d'aphorismes, il danse à perdre haleine.
En l'espace de dix ans, Jean Cau est donc devenu la mauvaise conscience de l'intelligentsia. L'affreux petit canard de la couvée. Ses anciens admirateurs trouvent qu'il a « moins de talent » depuis qu'il n'appartient plus à leur camp. Dans « l'Express » un polygraphe concluait, mélancolique: « Ce n'est pas la première fois, à gauche, que l'on perd en route un de ces brillants fils d'ouvriers que, par exception, la société a laissé s'approcher du banquet ». Jean Cau, férocement seul (ou presque), s'en amuse. « En France, écrit-il, l'aventure de la gauche en nos culturelles contrées est d'un comique absolu. La culture mandarine est allée au peuple avec des mines de curé moderne allant au bordel, et le résultat ne s'est pas fait attendre : seule la bourgeoisie, moyenne ou petite, s'est offert la révolution culturelle dans les temples où elle se célébrait. Le peuple, lui, est allé au Châtelet ou à la pêche, ou a tranquillement ouvert sa télévision ».
« Les écuries de l'Occident » portent l'empreinte d'un certain désespoir. Mais on y cite aussi Bernanos : « II n'y a pas de plus haute espérance que le désespoir surmonté ». Et Jean Cau prophétise : « Au nom de Dieu, c'est trop tard. Au nom de l'Homme, ce fut et reste une utopie. Pour ces raisons, estimons et déclarons que l'irrationnel nous attend au prochain tournant de l'Histoire ».
Il conclut : « En la gorge de millions d'hommes, il y a le chant qu'ils voudraient délivrer. Mais quelles paroles inscrire sur le rythme des mesures, et vers quelle Jérusalem marcher ? C'est le secret de notre avenir ».
F. Laroche
Sources : Spectacle du monde – 07/1973
BIBLIOGRAPHIE :
La table ronde : «Le pape est mort », « L'agonie de la vieille », « Le temps des esclaves »,
« Les écuries de VOccident ».
Albin Michel : « Lettre ouverte aux têtes de chien occidentaux ».
Gallimard : « Le meurtre d'un enfant ».
JuIIiard: « Ma misogynie ».
Une date, un événement : 3 juin 1950, la montagne, une rude et belle école par P. Vial
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- Catégorie : Chroniques, par Pierre Vial
Le 3 Juin 1950, une cordée de Français, comprenant Lionel Terray, Gaston Rebuffat, Lachenal et Maurice Herzog, atteint le sommet de l'Annapurna. Un exploit qui s'inscrit dans la tradition de cette « conquête de l'inutile » qu'est l'alpinisme.
La notion même de « conquête de l'inutile » apparaît provocatrice dans une civilisation qui, comme celle que nous subissons, est dominée par l'utilitarisme, la recherche effrénée du profit, le culte de l'argent-roi. C'est pourquoi la pratique de la montagne est une belle et rude école pour la jeunesse d'un peuple : elle crée en effet un sentiment de plénitude chez ceux qui veulent échapper aux petitesses, aux hypocrisies et aux lâchetés de la société marchande (c'est-à-dire la société où il est admis que tout se vend et tout s'achète, y compris les consciences). « Tout, écrit Julius Evola dans Méditations du haut des cimes, dans la civilisation moderne tend à étouffer le sentiment héroïque de la vie. Tout tend à la mécanisation, à l'embourgeoisement, au nivellement réglé et prudent, à la fabrication d'êtres prisonniers de leurs besoins et privés de toute autonomie. Le contact est rompu avec les forces profondes et libres de l'homme, des choses et de la nature ».
C'est pour retrouver le goût du dépassement et du défi à soi-même, la quête de l'absolu que beaucoup cherchent à gagner les cimes. La montagne est ainsi un appel. Appel à unir dans une même tension de l'être un corps soumis à l'épreuve de l'effort et une âme en quête d'absolu. La montagne permet en effet de réaliser une transfiguration intérieure en liant l'effort physique à un éveil spirituel — celui-ci naissant de celui-là. La tension du corps dans l'effort, le risque, le défi sont voie de libération pour l'esprit, affranchissement de l'âme, loin des bornes et des frontières mentales établies par le conformisme bourgeois. En montagne on se baigne à la source des origines : s'y affirment les valeurs authentiques et les joies élémentaires, offertes par « l'amour du vent, des grands espaces, des étoiles et des tempêtes, des fleurs et des forêts, de l'odeur et du goût de toutes ces choses » (Gaston Rebuffat, Etoiles et tempêtes).
La montagne est ce royaume alchimique où certains êtres, grâce à une expérience qui peut déboucher sur une transmutation, ont rendez- vous avec eux-mêmes. Partir vers les hautes altitudes, c'est se donner la chance de retrouver la pulsion élémentaire de la vie, la force et le goût d'aller toujours plus haut. Vers le soleil.
L'écrivain-prophète Saint-Loup a su transcrire avec maestria cette expérience unique (qu'on ne peut comparer qu'à celle du navigateur solitaire de haute mer) dans plusieurs de ses livres-messages. Tout particulièrement dans Face Nord, récit nietzschéen, initiatique, ayant pour cadre l'organisation « Jeunesse et Montagne », dans les années qui ont suivi 1940. Lui-même alpiniste chevronné (au point d'avoir été choisi par Péron comme instructeur des troupes de montagne argentines), Saint-Loup a su faire vivre à ses lecteurs l'intensité du dialogue entre l'homme et la montagne. J'en connais certains qui, du coup, ont eu la bonne idée d'aller communier avec les esprits qui gîtent sur les hauts sommets des Alpes. Et qui y ont trouvé la sérénité.
Aujourd'hui des hommes et des femmes, sans cesse plus nombreux, entendent l'appel de la montagne et se lancent à la conquête de l'inutile. Signe des temps. Et signe d'espoir. Car, à un moment où nombre de voix préconisent l'avachissement, la démission, le renoncement, la veulerie — bref la décadence d'abord, la mort ensuite — il est vital, au sens propre, pour la jeunesse d'un peuple, de conserver ou de retrouver le goût de la conquête. Et d'abord celle de soi.
Pierre VIAL.
EZRA POUND (1885-1972)
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- Catégorie : Littérature
Si le titre de prince des poètes existait sur le plan international, à qui l'aurait-on décerné maintenant, sinon à ce vieillard magnifique, dont l'œuvre n'était pas indigne d'être comparée à celle de Dante ou de Pétrarque?
L'édifice des Cantos s'élevait sans une défaillance depuis quarante ans; et ses plus récentes assises s'épanouissaient encore, toutes chargées de rosaces et de gargouilles, comme le faîtage d'une cathédrale. Qui, à l'exemple de l'infatigable bâtisseur, aurait osé proposer aux hommes de ce temps une image aussi puissante et aussi brillante de leur effort, en y ajoutant tous les avertissements qu'il appelle?... Seul, le grec Kazantzakis, dans un esprit tout différent, a tenté l'entreprise, sous le couvert du mythe d'Ulysse. Ezra Pound n'avait pas besoin de mythe. Il était à lui-même son propre mythe. Comme il créait à mesure sa propre langue, en laquelle les gardiens les plus sourcilleux de la rigueur classique découvraient avec stupeur l'anglais du seizième siècle, galvanisé, mais respecté, par un barbare du Far-West.
Dès ses trente ans, le cow-boy Pound trônait au centre de la littérature anglo-américaine. C'était lui, planté solidement à Paris, dans son accoutrement de troubadour équestre ou de chemineau champion de boxe, qui distribuait à ses compatriotes et à leurs cousins britanniques les portions de gloire qui leur revenaient. Rien n'a changé depuis dans les valeurs qu'il avait infailliblement discernées : Eliot, Lawrence, Stein, Joyce, Hemingway, Scott Fitzgerald ont été projetés dans leur vie et dans leur œuvre par le poète fulgurant qui avait inventé, pour les soutenir, une nouvelle espèce de critique, curieusement sentencieuse, mais soulevée par une exultation intérieure.
Soudain il disparut, il s'enfonça dans ce qu'il nommait « le profond et chaud passé ». C'est d'Italie que vinrent alors les grands livres de réflexion et de doctrine. Et surtout la suite des Cantos, hymnes d'une inlassable tension lyrique, mais aussi d'une intraitable liberté; du Whitman dur et grouillant, qu'enserrait une prosodie de virtuose déchaîné.
Pendant ce temps, où en étaient les autres poésies?... À deux ou trois tons au-dessous, dans la constriction valéryenne ou dans la dilution esséninienne. Il n'y avait plus que là, chez le paysan de l'Idaho, petit-fils d'un bandit, qu'on trouvait ce ferment verbal qui fait éclater le monde en fragments rythmés, dès les premiers vers de la Divine Comédie.
Hélas, le monde réel, le monde de la prose et de l'action, était secoué par des mouvements moins sublimes! Ami de Mussolini, séduit par l'emblématique fasciste, Ezra Pound tint des propos, répandit des écrits, qui le rangeaient, à l'époque suivante, dans le clan des maudits. On le lui fit bien voir.
À Libourne, le grand poète fut enfermé dans une cage de fauve, où les enfants des écoles venaient cracher sur lui à travers les grilles. On le ramena aux États-Unis, qui hésitèrent entre le pendre et le déclarer fou. C'est ce dernier parti qui prévalut.
Douze ans dans un asile d'aliénés... Mais tous les écrivains américains vénéraient ce génie captif et humilié, auquel les Russes finirent par donner des pendants, avec Siniavsky et Soljénitsyne.
Libéré en 1958, Pound retourna en Italie, reprit sa vaste construction poétique. De ces épreuves-là, on sort brisé ou durci. Lui restait exactement le même, attentif, souriant, avec de nouvelles inspirations qui semblaient encore le gonfler, l'élargir et l'orner, à quatre-vingt-sept ans!
Il est mort. Il n'y a plus nulle part de grand génie littéraire.
(8 novembre 1972)
Sources : Robert Poulet - « Billets de sortie » - 1975.
LE PROCÈS DE JEANNE D'ARC, par Robert Brasillach. (Éditions de la N. R. F.)
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- Catégorie : Littérature
Ce qu'il faut à des malades qui retrouvent la santé, ce sont de substantielles nourritures. De même, il importe que, délaissant le stérile verbalisme des idéologies mortes, nous revenions vers les valeurs fondamentales de notre génie. C'est une démarche héroïque tant elle exige d'amour et d'humble simplicité. Les extraits du Procès de Jeanne d'Arc, que Robert Brasillach aujourd'hui propose à notre méditation, peuvent nous aider beaucoup dans cette réinvention de nous-mêmes.
Jeanne, devant ses inquisiteurs hypocrites, vils et soudoyés, reste calme et simple. D'une simplicité lumineuse qui fait transparaître les masques dont se couvre la haine.
Anglais et Bourguignons n'ont qu'un but : déshonorer le roi de France en convainquant d'hérésie cette fille qui l'a fait sacrer. Le procès apparent est d'ordre religieux; le procès réel est d'ordre politique. Aux premiers mots, nous apercevons avec effroi qu'elle est d'avance condamnée. Qu'importent les formes de la procédure! — elle est viciée quant au fond. L'on écarte d'ailleurs délibérément du tribunal tous les juges capables d'innocenter la Pucelle. On élude tout recours au pape. On ne parle que théologie à cette enfant qui « ne sait ni lire ni écrire ». On introduit dans son cachot de prétendus visiteurs et de pseudo-confesseurs qui ne sont qu'espions mal déguisés. Au lieu de jeter Jeanne, accusée religieuse, dans une prison d'Eglise, on la confie à la garde irrespectueuse et toute politique des Anglais. On mène une atroce offensive de haine contre la pureté de cette jeune fille. L'horrible Cauchon, mitre en tête, dirige l'assaut. L'Université même daigne se prononcer contre l'authenticité des apparitions. Jeanne doit être sacrifiée : la Raison d'État anglaise l'exige.
Mais calomnies, hypocrisies, malveillances, cruautés, malhonnêtetés, pièges et fourberies, loin d'entacher la grandeur virginale de Jeanne, la font miraculeusement resplendir.
Inébranlablement simple et lumineuse malgré l'assaut de ces ténèbres hostiles, Jeanne répond à ses juges. Et chacune de ses paroles touche au sublime. Rien ne l'embarrasse. (L'on songe irrésistiblement au Christ répondant aux pharisiens.) Rien ne peut porter atteinte à la magnifique vérité de Jeanne.
Sa vérité? simplicité, courage, bon sens. Voilà tout ce qu'elle oppose à la duplicité des questions ambiguës dont l'accablent ses ennemis.
Héroïque, Jeanne ne laisse pas d'être humaine. Elle pleure, elle doute, elle a peur. Elle n'est pas seulement admirable : elle est émouvante. Nous la sentons proche et semblable. Au cimetière de Saint-Ouen, elle semble tomber de lassitude nerveuse et de dégoût; puis, courageusement se relève. Le Christ aussi priait son Père d'éloigner de lui le Calice...
La foule pleurait autour de Jeanne marchant au supplice. Et nous sommes de cette foule. (Seuls, quelques Anglais s'efforçaient de ricaner.)
Mais Jeanne maintint sa foi jusqu'à la mort; et, tandis que les flammes déjà mordaient son corps net et entier, qui ne fut jamais corrompu : « Les voix que j'ai eues étaient de Dieu, disait-elle. Tout ce que j'ai fait, je l'ai fait par le commandement de Dieu. Non, mes voix ne m'ont pas déçue ! »
Le bourreau ne parvint pas à réduire en cendres son cœur. La coalition de l'hypocrisie et de la haine ne put anéantir sa vérité. Nous en vivons.
Le Procès, de Jeanne d'Arc n'est pas seulement notre plus belle épopée nationale; c'est l'Évangile français. Nous traversons une époque où il importe de relire cet évangile.
PIERRE LEFORESTIER.
Sources : La Nouvelle Revue Française – 1er octobre 1941
M. Jean Monnet et son plan
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- Catégorie : MONDIALISME
Si notre IVe République a éliminé de la scène parlementaire un grand nombre des hommes qui avaient joué un rôle dans les périodes d'avant-guerre, elle n'a, depuis la Libération, guère révélé de personnalités politiques nouvelles de premier plan. Ceux qui, ces dernières années, ont tenu au gouvernement des postes dirigeants avaient déjà à peu près tous figuré dans les assemblées de la vieille Troisième, ou au moins dans les cabinets des ministres au pouvoir.
Par contre, sur le terrain économique, a été découvert et lancé un personnage, M. Jean Monnet, qui, jusque-là ignoré du public, s'est vu attribuer, du jour au lendemain, avec le titre de commissaire général du plan de modernisation et d'équipement, une influence à beaucoup de points de vue dominante.
La fonction et l'homme à qui elle était confiée sont l'une et l'autre curieusement caractéristiques de nos temps actuels.
Au lendemain de la Libération deux problèmes essentiels s'étaient posés à ceux qui prenaient la charge de relever la France : refaire une constitution politique au pays ; et puis rétablir sa prospérité économique, lui construire un sain équilibre social propre à lui assurer, à l'intérieur la paix et la confiance, à l'extérieur l'indépendance et l'autorité.
En présence de ces deux problèmes on a adopté deux méthodes de travail paradoxalement contradictoires.
Pour rétablissement de la constitution politique on a multiplié les consultations populaires. On a élu successivement deux assemblées constituantes qui ont, l’une après l'autre, élaboré, discuté, voté publiquement, article par article, des textes pendant de longs mois. On a ensuite soumis le fruit de leurs longs labeurs à deux référendums de l'ensemble du corps électoral. Et tout cela, tant de scrupules, un tel souci de ne rien décider sans l'approbation des électeurs pour aboutir à nous donner une constitution qui ne diffère que par peu de traits de la vieille constitution de 1875.
L'élaboration d'un programme économique devait, semble-t-il, demander plus d'attentions, plus de consultations, plus d'avis encore. Il s'agissait, en effet, ici non de modifier dans les détails telle ou telle manière de voter, mais de décider quelle structure on allait donner au pays ; si, en face d'un monde bouleversé, on se proposait, pour relever la France, d'y développer de préférence l'industrie ou l'agriculture, ou encore le commerce ; si on souhaitait la rendre capable de se suffire à elle-même avec ses ressources continentales et coloniales, ou si, au contraire, on voulait développer ses échanges avec l'étranger ; si on voulait confier la direction de la production à des entreprises d'Etat ou encourager et soutenir les initiatives privées, développer la concentration industrielle ou provoquer une dispersion artisanale, augmenter ou limiter le chiffre de la population, provoquer l'immigration ou l’émigration, etc.
Plus que pour aucun autre problème toutes les catégories de citoyens, toutes les compétences devaient être appelées, semble-t-il, à discuter, à prendre position, avant toute décision gouvernementale.
Hé bien, on a procédé tout autrement. Sur un seul point, sur la nationalisation des bassins houillers, des compagnies d'assurance et des grandes banques de dépôt, on a demandé un vote parlementaire, sans d'ailleurs se soucier de faire rentrer ces nationalisations dans aucun système d'ensemble. Et puis, pour tout le reste, aussi bien pour la réparation des ruines de guerre que pour l'organisation de notre structure économique d'après-guerre, on a, sans consultation publique d'aucune sorte, par une simple décision du gouvernement provisoire du général de Gaulle, en janvier 1946, pris le parti de tout remettre aux soins d'une sorte de dictateur, aidé d'un trust de conseillers choisis par lui. Et c'est ainsi que M. Jean Monnet est entré dans la notoriété.
Pour ce rôle de dictateur au relèvement économique qui lui était confié, M. Monnet est fort curieusement choisi. Né en 1888, il a derrière lui une carrière pour le moins aventureuse. Fils d'un fabricant d'une petite marque de cognac en Charente, il avait débuté dans la vie comme agent commercial pour la vente aux Etats-Unis et au Canada du cognac familial, qui lui était payé pour partie en fourrures par l'intermédiaire d'une compagnie de trappeurs dépendant de la banque Lazard Brothers de Londres.
En 1914, âgé de 26 ans, au lieu de rejoindre les armées, il s'était, grâce à ses relations d'affaires, fait affecter à la direction du ravitaillement. En 1916, il était devenu le représentant de la France dans un comité interallié de ravitaillement et de transports, installé à Londres. De là, en 1916, à la signature de la paix, il était passé à la Société des Nations débutante, en qualité d'adjoint du secrétaire général, l'Anglais Sir Eric Drummond. Puis il avait démissionné en 1923. Il s'était, un moment, occupé, avec divers banquiers internationaux, de la stabilisation des monnaies autrichienne et polonaise. Il avait aussi travaillé à renflouer, grâce à ses attaches financières, l'entreprise de cognac de son père, alors menacé de faillite. On l'avait trouvé, par la suite, mêlé à un consortium électrique et minier franco-américain, le groupe Blair. Après quoi, le groupe Blair ayant été atteint sérieusement par la crise économique de 1930, il était allé opérer en Chine pour le compte d'une banque américaine, la banque Murnano, appuyée par la banque Walker, qui s'occupait, entre autres, de ventes de locomotives au gouvernement chinois, et dont il était devenu associé. Il avait aussi épousé, à Moscou, la fille d'un journaliste italien.
Il est vrai, qu'en outre, en 1943, il s'était rendu à Alger, où il avait figuré dans les conseils qui négocièrent la formation du gouvernement provisoire, au moment où était encore pendante la question de savoir qui l'emporterait du général Giraud et du général de Gaulle.
Bien entendu, par les liens qu'il avait noués à Londres avec les gaullistes c'est contre Giraud qu'il avait alors joué. Il fut de ceux à qui, après l'éviction de Giraud, de Gaulle, à Alger d'abord en 1943, à Paris ensuite après la Libération dut beaucoup.
Et puis, après Munich, il avait été envoyé par M. Daladier s'occuper de l'achat d'avions destinés à la France. Enfin, en 1939, à la déclaration de guerre, il avait été nommé président d'un comité de coordination franco-anglais, siégeant à Londres, pour l'organisation de l'effort d'armement des deux pays. En juin 1940, c'était lui qui à Londres, avait suggéré à Churchill, pour empêcher la France de signer l'armistice, l'étrange combinaison en vertu de laquelle la France et la Grande-Bretagne auraient conclu une « Union indissoluble » et auraient été administrés par un cabinet de guerre commun, sous le contrôle d'un parlement commun. Et tout naturellement, après la débâcle, resté en Angleterre, il avait continué, pour le compte des alliés, à opérer dans les affaires d'achat de matériel.
Bref, si M. Monnet s'était, depuis 35 ans, acquis une compétence et des relations d'affaires très étendues, c'était essentiellement une compétence d'intermédiaire, de commis voyageur international en marchandises diverses, personnellement très dépendant de quelques banquiers américains, avec toutes les déformations que ce genre de profession a pu entraîner dans un monde économiquement bouleversé par l'illusionnisme des gens de finances.
Et voilà la raison principale, une raison qui ne fut pas d'ordre économique, pour laquelle, en 1946, de Gaulle devenu chef du gouvernement provisoire, lui confia les fonctions de commissaire au plan.
Et maintenant il s'agit de savoir comment, et avec la collaboration de qui, Jean Monnet, une fois en place, organisa son affaire.
Aussitôt nommé il s'était associé comme adjoint un homme, M. Marjolin, à divers points de vue lui aussi assez curieux. Car, universitaire d'origine, M. Marjolin, pendant plusieurs années avant la guerre collaborateur actif du « Populaire » de Léon Blum, avait figuré pendant l'occupation dans l'entourage de M. Bouthillier, à Vichy, parmi les techniciens des équipes synarchiques, avant de se rendre en Amérique.
Et puis il avait créé une quinzaine de commissions de dix à vingt membres chacune, commission des houillères, de l'électricité, de la sidérurgie, des transports, de l'équipement rural, du textile, etc., où figuraient, en proportion d'ailleurs variable, de hauts fonctionnaires, quelques représentants, en petit nombre, de syndicats patronaux et ouvriers, et d'assez nombreux dirigeants de très puissantes entreprises industrielles, parmi lesquelles, entre autres, M. Eugène Roy, directeur général des aciéries de Longwy, M. Peugeot, M. Bô, directeur général de Rhône-Poulenc. M. Lesieur, des Huiles, désignés tous, sans règle d'aucune sorte, par le commissaire général et le gouvernement.
Ainsi constitué, le commissariat s'était mis au travail. Il avait commencé par établir un programme qu'il condensait dans un vaste rapport imprimé au début de 1947, accompagné de tableaux et de statistiques, et précédé d'une sorte de long exposé des motifs. Ledit exposé des motifs, pour peu qu'on l'analyse de près, révèle des points de vue étonnamment sommaires et arbitraires. Il n'abordait et ne discutait aucune des questions relatives aux réformes qu'il pouvait y avoir lieu d'envisager ; quant à la structure démographique et sociale du pays ; quant à la répartition souhaitable entre l'industrie et l'agriculture ; quant au peuplement colonial ; quant aux possibilités plus ou moins grandes qui pourraient ou non s'offrir à la France de réduire ses importations et de se suffire plus complètement à elle-même par la mise en valeur des ressources de la métropole et de ses possessions d'outre-mer ; quant aux avantages et aux inconvénients comparés de la concentration industrielle ou de la dispersion artisanale, tant au point de vue du rendement, de la concurrence et des prix qu'au point de vue de la santé générale du pays. Il dédaignait, en un mot, tout point de vue à proprement parler humain.
Il posait, en principe, qu'une seule réforme était à accomplir, celle de la modernisation de notre équipement de production industrielle et agricole. Car, assurait-il, comme une série d'axiomes indiscutables : 1° notre seul tort dans le passé avait été d'avoir une production insuffisante et trop coûteuse; 2° s'il en avait été ainsi, c'est seulement que notre équipement était inférieur à celui de nos concurrents, que nous n'avions ni machines assez perfectionnées, ni routes assez belles, ni ports aux quais assez spacieux, etc. ; 3° une fois que nous serions suffisamment équipés, nous pourrions exporter de quoi couvrir les importations dont nous avons besoin ; 4° pour obtenir ce résultat le but à atteindre était d'arriver, par un progrès méthodique, à porter en 1950 le volume global de la production française à un niveau supérieur de 25 % environ au maximum atteint dans la meilleure année d'avant-guerre, c'est-à-dire en 1929 ; 5° la seule condition nécessaire à la réussite du programme ainsi défini était que, dès l'année même, la stabilité des prix et de la monnaie fût assurée, et l'équilibre général des dépenses de l'Etat solidement établi.
De sang-froid, cette façon de raisonner apparaît d'un simplisme déconcertant, doublé de pas mal d'ignorances. On ne se souciait pas de rechercher comment les marchandises qu'on se proposait de produire pour l'exportation avaient des chances, de ne pas se heurter à des droits de douane protecteurs. On ne précisait pas dans quelles conditions, sur le marché intérieur comme sur le marché extérieur, pourrait être établi entre le prix de vente des marchandises et le pouvoir d'achat des clients éventuels un équilibre meilleur que celui qui, avant-guerre, avait provoqué des crises de sous-consommation de plus en plus catastrophiques. On oubliait qu'avant-guerre déjà l'ingéniosité des techniciens s'était dépensée à établir et à amorcer, sous des noms divers, des programmes d'équipement et de grands travaux très comparables à celui que l'on dessinait, et qui n'avaient, bien au contraire, pas empêché les crises et les troubles économiques de toutes sortes. On ne s'apercevait même pas que l'année 1929, qu'on prenait arbitrairement comme étalon, était justement celle où avait éclaté le plus grave déséquilibre entre production et pouvoir d'achat. Enfin, on n'indiquait, en aucune façon, comment on procéderait pour trouver les fonds nécessaires à un aussi vaste programme, tout en maintenant cet équilibre budgétaire que l'on reconnaissait indispensable.
On s'était contenté de fixer d'abord le plan des travaux d'équipement, routes, quais, barrages, transports d'électricité, installations minières, voire dans les campagnes abattoirs et frigorifiques perfectionnés, qui devaient, affirmait-on sans préciser sur quelles données on se basait, permettre, dans un délai de cinq ans, à un taux rémunérateur, une production d'un quart supérieure à celle de 1929. On avait ensuite calculé, avec des minuties de polytechniciens, les quantités et les prix des milliers de tonnes de matières premières, de machines et d'outillages que tous ces travaux allaient exiger. Et puis, on avait réclamé un crédit global correspondant à une première tranche annuelle de travaux.
Le gouvernement, sans permettre aux parlementaires de discuter ni le principe, ni les modalités du plan, et en leur promettant seulement qu'il les renseignerait par la suite, avait fait appel à l'emprunt pour fournir aux dirigeants du plan les sommes qu'ils réclamaient. Il avait fait inscrire ces sommes à un compte spécial extrabudgétaire, dans lequel on allait pouvoir puiser sans contrôle. Et puis on s'était mis à travailler et à dépenser.
Or, au bout de quelques mois à peine, sans que les parlementaires osassent demander des explications, on s'était aperçu que les prix montaient, que la monnaie se dévaluait, qu'une partie seulement des travaux prévus pour l'année était en voie d'exécution, que tout l'équilibre du système était déjà compromis.
Heureusement, dans l'intervalle, au cours de l'année 1947, les Etats-Unis, de leur côté, par la fameuse déclaration de M. Marshall, à Harward, prenaient l'initiative de proposer un plan d'aide américaine pour le relèvement économique de l'Europe.
Ce plan était conçu de la façon suivante. L'Amérique fournira à l'Europe des matières premières et des objets fabriqués qui seront payés aux producteurs américains, à fonds perdus, par le budget des Etats-Unis. Cependant, les bénéficiaires européens de ces produits ne les recevront pas gratuitement. Que ces bénéficiaires soient des entreprises privées ou des services d'Etat, ils devront en payer le prix, dans leur monnaie nationale, à leur propre gouvernement. Ledit gouvernement, de son côté, ne pourra pas disposer librement des sommes ainsi rassemblées. Elles seront versées dans une caisse à part, et ne pourront être débloquées que sur contrôle américain de l'utilité de leur emploi. Divers comités, tant américains qu'européens, régleront le fonctionnement du système.
Un tel mécanisme est certes ingénieux, et de nature à soulager les budgets des Etats d'Europe. Mais il leur ôte beaucoup de leur indépendance. En ce qui nous concerne en particulier, les vues américaines sur notre relèvement risquaient fort de ne pas coïncider avec celles des dirigeants du plan Monnet.
Cependant l'administration de notre plan avait été maintenue. Elle avait continué à dépenser des sommes de plus en plus considérables, qui maintenant allaient lui être fournies pour partie par les crédits du plan Marshall. Pour le budget de l’année 1949 elle réclamait une somme globale de 600 milliards.
Pour la première fois, devant l’énormité de ce chiffre, et devant les complications que risquait d'entraîner à présent le contrôle américain, le Parlement avait protesté. Deux rapports avaient été rédigés et discutés en séances publiques, l'un au mois de février dernier, de M. Pleven à l’Assemblée Nationale, l'autre, le plus intéressant, de M. Pellenc, au mois d'avril, au Conseil de la République.
De ces rapports et des débats auxquels ils donnaient lieu ressortait une série d'observations très curieuses.
1° Les parlementaires remarquaient que, si le gouvernement avait laissé une large autonomie aux dirigeants du plan Monnet, il s'était cependant engagé à soumettre, avant le 31 décembre 1948, leur travail aux Chambres, avec les modifications à lui apportées pour l'adapter au plan Marshall ; mais qu'il n'en avait rien fait.
2° Ils constataient que sur les sommes prévues aux budgets des deux années précédentes pour les premiers travaux de réparation et d'équipement prévus par le plan Monnet, une faible partie, un tiers seulement en 1947, avait reçu sa destination régulière ; le reste ayant été employé, grâce aux facilités que donnait l'absence de tout contrôle, à boucher les frais de gestion toujours grandissants de divers services nationalisés, ce qui avait bouleversé en fait tout le programme et toutes les prévisions, si minutieusement calculées, sur lesquelles le plan était bâti.
3° Pour se procurer les fonds réclamés par le plan, on n'avait cessé de recourir à des procédures d'emprunt, plus ou moins forcés qui, en vue des équipements futurs, pompaient les épargnants et les réserves de la masse des Français. C'est ainsi, en particulier que, par la loi du 7 janvier 1948, avaient été décidés un prélèvement dit « exceptionnel » et un emprunt amortissable de 3 % dont le produit avait été intégralement affecté aux besoins des travaux de reconstruction et d'équipement dirigés par l'administration du plan, et qui, par les troubles qu'ils entraînaient dans le train courant des affaires, avaient provoqué de nouvelles baisses de la monnaie.
4° Sur les quelque 600 milliards réclamés par l'administration du plan pour son budget de l'année 1949, et qui étaient divisés par elle en parts à peu près égales pour les travaux de reconstruction, d'une part, pour la modernisation, de l'autre, il se trouvait que presque tout était affecté aux besoins des services nationalisés, mines, électricité, chemins de fer, travaux publics. Très peu de choses était prévu pour les besoins des entreprises industrielles privées, et moins encore pour ceux de l'agriculture.
5° Si l'on regarde d'un peu plus près, il est vrai, il se trouve que les services nationalisés, aujourd'hui, ne travaillent pas eux-mêmes, avec leur personnel propre, pour leur équipement. Qu'il s'agisse, par exemple, de l’électrification des lignes de chemins de fer ou des installations de puits de mines, ou, mieux encore, des travaux publics de routes, de quais, etc., ils se contentent de traiter avec les quelques grandes sociétés privées de la sidérurgie, de la fabrication de matériel électrique, des produits chimiques, etc., qui effectuent les travaux à leur compte et fournissent machines et matières premières. En conséquence, par une incidence imprévue et que l'on se garde d'ordinaire de signaler au public, sous le couvert de la nationalisation, sous le couvert des crédits attribués aux entreprises nationalisées, ce sont, en fait, les grandes sociétés industrielles privées qui reçoivent les commandes et bénéficient des crédits.
Et sans doute certains seront tentés de dire que c'est là un résultat heureux, un moyen indirect d'augmenter la part, théoriquement si restreinte, faite à l'industrie privée dans la distribution des crédits du plan.
Oui, sans doute ; mais les bénéficiaires de ces commandes ce ne sont que les sociétés les plus puissantes, celles qui ont des représentants dans les commissions du plan. De plus, comme ces derniers se trouvent à la fois conseillers et bénéficiaires, ils sont tout naturellement tentés de grossir les devis, de multiplier les travaux, même les moins utiles. Et le jeu leur est d'autant plus facile qu'ils ont toutes sortes de complicités dans les services nationalisés avec lesquels ils ont à traiter, et pour le compte desquels sont passées les commandes. A la tête des services nationalisés, en effet, il y a des ingénieurs, de hauts fonctionnaires, tous plus ou moins issus de polytechnique et de l'inspection des finances. Dans le haut état-major des grandes sociétés industrielles on trouve aussi des polytechniciens, des inspecteurs des finances, liés par toutes sortes de camaraderies à ceux qui, dans les services nationalisés, représentent l'Etat. Et d'ailleurs ces derniers, qui pratiquement ne sont responsables devant personne, n'ont et ne peuvent avoir un véritable souci du prix de revient.
Dans son rapport au Conseil de la République, M. Pellenc a fait, sur les méthodes employées pour rétablissement des devis et la fixation du programme de travaux des services nationalisés, des observations bien caractéristiques et bien troublantes. « Gaz et Electricité de France, dit-il tout d'abord, se voient attribuer pour leur compte 104 milliards. Dans quelles conditions ? Sur la présentation d'un simple catalogue qui comporte la désignation de 97 localités où des travaux sont engagés. Le prix des travaux n'est pas chiffré. Par conséquent, il est absolument impossible au Parlement d'en apprécier l'intérêt... ». « Aux houillères nationales, ajoute-t-il, le projet attribue 65 milliards. Je ne veux pas insister ; les justifications ne sont pas plus détaillées que pour les houillères ». « Quant à la Société Nationale des Chemins de Fer, enfin, précise-t-il, c'est vraiment l'ogre le plus insatiable qui se puisse rencontrer».
Par ailleurs, au mois de juin 1949, dans une grave revue très conservatrice, la « Revue Politique et Parlementaire », un digne économiste, M. Chalandon, parlant des travaux effectués par les sociétés privées pour le compte de l'Etat, au titre du plan Monnet, a pu écrire : « Beaucoup de ces travaux réalisés ou en cours d'exécution sont non seulement d'une utilité contestable, mais présentent souvent un caractère nettement somptuaire. Cela provient de ce que les programmes ont été établis en fonction de données techniques, par des techniciens qui, en l'absence de tout contrôle parlementaire, ont pratiquement eu toute liberté pour fixer le rythme et la nature des travaux qu'ils entreprenaient. Or, si techniquement il est souhaitable d'avoir de belles machines, il peut arriver que financièrement ce ne soit pas avantageux. La perfection technique peut être inutilement coûteuse, et la dépense qu'elle implique hors de proportion avec l'avantage qu'on en retire. »
Tout récemment, à l'appui de ces observations, s'est produit un fait bien curieusement caractéristique. Les comités américains, dont, nous l'avons vu, l'avis est nécessaire pour permettre l'utilisation des crédits Marshall, nécessaires au fonctionnement des travaux du plan Monnet, ont, à tort ou à raison, refusé leur aval à remploi d'une somme de 40 milliards prévue pour les travaux de la S.N.C.F. Cette mesure a provoqué une protestation générale de la confédération générale du patronat, c'est-à-dire de l'organisme qui rassemble les dirigeants de notre grande industrie privée, lesquels, dans un communiqué qu'ont reproduit beaucoup de journaux des 14 et 15 septembre dernier, se sont plaints non pour plaider l'utilité des travaux interrompus, mais pour dire que beaucoup de leurs usines ne travaillaient que pour la S.N.C.F., et allaient se voir obligées, si les crédits n'étaient pas rétablis, de mettre leur personnel en chômage.
Pendant longtemps on avait vu les organismes patronaux faire campagne contre les nationalisations, protester contre les gaspillages entraînés, disaient-ils, par l'étatisation. Aujourd'hui ce sont eux qui réclament des crédits, pour les services d'Etat, en avouant qu'ils n'ont, qu'ils ne cherchent à avoir d'autre client que l'Etat.
Or, tandis qu'ils se partagent, avec le personnel surabondant des services nationalisés, ces dépenses à tant de points de vue somptuaires, il se trouve que les travaux de réparation plus modestes, mais à beaucoup de points de vue plus urgents aux yeux des sinistrés, la simple reconstruction des maisons démolies, ne progresse qu'avec une infinie lenteur. Tandis que pour l'équipement des campagnes et des colonies on électrifie les lignes de chemins de fer, on construit des machines 'perfectionnées destinées à l'entretien des routes, on «bâtit ici et là des abattoirs ultra-modernes ; on munit de fort beaux quais les ports de nos territoires d'outre-mer ; on a même entrepris au Togo, où il n'y a pas mille Européens, la construction d'un superbe lycée ; par contre, aucun crédit n'est encore prévu ni pour fournir des fonds de départ et d'installation à des colons éventuels, ni pour faciliter le retour à la terre dans notre France continentale où, depuis quelque cinquante ans, une surface égale à celle de la Belgique a été abandonnée par la culture.
Tout cela, dira-t-on, viendra sans doute plus tard. Peut-être, mais en attendant, pour les commandes d'utilité souvent contestable passées aux puissants fournisseurs des services d'Etat, on dépense sans mesure et sans contrôle ; on se condamne à recourir aux crédits américains qui compromettent notre indépendance ; on provoque les dévaluations répétées de notre monnaie qui, en ruinant les épargnants, les prolétarisent de plus en plus, et tuent chez eux l'esprit et les moyens d'entreprendre.
Etrange et bien dangereuse méthode pour préparer le relèvement du pays. Mais était-il raisonnable d'attendre mieux après avoir eu l'étrange idée de confier une dictature économique sans contrôle à un homme qui, comme M. Jean Monnet, a passé l'essentiel de sa carrière en commis voyageur des grands fournisseurs de commandes d'Etat ?
L'article ci-dessus, ayant été écrit et publié en 1949, il nous paraît utile de le compléter par un bref résumé des événements qui ont, par la suite jalonné la carrière de M. Monnet.
Déjà, en 1949, le fonctionnement du plan Monnet s'était révélé fort coûteux et avait exigé le recours à des subventions américaines. L'année suivante, pour plaire aux Américains qui, afin de s'assurer un plus efficace contrôle sur les capitaux engagés par eux souhaitaient préparer ce qu'ils appelaient une union européenne, économique d'abord et, si possible, politique ensuite, le gouvernement français avait, sous l'instigation de M. Monnet, pris l'initiative de créer ce qu'on appela alors le pool européen du charbon et de l'acier, c'est-à-dire un accord international des industries métallurgiques et minières, destiné à préparer les voies d'une union économique plus générale. Ce fut Robert Schuman, alors ministre des Affaires Etrangères, qui présida en juin 1950, à la fondation du pool. Mais c'était M. Jean Monnet qui avait tout animé.
De fait, deux ans plus tard, quand le pool commença à fonctionner, ce fut M. Monnet qui en obtint la présidence.
En 1954, toutefois, des difficultés étaient survenues pour lui. A cette date, en effet, sous la pression des Américains, qui déjà, ne se contentant plus du pool charbon-acier, voulaient l'instituer ce qu'ils appelaient la communauté européenne de défense, c'est-à-dire un système d'armée européenne commune, nouvelle étape vers l'unité politique complète. M. Monnet avait pris position en faveur de ce projet d'armée commune. Mais ledit projet s'était heurté à une opposition décidée au parlement français. M. Monnet avait alors démissionné de sa présidence du pool, le 11 novembre 1954, en déclarant qu'il se retirait « afin de pouvoir participer avec une entière liberté d'action à la réalisation de l'unité européenne ».
En fait, au cours des années suivantes, il avait surtout continué à servir d'agent financier entre l'Amérique et le gouvernement français, toujours désireux, pour équilibrer ses budgets, de s'assurer de nouveaux prêts des Etats-Unis. C'est ainsi entre autres qu'en janvier 1958, il avait été nommé président d'une délégation chargée d'aller négocier un emprunt à Washington.
A cette occasion et en plusieurs autres, il avait été amené à appuyer les campagnes amorcées pour préparer les abandons coloniaux que les Américains réclamaient de nous en sous-main, afin de se payer de leurs générosités en s'assurant le contrôle de nos richesses d'outre-mer.
En conséquence de quoi, sans plus remplir depuis 1954 de fonctions officielles, M. Monnet a continué à être un des plus influents agents de la finance américaine, avec l'aide de certains de ses poulains, M. Marjolin entre autres, qui continue à jouer un grand rôle dans les organismes de la Communauté Européenne. Il est allé si loin dans cette voie qu'il s'est attiré parfois quelques ennuis. En 1963, notamment, après notre abandon total de l'Algérie, comme le général de Gaulle, peut-être inquiet pour son prestige d'avoir tant cédé, voulait chercher une sorte de revanche, en essayant de conclure avec le chancelier Adenauer un accord franco-allemand destiné, laissait-il entendre, à libérer partiellement au moins l'Europe du contrôle américain, M. Monnet avait pris position ouverte contre les projets du général. D'où un froid assez vif entre eux deux.
Mais les Américains n'ont pas, pour cela, renoncé, bien au contraire, à soutenir M. Monnet. Même, lors des discussions qui se sont ouvertes, dans le courant de 1963, sur le choix de l'éventuel Président de la République qui succéderait au général de Gaulle, certains organes de la presse américaine ont clairement laissé entendre que M. Jean Monnet serait, le cas échéant, un candidat qui ne déplairait pas aux Etats-Unis.
Tout cela étant, il est plus que jamais nécessaire de faire connaître aux Français comment s'est formé l’étrange aventurier dénationalisé qui ose avoir la prétention de se laisser pousser un jour à la présidence.
E. Beau de Loménie
Sources : Les Cahiers de la Cité, novembre 1949 et repris dans « les glorieux de la décadence » (1964)
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